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Introduction

L’objet de cet article est de montrer que l’introduction de rigidités nominales dans les modèles d’équilibre général intertemporel stochastique permet d’améliorer considérablement les capacités de ces modèles à reproduire les évolutions dynamiques des économies réelles. Les premières versions de ces modèles dynamiques, connues sous le nom générique de « modèles de cycles réels »[1] (real business cycles, RBC, en anglais) ignoraient toute forme de rigidité des prix ou des salaires. On considérait une économie supposée en équilibre walrasien perpétuel, et soumise à des chocs stochastiques, notamment des chocs macroéconomiques de productivité. De ce fait chacune des variables macroéconomiques était elle même stochastique. Il était donc possible de calculer directement corrélations, autocorrélations, et de les comparer aux statistiques observées dans la réalité. Ce dialogue naturel entre théorie et observations a fait le succès (mérité) du domaine.

Au bout de quelques années de nombreux chercheurs dans le domaine ont toutefois observé que les modèles RBC traditionnels ne reproduisaient correctement que bien peu de statistiques. On verra plus loin que certaines corrélations importantes, ainsi que la persistance de l’effet des chocs dans les modèles, étaient extrêmement loin de leurs contreparties empiriques. Le modèle de base a donc été élargi. On a par exemple considéré divers types de rigidités (réelles ou nominales) des prix et des salaires et élargi la palette des chocs en introduisant des chocs de demande[2]. Ces généralisations ont permis des améliorations substantielles.

Nous allons particulièrement étudier ici l’introduction de rigidités nominales dans ce type de modèles, un domaine où la recherche a rencontré un certain succès. L’article qui suit n’est pas une revue de littérature, mais une exploration analytique du domaine qui, à travers quelques modèles simples résolus « à la main », montrera pourquoi et comment les modèles à rigidités nominales permettent de résoudre certains problèmes rencontrés par les modèles RBC traditionnels.

Le plan de l’article est le suivant : la première section présente un modèle de base qui sera utilisé dans toutes les versions étudiées dans l’article. La deuxième section calcule, à titre de référence, l’équilibre et la dynamique walrasienne de ce modèle. On montre que plusieurs corrélations sont loin de leurs valeurs réelles et que le modèle ne produit pratiquement pas de persistance en réponse aux chocs, alors que cette persistance est significative dans la réalité. La troisième section introduit une première rigidité nominale, sous la forme de contrats salariaux à une période. Ceci permet d’améliorer certaines corrélations, mais le problème de la persistance reste entier. La quatrième section introduit des contrats de salaires multipériodiques, et montre qu’on peut ainsi obtenir une réponse persistante de l’output aux chocs de demande. La cinquième section introduit finalement des rigidités simultanées de prix et de salaires, et montre qu’on peut ainsi obtenir, avec des valeurs tout à fait réalistes des paramètres, une réponse persistante et « en cloche » de l’output et de l’inflation.

1. Un modèle de base

Nous étudierons une économie monétaire où des biens s’échangent contre de la monnaie au prix (moyen) Pt et du travail contre de la monnaie au salaire (moyen) Wt. Il y a deux types d’agents : ménages et entreprises.

Le ménage représentatif travaille Nt, consomme Ct, et finit la période t avec une quantité de monnaie Mt. Il maximise l’espérance de son utilité actualisée, soit :

V est une fonction convexe. Au début de la période t le ménage subit un choc monétaire à la Lucas (1972), noté μt. La quantité de monnaie Mt-1 issue de la période t – 1 est multipliée par μt, si bien que le ménage commence la période t avec une quantité de monnaie μtMt-1. Sa contrainte de budget pour la période t est donc :

où κt est le rendement réel du capital en période t.

Les entreprises ont une technologie Cobb-Douglas :

Kt est le capital, Nt la quantité de travail utilisée par les entreprises et Zt un choc technologique commun à toutes les entreprises. Dans certains cas on supposera, pour simplifier l’exposition, que le capital se déprécie totalement en une période, si bien que :

It est l’investissement de la période t. Pour l’étude de certains problèmes, comme la persistance de l’output, il sera par contre nécessaire de considérer une dépréciation incomplète du capital. Dans ce cas on remplacera l’équation traditionnelle d’évolution du capital :

par une approximation loglinéaire, étudiée notamment par Hercowitz et Sampson (1991)[3] :

2. La dynamique walrasienne

À titre de référence, nous allons tout d’abord étudier le cas où les marchés du travail et des biens sont en équilibre walrasien à chaque période, comme dans les modèles RBC traditionnels, et nous verrons comment cette économie réagit aux chocs technologiques et monétaires.

