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Je pense à moi tout le temps. Et à l’argent.

Rose-Alba Almevida, Un habit de lumière, Anne Hébert

On évoque souvent les métarécits que sont la religion catholique et les contes de fées comme étant des marqueurs déterminants dans les récits d’Anne Hébert [2], mais on oublie à quel point l’économie traverse toutes ses oeuvres, au point d’en être un élément structurant. Cette dimension est en effet omniprésente dans l’oeuvre d’Anne Hébert, tantôt exprimée littéralement — pensons au livre de comptes de Claudine dans Le torrent [3], ainsi qu’à l’achat d’Amica par François —, tantôt implicitement — l’extrême dénuement dans lequel se trouve Delphine [4] n’est pas explicitement exprimé —, la forme et le fond signifiant l’obsession ou le manque en parfaite adéquation. Le clivage économique relié aux classes sociales (aristocrates, seigneurs, bourgeois/ouvriers, paysans ou artisans, servantes [5]) est souvent doublé d’un clivage sexuel (homme/femme), sans compter qu’il est triplé, dans Un habit de lumière, dernier roman de l’auteure, du clivage ethnique, notamment celui provoqué par la problématique de l’immigration (Français/immigré), voire quadruplé par la dichotomie adulte/enfant. Toutes ces divisions s’articulent, on le voit, autour des notions d’identité et d’aliénation et convoquent celles de pouvoir et d’impouvoir. Les textes hébertiens comportent de véritables critiques contre tous les systèmes de domination, les ordres patriarcaux et capitalistes en tête. C’est du moins ce que je soutiens à travers cette lecture d’Un habit de lumière.

M’appuyant sur les concepts de valeur symbolique et de légitimité (tels que maniés par Bourdieu [6]) et sur la théorie féministe matérialiste [7], je veux montrer ici que l’auteure met précisément en scène ces aliénations identitaires. Ce que je me propose de faire, c’est une analyse des rapports économiques présents dans le roman. Plus précisément, je soulèverai, pour chacun des quatre principaux personnages (Rose-Alba Almevida, Pedro Almevida, Miguel Almevida et Jean-Ephrem de la Tour), ce qu’il produit, les gains que lui rapporte cette production et l’usage qu’il fait de ces gains, que ce soit en termes de dépense, d’échange ou d’investissement. Je mettrai ces observations en rapport avec l’identité de sexe/genre (homme/femme, masculin/féminin), l’identité de classe, l’identité ethnique et l’identité liée au groupe d’âge — encore peu problématisée mais pas moins agissante [8] — de chacun des personnages. Cette mise en relation des aspects identitaires et économiques nous permettra de révéler la présence d’un point de vue critique sur le traitement socioéconomique réservé aux agents selon leur appartenance à diverses classes identitaires, notamment celles des femmes (identité de sexe/ genre, non seulement définie par le sexe mais également par l’association au masculin ou au féminin, notamment par la performance de genre accomplie par un individu, indifféremment de son sexe [9]), des ouvriers (identité de classe sociale), des immigrés (identité ethnique) et des enfants (identité liée au groupe d’âge), point de vue critique formulant une charge contre le système économique dominant, le capitalisme, qui fabrique des laissés-pour-compte et programme la distribution de l’impouvoir aux classes dominées, dévoilant, par le fait même, ses accointances avec les idéologies patriarcales et ethnocentriques. L’examen de l’activité économique de chacun des personnages peut nous en apprendre beaucoup sur le lieu de leur aliénation respective.

Traditionnellement, certains courants littéraires, héritiers en cela du romantisme, offrent une vision mystifiante de la pauvreté, qui se trouve magnifiée (par exemple, « le mythe du bon pauvre [10] » entretenu par la littérature). Une des raisons en est que l’accès à l’écriture a longtemps été le fait d’une classe de privilégiés provenant de familles bien dotées, tant en capital symbolique qu’en capital économique. C’était donc leur vision de la pauvreté qui était exprimée. Depuis l’accession d’agents issus de la classe ouvrière (et autres exclus des classes dominantes tels que — pour ce qui nous intéresse ici — les femmes et les non-Blancs) aux carrières littéraires [11], soit depuis l’accès à l’éducation pour tous, survenu à des moments différents selon les pays, d’autres voix se font entendre. Ce qui est remarquable ici, c’est qu’Anne Hébert, agent privilégié s’il en est quant à l’accès à l’écriture, prête la voix à des figures toujours marginales en cette fin du vingtième siècle, signant par là sinon la faillite du projet démocratique, du moins sa persistance à créer des inégalités. On pourrait arguer que prêter la voix à… c’est toujours la garder. Ce qui est vrai [12]. Il n’empêche que le prêt s’accompagne ici de l’adoption d’une posture critique, qui ne prétend donc pas parler au nom de, mais qui donne à voir plutôt, un peu de la façon distanciée proposée par Bertolt Brecht — ce que la fragmentation de la forme ratifie.

