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Nous examinerons la question de la migration des jeunes Québécois dans une perspective de développement régional en comparant la situation dans trois régions du Québec : l’Abitibi-Témiscamingue, le Saguenay–Lac-Saint-Jean et le Bas-Saint-Laurent (carte 1.). Ces régions font partie de ce que nous appelons le croissant péri-nordique du Québec, défini comme la limite d’une occupation d’un Moyen-Nord qui, tout en ayant des liens relativement intenses avec les grands centres urbains du Québec méridional, se situe à proximité de régions plus nordiques (Côte-Nord, Chibougamau-Chapais, Baie-James). Le développement de ces régions, somme toute assez récent, se caractérise par sa fragilité, car il s’appuie principalement sur la mise en valeur de ressources naturelles peu transformées et destinées à des marchés internationaux. Depuis de nombreuses années, l’objectif avoué de l’action publique de soutien aux régions du Québec se fonde sur une volonté de développer l’arrière-pays notamment à partir de ses ressources naturelles, tout en favorisant sur l’ensemble du territoire québécois des revenus et des services semblables aux populations rurales et urbaines. Dans ces régions, les grandes entreprises ont exercé un rôle prépondérant sur les économies locales jusqu’au début des années 1960. Dans les années 1960 et 1970, les politiques de développement régional ont reposé sur des investissements importants en éducation, dans la santé et dans le domaine économique afin de réduire les disparités et inégalités régionales. Depuis les années 1980, les pouvoirs publics ont cherché à remettre entre les mains des acteurs régionaux plus de responsabilités en matière de développement. Cependant, les économies de ces régions restent fragiles. Cette fragilité favorise l’exode des populations, particulièrement chez les plus jeunes.

Les perspectives démographiques de ces régions ne sont pas très reluisantes. L’Institut de la statistique du Québec (Thibault, Létourneau et Gauthier, 2000) estime, en effet, que, si rien n’est fait, ces régions connaîtront d’ici 2026 une forte perte démographique au profit des régions méridionales du Québec. Les plus récentes données du recensement canadien le confirment : entre 1996 et 2001, l’Abitibi-Témiscamingue a subi une baisse démographique de 5,1 %, le Saguenay–Lac-Saint-Jean, de 2,9 % et le Bas-Saint-Laurent, de 2,6 % (Institut de la statistique du Québec, 2003). De plus, ces régions verront également un vieillissement plus marqué de leur population que l’ensemble du Québec (Thibault, Létourneau et Gauthier, 2000).

Dans un tel contexte, la migration des jeunes de ces régions revêt une importance toute particulière : le départ des jeunes de leur milieu d’origine vers les grands centres urbains est préoccupant. Si les régions se vident de leurs jeunes, ne faudrait-il pas agir pour arrêter cet exode, ne faudrait-il pas chercher à les retenir ? Cependant, du point de vue des jeunes eux-mêmes, la situation est différente. On ne s’exile pas de sa région ; on la quitte, certes, mais souvent pour mieux y revenir. Les études du Groupe de recherche sur la migration des jeunes (GRMJ) ont en effet montré que si 47 % des jeunes Québécois quittent à un moment ou à un autre leur région d’origine pour une période de plus six mois, près de 50 % de ceux-ci y reviennent (Gauthier, Molgat et Côté, 2001). Elles ont également montré que la migration des jeunes est liée à leur entrée dans la vie adulte. Les migrations, souvent multiples, contribuent notamment à la construction identitaire lors de leur passage à la vie adulte.

L’objectif de cet article est de décrire et d’analyser le mouvement migratoire des jeunes, à partir de leur propre témoignage, puis de tenter de mesurer la portée de ce mouvement migratoire sur l’avenir des régions du croissant péri-nordique. Après avoir retracé à grands traits l’histoire des dynamiques migratoires de ces régions, nous examinerons, d’une part, les raisons du départ des jeunes et, d’autre part, les motifs de retour dans leur région d’origine. Cela nous amènera à discuter également de la perception des jeunes de leur région d’origine.

1. Histoires des migrations dans le croissant péri‑nordique du Québec

Chacune des trois régions du croissant péri-nordique possède des caractéristiques particulières. Le Bas-Saint-Laurent, qui s’est peuplé en premier surtout le long du fleuve ou des Basses-Terres, comprenait 10 000 habitants vers 1830 (Fortin et Lechasseur, 1993, p. 199). La région du Saguenay–Lac-Saint-Jean, née d’un peuplement plus récent, s’est ouverte à la colonisation à partir des années 1840, grâce à l’exploitation forestière et à l’agriculture. Il faudra cependant attendre 1860 pour que la population atteigne 10 000 habitants (Girard et Perron, 1995, p. 144). L’Abitibi-Témiscamingue s’ouvre plus tardivement à la colonisation et fonde principalement sur les ressources minières son développement. La population dépasse les 10 000 habitants autour de la Première Guerre mondiale (Vincent, 1995, p. 174 et p. 212).

