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Lynne Bowker, professeure à l’École de traduction et d’interprétation de l’Université d’Ottawa, propose ici un manuel d’introduction à la traduction assistée par ordinateur (TAO – angl. Computer-Aided Translation, CAT). Il s’agit d’un ouvrage compact et très ciblé dans son contenu : il se concentre sur la présentation des outils de TAO du point de vue de leur potentiel d’utilisation par les traducteurs. Il s’adresse donc avant tout aux étudiants et professeurs en traduction ainsi qu’aux professionnels du domaine désireux de mettre à jour leurs connaissances. De par son contenu et le public visé, ce manuel se rapproche de l’ouvrage de L’Homme (1999), un ouvrage plus global (en français), qui couvre l’ensemble des outils informatiques utilisés en traduction et non la seule TAO. Puisque le livre de Lynne Bowker est un manuel (une succession de leçons), il sera présenté ici de façon linéaire, ce compte rendu se terminant par une évaluation générale.

L’« Introduction » présente le contenu du manuel, le public visé et l’intérêt potentiel de l’étude de la TAO. Notamment, l’auteure justifie le fait de se focaliser sur la TAO, en situant celle-ci dans le contexte économique actuel. La distinction entre traduction automatique (TA – angl. Machine Translation, MT) et TAO est clairement présentée et, surtout, l’intérêt économique et professionnel (pour le traducteur) de la TAO est bien justifié vis-à-vis de la TA. L’auteure démontre notamment pourquoi le relatif échec de l’utilisation commerciale de la TA, en regard des espoirs et des investissements qu’elle a suscités, ne doit pas influencer la façon dont on peut envisager la TAO. Cette dernière, outre le fait qu’elle est maintenant omniprésente dans la pratique quotidienne du traducteur, est devenue incontournable pour qui veut rester compétitif dans sur le marché de la traduction professionnelle. Dans l’« Introduction », l’auteure justifie aussi le choix des technologies qui seront présentées. Il s’agit exclusivement des outils informatiques ayant une importance particulière pour la profession de traducteur ; cela exclut donc les outils d’usage courant mais non spécifiquement liés à cette activité professionnelle (traitement de texte, navigation sur Internet, etc.).

Si l’« Introduction » est stimulante, le Chapitre 1 fait un peu retomber la sauce. Il est consacré à une présentation des raisons pour lesquelles il est utile aux traducteurs d’acquérir la connaissance des outils technologiques. Outre le fait que certains arguments en ce sens sont mentionnés dans l’« Introduction », on pourrait penser que ce chapitre, de par son contenu, a tout à fait sa place comme section de l’« Introduction », auquel il me semble logiquement appartenir.

Le Chapitre 2 introduit les technologies de conversion des données papier en données électroniques. En d’autres termes, l’auteure y présente le fonctionnement et l’utilisation des numériseurs et des logiciels de reconnaissance optique de caractères. Il est aussi question ici de la conversion de données au moyen de techniques de reconnaissance vocale. Ces technologies ne sont pas d’un usage propre au traducteur ; l’auteure montre cependant bien qu’elles sont en fait présupposées par les autres technologies dont il sera question dans la suite de l’ouvrage. Certaines sections de ce chapitre pourraient sembler assez terre à terre, notamment celle portant sur les divers types de formats de fichiers. Il faut cependant admettre que les informations présentées ici ne sont pas nécessairement acquises par l’ensemble des utilisateurs des outils informatiques. L’auteure offre notamment un tableau de synthèse des différents formats de fichiers (Table 2.1) qui résume clairement l’information dont il est question et qui est d’un intérêt pratique indiscutable.

Le Chapitre 3 présente de façon claire la problématique de l’utilisation des corpus de textes selon plusieurs angles : structuration, construction et consultation de corpus. Dans ce dernier cas, il est question bien évidemment des outils maintenant devenus d’un usage courant dans la pratique lexicographique et terminologique : les listes de fréquence, les lématiseurs et les concordanciers. (Il est aussi question de logiciels de repérage automatique de collocations et de corpus linguistiquement annotés.) L’utilisation de ces outils est toutefois bien présentée du point de vue du traducteur, notamment lorsqu’il est question de l’utilisation de concordanciers bilingues.

Le Chapitre 4 porte sur les systèmes de gestion terminologique. Il ne m’a pas semblé très riche en contenu, même s’il est à jour pour ce qui est des technologies présentées. La problématique de l’extraction automatique de termes, notamment, fait l’objet d’une très courte section qui aurait pu être développée. L’auteure caractérise bien les deux approches possibles du problème – approche linguistique vs statistique, mais en restant à un très grand niveau de généralité.

