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Le virus Ebola est un virus enveloppé à ARN monosegmenté de polarité négative appartenant à la famille des Filoviridae. Ce virus extrêmement pathogène sévit principalement en Afrique équatoriale, où il induit une fièvre hémorragique mortelle dans 60 à 90% des cas, selon le sous-type viral considéré. Il n’existe à ce jour aucun traitement ni prophylaxie de cette maladie, qui représente un problème croissant de santé publique [1] ((→) m/s 1999, n°10, p.1168 et 2002, n°1, p.13).

Le virus Ebola se transmet à l’homme lorsque celui-ci entre en contact avec son réservoir naturel, encore inconnu, et plus fréquemment par l’intermédiaire de grands singes, gorilles et chimpanzés. En effet, les grands primates sont très sensibles à l’infection par le virus Ebola, qui circule fréquemment dans ces populations et entraîne la mort de milliers d’animaux [2]. La chasse des grands singes dans un but de consommation alimentaire est à l’origine du contact de l’homme avec le sang et les tissus de primates infectés. C’est l’origine de nombreuses épidémies de fièvre hémorragique à virus Ebola (FHVE) de sous-type Zaïre [3]. En l’absence de traitement et de prophylaxie, le seul moyen de contrôler les épidémies est l’isolement des patients et des sujets contacts, une tâche ardue compte tenu de l’enclavement des zones touchées et de la réintroduction fréquente du virus à partir de primates infectés.

De nombreux travaux ont été réalisés depuis une vingtaine d’années dans le but d’élaborer un vaccin efficace contre le virus Ebola. Ainsi, dès 1980, un vaccin à base de virus inactivé s’est avéré efficace chez le cobaye [4], mais pas chez le primate. D’autres vaccins utilisant des protéines recombinantes n’étaient pas non plus protecteurs. Le développement d’un vaccin contre la FHVE s’est de plus heurté à de nombreuses difficultés, comme la nécessité d’utiliser un laboratoire de niveau P4, mais aussi l’absence de modèle rongeur reproduisant fidèlement les caractéristiques physiopathologiques et immunitaires associées à l’infection humaine.

Des travaux récents ont montré que le contrôle de l’infection par le virus Ebola était lié à l’induction d’une réponse immune à médiation humorale, mais aussi cellulaire (cytotoxique). On a ainsi observé une corrélation entre la survie des patients infectés et l’apparition précoce d’anticorps et de lymphocytes cytotoxiques [5], mais le seul transfert passif d’anticorps ne permet pas de protéger l’animal d’une infection létale [6]. Le vaccin, pour être efficace, doit donc induire une réponse immune à médiation humorale mais également une réponse lymphocytaire cytotoxique. Une approche récemment envisagée a été l’utilisation de vaccins à ADN, dont on sait qu’ils induisent de fortes réponses cellulaires. L’injection à des cobayes d’un plasmide codant pour la glycoprotéine (GP) ou la nucléoprotéine (NP) virale [7] protège les animaux contre une infection létale par le virus Ebola. De même, l’équipe américaine de N.J. Sullivan et al. associant le Vaccine Research Center du NIH (Bethesda, Maryland, USA) et le Center for Disease Control d’Atlanta (USA), a réussi à protéger des macaques d’une FHVE par une vaccination associant un plasmide exprimant la GP ou la NP et un adénovirus recombinant (porteur d’une délétion le rendant inapte à la réplication) exprimant la GP du virus Ebola [8] ((→) m/s 2001, n°2, p.269). Cette démarche prometteuse a cependant fait l’objet de nombreuses critiques. En effet, ce protocole vaccinal était très complexe, nécessitant 4 injections successives et plusieurs mois pour être efficace, un délai qui le rendait inapplicable dans un cadre épidémique. En outre, la dose de virus Ebola utilisée pour tester l’efficacité de la protection des animaux était extrêmement faible (6 unités formant plages, UFP), faisant douter de l’efficacité d’un tel vaccin dans les conditions naturelles d’infection. Les mêmes auteurs, associés cette fois au laboratoire P4 de l’USAMRIID (Fort Detrick, Maryland, USA), ont donc amélioré cette approche et récemment proposé un protocole de vaccination accélérée efficace chez le macaque [9]. Cette approche utilise cette fois une injection unique d’un mélange d’adénovirus exprimant la GP et la NP du virus Ebola. Cette immunisation permet l’induction rapide d’anticorps, dont la concentration est cependant inférieure à celle obtenue dans l’étude précédente, ainsi qu’une réponse lymphocytaire CD8+ spécifique. Quatre semaines après l’immunisation, les macaques infectés avec une faible (13UFP) ou une forte (1500UFP) dose de virus Ebola ont survécu à l’infection. La protection semble totale, puisqu’aucune virémie n’a été observée chez les animaux immunisés. L’analyse de la réponse immune au cours de l’infection a montré que la protection était associée à la réponse humorale mais aussi à des réponses lymphocytaires CD8+ et CD4+ spécifiques. Cette approche, qui reste néanmoins à valider chez l’homme, est très intéressante. Comme le suggèrent les auteurs, l’injection d’une dose unique de vaccin permettrait, à l’instar de la variole, de contrôler rapidement les épidémies de FHVE par la vaccination des personnes vivant dans la zone touchée et du personnel médical en charge des patients. De même, les auteurs suggèrent que ce vaccin pourrait être administré aux grands singes afin de limiter la circulation du virus Ebola dans la région. Cependant, cette approche semble pour le moins difficile à mettre en oeuvre dans le contexte particulier de la forêt équatoriale. Une autre réserve provient de l’utilisation d’un vecteur viral communément rencontré par l’homme dans les conditions naturelles, avec le risque non négligeable qu’une immunité préalable anti-adénovirus ne diminue l’efficacité de ce vaccin. On peut également regretter que les auteurs n’envisagent pas, à ce jour, une vaccination préventive pour les populations vivant en zone d’endémie, limitées à quelques millions de personnes, ce qui permettrait probablement de restreindre considérablement la survenue d’épidémies humaines.

Bien qu’un long chemin reste à parcourir avant une éventuelle utilisation chez l’homme, le candidat vaccin de N.J. Sullivan et al. représente une approche prometteuse pour le contrôle des FHVE. Enfin, comme le suggèrent les auteurs, cette approche pourrait être appliquée à d’autres fièvres hémorragiques telles que la fièvre de Marburg ou de Lassa.

Figure 1

Historique des épidémies de FHVE en Afrique Centrale.

Historique des épidémies de FHVE en Afrique Centrale.

Les différentes épidémies de FHVE (sous-types Zaïre et Soudan) survenues en Afrique Centrale sont figurées, ainsi que la zone où la circulation du virus Ebola a été démontrée chez les grands singes (ovale hachuré rouge).

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