La région du Saguenay–Lac-Saint-Jean est la plus populeuse des trois, comprenant 289 696 habitants ; le Bas-Saint-Laurent suit avec 206 591 habitants, alors que, dans l’Abitibi-Témiscamingue, vivent 156 039 habitants. Ces trois régions comptent plus de 650 000 habitants, ce qui représente 8,8 % de la population du Québec. La sous-région du Saguenay a le plus important pôle urbain. Celui-ci se compose de Chicoutimi, Jonquière et La Baie, et regroupe près de 150 000 habitants. Le Bas-Saint-Laurent possède un pôle urbain plus « fragile » autour de Rimouski (32 000 habitants avant les fusions municipales de 2001). L’Abitibi-Témiscamingue s’est développé autour de deux villes : Rouyn-Noranda (30 000 habitants) et Val-d’Or (24 500 habitants) (Klein, 2000, données de 1999).

Parmi ces trois régions, le Bas-Saint-Laurent est plus proche de divers marchés (Québec, Nouveau-Brunswick) que les deux autres, plus éloignées des grands centres urbains. Toutes trois ont connu depuis les 30 dernières années un ralentissement de leur croissance démographique. Elles se distinguent par le type d’emploi de leur population active (Côté, 2000, p. 291 ss.). Alors que seulement 3,6 % de la population du Québec occupent des emplois dans le secteur primaire, l’Abitibi-Témiscamingue en comprend près de trois fois plus (11,4 %). Pour leur part, le Bas- du secteur secondaire, l’ensemble de la province se situe à 22,4 % alors que le Saguenay–Lac-Saint-Jean suit de près avec 20,4 %. Le Bas-Saint-Laurent et l’Abitibi-Témiscamingue ont respectivement 16 % et 12,9 % de leur population occupant un emploi dans ce secteur. Les trois régions ont un secteur tertiaire se situant entre 73,6 % et 75,9 % alors que la moyenne québécoise est de 74 %.

Carte

Trois régions comparées. Croissant péri-nordique

Trois régions comparées. Croissant péri-nordique

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Le phénomène le plus frappant de l’histoire de la population du Québec depuis le milieu du XIXe siècle est celui de la permanence des bilans migratoires négatifs dans la plupart des régions rurales. Au XIXe siècle, le pouvoir d’attraction des villes québécoises reste faible comparé à celui des villes des États-Unis qui ont accueilli plus d’un million de Québécois. À partir du XXe siècle cependant, les États de la Nouvelle-Angleterre ne constituent plus le seul débouché pour les excédents démographiques des campagnes. Québec, les petites villes régionales et surtout Montréal, attirent les migrants de l’arrière-pays rural (Pouyez et Lavoie, 1983, p. 249 et 253). Les années de crise économique, avec les politiques de retour à la terre (Plan Vautrin), ont permis de récupérer une partie des populations régionales. Au cours des années 1950, de nouvelles frontières nordiques sont peuplées et des villes, comme Chibougamau, Sept-Îles et Baie-Comeau, se développent.

Les trois régions du croissant péri-nordiques ont suivi des tendances similaires. Premièrement, les taux de natalité y ont habituellement été, jusqu’en 1960, plus élevés que la moyenne québécoise. Deuxièmement, ces taux élevés de natalité, associés à des taux de mortalité relativement bas, ont assuré un certain accroissement des populations régionales, et cela malgré des soldes migratoires généralement négatifs (Pouyez et Lavoie, 1983, p. 252 ; Fortin et Lechasseur, 1999, p. 96). Le problème des soldes migratoires négatifs en région commence cependant à se faire sentir dès les années cinquante dans des régions comme l’Abitibi-Témiscamingue où la venue d’immigrés comblera quelque peu le manque de travailleurs dans le secteur minier, par exemple. Entre 1951 et 1991, la région a perdu 79 432 personnes, si l’on met en perspective un accroissement naturel de 105 525 personnes en regard d’un accroissement de la population totale de 26 098 individus (Vincent, 1995, p. 494 et 496). Dans le Bas-Saint-Laurent, plus proche des marchés, le solde migratoire de 1951 à 1986 affiche un déficit de 98 771 personnes (Fortin et Lechasseur, 1993, p. 602 s.). Au Saguenay–Lac-Saint-Jean, le déficit migratoire est de 102 182 entre 1941 et 2001. La décennie 1961-1971 connaît le déficit le plus important avec 43 000 régionaux qui quittent la région et cela, malgré les investissements des gouvernements dans les secteurs de la santé et de l’éducation en région (Bouchard, 2003, p. A4). Ce déficit diminue au cours des années 1971-1981 avec un bilan de 11 908 personnes. Par la suite, le mouvement reprend de l’ampleur (17 953 entre 1981-1991 et 18 021 entre 1991-2001). Dans la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean, le problème ne commence à se manifester qu’à partir des années 1980 (Pouyez et Lavoie, 1983, p. 240 s.). Incapables de retenir leurs jeunes et peu habituées à accueillir des immigrés, ces trois régions appréhendent le vieillissement et la diminution de leur population à plus ou moins brève échéance.