2.1 Résolution du modèle

Comme les deux marchés sont en équilibre, le salaire réel est égal à la productivité marginale du travail :

De la même façon le rendement réel du capital est égal à sa productivité marginale :

Le ménage représentatif maximise l’espérance de son utilité actualisée (1) soumis à la séquence de ses contraintes de budget (2). Appelons βtλt le multiplicateur de Lagrange associé à la contrainte de budget (2). Alors les conditions du premier ordre pour le programme du consommateur s’écrivent :

En combinant (9), (11), l’égalité comptable Yt = Ct + It, et la définition de κt dans (8), on obtient[4] :

Ceci se résout en :

et donc :

La condition d’équilibre pour la monnaie est que la quantité de monnaie Mt demandée par les ménages doit être égale à la dotation en monnaie au début de la période μtMt-1 :

La condition (12) peut se réécrire, en utilisant (9) et (17) :

ce qui se résout en :

En combinant (15) et (19) on obtient le niveau des encaisses monétaires réelles :

Finalement, en combinant la condition (10) avec l’expression du salaire réel (7) et la valeur de la consommation (15), on trouve que l’emploi Nt est constant et égal à N, dont la valeur est donnée par :

2.2 Dynamique

Nous allons, pour la comparer plus tard avec la dynamique non walrasienne, décrire brièvement la dynamique walrasienne de cette économie. Passons en logarithmes[5]. Les équations (21), (3), (7) et (16) deviennent :

En combinant les équations (23) et (25) on obtient l’expression de la production en fonction des chocs technologiques présents et passés :

L est l’opérateur « retard » defini par :

Finalement on peut aussi calculer le salaire nominal et le prix :

où ϱ est défini dans l’équation (20).

2.3 Quelques corrélations

Nous nous abstiendrons dans cette article de toute véritable calibration, mais nous pouvons néanmoins noter à ce stade un certain nombre de corrélations qui ont posé un problème aux chercheurs dans le domaine des « cycles réels » :

  1. Le premier problème est que les salaires réels sont beaucoup trop procycliques dans ce modèle walrasien. De fait, l’équation (24) montre que la corrélation salaire réel-output est égale à 1. Même si cette corrélation est légèrement inférieure à 1 dans les modèles calibrés où Nt varie, elle reste toujours nettement supérieure à ce qui est observé dans la réalité (voir, par exemple, Basu-Taylor, 1999, pour des estimations dans un cadre international).

  2. Le second problème concerne les prix. Une comparaison des équations (26) et (29) nous montre que les prix sont toujours contracycliques, quelle que soit l’importance relative des chocs technologiques et monétaires (on suppose qu’ils sont indépendants). Or on admet généralement qu’il y a des périodes où les prix ont été contracycliques, mais également d’autres périodes où ils ont été procycliques (Cooley et Ohanian, 1991; Smith, 1992). Clairement ce modèle walrasien ne peut pas reproduire la variété des expériences concernant le compor-tement cyclique des prix.

  3. Le troisième problème concerne la corrélation inflation-output, un problème étroitement lié à toute la littérature sur la « courbe de Phillips ». Alors qu’on considère assez généralement que cette corrélation est positive, le modèle ci-dessus donne une corrélation négative pour toutes les spécifications raisonnables du choc de productivité.

2.4 La persistance de l’output

Une autre critique récurrente des modèles de type RBC est qu’ils n’engendrent aucun mécanisme de propagation interne et que la seule persistance dans les mouvements de l’output est celle que l’on trouve dans le processus exogène des chocs technologiques zt (voir, par exemple, Cogley et Nason, 1993, 1995). En voyant la formule (26) on pourrait penser à première vue que ce constat est exagérément pessimiste : certes les chocs monétaires n’ont aucun effet, mais les chocs technologiques sont « amplifiés » par une racine autorégressive égale à 1 – α. Nous allons voir toutefois que cette formule est trompeuse. Si l’on remplace en effet la formule de dépréciation totale (4) par la formule de dépréciation partielle au taux δ (6), alors l’équation (16) devient (cf. appendice) :

En combinant cette équation à l’équation (6) donnant l’évolution du capital, on trouve, après passage aux logarithmes :

et en combinant à (23) on trouve finalement :

On voit immédiatement que, dès la seconde période, le choc est multiplié par (1 – α) δ. Comme δ est très faible on trouve que l’effet sur l’output est, à peu de choses près, l’effet direct du choc technologique.

Nous allons maintenant introduire des contrats de salaires, d’abord à une période, puis des contrats multipériodiques imbriqués, et nous verrons que les problèmes ci-dessus trouvent une solution naturelle dans ce cadre.

3. Contrats de salaires à une période[6]

Supposons donc qu’au lieu d’être déterminé par l’équilibre du marché du travail, le salaire est prédéterminé au début de chaque période, et qu’à ce salaire contractuel les ménages fournissent tout le travail demandé par les entreprises (ce type de contrats a été introduit par Gray, 1976).