Rose-Alba, l’Espagnole qui voulait être blonde

Déclinons d’abord l’identité de Rose-Alba Almevida : elle est une femme, tout à fait féminine au sens normatif de ce mot — du moins aspire-t-elle à la féminité —, est d’origine espagnole et est adulte. Elle est donc dominée aux chapitres du sexe/genre et de l’ethnie, mais en tant qu’adulte elle domine Miguel, son enfant. Sa production économique se situe sur deux plans. Sur le versant officiel et légitime, elle est « concierge, 102, rue Cochin, dans le Ve, Paris, France » (HL, 10). L’énonciation du « Paris, France » trahit précisément la provenance excentrique du locuteur : Rose-Alba est Espagnole. Les tâches de conciergerie qu’elle doit accomplir pour recevoir son salaire sont « vider les poubelles », « laver l’escalier » (HL, 14), ce qui la place dans une classe sociale dominée. Elle est également l’épouse de Pedro [13], et accomplit à ce titre les tâches reliées à la domesticité familiale, notamment les soins prodigués à leur enfant Miguel, en échange [14] de sa subsistance. En tant que femme, elle tire une certaine valeur de sa jeunesse — une valeur d’objet. Mais c’est là une valeur qu’elle doit rentabiliser dès maintenant. Ainsi que le dit Jean-Ephrem à Miguel, sa mère « est très belle, mais […] ça ne durera pas » (HL, 86).

Dans le cadre du mariage, il n’y a pas que l’argent qui ait valeur d’échange. Le romantisme, en instituant l’amour comme valeur, a fait de l’acte amoureux, du baiser, du « mamour » (HL, 31) et de la relation sexuelle autant d’objets d’échange [15]. Aussi les services sexuels entrent-ils dans les tâches de Rose-Alba — puisqu’elle doit « faire l’amour avec [son mari Pedro], sur-le-champ, comme d’habitude, quand ça lui prend » (HL, 25). C’est non seulement sa force de travail, mais tout son corps [16] qui doit être mobilisé si elle veut tirer des profits de l’économie familiale. L’homme reconnaît la validité de ces échanges, même s’ils n’appartiennent pas au circuit officiel des échanges économiques :

Rose-Alba Almevida, ma femme, ma dépensière, ma gloire et mon tourment, fait filer mes sous au fur et à mesure, comme du mercure en cavale. Il est vrai que je monte au ciel avec elle, de nuit comme de jour. Ça vaut bien un petit cadeau par-ci, un petit cadeau par-là. Comme si j’en avais les moyens.

HL, 37 ; je souligne

Mais les revenus qu’elle touche sur le versant légitime, à titre d’épouse et de concierge, ne suffisent pas à Rose-Alba. C’est pourquoi elle est tenue d’accepter des travaux de couture. Cette occupation, devant rester secrète (« Je fais des jours du matin au soir. J’arrête pile et je range tout sous le lit quand mon mari se pointe le soir. Surtout qu’il ne me prenne pas en flagrant délit de couseuse » [HL, 28]), s’inscrit dans une économie hors-la-loi, parallèle au circuit officiel institué par l’ordre patriarcal, pour alimenter un circuit dont elle est la seule bénéficiaire : elle peut, avec les gains réalisés au noir, se payer une robe chic (HL, 26), puis la teinture de ses cheveux (HL, 29). Comme elle est obligée, pour accomplir les travaux de couture, de délaisser ses tâches de concierge (HL, 30), il y a fraude, à cause du détournement du temps-travail. Il semble bien que ces moyens illégitimes s’avèrent les seuls pour Rose-Alba d’accéder à une autonomie financière — toute relative et tout illusoire qu’elle soit. Car c’est bien un désir d’autonomie qui l’anime et qui l’amène à envisager des revenus supplémentaires : « ma robe je me l’achèterai moi-même […]. La plus belle et la plus chère […]. Je m’arrangerai. » (HL, 24)

Les revenus provenant de la couture étant eux aussi insuffisants, elle détourne bientôt l’argent destiné aux vacances familiales (HL, 25). Peut-être considère-t-elle cela comme une paie pour services sexuels rendus [17] ? C’est du moins ce que suggère ce passage, narré par Miguel : « Je sais très bien de quoi ils causent avant de s’effondrer dans les gémissements et le grand silence de mort qui suit les gémissements. “Des sous ! Des sous !” Réclame ma mère. » (HL, 17) Et les désirs de Rose sont insatiables : « je veux un manteau de fourrure et je l’aurai » (HL, 91). L’ayant obtenu, elle doit bien évidemment le cacher « sous le lit […] dans son carton doré » (HL, 94). Car « il m’a coûté cher ce manteau », dit-elle. « Suivent des paroles incohérentes, entrecoupées de sanglots où il est question du promenoir et des rencontres qu’on peut y faire » (HL, 94). En effet, ce n’est pas Pedro qui a acheté le manteau à sa femme, mais monsieur Athanase : « il m’a dit que j’étais belle comme une image [18] et il m’a emmenée chez le fourreur tout de suite après qu’on a été sortis de l’hôtel de passe 4 étoiles, sur les quais » (HL, 95). C’est en oeuvrant dans la sphère du féminin, dédiée au corps et définie par lui, qu’elle peut se procurer le manteau qui consacre la féminité.