Le déficit démographique des régions les laisse dans une position difficile sur le plan politique, marquée par la diminution des investissements publics et privés. Cela contribue à créer une image négative des régions tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. D’une part, les élites de Québec ou de Montréal jettent un regard circonspect et quelque peu condescendant sur les « régionaux ». En provenance des centres urbains, le regard porté sur les régions fait souvent preuve d’une méconnaissance : on perçoit d’emblée les régionaux comme de perpétuels insatisfaits qu’il vaut mieux contrôler par la centralisation des pouvoirs (Beaulieu, 2001). C’est ainsi, par exemple, que le discours tenu à partir des grands centres tend à montrer que le poids démographique de la grande région de Montréal, avec près de 60 % de la population totale du Québec, justifie toute politique de centralisation. D’autre part, les élites régionales se perçoivent souvent comme incapables d’assurer le développement local dans un contexte où le pouvoir des régions s’amenuise. Elles dénoncent ainsi régulièrement les politiques, ou l’absence de véritables politiques territorialisées, préparées dans les administrations des grands centres à l’égard des régions.

Par ailleurs, toujours sur le plan local, le discours sur l’exode des jeunes des régions vers les grands centres est récurrent. Ainsi, lit-on par exemple dans un journal régional que 7 043 personnes auraient quitté le Saguenay–Lac-Saint-Jean entre 1994 et 1999. Globalement, ce déficit atteindrait 27 personnes par semaine, dont 19 seraient âgées entre 18 et 44 ans, ce qui n’augure rien de bon pour l’avenir de la région (Bouchard, 2001, p. 5). La même terminologie et la même inquiétude marquent les propos des intervenants et des universitaires qui se sont penchés sur le phénomène dans différentes régions du Québec (Camiré, Roy et Ouellet, 1994 ; Lemieux, 1992 ; Roy, 1992 ; Lapointe, 1967). De plus, les problèmes de développement économique et la difficulté d’adapter les institutions et les entreprises traditionnelles à la nouvelle économie créent une pression très forte sur les élites locales qui appellent à leur rescousse les gouvernements et les investisseurs privés pour relancer les économies régionales. Ainsi, s’explique, en partie, le discours sur l’exode, argument choc pour mobiliser et éveiller les acteurs sociaux. Vues de l’intérieur, les régions paraissent des milieux en désarticulation économique et sociale, se vidant de forces vives que constituent les jeunes. Le discours sur l’exode appuie, renforce et justifie l’appel à une aide extérieure.

Les jeunes véhiculent un tout autre discours. Ils partent certes de leur région, mais ils ne la quittent pas nécessairement pour toujours. Ce n’est pas non plus, comme plusieurs tenants du discours de l’exode le pensent, le manque de travail ou une situation économique et sociale jugée négativement, qui poussent les jeunes à quitter leur milieu d’origine ; c’est davantage la volonté de poursuivre des études et de vivre de nouvelles expériences. C’est ce que nous allons maintenant examiner.

2. Une vaste étude sur les jeunes et leur parcours migratoire

Le GRMJ a réalisé à l’hiver 1999 une vaste enquête téléphonique dans l’ensemble du Québec auprès de 5 518 jeunes âgés de 20 à 34 ans. L’échantillon a été stratifié par région administrative. Dans chacune des régions, un tirage aléatoire de numéros de téléphone a été effectué. Les ménages sélectionnés formaient autant de grappes où se trouvaient un ou plusieurs individus âgés de 20 à 34 ans. Faisaient partie des grappes tous les individus de 20 à 34 ans de l’unité de logement sélectionnée ainsi que les individus de 20 à 34 ans, vivant ou non sous le même toit, qui avaient un lien familial (fils, fille, frère, soeur, conjoint) avec quelqu’un habitant dans l’unité de logement sélectionnée.

Dans certaines régions, et c’est le cas des trois régions étudiées ici, un suréchantillonnage a été pratiqué. La fraction d’échantillonnage y est plus grande que dans les autres régions afin de s’assurer d’un nombre de cas suffisamment grand pour faire des analyses distinctes sur elles. Ainsi, 1 334 jeunes ont été rejoints dans les trois régions du croissant péri-nordique. Pour que leur place dans l’échantillon soit conforme au poids démographique des jeunes de chaque région dans l’ensemble des jeunes du Québec, une pondération, assortie d’une correction par l’âge et le sexe, a été appliquée aux données. Cette opération permet de mener des analyses interrégionales.

