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L’étude des adipokines, protéines de la famille des cytokines produites par le tissu graisseux, est d’actualité. Longtemps considéré comme un simple tissu de stockage des réserves graisseuses dont les débordements contribueraient à aggraver un syndrome métabolique d’insulinorésistance d’origine différente, le tissu adipeux est aussi un organe endocrine qui sécrète de nombreuses protéines interagissant avec les métabolismes glycémique et lipidique. On connaît la leptine, facteur de contrôle de la prise alimentaire, le facteur de nécrose tumorale α (TNFα), l’interleukine 6 et, plus récemment, la mystérieuse résistine, qui induisent une insulinorésistance quand ils sont produits en excès. De plus, de nombreux résultats récents ont révélé l’existence d’une hormone sécrétée, circulant en abondance, appelée adiponectine ou ACRP30 (adipocyte complement related protein of 30kDa). La combinaison des études de génomique animale et humaine a permis d’établir l’importance de cette protéine dans la «protection» contre l’insulinorésistance et dans la transition métabolique entre l’obésité et le diabète de type 2. Les effets contradictoires de ces adipokines illustrent la double nature de notre patrimoine graisseux : indispensable à une vie normale, son excès est un des maux modernes liés au développement de ces pathologies.

L’adiponectine : un modulateur du métabolisme énergétique induit par le tissu graisseux

L’adiponectine, cytokine sécrétée par le tissu adipeux, est une protéine plasmatique environ 1000 fois plus abondante que la résistine. Elle a été identifiée et caractérisée de manière indépendante et simultanée par plusieurs groupes, chez l’homme comme chez la souris. Cela explique ses diverses appellations dans la littérature : adipoQ, par analogie structurale avec la fraction C1q du complément et des cytokines de type TNF, ACRP30 ou GBP28 (gelatin binding protein 28). Chez l’homme, il s’agit d’une protéine de 244 acides aminés porteuse d’un domaine globulaire et d’un domaine de type collagène. L’adiponectine est codée par le gène APM1 (adipose most abundant transcript 1) qui est exclusivement exprimé dans l’adipocyte. Ce gène, composé de 3 exons dont le premier est non codant, est situé sur le chromosome 3 en 3q27.

Dès sa découverte par Scherer en 1995, le rôle de l’adiponectine dans l’homéostasie énergétique a été suspecté [1] du fait de la modulation de sa sécrétion par l’insuline. Nakano suspectait aussi son implication dans le catabolisme des lipides [2]. Il a fallu attendre les années 2000 pour que la relation étroite entre insulinorésistance et adiponectine soit métaboliquement confirmée et ses bases moléculaires en partie expliquées. Chez l’homme, l’adiponectinémie est corrélée négativement à l’indice de masse corporelle (IMC) [3]. Les situations pathologiques associant une insulinorésistance au diabète de type 2 et à l’obésité, comme c’est le cas de la lipodystrophie, présentent des taux sériques d’adiponectine effondrés. Cela suggère que l’adiponectine pourrait être non seulement un marqueur de sensibilité à l’insuline, mais aussi un lien métabolique entre l’activité du tissu adipeux et l’insulinorésistance.

Par ailleurs, il existe un lien étroit entre l’insulinorésistance et l’athérosclérose. Les taux d’adiponectine sont encore plus réduits chez les patients souffrant d’un diabète de type 2 compliqué d’athérosclérose [4]. D’autres études suggèrent un rôle «anti-inflammatoire» direct de l’adiponectine sur la paroi vasculaire.Cette adipokine, qui s’accumule dans la paroi vasculaire lésée, exerce un effet inhibiteur sur la production de TNFα par les macrophages [5]. De plus, l’adiponectine module la réponse inflammatoire des cellules endothéliales par inhibition du signal engendré par le facteur nucléaire NFκB et réduction de l’adhésion et de l’expression induite par le TNFα des molécules endothéliales VCAM-1 (vascular cell adhesion molecule-1) et ICAM-1 (intercellular adhesion molecule-1) [6]. Dans les macrophages humains dérivés des monocytes, l’adiponectine supprime l’accumulation de lipides et l’expression du récepteur scavenger de classe A, ce qui suggère un rôle modulateur de l’adiponectine dans la transformation des macrophages en cellules spumeuses [7]. Récemment, un effet modulateur du remodelage vasculaire a également été suggéré par l’activité suppressive de l’adiponectine sur la prolifération et la migration des cellules musculaires lisses aortiques humaines. Un modèle de souris déficiente en adiponectine a montré une formation néointimale, en réponse à une lésion vasculaire externe, deux fois plus importante (p = 0,01) que celle observée chez des souris normales [8]. De plus, ce type de souris présentait une insulinorésistance modérée accompagnée d’intolérance au glucose. Par ailleurs, le traitement des souris déficientes en adiponectine par un adénovirus produisant de l’adiponectine atténuait la prolifération néointimale. L’adiponectine semble donc être une cytokine à effet «anti-insulinorésistance» et «anti-athérosclérose». D’ailleurs, il existe un dimorphisme sexuel quant à la sécrétion d’adiponectine dont les taux, diminués par les hormones androgènes, sont plus élevés chez la femme. Ce dimorphisme pourrait contribuer à expliquer la plus grande susceptibilité masculine à l’insulinorésistance liée à l’obésité androïde et au risque coronarien précoce.