Rose-Alba réalise bien vite que son corps — sa valeur d’objet, donc — est plus rentable que sa force de travail, qui rapporte peu. Et comme ce corps détermine la valeur de l’échange, elle s’emploie à l’améliorer, l’embellir : elle investira pour qu’il lui rapporte davantage. On le voit, c’est son identité de sexe/genre qui aliène Rose et qu’en même temps elle cherche à rentabiliser. Mais, toute femme qu’elle soit, elle échoue, à cause de son origine ethnique, dans la production de la féminité canonique, définie par la femme blanche. C’est pourquoi ses investissements viseront dès lors à ressembler de plus en plus à celle-ci. Sa transformation physique passe par la féminisation et la « blanchisation [19] » de son apparence. Elle entreprend de ressembler à « Claudia Schiffer, en mieux » (HL, 48). Entre les mains du coiffeur, elle passe d’« une fille trop noire à la moustache naissante » (HL, 49) à « une créature éclatante et dorée » (HL, 49). C’est que la femme aux cheveux clairs vaut beaucoup plus cher sur le marché de la féminité, où ce qui a de la valeur, de façon arbitraire, c’est le « blond vénitien », et non les « cheveux trop noirs » (HL, 44). Mais la transformation de bête noire à poupée de luxe n’est pas gratuite : « c’est 600 francs, dit le coiffeur » (HL, 49). Comble d’ironie, elle négocie sa propre valeur : « je marchande avec le coiffeur. Je lui offre mes longs cheveux coupés en guise de paiement » (HL, 49), tentant de tirer profit de tout, même des produits du corps, lesquels, faut-il le rappeler, étaient, en régime patriarcal, considérés comme appartenant à l’homme, père ou mari, sujet propriétaire [20]. Mais le coiffeur refuse car l’appartenance ethnique influe sur la valeur : les « cheveux asiatiques, raides et gros, [… ne valent] rien à côté des cheveux scandinaves fins et soyeux » (HL, 49). Finalement, c’est au prix de son identité conjugale — puisqu’elle « offre [son] alliance en or » (HL, 50) au coiffeur — que la femme aux cheveux noirs de Pedro cède la place à une blonde qui recouvre du coup son statut de célibataire, statut que lui reconnaît Pedro, puisqu’il la renie : « va-t’en, tu n’es plus ma femme » (HL, 51). Et, lorsque dans son mensonge elle dit à son mari avoir perdu son anneau « en allant au marché » (HL, 52), elle ne précise pas que c’est elle-même qu’elle est allée vendre à ce marché. Or, « [la] prostitution n’est pas seulement l’expression exacerbée d’un rapport de domination sexuelle, elle représente aussi le comble de l’exploitation économique [21] ».

Elle se vendra encore à M. Athanase puisque une fois, « ce n’est pas assez » pour étancher « [sa] faim et [sa] soif » (HL, 104). Et cela tombe bien car il a beaucoup à offrir en échange des services rendus par Rose : « une bague en or avec une petite pierre bleue qui brille de mille feux » (HL, 105), qui, croit-il, lui confère l’exclusivité. Rose lui donne en quelque sorte raison puisqu’elle la porte « au quatrième doigt de la main gauche, comme une épousée » (HL, 105). Et comme toute bonne épousée, elle sera bientôt en droit de demander une maison : « je lui parlerai de cet appartement dont je rêve, clair et vaste, avec une vue imprenable sur la tour Eiffel » (HL, 105). Mais l’absence de M. Athanase se prolongeant, elle se prépare à de nouvelles transactions, cette fois-ci avec Jean-Ephrem : « Je coucherai avec cet homme très noir dans un lit à baldaquin. Peut-être m’offrira-t-il en retour la petite chaise en or, avec un fond de velours rouge dont je rêve » (HL, 112), et qui figure le « trône » (HL, 110) de la princesse qu’elle désire être [22]. Peine perdue, l’échange n’a pas lieu… Objet à vendre recherche désespérément acheteur.