L’échantillon des trois régions réunies est composé de 52 % d’hommes et de 48 % de femmes. Il comprend 35 % de jeunes âgés de 20 à 24 ans, 32 % de jeunes âgés de 25 à 29 ans et 33 % de jeunes âgés de 30 à 34 ans. Le Bas-Saint-Laurent se distingue avec une proportion plus élevée de jeunes de 20 à 24 ans, tandis que l’échantillon de l’Abitibi-Témiscamingue est un peu plus âgé, composé à 36 % de jeunes de 30 à 34 ans. 41 % des jeunes interrogés dans les trois régions ont un diplôme d’études secondaires, 28 %, un diplôme d’études collégiales, 20 %, un diplôme d’études universitaires. En revanche, 11 % n’ont pas de diplôme ou n’ont qu’un diplôme d’études primaires. L’Abitibi-Témiscamingue est légèrement moins scolarisée que les deux autres régions, avec 12 % de jeunes qui n’ont obtenu qu’un diplôme primaire ou moins. Le Bas-Saint-Laurent compte, pour sa part, un jeune sur deux ayant obtenu un diplôme collégial ou universitaire.

Une typologie de départ fondée sur trois cas de figure (non-migration, migration intrarégionale et migration interrégionale) a finalement été aménagée en un éventail de six profils migratoires destinés à décrire les comportements des jeunes au regard de leurs divers déplacements au Québec : 1) les non-migrants, c’est-à-dire les jeunes habitant toujours dans la même localité que leurs parents ; 2) les migrants intrarégionaux qui ont quitté la municipalité où habitent leurs parents, mais qui vivent dans la même région administrative (appelée aux fins de l’enquête la région d’origine) ; 3) les migrants intrarégionaux de retour qui habitent leur municipalité d’origine, mais qui ont vécu dans une autre municipalité de leur région ; 4) les migrants interrégionaux sortants qui ont quitté la région étudiée et qui habitent présentement à l’extérieur de leur région d’origine ; 5) les migrants interrégionaux de retour, qui sont revenus dans leur région d’origine après avoir habité au moins six mois à l’extérieur de celle-ci ; 6) les migrants interrégionaux entrants qui sont arrivés dans la région étudiée depuis une autre région.

D’une façon générale (tableau 1), un peu plus du tiers (37 %) des répondants des trois régions vit encore dans sa municipalité d’origine (non-migrants), 7 % y sont revenus après s’être déplacés au sein de leur région respective (migrants intrarégionaux de retour), tandis que 14 % vivent à l’extérieur de leur municipalité d’origine (migrants intrarégionaux), mais toujours dans leur région d’origine. Près d’un jeune sur cinq (19 %), au moment de l’enquête, avait migré à l’extérieur de sa région d’origine (migrants interrégionaux sortants), alors que 18 % des jeunes étaient revenus dans leur région d’origine (migrants interrégionaux de retour). Ensemble, les trois régions parviennent à attirer 5 % de jeunes des autres régions du Québec (migrants interrégionaux entrants). En Abitibi-Témiscamingue, la proportion de migrants de retour est plus élevée que dans les deux autres régions. C’est presque un jeune sur quatre qui est revenu dans cette région (24 %). À l’inverse, c’est au Saguenay–Lac-Saint-Jean que cette proportion est la moins élevée (14 %). Par ailleurs, c’est aussi au Saguenay–Lac-Saint-Jean que se trouve la plus forte proportion de non-migrants (39 %), proche de la moyenne nationale. Remarquons que l’Abitibi-Témiscamingue attire un peu plus de jeunes que les deux autres régions.

Les jeunes interrogés sont très majoritairement en emploi – à temps complet ou partiel (69 %) – ; un sur cinq est aux études. Chaque région a ses particularités : l’Abitibi-Témiscamingue a le plus de travailleurs à temps complet (60 %) ; le Saguenay–Lac-Saint-Jean compte plus de travailleurs à temps partiel (22 %) ; le Bas-Saint-Laurent accueille une plus forte proportion d’étudiants (23 %). Cela se confirme tant chez les non-migrants que chez les migrants intrarégionaux : les différences entre régions y sont statistiquement significatives. Les migrants interrégionaux, quant à eux, reproduisent en gros une configuration similaire à ceci près que le plus haut pourcentage d’étudiants revient au Saguenay–Lac-Saint-Jean. Les conditions de l’activité professionnelle sont donc assez différentes d’une région à l’autre. La capacité d’attraction plus forte de l’Abitibi-Témiscamingue trouve vraisemblablement une partie de son explication dans des conditions d’insertion en emploi un peu plus favorables dans cette région.

Les femmes migrent davantage. En effet, si 40 % des hommes sont des non-migrants, seulement 34 % des femmes ne migrent pas. C’est au Saguenay–Lac-Saint-Jean que cette différence est la plus marquée : 45 % des hommes vivent encore dans la même municipalité que leurs parents, 12 points de plus que les femmes (33 %). Par ailleurs, la proportion d’hommes et de femmes qui migrent à l’extérieur de la région (autour de 24 %) et qui y reviennent (autour de 18 %) est quasiment identique pour les deux groupes. Cependant, 25 % des femmes migrent dans leur région d’origine contre seulement 18 % des hommes. C’est encore au Saguenay–Lac-Saint-Jean que cette proportion de femmes migrantes intrarégionales est la plus importante, soit 27 %. Enfin, c’est en Abitibi-Témiscamingue que les femmes reviennent le plus : parmi les femmes interrogées, une sur quatre était une migrante interrégionale de retour.