Si la variation des taux sériques d’adiponectine est étroitement liée à la sensibilité à l’insuline chez l’homme, la relation causale entre ces deux événements reste à démontrer. Cependant, la diminution des taux d’adiponectine semble précéder l’apparition de l’insulinorésistance, et «prédit» mieux que la glycémie et l’insulinémie la progression vers le diabète de type 2 [9].Une perte de poids chez des sujets obèses accompagnée d’une amélioration de l’insulinosensibilité entraînent une augmentation des taux plasmatiques d’adiponectine. De plus, les effets insulinosensibilisants des nouvelles molécules antidiabétiques comme les agonistes du récepteur nucléaire PPARγ (thiazolinediones) s’accompagnent d’une élévation de l’adiponectinémie. Par ailleurs, les porteurs du variant Pro12Ala du gène PPARγ, dont on sait qu’il est protecteur vis-à-vis du diabète de type 2, ont une adiponectinémie élevée. À l’inverse, les patients diabétiques, insulinorésistants et hypertendus, porteurs de mutations à effet dominant négatif de PPARγ ont une adiponectinémie effondrée. Ainsi, chez l’homme, l’hypoadiponectinémie est un facteur de risque de diabète de type 2 [10]. Ces résultats sont confirmés par les études de modèles animaux montrant sans ambiguïté que le déficit en adiponectine s’accompagne d’une insulinorésistance et d’une grande susceptibilité à l’athérosclérose. À l’inverse, l’administration d’adiponectine chez des souris lipodystrophiques ou obèses corrige leur insulinorésistance [11].

Les études familiales mesurant l’héritabilité de l’adiponectinémie ont conclu à une contribution génétique de 42% à 70% à la variance de ce trait, ce qui est considérable et comparable à l’héritabilité de la masse grasse. D’autres études familiales menées dans plusieurs populations ont identifié un locus en 3q27 lié au risque de diabète de type 2 et de maladie coronarienne [12, 13]. Ce locus module des traits quantitatifs liés à l’IMC et au syndrome métabolique [14]. La localisation du gène de l’adiponectine APM1 dans cette région en fait un candidat «positionnel» du syndrome d’insulinorésistance. Des polymorphismes génétiques (single nucleotide polymorphisms, SNP) ou variants du gène APM1 inégalement prévalents dans l’espèce humaine pourraient en partie expliquer les différences individuelles dans la modulation de l’adiponectinémie, et donc contribuer au risque génétique de diabète de type 2.

Un premier criblage partiel du gène à la recherche de SNP a été réalisé chez des sujets japonais [15] : une mutation silencieuse G15G de l’exon 2 et une mutation faux-sens R112C de l’exon 3 ont été décrites sans qu’aucune corrélation ne soit établie avec l’adiponectinémie ou la pathologie. Ultérieurement, le criblage réalisé au sein de la population française d’une partie de 7,6 kb du gène incluant des séquences 5’, les séquences codantes et en partie non codantes (introns et UTR), a mis en évidence 16 SNP également présents dans la population japonaise [16] (Figure 1). Le génotypage des SNP fréquents dans de grandes cohortes a ensuite révélé l’association entre certains variants du gène et des phénotypes associés au syndrome d’insulinorésistance (Tableau 1). Même si les résultats ne sont pas rigoureusement superposables d’une étude à l’autre, probablement en raison de différences ethniques, mais aussi dans les caractéristiques des populations étudiées (population générale, cohortes de sujets obèses…), ils ont en commun de mettre en évidence une relation étroite entre certains SNP du gène APM1 et les taux d’adiponectine, l’insulinorésistance ou la présence d’un diabète de type 2. Comme ce risque n’est pas conféré par un SNP unique, mais par un haplotype formé par la combinaison délétère de plusieurs variants, il n’est pas aisé de déterminer quel est (ou quels sont) le (ou les) variant(s) fonctionnels(s). Ces SNP pourraient moduler le niveau d’expression du gène, ce qui est probable pour les SNP situés dans le promoteur du gène. Les SNP synonymes des régions codantes (mutations silencieuses) et les SNP introniques situés à proximité des exons pourraient quant à eux perturber l’épissage en modifiant les séquences correspondant à des enhancers ou à des silencers [20], ou encore moduler la stabilité de l’ARNm. Certains résultats préliminaires semblent conforter cette hypothèse, mais il est toujours possible que ces variants soient de simples marqueurs génétiques en déséquilibre de liaison avec des variants fonctionnels qu’il reste à mettre en évidence.