Pedro, l’ouvrier qui voulait être propriétaire

Le statut d’homme, masculin et adulte de Pedro Almevida pourrait le situer parmi les dominants. Il se définit lui-même comme « le mari, le père, le maître de maison » (HL, 46). Mais son appartenance ethnique le déclasse. D’origine espagnole, Pedro est ouvrier en bâtiment (HL, 22, 37). Il assume également les tâches lourdes, « masculines » de la conciergerie : « Elle m’emmène chez Mme Guillou […]. Je dois réparer le radiateur qui fuit. » (HL, 54) Sa production est entièrement vouée à la construction de maisons et à l’entretien de maisons, indice de son aliénation [23]. Lorsqu’il est temporairement mis au chômage, sa production est alors vaine : « il fume, cigarette sur cigarette » (HL, 55).

Si la féminité est le principal vecteur d’identification/d’aliénation de Rose, c’est bien la virilité qui est celui de Pedro : il sera à plusieurs reprises comparé à un taureau (HL, 41, 56, 95). Cette virilité, qui doit tout autant à son identité sexuelle qu’à son origine ethnique (le macho), est exacerbée par son refus de toute manifestation du féminin chez l’homme, a fortiori chez son fils, et par la présence, dans le roman, du personnage de Jean-Ephrem de la Tour, un travesti.

Fort de cette certitude qu’il est le maître de la famille, Pedro, lorsqu’il rentre à la maison « paye en poche » (HL, 46), veut obtenir en échange le corps de sa femme : « je prendrais bien ma femme sur le pas de ma porte, dès mon arrivée » (HL, 47) ; le lieu marque ici le droit du propriétaire. Cette possession de la femme est associée au métarécit biblique : « Elle ment […]. Un jour ce sera clair comme de l’eau de roche. Tout le monde entassé dans la vallée de Josaphat. Le Jugement dernier. Les mystères révélés. C’est alors qu’on saura vraiment ce que ma femme a fait de l’anneau d’or, donné par moi, bénit par un prêtre dans une église de Séville, le 28 mai 1977. » (HL, 53 ; je souligne) L’anneau affirmait le droit de possession du mari sur sa femme. L’anneau disparu, il reste le droit de vie et de mort : « Un jour, je la tuerai. » (HL, 53)

Ce qui caractérise l’aliénation économique de Pedro et, par extension, celle des hommes occupant le bas de l’échelle sociale, comme c’est souvent le cas pour les immigrés [24], c’est, d’une part, sa force de travail, et, d’autre part, les objets de ses investissements : la maison, la famille, la femme — car si la femme vend son corps, ainsi qu’on l’a vu avec Rose, il y a bien quelqu’un qui l’achète. C’est lui, dit-il, qui « fai[t] bouillir la marmite chez [lui] » (HL, 46). Mais il arrive qu’il doive également « acheter une autre robe [à Rose] et une tranche de steak[,] pour son oeil » (HL, 24), ayant déchiré sa robe et l’ayant battue durant une dispute provoquée par la longueur de la robe — trop courte (HL, 22) —, qui exhibait à la vue de tous ce qui appartient en propre au mari — le corps de la femme, son bien. Certains investissements sont projetés dans l’avenir et sont l’objet d’épargne de la part de Pedro : les vacances familiales, puis le retour dans le pays d’origine : « quand j’aurai fait fortune, je retournerai au pays natal » (HL, 37). Car son aliénation est également définie sur la base du territoire, ce que nous indique son insistance à détourner l’argent gagné « ici » à un usage « là-bas » : « L’idéal serait de ne rien dépenser ici. Sauf le nécessaire. Tout mettre de côté. Et retourner en Espagne » (HL, 37), dit-il, c’est-à-dire que l’idéal serait de se garder, s’économiser, de conserver son argent pour ne pas participer à l’économie du pays d’adoption. À l’instar de Rose, Pedro détourne des fonds, a lui aussi pour projet d’alimenter une autre économie. Du moins jusqu’au jour où la réalité lui saute à la figure et où s’écroulent ses idéaux : « ma femme est une voleuse ! […] ma femme est une mauvaise mère ! […] ma femme est une salope ! […] Ma femme est une pute ! » (HL, 82) Comme son identité est définie par son rapport à sa famille, elle s’en trouve affectée : « tu n’es plus ma femme et je ne suis plus ton mari » (HL, 82). Tous ses investissements se trouvent dévalués. Aussi bien parler d’un crash.