Tableau 1

Profil migratoire selon les régions

Profil migratoire selon les régions

* Les différences entre les trois régions à l’étude sont significatives (p < 0,05).

Source : Sondage effectué par le Groupe de recherche sur la migration des jeunes, 1998-1999.

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3. La première migration

Lorsqu’on examine la première migration, c’est-à-dire la première fois que le jeune est parti vivre dans une autre ville que celle où habitent ses parents, la poursuite des études est le motif qui arrive largement en tête (tableau 2). En effet, 58 % des répondants des trois régions affirment que telle est la raison principale, bien que cette proportion soit un peu moins élevée au Saguenay–Lac-Saint-Jean. D’autre part, ce départ pour les études se fait dans 59 % des cas pour entreprendre des études collégiales (données non illustrées). En Abitibi-Témiscamingue, ce pourcentage monte à 71 %, tandis qu’il n’est que de 48 % au Saguenay–Lac-Saint-Jean. Le départ pour les études universitaires distingue cette dernière région des autres : 17 % de plus que la moyenne des trois régions (45 % en regard de 28 %).

Tableau 2

Raisons de la première migration

Raisons de la première migration

* Les différences entre les trois régions à l’étude sont significatives (p < 0,05).

Source : Sondage effectué par le Groupe de recherche sur la migration des jeunes, 1999-2000.

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L’étude des motivations à la source de cette première migration est révélatrice. Si on laisse de côté les migrants interrégionaux qui arrivent dans la région (entrants), les raisons les plus fréquentes[1] tiennent au fait que le programme d’études choisi par le jeune n’était pas offert dans sa municipalité d’origine (52 % des cas, mais seulement 44 % pour le Saguenay–Lac-Saint-Jean) et au fait que l’on souhaitait augmenter ses chances dans la vie (49 %)[2]. Ces deux motivations semblent d’ailleurs liées l’une à l’autre. À l’inverse, différentes motivations semblent avoir très peu joué dans le choix de partir pour une autre municipalité : vivre loin des parents (91 %), quitter sa « gang de jeunesse » (90 %), un milieu qui serait trop contrôlant (83 %), la difficulté d’avoir une vie privée (79 %) et les valeurs du milieu qui ne correspondent plus à celles du répondant (75 %) [3].

La première migration se fait près d’une fois sur deux au sein même de la région d’origine (53 % des fois en Abitibi-Témiscamingue, 51 % des fois dans le Bas-Saint-Laurent et 46 % des fois au Saguenay–Lac-Saint-Jean). Les autres lieux de destination les plus courus sont la région de Montréal (13 %) et celle de Québec (13 %). Toutefois, les migrants du Bas-Saint-Laurent choisissent principalement Québec (19 % des migrants), alors que ceux du Saguenay–Lac-Saint-Jean et de l’Abitibi-Témiscamingue se dirigent premièrement vers Montréal (17 % et 10 % respectivement). Ajoutons que, lors de leur premier déplacement, un contingent de 5 % des jeunes migrants des trois régions du croissant péri-nordique migrent vers la région de l’Estrie (sans doute à cause de l’Université de Sherbrooke) et un autre contingent de 5 % des migrants quittent le Québec. L’Abitibi-Témiscamingue se distingue des deux autres régions avec 8 % de premières migrations hors du Québec, la proximité de la frontière ontarienne pouvant expliquer cette particularité régionale.

Dans 16 % des cas, le lieu de cette première migration est une localité rurale ; une localité qui n’est ni une agglomération de recensement, ni une région métropolitaine selon la classification de Statistique Canada. La région de l’Abitibi-Témiscamingue se situe au-dessus de cette moyenne avec 20 % de destinations rurales lors de la première migration. On constate une plus grande importance des destinations rurales dans les migrations intrarégionales (24 %) que dans les migrations interrégionales (11 %). Cela se vérifie pour les trois régions, mais est davantage marqué en Abitibi-Témiscamingue (35 % de destinations rurales dans les migrations intrarégionales contre 11 % dans les migrations interrégionales).

La première migration à l’extérieur de la municipalité d’origine est donc fortement reliée à la poursuite des études et, dans une moindre mesure, à une volonté de « vivre sa vie ». La migration ne semble pas correspondre à un rejet, voire une fuite du milieu d’origine. C’est ce que la section suivante va nous permettre d’approfondir.