Figure 1

Organisation génomique et position des variants génétiques détectés dans le gène APM1.

Organisation génomique et position des variants génétiques détectés dans le gène APM1.

Les positions sont référencées par rapport au codon d’initiation ATG situé dans l’exon 2. SNP: single nucleotide polymorphisms.

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Tableau I

Associations détectées dans diverses populations entre les variants fréquents du gène APM1 et les phénotypes du syndrome d’insulinorésistance.

Associations détectées dans diverses populations entre les variants fréquents du gène APM1 et les phénotypes du syndrome d’insulinorésistance.

DT2: diabète de type 2; NT: non testé1.Les résultats des secondes populations japonaise et française sont des communications personnelles.

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Parallèlement aux variants fréquents, neuf mutations situées dans la partie codante, toutes dans l’exon 3 du gène (Figure 2), ont été étudiées dans les populations japonaise et française [16, 21]. Les mutations non synonymes en position carboxyterminale (R221S, H241P) n’ont montré d’incidence ni sur le taux d’adiponectine, ni sur les phénotypes associés au syndrome d’insulinorésistance. En revanche, les mutations G84R, G90S, Y111H, R112C et I164T sont fortement associées à des valeurs basses d’adiponectinémie et à un risque deux fois plus élevé de diabète de type 2. Ces mutations affectent le domaine collagène ou la jonction entre les domaines collagène et globulaire. Cette région très conservée entre les espèces inclut quatre résidus lysine (68, 71, 80 et 104) et un résidu proline 94, qui subissent les modifications post-traductionnelles (hydroxylation, glycosylation) requises pour l’oligomérisation indispensable à l’activité biologique de la protéine [22]. La protéine sauvage présente 22répétitions Gly-X-Y ou Gly-X-Pro qui forment une triple hélice de collagène. Les mutations en positions 84 et 90 réduisent respectivement à 14 et 16 ce nombre de répétitions, altérant ainsi la triple hélice de collagène [16]. Les mutations jouxtant les domaines globulaire et collagène (Y111H, R112C) pourraient altérer la configuration spatiale et donc l’oligomérisation. Ces mutations dans les parties codantes apparaissent comme des déterminants génétiques modulant l’adiponectinémie et le risque de diabète de type 2. Un effet synergique des variants dans le promoteur et des mutations dans les parties codantes a pu être démontré sur la variance du taux d’adiponectine [16].

Figure 2

Mutations dans les parties codantes du gène APM1.

Mutations dans les parties codantes du gène APM1.

Les mutations R112C, I164T, R221S et H241P (en rouge) ont été détectées dans la population japonaise. Les mutations G90S, R92X et Y111H (en bleu) ont été rapportées dans la population française. Seule la mutation G84R est commune aux deux populations. Ces résultats soulignent les différences génétiques entre des populations d’origine différente.

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L’effet de l’adiponectine dans la régulation de l’homéostasie énergétique a été le plus étudié : elle induirait un accroissement de l’oxydation des acides gras libres (AGL) [23] et de la dissipation d’énergie par le muscle, conduisant à une diminution du contenu musculaire, mais aussi hépatique, en triglycérides [11]. L’adiponectine permettrait également d’augmenter la capture musculaire du glucose et de diminuer sa production par le foie (principale anomalie responsable de l’hyperglycémie postprandiale des diabétiques), sans variation directe des taux plasmatiques d. Tous ces effets entraîneraient une amélioration des paramètres majeurs de l’homéostasie glucidique (capture de glucose, production hépatique de glucose) non pas à travers un effet sur la sécrétion d’insuline, mais par la potentialisation de ses effets tissulaires.