Pour ce qui est du niveau auquel le salaire est fixé, nous supposerons que les parties au contrat visent à équilibrer le marché ex ante en espérance[7]. On supposera donc que le salaire contractuel (en logarithmes) est égal à l’espérance du salaire walrasien, ce qui, en utilisant la formule (28), nous donne :

Et-1mt représente l’espérance de mt formée au début de la période t, avant que les chocs soient connus.

3.1 Résolution du modèle

Puisque le marché des biens est équilibré et que la demande de travail des entreprises est toujours satisfaite, les équations (7) et (8) concernant les entre-prises sont toujours vérifiées. Pour ce qui est des ménages, ils maximisent la fonction d’utilité (1) sous les contraintes de budget (2), mais cette fois-ci en prenant Nt comme donné (et déterminé par la demande de travail des entreprises) au lieu de le choisir. Il se trouve qu’excepté le fait que Nt n’est pas choisi par les ménages, et donc que les équations (10) et (21) ne sont plus valables, le reste de la résolution du modèle est inchangé, et en particulier les équations (15), (16) et (20) sont toujours valables. En réécrivant les équations (3), (7), (16) et (20) sous forme logarithmique, on obtient le système :

3.2 La dynamique

En combinant les équations (33) à (36), nous obtenons tout d’abord le niveau de l’emploi en période t :

On utilisera souvent dans ce qui suit l’innovation monétaire à la date t, εmt, qui se définit comme suit :

L’expression de l’emploi (38) devient alors :

En combinant (34) et (40), on obtient l’expression de l’output :

Contrairement à ce qui se passait dans la version walrasienne du modèle, des chocs monétaires non anticipés ont maintenant un impact sur le niveau de l’emploi et de l’output. Le mécanisme est très simple. Considérons, par exemple, un choc monétaire positif. Il crée une demande plus forte pour les biens et le travail. Comme les salaires sont bloqués dans le court terme, cet accroissement de demande se traduira naturellement par une augmentation de l’emploi et donc de l’output.

Par ailleurs si on combine (37) et (41) avec les retards appropriés, on trouve :

où l’on voit que les effets des chocs monétaires non anticipés se propagent dans le temps par le même mécanisme que les chocs technologiques, c’est-à-dire via l’accumulation du capital. Notons toutefois une différence très importante entre chocs monétaires et technologiques. Ici un choc technologique zt plus persistant donnera un output lui aussi plus persistant, puisque c’est le choc zt lui-même qui apparaît dans la formule (42) donnant l’output. Tel n’est pas le cas pour les chocs monétaires puisque c’est l’innovation monétaire εmt, et non le choc monétaire lui-même mt, qui apparaît dans la formule (42). Il sera donc plus difficile d’obtenir de la persistance en réponse à des chocs monétaires.

Nous complétons la description de l’équilibre dynamique en donnant les expres-sions du salaire réel et du prix, qui se déduisent de yt via les formules simples :

3.3 La dynamique du salaire réel, des prix et de l’inflation

Nous allons utiliser les résultats précédents pour montrer que l’hypothèse de salaires fixés à l’avance permet d’améliorer substantiellement certaines corrélations par rapport au modèle walrasien.

Pour avoir une idée simple des corrélations potentielles dans notre modèle, nous considérerons à titre d’illustration le cas, peu réaliste mais simple, où zt et mt sont stationnaires autour d’une tendance[8] :

Les εzt et εmt sont des bruits blancs non corrélés, avec :

3.3.1 Le salaire réel

Commençons par le salaire réel qui, dans le modèle walrasien, a une corrélation positive beaucoup trop forte avec l’output. Pour rendre les corrélations plus transparentes, réécrivons salaire réel et output sous la forme suivante (nous avons supprimé toutes les constantes non pertinentes) :

On voit que tous les chocs d’offre et les chocs monétaires retardés induisent une corrélation positive entre salaire réel et output. Toutefois les chocs monétaires contemporains induisent au contraire une corrélation négative entre salaire réel et output. Notre modèle permet donc de combiner cette dernière caractéristique, typique des modèles keynésiens traditionnels, avec les résultats usuels des modèles RBC.

Si on considère les chocs technologiques et monétaires (45) et (46), on obtient la corrélation suivante :

On voit que la corrélation salaire réel-output est toujours égale à 1 s’il y a seulement des chocs technologiques. Mais cette corrélation diminue dès lors que des chocs monétaires sont présents et elle peut même devenir négative. On peut donc reproduire les corrélations observées par des combinaisons adéquates de chocs technologiques et monétaires.