Miguel, le petit garçon qui voulait être une femme

Fils d’immigrants, Miguel est certainement le personnage le plus dominé d’entre tous. Avant d’être un sujet producteur, Miguel, à titre d’enfant, est un produit, un objet dans l’économie familiale : dans un contexte patriarcal, l’enfant que la femme « donne » à son mari fait partie de l’échange, du marché conjugal [25]. Miguel est un objet de peu de valeur si on en juge par l’espace qui lui est octroyé, dans une loge qui n’est déjà pas un château : « je vis dans un trou à rats […] je dors sur un lit pliant, au ras du sol » (HL, 89), « entre le buffet et la table » (HL, 93). Mais à titre d’objet-enfant, il a tout de même plus de valeur, dans l’économie sociale, en tant que garçon qu’en tant que fille. En effet, Pedro annonçait à sa femme, lorsqu’elle était enceinte : « Si c’est une fille, je la jette aux cochons. » (HL, 93) Or il se trouve que Miguel a « toujours voulu être une fille » (HL, 106). Bien que garçon, il performe la féminité plutôt que la masculinité. Déjà, à sept ans, il joue à « atten[dre] [s]on mari » (HL, 15). Au grand dam de son père, dont les « volontés » de « chef de famille » sont « un fils dur et viril, lâché dans le monde du travail, nerfs d’acier et bras de fer » (HL, 71). Pedro souhaite que l’identité de son fils repose sur l’identique, sur la reproduction du même (plutôt que sur le sentiment de soi, que Miguel cultive [26]), que son fils devienne un taureau qui vend sa force de travail, comme lui.

Mais la rencontre, dans la deuxième partie, avec Jean-Ephrem de la Tour, va définitivement précipiter Miguel dans le monde adulte [27] et, du même coup, confirmer son passage du côté du féminin : lors de sa première nuit à l’extérieur, sa mère rapporte qu’« il est rentré à l’aube, […] crevé comme une pute » (HL, 70). Or contrairement à ce que croient ses parents, cette première nuit hors de la maison ne l’a pas initié à la sexualité, malgré les illusions qu’entretient le père : « une histoire de femme, à quinze ans, répète-t-il avec fierté » (HL, 70). Il faut souligner l’écart entre les deux perceptions, non seulement du fait qu’elles proviennent de subjectivités différentes (masculine et féminine) mais surtout du fait de la différence dans les identités qui sont projetées sur Miguel. Sa mère le perçoit comme une fille. Du coup, sa (supposée) aventure sexuelle le dévalue (par l’assimilation à la « pute »), puisque Rosa a intériorisé cette assimilation. Tandis qu’aux yeux de son père, qui s’acharne — malgré les performances contraires de Miguel — à percevoir son fils comme un représentant du monde masculin, cette aventure est majorée, ce qui se perçoit dans la modalité énonciative précisée : « avec fierté ». Tout cela ressortit à l’héritage historique des conceptions du sexe/genre quant au traitement différentiel des agents selon leur sexe — cela, tant dans la perception que dans la performance agie par le sujet. En d’autres mots, à la fois chacun, chacune s’attend à des performances différentes de la part des hommes et des femmes, et chacun, chacune offre, à titre d’homme ou de femme, des performances différentes, conformes à cet horizon d’attente [28]. « Si la sexualité des femmes existe et si on lui reconnaît le droit de s’exprimer, le passé reste partie intégrante de nos préjugés, et les modèles [29] » historiques — où la femme

était censée pouvoir vivre une vie entière sans qu’aucune forme d’expression ou de désir sexuel ne se manifestât [ou,] quand la sexualité féminine s’exprimait, on considérait que c’était chez des femmes « de petite vertu » ou chez des malades manifestant des tendances perverses [30],

alors même que l’appétit sexuel masculin ne fut jamais questionné quant à sa normalité, sa légitimité, voire sa nature — « pèsent encore largement sur les rapports entre femmes et hommes. Ainsi, par exemple, les parents ne jugeront pas de manière identique les aventures sexuelles de leurs enfants : si, rassurés par la vitalité de leur fils, ils souriront avec indulgence et amusement à ses frasques sexuelles, celles de leur fille susciteront plus d’inquiétude [31] ».

Miguel partage avec sa mère, outre le fait de se conformer au simulacre de la féminité, « le désir […] de se perdre dans un tourbillon » (HL, 75). Miguel se situe dans la perte, la dépense de soi — plutôt que dans la capitalisation de soi : se donner plutôt que se garder. Il se situe du côté du féminin, du côté de la dépense folle. Dépenser son temps pour l’autre, son argent pour se faire belle pour l’autre [32]. Tout comme Rose-Alba s’est placée sous la possession de Pedro, Miguel se place sous la possession de Jean-Ephrem de la Tour : « j’appartiens à cet homme, corps et âme » (HL, 75). Jean-Ephrem et lui sont ainsi associés dans leur destinée : le danseur serait, selon Miguel, « né pour se perdre et [le] perdre avec lui » (HL, 66). C’est une économie de la perte qui sera pratiquée par Miguel, contre le modèle économique masculin dominant basé sur le cumul du capital et que Pedro reconnaît, en lequel il croit toujours comme moyen d’accéder au Salut — n’ayant pas encore compris qu’à titre d’immigré, il accuse un important handicap. Finalement, Miguel réitère : « je vais je ne sais où pour me perdre, une bonne fois pour toutes » (HL, 124 ; je souligne) et, de même, Jean-Ephrem de la Tour lui prédit « que son amour des fringues le perdra » (HL, 134 ; je souligne), fringues féminines s’entend, trahissant son désir d’être une fille : « J’aurais tant voulu être une fille et me marier avec toi. » (HL, 134) Ce désir persiste malgré les dures lois du mariage que lui rappelle Jean-Ephrem : « J’insiste sur l’obligation pour l’épouse de tout partager avec l’époux, le meilleur comme le pire [33] » (HL, 134), ce à quoi Miguel répond : « oui, je veux bien tout cela, me marier avec toi [34] » (HL, 134) alors que le modèle conjugal parental qu’il a devant les yeux vient d’éclater justement en raison de la dérogation à cette obligation au partage.