Il a été récemment montré que l’adiponectine, tout comme la leptine, stimule l’AMPK (AMP activated protein kinase) au niveau musculaire [24, 25]. L’isoforme β de la coenzyme A carboxylase (ACCβ), majoritaire dans le muscle, est connue pour être un régulateur de l’oxydation des acides gras. L’activation de l’AMPK par la contraction musculaire inhibe l’ACCβ par phosphorylation, induisant ainsi la diminution du contenu en malonylCoA, et une dérépression de l’activité de la carnitine palmitoyl transférase 1 qui provoque l’augmentation de l’oxydation des AGL [26]. L’AMPK stimule la capture du glucose par la cellule musculaire [27] et diminue l’expression de facteurs impliqués dans la néoglucogenèse comme la phosphoénolpyruvate carboxykinase et la glucose 6-phosphatase hépatiques. Dans ce contexte, l’hypothèse de l’activation de l’AMPK par l’adiponectine a l’avantage de rendre compte, à elle seule, de la dualité des effets sur l’homéostasie glucidique : potentialisation des effets de l’insuline par augmentation de l’insulinosensibilité périphérique, et diminution de la production hépatique de glucose. Il est d’ailleurs remarquable que l’exercice physique, la metformine et les glitazones exercent également une partie de leurs effets antidiabétiques grâce à leur stimulation de l’oxydation des acides gras via la voie AMPK (Figure 3).

Figure 3

Rôle de l’adiponectine dans l’homéostasie glucidique, l’oxydation des acides gras libres (AGL) et les mécanismes anti-athérosclérotiques.

Rôle de l’adiponectine dans l’homéostasie glucidique, l’oxydation des acides gras libres (AGL) et les mécanismes anti-athérosclérotiques.

PEPCK: phosphoénolpyruvate carboxykinase; G6P: glucose 6-phosphate; VCAM, ICAM: vascular et intercellular cell adhesion molecule; AMPK: AMP activated protein kinase; ACCβ: isoforme β de la coenzyme A carboxylase .

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Il reste beaucoup d’inconnues dans le mode d’action de l’adiponectine. Si cette hormone ne semble pas avoir d’effet direct sur la cellule β (l’incubation d’îlots de Langerhans avec de l’adiponectine ne modifie en particulier pas la sécrétion d’insuline en réponse au glucose), d’autres effets sur la balance énergétique, en particulier centraux, ne sont pas à exclure. De plus, l’expression du gène APM1 et la sécrétion d’adiponectine semblent hautement régulées par l’état métabolique : le TNFα, en particulier, est un puissant inhibiteur de l’expression d’APM1, ce qui pourrait expliquer l’hypoadiponectinémie associée à l’obésité.

Quels effets périphériques pour la leptine?

La leptine est également une cytokine produite principalement par le tissu adipeux, dont le rôle majeur est d’assurer un contrôle à long terme de la masse graisseuse. Sa sécrétion est proportionnelle à la masse de tissu adipeux et ses effets sont principalement centraux : la liaison de la leptine sur son récepteur hypothalamique réduit la prise alimentaire et modifie le tonus du système nerveux autonome, agissant ainsi sur la sécrétion de l’insuline, la production hépatique de glucose et le métabolisme glucolipidique musculaire. Comme il existe des récepteurs de la leptine fonctionnels au niveau des tissus périphériques insulinosensibles, une action directe de cette hormone a été suggérée, mais les résultats des études sont contradictoires. Il semble cependant que la leptine, tout comme l’adiponectine, soit capable de stimuler l’APMK et agir ainsi sur la concentration musculaire de malonyl-CoA et sur l’oxydation des acides gras [25]. Seules quelques rares mutations homozygotes de la leptine ou de son récepteur ont été décrites, qui résultent en une obésité massive liée à une hyperphagie majeure survenant dès les premières semaines de vie. Les patients concernés, en dépit d’une absence totale de signal leptine, ne présentent pas de syndrome métabolique exagéré (en comparaison de sujets obèses de même poids) et ne sont pas diabétiques. Aucune donnée convaincante ne suggère que des SNP fréquents de ces deux gènes (hormone et récepteur) contribuent au risque génétique de diabète de type 2 ou d’insulinorésistance.