3.3.2 Les prix

Passons maintenant aux prix. En combinant les équations (42) et (44) on obtient :

Si on compare cette expression à celle de l’output (47), on voit que les chocs technologiques et les chocs monétaires retardés induisent une corrélation néga-tive entre prix et output, tandis que les chocs monétaires contemporains induisent une corrélation positive. De nouveau nous avons une synthèse entre des caractéristiques keynésiennes traditionnelles et les résultats usuels des modèles RBC.

Considérons de nouveau les processus des équations (45) et (46). On obtient la corrélation :

La formule (51) montre qu’on peut obtenir des prix procycliques si les chocs de demande dominent, tandis qu’ils seront contracycliques si les chocs technologiques sont plus importants. Le fait que les prix aient eu un comportement différent suivant les sous-périodes considérées peut alors s’expliquer simplement par le fait que les économies considérées étaient soumises à des combinaisons de chocs différentes durant ces périodes.

3.3.3 La corrélation inflation-output

Considérons finalement la relation entre inflation et output, qui sont généralement supposés être corrélés positivement, tout au moins dans la tradition keynésienne. Si on suppose de nouveau que les chocs monétaires et technologiques sont stationnaires autour d’une tendance (équations 45 et 46), on trouve :

La formule (52), et des formules similaires pour d’autres processus pour la monnaie ou la technologie, nous montrent que la corrélation positive entre inflation et output est très liée à la présence de chocs de demande, et que le signe de cette corrélation peut très bien s’inverser s’il y a des chocs technologiques suffisamment forts.

3.4 La persistance de l’output

Nous avons vu que des contrats à une période permettent d’améliorer certaines corrélations. Nous allons donc naturellement nous poser une question déjà posée pour le modèle RBC standard : la réponse aux chocs, et en particulier aux chocs de demande, est-elle suffisamment persistante? Nous avons vu que pour répondre de manière satisfaisante à cette question il fallait prendre en compte la dépréciation incomplète du capital. On suppose donc que le capital évolue suivant l’équation (6). Dans ce cas l’équation (42) devient (appendice, formule 125) :

On voit que, tout comme les chocs technologiques, les chocs monétaires ont un effet immédiat très marqué, mais que dès la seconde période l’effet des chocs est presque totalement amorti. Des contrats à une période permettent de résoudre l’énigme posée par certaines corrélations, mais certainement pas le problème de la persistance. Nous allons voir dans les deux sections suivantes que l’existence de contrats multipériodiques permet de résoudre ce problème.

4. Contrats de salaires multipériodiques[9]

Les modèles que nous avons vus jusqu’ici partagent avec les modèles RBC traditionnels le défaut majeur d’avoir un mécanisme de propagation interne extrêmement limité. En particulier la réponse de l’output aux chocs de demande monétaires est presque entièrement transitoire. Or, de nombreux travaux empiriques (voir par exemple Christiano, Eichenbaum et Evans, 1999, 2001) ont souligné que dans la réalité la réponse aux chocs monétaires était non seulement persistante mais présentait même une fonction de réponse « en cloche ». Nous allons maintenant introduire des contrats de salaires multipériodiques dans des modèles dynamiques stochastiques rigoureux et montrer qu’ils permettent de résoudre le problème de la persistance.

4.1 Contrats à la Calvo

La première question à poser est tout naturellement : quel type de contrat utiliser? Depuis les années soixante-dix, différents types de contrats ont été étudiés, notamment associés aux noms de Gray (1976), Fischer (1977), Phelps-Taylor (1977), Phelps (1978), Taylor (1979, 1980) et Calvo (1983). Les contrats proposés par Calvo (1983) sont particulièrement intéressants pour notre étude, puisqu’en faisant varier un paramètre unique on peut décrire des économies allant d’une flexibilité totale à une rigidité totale des salaires.

Pour être un peu plus précis, chaque contrat de salaire a une probabilité γ de rester inchangé, et une probabilité 1 – γ d’être rompu. Si le contrat est rompu, un nouveau contrat est immédiatement renégocié sur la base de l’information de la période courante. Donc pour γ = 0, les salaires sont totalement flexibles, pour γ = 1 ils sont totalement rigides.

On peut calculer facilement la durée moyenne des contrats. La probabilité pour qu’un contrat soit encore valable j périodes après la date où il a été conclu est (1 – γ) γj. La durée espérée du contrat est donc :

On voit donc qu’en faisant varier γ de 0 à 1 la durée moyenne du contrat varie de zéro à l’infini.