Toujours à l’instar de Rose, Miguel produit sur le plan légitime et illégitime. D’abord, sa première activité rémunérée est choisie en fonction de rester à proximité de Jean-Ephrem de la Tour : il vend des roses aux clients du Paradis perdu, le cabaret où danse Jean-Ephrem (HL, 79). Et, tout comme celle de sa mère, son activité sociale est orientée vers la servitude : « Il me dit va et je vais. Il me dit viens et je viens. De mon obéissance dépend mon bonheur » (HL, 66), ce qui achève de l’assimiler au féminin. Il pousse la servitude au point de « fai[re] la bonne » (HL, 108) lorsque Jean-Ephrem reçoit des visiteurs. Globalement, ce que produit Miguel dans l’univers des échanges, c’est la féminité. Encore ici, il s’agit d’une production hors-la-loi, puisque non cautionnée par le père, et devant être produite à l’insu de celui-ci, ce que Miguel saisissait déjà tout petit : « Surtout il ne faut pas qu’il sache que je saute à la corde à la récré, comme une fille, malgré sa défense. » (HL, 56)

Les investissements de Miguel ne sont pas rentables. En fait, ils le mènent littéralement à sa perte. Après un « dernier passage dans la loge pour prendre [ses] affaires » (HL, 110), et un court séjour où il squatte l’appartement de Mme Guillou, il se retrouve à la rue, SDF (HL, 124). N’ayant plus d’endroit où aller, « [n]i chez ma mère, ni chez Mme Guillou, ni chez Jean-Ephrem de la Tour » (HL, 136), il finit par se noyer dans la Seine (HL, 137). Littéralement, après la grande braderie, liquidation finale.

Jean-Ephrem de la Tour, l’envers du rêve ou la déchéance

De nombreuses contradictions façonnent le personnage Jean-Ephrem de la Tour, qui baigne dans l’illégitimité, tant sur le plan littéral que symbolique. C’est un homme, mais qui performe la féminité, dans tout ce qu’elle a de plus glamour. Enfant des services sociaux dont la filiation parentale s’est « perdu[e] en cours de route » (HL, 83), Jean-Ephrem est « danseur au Paradis perdu » (HL, 61), activité non reconnue socialement. Il a la peau noire ; or, sur certains marchés illégitimes, notamment sur les marchés du spectacle et du sexe où transite Jean-Ephrem, la peau noire a valeur d’exotisme, ce qui lui permet d’en tirer des profits, et de bons. Profits matériels, mais également profits en termes de fascination, de séduction, qu’il investira pour acheter des admirateurs. Jean-Ephrem dispose de laissez-passer, qu’il distribue auprès de personnes qui seront rentables en termes d’« admirabilité » ( !) : d’abord Miguel (HL, 64), puis sa mère (HL, 79). Mais celle-ci coûte plus cher : alors que Miguel se trouve une activité lucrative pour rester près de lui, et du même coup, paradoxalement, s’émanciper par rapport à lui, Rose requiert — lui coûte — un laissez-passer « chaque soir » (HL, 79), ce qui, tout aussi paradoxalement, la détournera de Jean-Ephrem puisque c’est au Paradis perdu qu’elle rencontrera M. Athanase, pourvoyeur plus efficace.

Pour Miguel, qui s’identifie à sa mère, Jean-Ephrem figure tout aussi bien Pedro que M. Athanase. Ainsi, comme Pedro, Jean-Ephrem alterne entre les douceurs et les « férocité[s] » (HL, 108) adressés à son partenaire qui lui « obéit, comme s’il ne pouvait s’empêcher de le faire [35] » (HL, 63). Cette dynamique met en relief le fait que, dans une économie romantique, avec le pouvoir d’acheter l’autre par ses bontés, vient le droit de méchanceté. Puis, au même titre que M. Athanase « s’occupe » de Rose-Alba, Jean offre bientôt des cadeaux plus somptueux à Miguel : « Il va me chercher une robe dans son grand placard, une robe ravissante, bien à ma taille et des bottes hautes, tout à fait ma pointure, et de la lingerie fine, à mourir de bonheur. Il vient d’acheter tout cela pour moi. » (HL, 107) C’est donc dire que Jean-Ephrem contribue au détournement de l’identité sexuelle de Miguel : celui-ci se voit « changé en fille et fier de l’être » (HL, 107). Mais Jean-Ephrem se joue de lui et « se choisit une fille rousse et blême » (HL, 108), donc une « vraie » femme, arborant les attributs féminins ayant le plus de valeur, « pour l’emmener dans sa chambre à baldaquin » (HL, 108-109), lieu où seule une princesse est digne d’être invitée — lui-même étant assimilé à un roi (HL, 89).