4. Évaluation du milieu d’origine

Les jeunes migrants que nous avons interrogés ne sont pas en rupture de ban avec leur milieu d’origine. Parmi les migrants interrégionaux qui ont quitté leur région (sortants), par exemple, 69 % se disent très intéressés ou assez intéressés par ce que va devenir leur lieu d’origine dans l’avenir. Toutefois, plusieurs jeunes évaluent négativement un certain nombre d’éléments concernant leur lieu d’origine (tableau 3). Cette évaluation ressort du degré d’accord ou de désaccord manifesté par les répondants avec une série d’énoncés s’appliquant à leur milieu d’origine. Ainsi, 61 % des jeunes des trois régions à l’étude, migrants et non-migrants confondus, estiment que la situation économique est difficile et 47 % évaluent qu’il n’y a pas d’emploi pour eux dans la région. De plus, 61 % pensent que les décideurs ne bougent pas assez vite et 43 %, que la région est trop contrôlée par les générations plus âgées. 37 % croient aussi que les jeunes n’ont pas de place dans la région. Les services de santé régionaux sont perçus de manière négative par 44 % des jeunes qui les jugent déficients. La perception des services éducatifs primaires est cependant très positive : 5 % seulement trouvent qu’il n’y a pas d’école pour leurs enfants dans leur milieu d’origine. Enfin, l’offre de service de loisirs et d’activités culturelles est jugée négativement : respectivement par 44 % et 39 % des répondants.

Tableau 3

Évaluation de la situation actuelle dans laquelle se trouve le lieu d’origine, par région administrative (en %)

Évaluation de la situation actuelle dans laquelle se trouve le lieu d’origine, par région administrative (en %)

a Les migrants interrégionaux qui proviennent de l’extérieur des régions (entrants) ne sont pas considérés dans le présent tableau.

b La donnée totalise les réponses « tout à fait d’accord » et « plutôt d’accord ».

* Différences statistiquement significatives entre les trois régions à l’étude (p < 0,05).

Source : Sondage effectué par le Groupe de recherche sur la migration des jeunes, 1998-1999.

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Ce sont les jeunes de l’Abitibi-Témiscamingue qui ont la perception la plus négative de leur milieu d’origine. En effet, les jeunes de cette région estiment plus que les autres que les décideurs de la région sont trop lents, qu’il n’y a pas de place pour les jeunes, que les services de santé sont déficients et que la région n’offre pas assez de loisirs et d’activités culturelles. Par contre, ils sont moins enclins à penser que la population de leur région est trop vieille. La vision des jeunes du Saguenay–Lac-Saint-Jean est plus positive au regard des loisirs, des activités culturelles et de la place qui leur est réservée.

Lorsqu’on demande aux jeunes de comparer les régions avec les grandes villes, des images fortes ressortent. La grande ville offre, selon 90 % des jeunes interrogés, plus d’activités culturelles et permet, de l’avis de 82 %, d’être plus proches des services. Par contre, près de 75 % sont préoccupés par la violence urbaine et 76 % pensent que la ville isole les individus les uns des autres. Les régions, quant à elles, rapprochent de la nature selon 97 % des répondants. Presque tous (95 %) disent également qu’elles offrent une vie paisible, tandis que 66 % pensent qu’il y a trop de commérage dans les milieux régionaux. Enfin, la perception de l’offre de services est plus nuancée : 40 % des jeunes trouvent que les régions offrent peu de services. L’analyse comparative des trois régions montre peu de différences d’une région à une autre.

En somme, la perception que les jeunes ont de leur milieu d’origine, et plus largement de la vie en région, est relativement positive. En effet, seules les affirmations « la situation économique est difficile » et « les décideurs sont trop lents » obtiennent l’assentiment de plus d’un jeune sur deux. De plus, bien qu’ils voient des avantages à vivre dans les grands centres, ils savent aussi apprécier les avantages de la vie régionale.

5. Le retour au lieu d’origine

Le discours sur l’exode des jeunes met essentiellement l’accent sur le départ des jeunes de leur région et sur les effets négatifs, voire dévastateurs pour plusieurs, sur la vie régionale. Pourtant, selon LeBlanc (2000), les jeunes qui ont quitté leur milieu d’origine (surtout ceux aux études) gardent le contact avec lui, notamment en effectuant des allers et retours pendant les fins de semaines, lors des congés scolaires, l’été pour travailler et, pour certains, en revenant y vivre à la fin de leurs études.

Chez les jeunes qui se sont installés à plusieurs endroits successifs, il est frappant de constater l’écart qui existe entre le lieu de la première migration et celui de la plus récente. Cet écart devrait retenir l’attention des personnes (élus, gestionnaires, etc.) préoccupées par le développement des régions : plus on avance dans le temps, plus les migrants choisiront des lieux de destination situés dans leur région d’origine (tableau 4). La propension à revenir dans son milieu d’origine existe donc. En effet, si l’on compare le pourcentage de migrants ayant choisi leur région d’origine lors de la première migration avec le pourcentage de ceux qui se sont installés dans leur région d’origine lors de leur dernière migration (parties A et B du tableau 4), on constate que la région de l’Abitibi-Témiscamingue progresse de 24 pour cent. Les régions du Saguenay–Lac-Saint-Jean et du Bas-Saint-Laurent progressent, mais moins, de 17 et de 15 % respectivement. Plus des trois quarts (77 %) des migrants de l’Abitibi-Témiscamingue et un peu moins des deux tiers (63 %) des migrants du Saguenay–Lac-Saint-Jean se sont installés dans leur région lors de la première migration. Certes, les trois régions connaissent toujours un déficit migratoire au sein de leur population jeune, mais plusieurs des jeunes adultes qui migrent finissent par s’établir dans leur région d’origine. Les villes centres régionales profitent sans doute davantage que les milieux ruraux de ces retours de migration.