Si nous appelons Xt le nouveau salaire négocié à la période t, le salaire moyen Wt s’en déduit en faisant une moyenne pondérée des valeurs passées des Xt pondérées par la probabilité pour le contrat correspondant d’être encore en vie. À cause de la loi des grands nombres, et comme la probabilité de survie des contrats de salaire est γ, la proportion des contrats qui viennent de la période st est (1 – γ) γt-s. De ce fait le salaire moyen dans l’économie est donné par[10] :

4.2 Un nouveau contrat

Une particularité du contrat à la Calvo est que, tout comme dans Taylor (1979, 1980), la valeur du salaire reste constante pendant toute la durée du contrat. Initialement cette rigidité était apparue comme un élément positif dans la mesure où elle semblait créer davantage de persistance que des formulations alternatives. On peut cependant vouloir s’en affranchir aujourd’hui pour deux raisons. La première est empirique : dans la réalité les contrats salariaux multipériodiques stipulent souvent des salaires différents pour des périodes futures différentes. La seconde raison est normative : dans un environnement inflationniste on est amené dans le cadre d’un contrat à la Calvo à choisir un salaire unique pour des périodes où le niveau général des prix sera très différent. Un tel contrat peut donc créer de très fortes inefficacités.

Nous allons donc utiliser un nouveau contrat (Bénassy 2000) qui s’inspire très fortement de celui de Calvo, mais permet à la valeur des salaires négociés de dépendre du moment où le travail sera effectivement fourni. Comme dans Calvo (1983), chaque contrat continue avec probabilité γ, et est rompu avec probabilité 1 – γ. La durée de vie moyenne des contrats est donc toujours donnée par la formule (54).

On notera toujours Wt le salaire moyen. Par contre les nouveaux salaires négociés dépendent non seulement de la date à laquelle ils ont été négociés (comme dans Calvo), mais également de la date à laquelle ils s’appliqueront. On notera donc Xst le contrat de salaire signé en période s pour la période ts. Dans Calvo (1983) Xst est indépendant de t pour tout ts, tandis qu’ici ils peuvent être différents.

La formule donnant le salaire moyen Wt est très semblable à celle que nous avons vue pour les contrats à la Calvo (équation 55), puisque c’est la moyenne logarithmique de tous les contrats signés pour la date t :

4.3 Le reste du modèle

Par rapport au modèle que nous avons utilisé jusqu’ici nous allons apporter quelques modifications.

Tout d’abord nous avons vu que l’accumulation du capital, si on prend en compte une valeur faible du paramètre de dépréciation δ, complique l’analyse sans pour autant apporter grand chose à la dynamique. Nous allons donc supprimer le capital, et la fonction de production devient[11] :

Nt est un indice de travail agrégé, qui combine un continuum de types de travail indicés par i ∈ [0, 1][12] :

La différence fondamentale entre ces types, comme on le verra ci-dessous, est qu’ils auront signé des contrats de salaire différents à des moments différents. Chaque index Nit est lui même un agrégat CES d’une infinité de types de travail indicés par k :

Une interprétation naturelle est que l’indice i représente des secteurs, tandis que le sous-indice k représente les entreprises dans ces secteurs.

On suppose que tous les ménages dans un même secteur i sont confrontés à la même situation en termes de contrats de salaires, quel que soit leur sous-indice k. Les entreprises dans un même secteur sont donc en concurrence monopolistique à travers leurs prix et leurs salaires, mais renégocient toujours leurs salaires au même moment. Par contre ces négociations ne sont absolument pas synchronisées entre deux secteurs différents.

Les modifications ci-dessus modifient l’équilibre walrasien de notre économie. En particulier le niveau walrasien d’emploi N est maintenant donné par :

4.4 La demande de travail

La formule (56) montre qu’on connaitra le salaire moyen Wt si on connait les salaires négociés Xst. Pour calculer ceux-ci, un élément déterminant est évidemment la demande de travail qui s’adresse à chaque type de travail (i, k).

Commençons par voir ce qui se passe au niveau d’un secteur i. Pour un indice sectoriel Nit donné, les entreprises choisiront la combinaison de Nikt qui minimise les coûts, ce qui revient à résoudre le programme :

dont la solution est :

De la même façon pour un indice agrégé Nt donné les entreprises choisiront la combinaison des Nit qui minimise le coût en résolvant le programme :

dont la solution est :

En combinant les équations (61) et (63) on obtient l’expression de la demande de travail de type (i, k) :

Un point très important à retenir pour ce qui suit est que, en vertu de l’équation (63), le revenu salarial sera le même dans tous les secteurs :

4.5 Les contrats salariaux optimaux

Nous allons maintenant calculer le niveau optimal des contrats de travail, en supposant désormais la spécification suivante pour la désutilité du travail :

Le syndicat représentant les travailleurs va donc maximiser l’espérance des utilités actualisées :

sous la contrainte de respecter à chaque période la contrainte de budget (où ∏t représente les profits distribués) :

ainsi que l’équation donnant la demande de travail (65) :

On obtient la caractérisation suivante :

Proposition 1 : Le contrat salarial Xst signé en période s pour la période t est donné par :

On peut donner de l’expression (71) une interprétation particulièrement intuitive en la rapprochant de l’expression du salaire walrasien W*t. En combinant (60) et (67), on trouve le niveau walrasien d’emploi :

et le salaire walrasien :

En comparant (71) et (73) on trouve une relation particulièrement simple :

On voit que Xνst est égal à l’espérance en période s de (W*t)ν, multiplié par 1/θ, le « mark-up de monopole » associé à la courbe de demande de travail (70). Les nouveaux contrats de salaires sont donc très directement reliés à une espérance particulière du salaire walrasien W*t.

