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La révolution actuelle de l’adoption — par les débats, tensions et controverses qu’elle suscite — est un excellent révélateur des changements dans la manière dont on pense l’enfant, la famille, la parentalité et plus généralement la filiation. Cet ouvrage collectif intéressera donc non seulement les spécialistes de l’adoption, mais tous les chercheurs et professionnels intéressés par ces thèmes.

Dirigé par Agnès Fine et Claire Neirinck, ce livre est le fruit d’une réflexion collective de juristes, anthropologues et historiens français, américains et canadiens. Il pose un regard comparatif sur les pratiques adoptives en France, en Angleterre, en Allemagne, aux États-Unis et au Canada en se basant essentiellement sur les institutions juridiques. On se doit de saluer ce bel effort de comparaison et de synthèse, à ma connaissance, le premier tenté à ce jour[1].

Nous sommes aujourd’hui dans une phase historique qui insiste fortement sur l’importance de l’affectif et de la volonté individuelle, tout en permettant l’expression exacerbée de certaines visions biologisantes, notamment dans le cadre de nouvelles techniques de procréation. Paradoxalement, cette exacerbation donne lieu à un très important travail collectif de déconstruction du biologique comme critère de définition du lien familial. L’évolution présente de l’adoption participe de ce travail comme le dit Françoise-Romaine Ouellette (p. 340). L’ouvrage le démontre abondamment.

La première partie du livre : « parents de sang : une place à trouver » traite du tournant majeur dans l’histoire des institutions que constitue l’adoption dite « ouverte », qui se développe depuis environ deux décennies. L’institution adoptive passe en effet d’un modèle qui implique la rupture totale du lien de filiation, l’anonymat des parties et le secret absolu des dossiers d’adoption, à un modèle ouvert, qui comporte, comme le relève Dominique Goubeau, toute une variété de pratiques : depuis des contacts effectifs entre les deux parties, voire le choix par le parent biologique des parents adoptifs, jusqu’à la seule transmission de données anonymes entre les parties via un service d’adoption, cette dernière forme d’ouverture limitée restant malgré tout la pratique la plus courante. Wayne Carp et Joan Hollinger soulignent d’ailleurs pour l’Amérique la variabilité des législations selon les États, car seuls certains se sont dotés de lois réglant certains aspects de l’adoption « ouverte », la majorité des lois nationales ne rejetant ni ne permettant expressément les accords de contact postadoption.

Autre signe d’une évolution : loin de rechercher l’équivalence entre les familles « naturelles » et les familles adoptives, comme c’était autrefois le cas, ce que l’on remarque de nos jours ce sont au contraire leurs différences et leurs spécificités. Seules les pratiques de placement essayent de copier les familles biologiques ; elles dénotent d’ailleurs un certain retard par rapport à celles-ci, car la famille-modèle des services sociaux reste toujours celui de la famille nucléaire des années 1950.

Si dans le domaine de l’adoption les États-Unis et le Canada font souvent figure de novateurs, en Europe, l’Allemagne et l’Angleterre semblent également s’ouvrir au modèle « open » d’outre-Atlantique. Ceci a pour conséquence de changer grandement la mandat des services sociaux et des services d’adoption qui ne peuvent plus n’être que ponctuels, mais doivent se charger de nouveaux mandats, comme de conserver les dossiers des adoptés et servir d’intermédiaires pour des contacts ou des retrouvailles. La France par contre reste hostile au droit des adoptés de connaître leurs origines. Rappelons qu’en France il est encore possible de nos jours d’accoucher « sous X », de façon anonyme.

La deuxième partie du livre : « parents adoptifs, une relation spécifique » traite de plusieurs thèmes, et tout d’abord de l’adoption de l’enfant du conjoint dans les familles recomposées. On se demande si l’on peut emprunter le modèle de l’adoption simple, qui existe en France, modèle qui n’annule pas la filiation d’origine mais en ajoute une autre, ou s’il faut créer un niche particulière à ce parent de facto qui ne touche pas à l’élément généalogique mais délègue seulement l’autorité parentale, comme le souhaitent plusieurs auteurs.

Dans le thème suivant : « la spécificité de l’adoption » on s’attache à décrire les pratiques et législations de l’adoption internationale en France ; on y traite aussi du rapport entre santé et adoption, et du rapport entre l’argent et l’adoption (au niveau des choix, du droit et de la couverture sociale des enfants adoptés). Ce thème se clôt sur les détournements possibles de l’adoption, car, comme il y a des mariages fictifs, il y a aussi des adoptions fictives.

Enfin « Comme des parents » analyse l’usage des photos de famille dans les familles adoptives, et relève les similitudes et différences par rapport aux familles biologiques dans l’utilisation de ces photos et l’élaboration de l’identité.

En conclusion, Françoise-Romaine Ouellette et Claire Neirinck constatent que le travail de déconstruction du biologique comme critère de définition du lien familial introduit une autonomie relative des sphères du familial, d’une part, et de l’organisation généalogique de la parenté, d’autre part[2]. L’investissement de la logique familiale actuelle induit aussi une disqualification de l’organisation généalogique pour symboliser la différence des sexes des âges et des générations. On est passé de la filiation sexuellement marquée, qui organise la succession des générations, à la simple parentalité, sexuellement neutre, qui peut aussi échapper partiellement à l’âge et où prime le socio-affectif.