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Regard sur...La recherche sur les jeunes et la sociologie au Canada a été publié à la suite du Congrès de l’Association internationale de sociologie qui a eu lieu à Montréal, en 1998, alors que, au sein du Comité de recherche sur la sociologie de la jeunesse, plusieurs conférenciers ont mis l’accent sur l’exemple du Canada. L’ouvrage comprend huit textes, dont une introduction de Madeleine Gauthier et une annexe.

Toute personne intéressée à découvrir où en est la sociologie de la jeunesse au Canada, curieuse de connaître quelles étapes elle a franchies et ce vers quoi elle se dirige lira ces actes à profit. Il s’agit, en effet, d’un bilan où apparaissent aussi bien les grandes conclusions auxquelles est parvenue cette sociologie que les grandes questions qui se posent à elle. Ce bilan, cependant, s’avère quelque peu éclaté, comme c’est souvent le cas dans ce genre de publication.

L’« Introduction » de Madeleine Gauthier s’intitule « La recherche sur les jeunes au Canada ». Elle signale d’entrée de jeu le problème de définition qui caractérise l’objet de la sociologie de la jeunesse : s’il est de plus en plus reconnu que la jeunesse constitue maintenant cette période qui « suit l’adolescence », le moment où elle se termine, lui, s’étire dans les sociétés postindustrielles avec, entre autres, l’allongement du temps qui est consacré à l’éducation et les difficultés qui sont liées à l’insertion sur le marché du travail. L’introduction examine les travaux canadiens et les distingue selon qu’ils ont été effectués en anglais ou en français. D’abord, l’auteure note une tendance à l’interdisciplinarité. Ensuite, elle observe qu’une forte proportion des recherches se subdivise en deux catégories, celles qui se penchent sur les « problèmes » et celles qui ont trait à « l’insertion professionnelle » ; la première catégorie pratiquée davantage par les anglophones, la seconde, par les francophones.

Le chapitre I, écrit par Dianne Looker, Lesly Andres, Paul Anisef, Harvey Krahn, Victor Thiessen et Pamela Magee, s’intitule : « Études et emploi selon le sexe : d’après une recherche longitudinale sur les jeunes au Canada anglais de 1970 à 1990 ». Il confirme des tendances connues. Pour ce qui est des aspirations éducationnelles, la recherche observe qu’il y a peu de différence entre les garçons et les filles ; elle relève, cependant, que, des années soixante-dix aux années quatre-vingt, une proportion légèrement plus grande de filles se destine aux études universitaires (de 36 % à 45 %) et, en contrepartie, la proportion chez les garçons baisse (de 41 % à 37 %). Comme bien d’autres études, cette enquête fait apparaître une augmentation générale des niveaux d’aspiration. En ce qui a trait aux aspirations professionnelles, elle fait état de la persistance des modèles traditionnels en fonction des sexes, les métiers suscitant la préférence des hommes, les emplois de bureau, celle des femmes. Les changements qu’a connus la structure des occupations au cours des années soixante-dix et quatre-vingt se sont produits plus particulièrement chez les femmes. Cette étude longitudinale montre que les femmes qui possèdent une formation universitaire ont, durant les années quatre-vingt, réussi aussi bien que les hommes, mais que ce n’est pas le cas pour les femmes les moins instruites.

Le chapitre II porte sur les jeunes « à risque » au Canada anglais, écrit par Katharine Kelly et Tullio C. Caputo. Le texte, fondé sur une revue bibliographique, met en évidence les conclusions paradoxales de la recherche sur les jeunes de la rue. D’une part, celle-ci présente ces jeunes comme victimes, parce que la société les marginalise, souvent violemment et, d’autre part, elle les décrit comme agresseurs, à cause de la violence qu’ils manifestent parfois. Les auteurs concluent que la sociologie ne dispose probablement pas de l’appareil conceptuel pour comprendre adéquatement la réalité des jeunes de la rue, jeunes « à risque ».

Madeleine Gauthier signe le chapitre III, « Les représentations sociales de la jeunesse chez les sociologues de langue française au Canada ». Elle y explique la manière dont les sociologues ont dépeint les jeunes, des années soixante à nos jours. Elle repère quatre périodes. Au cours de la première, les jeunes font figure d’« acteur collectif » ; ils apparaissent comme un important agent de changement social. Au cours de la seconde période, la sociologie se penche sur la politisation des jeunes. L’auteure parle de « passivité », d’ « éclatement ». Les années quatre-vingt coïncident avec la troisième période durant laquelle le chômage des jeunes retient l’attention. Dans une quatrième période, enfin, la jeunesse se manifeste comme « un nouvel âge de la vie » ; les sociologues font remarquer que l’âge de la jeunesse s’est allongé au fur et à mesure que se sont imposées les transformations liées à la postindustrialisation, dont le prolongement de l’éducation et les difficultés relatives à l’emploi.