Mais le roi Jean-Ephrem connaît la déchéance. Les valeurs sur les marchés du spectacle et du sexe étant volatiles, il est « viré du Paradis perdu » (HL, 117). Vivant bien au-dessus de ses moyens, d’une économie illégitime de surcroît, il perd, in fine, la maison de rêve qu’il possédait (« Jean-Ephrem de la Tour dans son loft, comme un roi nègre dans son château rouge et noir » [HL, 89]). Ses biens sont « saisi[s] » (HL, 131), on lui enlève tout, « jusqu’à la chaîne d’or autour de [son] cou et la gourmette autour de [son] poignet » (HL, 131). Perte totale.

Des perdants magnifiques

Au carrefour de ces projections identitaires, un motif commun apparaît, celui de la maison — symbole majeur traditionnel de l’investissement identitaire. Ce motif nous permet de mesurer l’écart entre les fantasmes de chacun et sa réalité. Rose rêve d’hôtels de luxe (HL, 12), elle finit seule dans sa loge de concierge (HL, 137). Miguel rêve d’une maison « d’une vingtaine de pièces […] place de l’Étoile » (HL, 15) ; il se voit finalement squatter la maison de Mme Guillou, puis relégué à la rue, pour finir dans la Seine. Pedro, lui, rêve d’une maison en Espagne, « blanchie à la chaux. Tout le confort dedans » (HL, 37) — rêve inaccessible, hors de portée : aussi bien dire un château en Espagne. À la fin du récit, il est lui aussi sans domicile fixe : on apprend qu’« il rôde dans la ville » (HL, 137). La disparité des rêves de ces membres d’une même famille montre déjà que le lieu de leur aliénation n’est pas partagé même si au fond, tous les trois veulent la même chose, accéder à la propriété, comme si cela donnait accès à l’identité. Bourdieu rappelle que

la définition dominante, légitime de la famille normale […] repose sur une constellation de mots, maison, maisonnées, house, home, household, qui, sous apparence de la décrire, construit en fait la réalité sociale. Selon cette définition, la famille est un ensemble d’individus apparentés liés entre eux soit par l’alliance, le mariage, soit par la filiation […] et vivant sous un même toit [36],

ce qui nous amène à réaliser qu’Anne Hébert s’emploie peut-être justement non seulement à en démontrer le caractère construit ou à témoigner de son éclatement, mais peut-être même à la déconstruire puisque la « maison familiale » est ici désertée par tous les membres du groupe. Si Rose-Alba s’y retrouve à la fin, elle aussi l’a quittée (« Je retourne au Paradis perdu » [HL, 123]). Dans cette optique, il faudrait alors lire la perte de son loft comme la perte de son identité pour Jean-Ephrem de la Tour. Et comme son identité était illégitime, il est logique qu’il perde son loft par une saisie, manifestation de l’ordre juridique. La maison est le témoin métonymique de l’écart entre les illusions entretenues et la réalité : entre la princesse adulée et l’épousée violentée, entre la maison unifamiliale et la loge de concierge, entre ce qu’on voudrait être et ce que l’on est, entre les paillettes et l’envers du décor.

En outre, l’aliénation de chacun des personnages est manifeste dans l’ardeur qu’il ou elle met à se conformer au modèle dominant, dicté par les possédants. Car s’il y a aliénation, c’est qu’il y a diktat et soumission à ces diktats. Rose-Alba se veut blonde, Pedro propriétaire, Miguel fille. Le statut de Jean-Ephrem diffère ici de celui des trois autres en ce qu’il affiche une posture autonome puisqu’il manie ses traits de dominés, les exploite à son propre compte — ce qui ne le sauve cependant pas de la faillite économique. Sur le plan symbolique, il se voit paradoxalement émancipé, ce qui est illustré lorsqu’il est littéralement libéré de ses chaînes, ce que suggère la saisie des symboles d’esclavage que sont le collier et la gourmette (HL, 131). Les autres sont irrémédiablement confinés à la faillite tant économique que symbolique, la plus grande étant évidemment celle de Miguel.