4.6 La dynamique de l’emploi et de la production

Nous allons maintenant calculer la dynamique de l’emploi en supposant que les chocs monétaires sont donnés par le processus autorégressif traditionnel :

où εmt est un bruit blanc de moyenne zéro et de variance σ2m. La dynamique de l’emploi est caractérisée par la proposition suivante :

Proposition 2 : Si la monnaie suit le processus (75) la dynamique de l’emploi est donnée par :

La formule (77) nous montre qu’un pouvoir de marché accru, tout comme une plus grande incertitude, vont diminuer le niveau moyen de l’emploi.

Si on considère les aspects dynamiques, la formule (76) montre clairement que, contrairement au cas des contrats à une période, la réponse à un choc monétaire peut être très persistante. Nous pouvons nous faire une idée du profil temporel de cette réponse en calculant la fonction de réponse de l’emploi et de l’output à un choc monétaire. Les paramètres importants sont, bien sûr, γ et ρ. La valeur de ρ qu’on trouve habituellement dans la littérature est ρ = 0,5. Pour ce qui est de γ, nous avons vu plus haut (formule 54) que la durée moyenne des contrats de salaires est égale à γ /(1 – γ). Or, on considère généralement que la durée moyenne effective des contrats de salaires est comprise entre un et deux ans. On a donc représenté sur les graphiques 1 et 2 deux fonctions de réponse. Toutes deux prennent la valeur ρ = 0,5. Le graphique 1 prend γ = 4/5 (ce qui correspond à un contrat d’un an, ou quatre trimestres), tandis que le graphique 2 prend γ = 8/9 (ce qui correspond à des contrats d’une durée moyenne de deux ans).

Graphique 1

Fonction de réponse de l’output, γ = 4/5

Fonction de réponse de l’output, γ = 4/5

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Graphique 2

Fonction de réponse de l’output, γ = 8/9

Fonction de réponse de l’output, γ = 8/9

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Nous voyons que les deux fonctions de réponse montrent une certaine persistance des effets des chocs monétaires, et ont même une réponse « en cloche », celle-ci étant plus marquée pour le contrat à deux ans que pour le contrat à un an. La réponse de l’output se déduit trivialement de celle de l’emploi via la formule (57) :

4.7 La réponse en cloche

La formule (76) nous suggère, et les graphiques 1 et 2 confirment, que la réponse de l’emploi et de l’output à un choc monétaire peut être d’abord croissante, puis décroissante, présentant donc le profil « en cloche » qui caractérise apparemment cette réponse dans la réalité. Nous allons maintenant préciser les choses en donnant les conditions exactes sous lesquelles la fonction de réponse aura ce profil en cloche, ainsi que l’expression exacte du moment où la réponse maximale a lieu.

Proposition 3 : Sous le processus monétaire (75), la réponse de l’emploi au choc monétaire aura un profil en cloche si :

Dans ce cas la réponse maximale lieu à la période ĵ donnée par :

4.8 Les autocorrélations des variations d’emploi

Un autre fait stylisé que les modèles RBC traditionnels ont souvent du mal à reproduire est l’autocorrélation positive des accroissements d’output ou d’emploi, tout au moins pour des délais assez faibles. Nous allons voir à travers la proposition suivante que notre modèle permet de reproduire ces autocorrélations positives.

Proposition 4 : Notons Δnt = ntnt-1les variations d’emploi. Les autocorrélations de ces variations sont données par :

La formule (81) nous permet de calculer explicitement les autocorrélations pour toutes les valeurs du délai j. Pour un délai d’une période, la formule est relativement simple :

Cette autocorrélation est clairement positive si les valeurs de γ et ρ sont suffisamment élevées. Pour des délais supérieurs à une période, les formules deviennent rapidement très lourdes, mais on peut utiliser l’ordinateur pour obtenir le profil des autocorrélations. Le graphique 3 montre les autocorrélations des variations d’emploi en fonction du délai, et ceci pour les mêmes valeurs des paramètres que pour le graphique 2. On voit que pour de faibles valeurs du délai ces autocorrélations sont bien positives.