Le chapitre IV, écrit par Bjenk Ellefsen, Jacques Hamel et Maxime Wilkins, s’intitule « Influences et contributions de la sociologie de la jeunesse de langue française au Canada ». Il s’agit d’un survol historique de l’évolution de la sociologie de la jeunesse. Le tracé est à la fois semblable et différent de celui qui a été présenté par Madeleine Gauthier. Au point de départ, « à l’époque de Rioux », la sociologie parle de la jeunesse en termes de « malaise », qu’il importe de guérir ; et la société doit veiller à mieux assurer la socialisation. Rioux s’est demandé si cette jeunesse n’est pas porteuse de quelque chose de nouveau. À cette vision en succède une autre dans laquelle la jeunesse prend la forme d’un « acteur social », d’un « sujet historique » ; jeunesse correspond alors à révolution. Apparaît, par la suite, une sociologie moins utopique, plus soucieuse de démonstration. Elle se penche sur les situations concrètes des étudiants. Les variations selon l’origine familiale sont importantes. La jeunesse ne se manifeste plus comme une « bloc monolithique ». Dans un quatrième moment, la sociologie s’intéresse au conflit entre les baby boomers et les baby busters, entre une jeunesse parvenue aux postes de commande de la société et une autre en mal d’inscription dans cette société, contestataire du pouvoir exercé par la première. Dans un cinquième moment, les études sur la jeunesse deviennent un « chantier » et son maître d’oeuvre est Madeleine Gauthier ; la problématique s’est alors complexifiée et il incombe aux sociologues de comprendre les jeunes « dans l’étau d’une société où les contraintes ont pour noms mondialisation, flexibilité, précarité, etc. » (p. 80).

Le texte de Diane Pacom (chapitre V) débute par une apologie de Cornelius Castoriadis où est mise en évidence la notion d’« imaginaire ». L’imaginaire, c’est l’avenir de la société. Les jeunes « oeuvrent au sein de l’imaginaire ». Ils sont la possibilité des transformations réelles du social. En attendant, ils sont les victimes des pouvoirs qui les dépeignent de façon « simpliste » comme « consommateurs » ou comme « délinquants ».

Le chapitre VI, « Représenter la jeunesse canadienne : défi ou possibilité réelle », est signé de la main de Robert Hollands. Au Canada, les travaux sur la jeunesse sont trop peu nombreux et ils témoignent d’un manque de profondeur théorique. Plusieurs problèmes se posent. Les catégories d’âge sont souvent un découpage illusoire, puisqu’elles obligent à mener des entités qui sont, en réalité, divisibles. Ensuite, les chercheurs canadiens sont très dépendants des travaux américains et britanniques. Cette dépendance nuit à l’étude attentive de la situation canadienne particulière, subdivisée en classes sociales, en régions, en groupes ethniques.

L’annexe constitue, en vérité, un autre chapitre ; il s’agit d’une analyse descriptive où figurent sous une forme sociographique bon nombre des conclusions reprises des chapitres précédents. Elle est écrite par Luce Duval et Marc Molgat. Elle fournit des informations qui permettent de montrer comment les jeunes Canadiens, même si, à plusieurs égards, ils se comparent aux jeunes des autres sociétés occidentales, sont dotés de caractéristiques propres. Au plan démographique, les jeunes perdent, de 1972 à 1996, de l’importance. L’annexe y va, pêle-mêle, de diverses observations : 1) les jeunes vivent de moins en moins en couple et demeurent de plus en plus longtemps chez leurs parents ; 2) ils s’instruisent de plus en plus longtemps ; 3) ils s’endettent de plus en plus ; 3) ils sont de plus en plus touchés par le chômage ; 4) ils travaillent de plus en plus à temps partiel ; 5) leurs revenus sont de plus en plus faibles ; 6) leur taux de criminalité est de plus en plus bas ; 7) leur taux de suicide est de plus en plus élevé.

Tous ces textes ne sont souvent reliés que par leur objet : la jeunesse ou la sociologie de la jeunesse. Mais ils sont souvent éloignés les uns des autres. On peut cependant relever certains points convergents. D’abord, il y a le problème de définition, lié non seulement au caractère divisible des tranches d’âge et à la non-exclusivité des caractéristiques des tranches d’âge statistiques, mais aussi à l’allongement de la période dans laquelle doit être comprise la jeunesse. Ensuite, il faut rappeler que la jeunesse canadienne se révèle à la fois comme comparable aux autres jeunesses occidentales et comme distincte, ce qui rend possible l’usage de théories qui sont conçues pour des objets autres que canadiens pour comprendre le cas canadien, mais ce qui rend aussi contestable le recours à ces modèles d’analyse. Troisièmement, les chercheurs sont aux prises avec des réalités contradictoires : des stéréotypes sexistes persistent chez les jeunes, mais l’équité selon le sexe fait son chemin. Ensuite, la recherche dresse un portrait contradictoire des jeunes de la rue, à la fois victimes et agresseurs. Enfin, les modèles explicatifs actuels ne rendent pas totalement justice à la complexité empirique. La sociologie de la jeunesse a besoin d’interprétations et de théories plus nuancées, éloignées des dichotomies trop simples.