Ce qui nous est dit sur l’économie par la mise en place de ces configurations économiques dans la diégèse est doublé d’un autre discours, soutenu par le cadre narratif. Sur le plan de l’économie du texte, on constate que le nombre d’interventions narratives est octroyé à chacun des personnages selon l’ampleur de son aliénation identitaire/économique. Le roman est divisé en deux parties — dont le principe de division, on l’a dit, est l’accès de Miguel au monde adulte ; chacune des parties est composée de fragments rapportés par différents narrateurs, toujours homodiégétiques, soit les quatre personnages mentionnés ici, en plus de Mme Guillou, une locataire. Or, des cinquante-deux fragments, Miguel est celui qui en narre le plus, vingt et un. Il serait, en tant qu’enfant, non blanc et associé au monde féminin, le plus discriminé, le plus dévalué — jusqu’à ne plus rien valoir, n’être rien : il paie de sa vie. Vient ensuite Rose-Alba qui détient quinze fragments ; elle affiche deux traits de dominée (en tant que femme et non blanche) et un trait de dominant (en tant que femme encore jeune, séduisante). Pedro et Jean-Ephrem détiennent le même nombre de fragments narratifs, et ils affichent deux traits dominants (en tant qu’hommes et adultes) et un seul trait dominé (en tant que non blancs). Mme Guillou, qui a fonction d’introduire et de conclure, est dominante en tant que blanche, adulte. Et bien qu’elle soit femme, elle est fort probablement veuve d’un homme blanc français, ce qui la rachète en regard de l’économie patriarcale car, riche et bourgeoise [37], elle adhère entièrement au pôle dominant ; or elle ne détient que quatre fragments narratifs. On le voit, la logique distributive narrative d’Anne Hébert prend le contre-pied de la logique distributive économique, jugée par trop âgiste, sexiste, ethnocentriste et raciste.

Au terme de ces observations sur les échanges économiques entre les personnages d’Un habit de lumière, il faut aussi noter que ces échanges, marqués par les valeurs des statuts identitaires des agents qui les concluent, ont plusieurs cadres : l’économie nationale (la France embauche des immigrés pour des postes non convoités, dévalués, peu recherchés par les Français qui ont « droit » à mieux, qui aspirent aux meilleurs postes), l’économie familiale (l’argent du « pater familias » (HL, 36) est économisé dans le but de prendre des vacances en famille, d’acheter une maison) et l’économie individuelle (Rose-Alba détourne à son bénéfice les économies familiales, en plus de travailler en secret et de générer d’autres profits qu’elle soustrait du fonds commun) sans parler des économies non officielles : l’entretien domestique qu’accomplit Rose-Alba dans le cadre familial, le service des femmes (par exemple, le rôle de servante qu’endosse Miguel pour Jean-Ephrem), le travail au noir (couture), la prostitution. La prise en compte, par Anne Hébert, de ces différents cadres témoigne de la conscience aiguë qu’elle avait de la complexité des structures dans lesquelles circulent les valeurs, tant économiques que sociales, et surtout de leurs convergences. En outre, mettre les rapports économiques en lien avec les systèmes identitaires comme elle le fait, c’est souligner tout aussi bien le caractère culturel de ceux-ci et de ceux-là que les iniquités qui sont produites par ces systèmes et qui pourraient ne pas l’être, si ces systèmes étaient remplacés par d’autres, ou si les valeurs qui sous-tendent ces systèmes étaient remplacées par d’autres. En d’autres mots, c’est prendre position contre tous les impérialismes identitaires. Cette vision des choses est à mettre en lien avec ce que nous évoquions plus haut quant à la position privilégiée d’Anne Hébert et montre que le fait d’occuper une position sociale privilégiée n’exclut pas la prise de position, non plus que la critique à l’égard des systèmes qui fabriquent ces positions — systèmes dont la littérature fait partie.

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D’aucuns répugnent à voir, dans l’oeuvre d’Anne Hébert, des référents par trop terre à terre. Or, rejeter le matérialisme au seul profit du spirituel, c’est reproduire, il me semble, la même dialectique qu’Anne Hébert récuse, elle qui se joue des oppositions richesse/pauvreté, propreté/souillure, légitimité/illégitimité, lumière/noirceur, jour/nuit, sacré/profane, noble/trivial, voire spirituel/matériel. En attribuant des valeurs d’échange à ce que le paradigme romantique a érigé en valeur (la beauté de la jeune femme, le devoir du père, la virilité) elle annule son pouvoir d’illusion. On constate qu’elle se joue, du même coup, des oppositions qui définissent les identités de sexe/genre et les identités ethniques. Se jouer de ces oppositions, c’est se jouer des systèmes de valeurs qui les sous-tendent. Les récits hébertiens s’inscrivent en faux contre toute vision romantique et sentimentale qui met en scène la grandeur d’âme du pauvre, son abnégation, son désintéressement. Les idéologies patriarcales et romantiques sont ici précipitées, avec le capitalisme, dans la marmite critique d’Anne Hébert, où chacun rêve de revêtir un habit de lumière…, mais où aucun ne peut se le payer.