Tableau 4

Lieux de destination lors de la première migration et lors de la dernière migration, selon les régions d’origine

Lieux de destination lors de la première migration et lors de la dernière migration, selon les régions d’origine

Tableau 4 (suite)

Lieux de destination lors de la première migration et lors de la dernière migration, selon les régions d’origine

Les différences entre les trois régions sont significatives (p < 0,001).

Source : Sondage effectué par le Groupe de recherche sur la migration des jeunes, 1998-1999.

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Même si c’est relativement plus faible que les villes qui ont au moins le statut d’agglomération de recensement dans la classification de Statistique Canada, le milieu rural gagne dans le processus de la migration de retour. En effet, à partir de la caractérisation de trois lieux différents, la trajectoire des migrants peut être examinée sous l’angle de la dichotomie rural-urbain (tableau 5). Si le lieu d’origine des migrants des trois régions est rural dans 54 % des cas, le lieu de la première migration ne l’est plus que dans 16 % des cas. Quant au lieu de la dernière migration, on constate une remontée de la migration rurale (32 %), soit le double de celle de la première migration. C’est pour l’Abitibi-Témiscamingue et pour le Bas-Saint-Laurent que ce mouvement est le plus fort.

Lors du sondage de 1999, 58 % des migrants intrarégionaux des trois régions péri-nordiques ont montré de l’intérêt à revenir dans leur localité d’origine et 62 % des migrants interrégionaux qui avaient quitté leur région étaient disposés à revenir dans leur région d’origine. C’est en Abitibi-Témiscamingue que l’on retrouve la plus forte proportion de migrants intrarégionaux prêts à retourner dans leur localité d’origine (61 %) et au Saguenay–Lac-Saint-Jean que l’on retrouve la plus faible (55 %). Par ailleurs, au Bas-Saint-Laurent, le pourcentage des migrants interrégionaux sortants prêts à revenir dans leur région est le plus élevé (66 %), et en Abitibi-Témiscamingue, le moins élevé (52 %). Parmi les raisons qui motiveraient les jeunes à revenir, au premier chef, figure l’emploi. En effet, 53 % reviendraient pour gagner leur vie. La deuxième raison la plus souvent invoquée (24 %) est le désir de vivre proche des personnes aimées, tandis que 15 % des jeunes reviendraient dans leur municipalité d’origine pour élever leurs enfants. Les différences entre les régions sont peu significatives.

Tableau 5

Lieu d’origine, lieu de la première migration et lieu de la dernière migration, selon les régions d’origine et selon la typologie urbain-rural (en %)

Lieu d’origine, lieu de la première migration et lieu de la dernière migration, selon les régions d’origine et selon la typologie urbain-rural (en %)

a Les non-migrants et les migrants interrégionaux qui proviennent de l’extérieur des régions (entrants) ne sont pas considérés dans le présent tableau.

* Différences statistiquement significatives entre les trois régions à l’étude (p < 0,05).

Source : Sondage effectué par le Groupe de recherche sur la migration des jeunes, 1998-1999.

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Par ailleurs, un certain nombre de jeunes de notre étude sont revenus dans leur région d’origine après avoir vécu dans une autre région (18 % en moyenne pour les trois régions étudiées). Pourquoi ? La première raison évoquée (tableau 6) est le travail (69 %). Cette raison joue beaucoup plus fortement en Abitibi-Témiscamingue (77 %) que dans les deux autres régions. Viennent ensuite des raisons davantage reliées aux réseaux sociaux : 55 % sont revenus pour se rapprocher de leurs parents, tandis que 47 % voulaient être plus proches de leurs amis. Avoir sa maison à soi est une autre raison nommée par plusieurs (44 %). La volonté de fonder une famille explique le retour d’environ le tiers des répondants. Enfin, quelques-uns sont revenus pour suivre ou rejoindre un conjoint (21 %), pour démarrer une nouvelle entreprise (18 %), reprendre l’entreprise familiale (4 %) ou se rapprocher de leurs enfants (4 %).

Tableau 6

Raison de retour au lieu d’origine, par région administrative

Raison de retour au lieu d’origine, par région administrative

a Le tableau ne concerne que les migrants interrégionaux ayant quitté leur région (sortants).

* Différences statistiquement significatives entre les trois régions à l’étude (p < 0,05).

Source : Sondage effectué par le Groupe de recherche sur la migration des jeunes, 1999-2000.