TNFα et IL6: les duettistes de l’insulinorésistance

Le facteur de nécrose tumorale TNFα et l’interleukine 6 (IL6) sont des cytokines identifiées à l’origine comme des molécules pro-inflammatoires. Le TNFα, produit par les macrophages et les lymphocytes, a de nombreux effets : antitumoral, procoagulant, anorexigène et pyrogène. L’IL6, produite par les fibroblastes, les cellules endothéliales, les myocytes et les cellules endocrines, stimule la production des anticorps par les plasmocytes et la synthèse des protéines de phase aiguë par les hépatocytes. TNFα et IL6 sont aussi produits par les adipocytes [28]. Ces cytokines ont une action autocrine (dirigée vers les cellules sécrétrices), paracrine (vers les cellules voisines) et endocrine. Leur action autocrine et paracrine prédomine sur leur effet endocrine, ce dernier s’observant surtout en cas d’hypersécrétion (comme c’est le cas dans l’obésité).

Le TNFα est fortement surexprimé dans divers modèles animaux d’obésité et chez des patients obèses insulinorésistants [26]. Chez le rat obèse, la neutralisation du TNFα résulte en une amélioration de la sensibilité à l’insuline et une augmentation de la capture périphérique de glucose [29]. Cependant, cet effet n’a pas été mis en évidence chez l’homme. Chez les sujets obèses, les concentrations en TNFα sont élevées et associées à des marqueurs d’obésité et d’insulinorésistance.

Environ 30% de l’IL6 sécrétée est issue du tissu adipeux. L’IL6 plasmatique croît proportionnellement avec le développement de l’obésité [30], et les études épidémiologiques en font un facteur de risque d’athérosclérose. Cela s’explique, d’une part, par des concentrations d’IL6 circulante étroitement corrélées à l’insulinorésistance chez l’homme sain ou obèse et, d’autre part, par le fait que l’IL6 contribue à l’hypercoagulabilité du syndrome métabolique par le biais de la stimulation dans le foie des protéines de phase aiguë (protéine C-réactive, fibrinogène et haptoglobine) et de la libération de molécules d’adhésion endothéliale.

Le TNFα et l’IL6 pourraient intervenir dans les mécanismes moléculaires de l’insulinorésistance et de l’athérosclérose qui lui est associée. L’insulinorésistance induite par le TNFα pourrait être indirecte, par augmentation des taux d’AGL, mais aussi directe, par blocage des voies de transmission du signal insuline en inhibant l’activité tyrosine kinase du récepteur de l’insuline [26]. Le TNFα bloque également la capture de glucose par régulation négative de l’expression du gène du transporteur de glucose GLUT4 [31]. Par ailleurs, le TNFα exercerait des effets délétères sur la fonction de la cellule β pancréatique en augmentant sa sensibilité aux effets glucolipotoxiques à travers la production de radicaux libres [32]. L’implication du TNFα dans l’insulinorésistance a été confirmée chez la souris obèse (ob/ob) invalidée pour le TNFα ou pour ses récepteurs, les résultats montrant des concentrations réduites d’AGL et une amélioration de la sensibilité à l’insuline.

Il est cependant difficile de déterminer si l’augmentation des niveaux de TNFα et d’IL6 sont la cause ou bien la conséquence de l’insulinorésistance induite par l’obésité. À la différence de la leptine, dont l’effet métabolique maximal se réalise dans l’organisme de poids normal, l’effet délétère du TNFα survient lorsque l’animal commence à devenir obèse. Cependant, l’hyperproduction de TNFα par l’adipocyte du sujet obèse inhibe la synthèse des triglycérides dans les adipocytes, limitant l’hypertrophie adipocytaire. Si la participation du TNFα et de l’IL6 au syndrome métabolique ne fait guère de doute, leur contribution au risque génétique de diabète de type 2 et d’insulinorésistance reste discutée. Le rôle de divers SNP situés dans le promoteur du gène du TNFα a été étudié dans plusieurs populations. Ainsi, le SNP –308 G>A semble associé à une augmentation des niveaux de TNFα circulant et du risque de diabète de type 2, mais pas de la mortalité cardiovasculaire [33, 34]. Les porteurs de l’allèle –308 A sont par ailleurs plus fréquemment obèses que les sujets non porteurs. De plus, ce SNP a été associé aux paramètres d’insulinorésistance dans des populations européennes obèses, coronariennes ou souffrant de diabète de type2. Quant au gène de l’IL6, aucune association entre le SNP –174 G>C du promoteur et le développement d’un diabète de type 2 n’a été mise en évidence dans la population japonaise [35]. En revanche, dans la population espagnole, les porteurs de l’allèle –174 G en association avec une sécrétion élevée d’IL6 étaient plus souvent hyperlipémiques. Ce SNP semblait y moduler la sensibilité à l’insuline et la glycémie.