Le Chapitre 5 est d’un tout autre calibre. Il présente les mémoires de traduction, un type de corpus très intéressant du point de vue technologique et dont l’utilisation est en plein essor. Une mémoire de traduction est un corpus comportant des textes sources et leur traduction, segmentés pour que les segments, qui correspondent généralement au niveau de la phrase dans les textes sources, soient mis en correspondance. Il s’agit donc d’un corpus parallèle indexé, créé à partir de traductions antérieures. De tels corpus permettent au traducteur de « recycler » de la traduction, comme le dit très bien l’auteure. Dans la pratique, le traducteur accède à la mémoire de traduction au moyen de logiciels qui comparent automatiquement un nouveau texte à traduire et la base des textes déjà traduits. Le programme propose au traducteur des traductions de segments de texte sur la base d’appariements effectués dans la mémoire de traduction. L’auteure passe en revue les différents aspects techniques de l’utilisation des mémoires de traduction. Elle examine notamment le problème de la segmentation des textes sources en phrases et, ensuite, celui de leur appariement avec les traductions correspondantes dans les textes cibles. Elle explicite aussi les différents types d’appariements que l’on peut effectuer entre les segments à traduire et les éléments sources de la mémoire de traduction. De nombreuses figures sont incluses pour illustrer le propos (correspondances source-cible), qui favorisent véritablement la compréhension des différentes notions et donnent un ancrage concret aux explications de l’auteure. Bien entendu, l’aspect le plus intéressant des mémoires de traduction réside dans le fait qu’elles sont fondées sur des connaissances générées par le traducteur lui-même et ne sont pas le résultat d’une traduction effectuée par un programme (une TA). On bénéficie ainsi de la qualité de la traduction humaine, rendue accessible par des outils technologiques somme toute assez simples, quand on les compare à la sophistication technologique requise dans le cas des systèmes de TA de haut niveau.

Le dernier chapitre de l’ouvrage présente d’autres technologies récentes, qui ne sont pas nécessairement passées au stade opérationnel. Il est aussi question de nouveaux domaines d’application de la traduction, notamment celui de la localisation de programmes, c’est-à-dire de l’adaptation d’un programme à un contexte linguistique d’utilisation autre que celui pour lequel il a été initialement conçu.

Le livre se termine par deux annexes : un glossaire, très bien fait, des termes du domaine, avec leur définition, et une énumération des logiciels commerciaux de TAO, qui semble très complète.

Passons maintenant à une évaluation générale de l’ouvrage. Tout d’abord, il faut noter qu’il est rédigé et présenté de façon très claire et professionnelle. Du point de vue pédagogique, tout est fait selon les règles de l’art. On peut notamment mentionner le fait que chaque chapitre se conclut par un résumé des points saillants ainsi que par une liste de lectures complémentaires. L’auteure utilise aussi à profusion les illustrations (exemples de traductions, de données linguistiques, etc.) qui ne sont pas là pour faire du remplissage mais bien comme partie intégrante de la présentation des notions. Étant un ouvrage présentant des outils informatiques, centré sur l’aspect purement technologique du domaine, il se doit d’être à jour. Sur ce plan également, le livre semble irréprochable. Tout en restant très compact, il parvient à faire une bonne couverture du domaine de la TAO. On peut bien entendu faire certaines critiques. J’ai déjà mentionné le caractère inégal, du point de vue de leur intérêt, des divers chapitres. Sans doute cela est-il attribuable au fait que les technologies présentées sont justement d’un intérêt inégal. Il est clair, par exemple, que les mémoires de traduction relèvent d’une technologie relativement nouvelle, ayant un très grand potentiel et que l’auteure s’est tout naturellement trouvée très inspirée par le sujet. En comparaison, il est beaucoup plus difficile d’écrire quelque chose de véritablement « excitant » lorsque l’on présente le fonctionnement des numériseurs… Je me contente d’émettre cette critique sans proposer de solution, mais il me semble qu’il devrait être possible, dans des éditions futures de l’ouvrage, d’atténuer cette impression d’inégalité entre les chapitres. Malgré les réserves qui viennent d’être faites, il est clair qu’il s’agit ici d’un livre très utile, qui remplit parfaitement sa mission. Il serait notamment injuste de lui reprocher de ne pas être un ouvrage « scientifique » dans la mesure où l’auteure annonce très clairement la couleur dès l’introduction : il s’agit de présenter des technologies et leur utilisation, et non d’introduire un domaine de recherche. Notons que, du fait même de son sujet (présentation d’outils technologiques), la présente édition aura une durée de vie relativement courte, et l’ouvrage devra être régulièrement mis à jour. Je recommande donc d’en acquérir l’édition brochée. (Bien entendu, je suis quant à moi très heureux d’en avoir obtenu une version reliée, très belle, pour effectuer le présent compte rendu…)