Graphique 3

Autocorrélations des variations de l’output

Autocorrélations des variations de l’output

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5. Contrats multipériodiques en prix et salaires[13]

Nous allons maintenant élargir notre modèle à la considération simultanée de contrats échelonnés de prix et de salaires.

5.1 Le modèle

La modélisation des contrats de salaires est exactement la même que dans la section précédente : chaque contrat est maintenu avec probabilité γ, ou bien renégocié avec probabilité 1 – γ. Wt est le salaire moyen et Xst le salaire négocié en période s pour la période t s.

Les contrats en prix peuvent se décrire de manière totalement symétrique : chaque contrat de prix est maintenu avec probabilité ϕ, ou annulé et renégocié avec probabilité 1 – ϕ. On notera Pt le prix moyen, et Qst le prix négocié en période s pour la période t. Ils sont reliés par :

La description des ménages est exactement la même que dans les sections précédentes et en particulier leur utilité est toujours décrite par l’équation (1).

Du fait de l’introduction de contrats de prix, nous devons raffiner un petit peu la description de la sphère productive. L’output Yt est un agrégat d’un continuum de bien différenciés indexés par j ∈ [0, 1] :

Chaque Yjt est lui-même un agrégat d’une infinité de biens indexés par l :

Toutes les entreprises avec le même index j ont exactement les mêmes contrats de prix, ce qui veut dire en particulier que leurs contrats sont renouvelés simultanément. De nouveau on peut interpréter l’indice j comme représentant des secteurs, tandis que l’indice l représente des entreprises dans ces secteurs.

L’entreprise représentative a une fonction de production (on omet les indices j et l) :

L’indice Nt est lui même un agrégat d’indices de travail sectoriels, comme dans les formules (58) et (59), que nous ne reproduisons pas.

5.2 Contrats de prix et salaires optimaux

En utilisant les mêmes méthodes que dans la section précédente on trouve que les demandes pour le travail de type (i, k) et pour le bien de type (j, l) sont respectivement :

Wit et Wt ont été définis plus haut (formules 62 et 64), et Pjt et Pt sont donnés par :

Pour calculer les contrats de salaires et de prix optimaux nous allons de nouveau supposer la désutilité du travail suivante :

On obtient les contrats de salaires en maximisant l’utilité (1), sous la contrainte de respecter les contraintes de budget et la courbe de demande de travail (88). On obtient la caractérisation suivante :

Proposition 5 : Le contrat de salaire Xst signé en s pour la période t est donné par :

Symétriquement on obtient le contrat de prix en maximisant les profits, sous la contrainte de la fonction de demande de biens (89). On obtient :

Proposition 6 : Le contrat de prix Qst signé en s pour la période t est donné par :

5.3 La dynamique macroéconomique

Nous allons réécrire sous forme loglinéaire, et en omettant les termes constants non pertinents, les équations (87), (19), (93), (56), (94) et (84) qui décrivent le modèle :

Pour avoir une expression relativement simple de la dynamique, nous supposerons, comme précédemment, que les accroissements monétaires suivent un processus autorégressif :

Par ailleurs on trouve le plus souvent l’hypothèse que le choc technologique zt suit un processus autorégressif, avec éventuellement une racine unitaire :

Finalement nous étudierons le cas ν = 1, qui correspond à une offre de travail élastique[14]. La dynamique de l’output est alors caractérisée par la proposition suivante :

Proposition 7 : Si la monnaie et la technologie suivent les processus (101) et (102), et si ν = 1, alors l’output est donné par :

On peut tout d’abord noter que, dès qu’il y a rigidité des prix (ϕ > 0), la réponse de l’emploi à un choc technologique sera négative, ce qui correspond à des travaux empiriques récents (cf. par exemple Gali, 1999; Francis et Ramey, 2001). Dans ce qui suit, toutefois, nous allons surtout nous intéresser à la réponse aux chocs monétaires, et donc ignorer le premier et le dernier terme de l’équation (103), qui correspondent aux chocs technologiques.

5.4 Persistance et réponse en cloche

Nous allons maintenant étudier, à l’aide de la proposition 7, si certaines combi-naisons de contrats échelonnés en prix et en salaires peuvent engendrer une dynamique suffisamment persistante en réponse aux chocs monétaires. Nous ne nous livrerons à aucune calibration véritable, mais chercherons plutôt à savoir pour quelles combinaisons de paramètres on peut obtenir une réponse persistante et en cloche de l’output et de l’inflation à des chocs monétaires. La réponse de l’output à un choc monétaire aura un profil en cloche si la réponse en première période est plus faible que celle de deuxième période, c’est-à-dire si :

La région correspondante est représentée dans le graphique 4 dans l’espace de paramètres (γ, ϕ). C’est la zone au-dessus et à droite de la courbe notée (1).