Résistine : une hormone murine en quête de légitimité humaine

La résistine est sécrétée par le tissu adipeux. Les concentrations sériques de résistine sont augmentées chez la souris obèse [36]. Chez ces animaux, l’administration d’un anticorps anti-résistine corrige les niveaux de glucose circulant et améliore la sensibilité à l’insuline. Mais l’administration de résistine recombinante n’entraîne qu’une intolérance au glucose. À l’inverse, la diminution de l’expression de la résistine est associée à l’augmentation de la sensibilité à l’insuline chez la souris. Chez l’homme sain, l’expression du gène de la résistine est très faible [37]. Ainsi, le concept de «résistine»: hormone principalement inductrice d’insulinorésistance, reste à confirmer.Les premiers résultats d’études génétiques réalisées au sein de plusieurs populations sont contradictoires et ne vont pas dans le sens d’une contribution forte du gène de la résistine au syndrome métabolique humain.

Le TNFα, inhibiteur puissant de l’expression du gène de l’adiponectine, a la capacité de stimuler la production d’IL6 et de résistine, dont les effets s’opposent à ceux de l’adiponectine. Ainsi, pour mieux prendre en compte les susceptibilités génétiques individuelles, il serait nécessaire d’étudier l’interaction de ces quatre gènes.

Les adipokines au coeur du syndrome métabolique

L’ensemble des données disponibles suggère donc un rôle métabolique important de ces cytokines, qui non seulement interagissent directement avec les voies de transmission du signal insulinique, mais modulent également le métabolisme des acides gras. Il faut cependant différencier l’état physiologique (organisme jeune, mince et en bonne santé) de la situation pathologique (obésité avec toutes ses conséquences). Dans le premier cas, il est probable que la faible sécrétion de TNFα et d’IL6 (voire d’autres cytokines de même type) limite leurs effets délétères à la sphère autocrine ou paracrine. Il se peut même que leur production soit alors bénéfique, du moins si l’on suppose que la survie prolongée et la résistance à l’obésité observées chez les souris dont le récepteur à l’insuline a été invalidé spécifiquement dans les adipocytes est généralisable à d’autres états d’insulinorésistance «adipocytaire». Parallèlement, la forte sécrétion d’adiponectine et l’efficience du signal leptine assurent l’oxydation des acides gras musculaires, évitant les dépôts graisseux ectopiques tout en contribuant à un blocage parfait de la production hépatique postprandiale de glucose.

Tout change en situation d’excès pondéral, surtout quand l’obésité est viscérale. L’hypersécrétion de TNFα et d’IL6 dans la circulation entraîne des effets endocrines indésirables qui aggravent l’insulinorésistance. La production d’adiponectine s’effondre et la résistance à la leptine s’installe, aggravant ainsi l’insulinorésistance. Un cercle vicieux d’aggravation du syndrome métabolique se met en place, qui touche désormais le système nerveux central (interruption des signaux produits par la leptine et l’insuline sur les centres de régulation énergétique et leurs projections du système nerveux autonome) et les cellules β pancréatiques (perturbation de la sécrétion de l’insuline par glucolipotoxicité, mais aussi diminution progressive des capacités à former de nouveaux îlots de Langerhans). Quand la demande insulinique croissante dépasse les capacités de compensation pancréatique, la glycémie commence à s’élever, principalement après les repas, ce qui a des effets dévastateurs sur la fonction β pancréatique et précipite l’apparition d’un diabète de type 2 qui devient rapidement irréversible.

La contribution des adipokines au diabète de type 2 est-elle primitive, ou simplement secondaire à l’excès de masse grasse? La génétique permet en partie de répondre à la question, du moins pour l’adiponectine. Il semble bien que des polymorphismes génétiques du gène APM1 non seulement diminuent l’adiponectinémie, mais sont associés au risque génétique de diabète de type 2. Comme la présence d’une adiponectinémie élevée semble protéger de la survenue de diabète (risque relatif 0,60) [10], l’hypoadiponectinémie induite à la fois par les facteurs génétiques, et environnementaux (dont l’hyperproduction de TNFα et de glucocorticoïdes) pourrait être un facteur important de la transition de l’obésité vers le diabète, et du syndrome métabolique vers la maladie coronarienne précoce.