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Cet article avait pour objectif de mieux comprendre les mouvements migratoires des jeunes de trois régions péri-nordiques du Québec à partir de leurs propres propos et d’en tirer quelques enseignements pour le développement régional. Ces trois régions s’appuient à la fois sur leur arrière-pays intrarégional et extrarégional nordique pour se développer. L’économie des trois régions repose de manière fort importante sur leur secteur tertiaire d’emploi (entre 73 % et 76 % ; dans la santé, l’éducation et le commerce). La différence vient surtout dans la répartition des emplois primaires et secondaires. Avec un secteur primaire faible, le Saguenay–Lac-Saint-Jean se rapproche de la moyenne québécoise, les deux autres régions se situant dans des proportions plus égales entre les deux secteurs. Dans les trois régions, les bilans migratoires négatifs et les contrecoups de mouvements importants de migration vers Québec et Montréal inquiètent les décideurs locaux. Plusieurs parlent avec force de l’exode des populations, notamment des jeunes.

La situation actuelle des trois régions péri-nordiques fait la preuve que la mise en place, dans une perspective de développement régional dans les années 1970 et 1980, du système d’éducation autour des collèges et des universités, retient plus de jeunes à proximité de leur milieu d’origine, tout en n’empêchant pas la mobilité, déjà grande, des jeunes sur l’ensemble du territoire québécois. Grâce aux institutions d’enseignement collégial et universitaire, plusieurs régionaux trouvent sur place des occasions de rester. En contrepartie, l’importance du phénomène de migration interne le montre bien, la première migration intrarégionale en prépare d’autres vers de grands centres où s’amorcent une deuxième ou une troisième migration. Sous ce rapport, rappelons que les régions du Bas-Saint-Laurent et du Saguenay–Lac-Saint-Jean, avec chacune quatre cégeps et une université, offrent plus de possibilités de choix aux jeunes de ces régions ou des régions voisines (Gaspésie, Côte-Nord, Charlevoix, Chibougamau). L’Abitibi-Témiscamingue avec son université et son seul cégep (réparti toutefois dans trois établissements sur le territoire) offre à cet égard un peu moins de perspectives aux jeunes « Témiscabitibiens ». Le modèle québécois d’éducation renforce donc la mobilité déjà grande des jeunes sur l’ensemble du territoire québécois. Les jeunes, en particulier les femmes, trouvent dans la mise en place du système d’éducation un nouvel espace qui répond à leurs aspirations.

Les données du sondage rappellent l’importance pour les jeunes de quitter leur région d’origine, soit pour étudier, travailler ou suivre un ami ou un conjoint. Ainsi, les jeunes des régions étudiées diffèrent peu des jeunes des autres régions. Cependant, une fois le départ accompli, les trajectoires migratoires sont beaucoup plus complexes : le retour au point de départ demeure, pour une bonne proportion de jeunes, notamment ceux de l’Abitibi-Témiscamingue, une option. Les jeunes semblent établir un rapport ambivalent d’attraction et de répulsion face au choix entre la ville et la région. La grande ville offre un éventail de possibilités qui attire presque tous les jeunes. De même, une image idéalisée de la nature attire les jeunes vers les grands espaces des régions.

L’image que les jeunes ont de leur région d’origine reste assez positive : les départs ne se font pas en rupture de ban, mais s’inscrivent plutôt dans une culture des jeunes qui reste méconnue et mal comprise des leaders, voire des chercheurs. Les jeunes quittent leur région pour des raisons multiples qui touchent plus globalement au besoin de s’affranchir et de se prendre en charge. Le départ s’inscrit ainsi dans les étapes de la vie des jeunes dans nos sociétés contemporaines. En dehors de tout discours, les jeunes ne resteront pas dans une région si celle-ci ne leur offre pas un milieu de diversité. Si les jeunes, selon une étude du GRMJ réalisée à partir de récits de vie (Girard, Fréchette et Garneau, 2002), s’appuient sur leur réseau social et sur leur milieu d’origine pour s’insérer dans la vie adulte, l’analyse du sondage que nous avons présentée dégage un certain optimisme des jeunes marqué de réalisme. D’autre part, nos données montrent que la réalité économique impose aussi ses exigences. Si le fait de partir devient un défi pour les jeunes désireux de « faire leur vie », ceux-ci reviendront dans leur région d’origine dans la mesure où ils trouveront un « milieu de vie » stimulant pour s’accomplir comme citoyen, à part entière, dans une socioéconomie et dans une culture.

Les jeunes adultes qui ont participé à notre enquête se situent à la marge d’un discours trop négatif véhiculé par les élites, même s’ils en subissent les contrecoups. Sous ce rapport, les jeunes apparaissent comme des nomades à la recherche d’occasions selon des stratégies multiples qui montrent une volonté de s’insérer dans la société québécoise, mais en se gardant à une certaine distance des idéologies. Nous pourrions postuler que, pour les jeunes Québécois, partir s’inscrit dans la construction identitaire. Ils s’inscrivent à la fois en continuité et en rupture avec leur culture d’origine ; ils cherchent dans des stratégies d’insertion à s’ajuster selon les contingences et à se découvrir à la fois comme individu, mais aussi comme acteur social et représentant d’une culture en changement (Rose, 1999, p. 167-173).

Dans cette grande mobilité des jeunes, il y a, croyons-nous, une remise en question profonde de la territorialisation des identités, des appartenances et des institutions.