Graphique 4

Conditions pour une réponse en cloche de l’output et de l’inflation

Conditions pour une réponse en cloche de l’output et de l’inflation

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Passons maintenant à l’inflation, qui est donnée par :

Et donc, en utilisant la formule (103) :

De nouveau on obtiendra un profil en cloche si l’impact de première période est plus petit que celui de deuxième période, ce qui donne la condition :

La région correspondante a été représentée dans le graphique 4. C’est la zone au-dessus de la courbe notée (2).

5.5 Quelques exemples

Nous allons maintenant donner, à titre d’illustration, les résultats de quelques simulations des résultats théoriques ci-dessus. Comme la formule (103) le montre, il y a quatre paramètres centraux, α, ρ, γ et ϕ. Pour α et ρ nous prendrons dans toutes les simulations les deux valeurs traditionnelles α = 2/3 et ρ = 1/2. Pour évaluer γ et ϕ, rappelons que la durée moyenne des contrats de salaires (formule 54) est égale à γ /(1 – γ). Symétriquement la durée moyenne des contrats de prix est ϕ /(1 – ϕ).

Nous allons tout d’abord montrer que notre modèle permet de retrouver très facilement des résultats obtenus dans la littérature dans des modèles « calibrés ».

Commençons en considérant uniquement des rigidités salariales (ϕ = 0). Collard et Ertz (2000) ont montré que des contrats salariaux à un ou deux ans donnaient une réponse persistante et en cloche. Nous avons déjà vu (graphiques 1 et 2) que notre modèle donne exactement le même résultat.

Passons maintenant à une contribution qui aboutit à des conclusions totalement opposées. Chari, Kehoe et McGrattan (2000) étudient une économie soumise uniquement à des rigidités de prix (γ = 0), avec une hypothèse centrale correspondant à une durée moyenne des contrats de prix d’un trimestre (ϕ = 1/2), et concluent à une absence totale de persistance. Le graphique 4 nous montre qu’on ne devrait pas s’attendre à obtenir une réponse persistante de l’output dans ce cas. Ceci nous est confirmé par une simulation directe (graphique 5) de la formule (103).

Notre modèle permet donc de reproduire, et surtout de mieux comprendre, aussi bien les résultats concluant à la persistance que ceux concluant à l’absence de persistance, ce qui montre sa flexibilité.

Graphique 5

Fonction de réponse de l’output, γ = 0, ϕ = 1/2

Fonction de réponse de l’output, γ = 0, ϕ = 1/2

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À ce stade il semble naturel de passer à une combinaison des deux rigidités. Pour montrer qu’une combinaison des deux peut réaliser ce que chaque rigidité individuellement ne pouvait pas, nous allons combiner des valeurs déjà étudiées ci-dessus, soit γ = 4/5 (contrats de salaires d’un an) et ϕ = 1/2 (contrats de prix d’un trimestre). Le graphique 4 nous amène à anticiper qu’il y aura une réponse en cloche de l’output et de l’inflation, ce que des simulations directes confirment de nouveau. (graphiques 6 et 7)[15].

Graphique 6

Fonction de réponse de l’output, γ = 4/5, ϕ = 1/2

Fonction de réponse de l’output, γ = 4/5, ϕ = 1/2

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Graphique 7

Fonction de réponse de l’inflation, γ = 4/5, ϕ = 1/2

Fonction de réponse de l’inflation, γ = 4/5, ϕ = 1/2

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Conclusion

Nous avons construit dans cet article un modèle dynamique que nous avons étudié successivement sous les hypothèses suivantes : (a) équilibre walrasien; (b) contrats de salaires à une période; (c) contrats de salaires multipériodiques; (d) contrats multipériodiques de salaires et de prix. À chaque étape une solution analytique du modèle a été proposée. Résumons brièvement les résultats :

  1. le modèle walrasien produit une persistance négligeable dans la réponse de l’output aux chocs monétaires. Par ailleurs des corrélations importantes entre l’output et le salaire réel, les prix ou l’inflation sont loin de leurs valeurs empiriques;

  2. l’introduction de contrats à une période permet d’améliorer les corrélations, mais n’apporte pas de solution au problème de la persistance;

  3. des contrats de salaires multipériodiques permettent d’obtenir une réponse persistante et en cloche de l’output aux chocs monétaires;

  4. finalement la combinaison de contrats de salaires et de prix permet d’obtenir, pour des valeurs raisonnables des durées moyennes des contrats, une réponse persistante et en cloche de l’output et de l’inflation aux chocs monétaires.

On notera que ces résultats ont été obtenus en utilisant uniquement des rigidités nominales. Clairement l’adjonction de rigidités « réelles » permettrait d’arriver encore plus près des statistiques observées dans la réalité[16].