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Le présent ouvrage constitue la publication des actes du colloque de l’Association franco-canadienne d’études stratégiques, manifestation s’étant fort probablement – la date n’est pas précisée – déroulée à la fin de 1998 ou au début de 1999 au Collège militaire royal du Canada à Kingston (Ontario). Outre son introduction, l’ouvrage comporte quinze contributions ventilées en quatre parties. La première de celles-ci porte sur « La réforme de l’onu ». Le politologue Stanislav J. Kirschbaum consacre un premier article au concept de la « paix démocratique » et à sa pertinence pour l’onu. En se basant sur l’idée que les démocraties ne se font pas la guerre, l’auteur y soutient qu’une résolution en faveur de la « paix démocratique » pourrait contribuer à la réforme de l’onu ainsi qu’« au processus de démocratisation de la société internationale » (p. 23). De son côté, Daniel Colard concentre son attention sur le lien qui unit selon lui les trois phénomènes « fondamenta[ux] » de l’ère post-guerre froide : la démocratisation de la planète, la réforme de l’onu ainsi que la mondialisation du système de sécurité internationale. Après avoir abordé l’idée de la démocratisation, le juriste examine de quelle manière celle-ci pourrait être applicable à l’onu et au système de sécurité internationale tout en se demandant si « l’impératif démocratique » pourrait à terme se révéler une « norme obligatoire du droit international » (p. 35). La contribution de Houchang Hassan-Yari clôt cette première partie en étudiant la potentialité de la collaboration entre l’onu et les organisations internationales régionales, ceci dans le contexte de la réforme de l’onu et de la mondialisation du système de sécurité. Le politologue soutient la thèse que l’onu – tout en conservant le rôle consistant à coordonner et à déléguer – devrait décentraliser des responsabilités vers les régions afin de faire face aux défis sécuritaires d’aujourd’hui, une tâche trop lourde pour l’organisation mondiale si elle est seule.

La deuxième partie de l’ouvrage porte sur « L’emploi de la force, le désarmement et l’onu ». Josiane Tercinet se penche sur les types de « combinaisons de force au service de la sécurité collective ». La politologue y analyse notamment les causes de l’évolution des missions de paix de l’onu ainsi que la place croissante que d’autres institutions internationales, l’otan par exemple, occupent à ses côtés dans le maintien de la paix depuis le milieu des années 1990. Pour sa part, Fransisco-José Valiente s’est préoccupé de la nécessité d’optimiser l’efficacité des tâches civiles dans les missions de consolidation de paix. Pour ce faire, cet auteur s’est concentré sur le rôle de certaines institutions de l’onu (hcr, unicef, pam, pnud et oms) dans la coordination des actions civiles menées à cette fin, la coordination étant de ce point de vue, la clef de voûte nécessaire pour assurer l’efficacité maximale de telles missions. Les relations civils-militaires dans les missions de paix de l’onu font l’objet de l’article de Jean-François Rioux. Après avoir analysé les causes expliquant les problèmes récurrents qu’ont connus ces collaborations au début des années 1990, l’auteur explique pourquoi les rapports civils-militaires semblent s’être améliorés depuis quelques années et comment ils pourraient se bonifier davantage. Finalement, Guy Morissette, conseiller politique au Bureau du Conseil privé du Canada, aborde la question du renseignement dans les missions de maintien de la paix. Ce faisant, il insiste sur la faiblesse des informations actuellement disponibles pour le maintien de la paix et sur la nécessité de corriger cette lacune. À cette fin, l’auteur suggère que les États nationaux donnent davantage de renseignements à l’onu.

La relation entre l’onu et l’otan fait l’objet de la troisième partie de cet ouvrage collectif. Philippe Chapal analyse d’abord la coopération qui s’est établie entre les deux institutions internationales durant les tristes événements de Bosnie-Herzégovine. Faisant d’emblée le constat d’une coopération « décevante », l’auteur – dont on semble avoir malheureusement oublié de préciser le profil dans la liste des auteurs – s’interroge sur les raisons expliquant cette conclusion ainsi que sur le caractère utopique ou non d’une telle coopération. Ce faisant, Chapal n’hésite pas à critiquer les États (les États-Unis se trouvant évidemment en tête de liste) sur lesquels repose la responsabilité de l’échec de l’onu en Bosnie. Quant à lui, David Law identifie quatre périodes dans l’histoire des relations entre l’onu et l’otan. Après avoir synthétisé les trois premières (guerre froide, début des années 1990, ère post-Dayton), le politologue concentre son attention sur la fin des années 1990 au moment où l’Alliance atlantique pensait peut-être s’affranchir du Conseil de sécurité de l’onu tout en recourant à la Charte de l’onu pour s’attribuer une certaine légitimité. En chemin, l’auteur propose ainsi des arguments favorables mais aussi des avertissements concernant d’éventuelles interventions en solo de l’otan. Michèle Bacot-Décriaud et Marie-Claude Plantin examinent l’évolution des missions de l’Alliance en tant qu’institution de « sous-traitance » pour l’onu. Elles y étudient spécialement l’influence croissante de l’otan au détriment de l’onu, le renouveau de l’influence russe dans l’évolution de l’otan ainsi que le retour de l’obstruction provoquée par le Kremlin au sein du Conseil de sécurité. Pour terminer, David G. Haglund examine essentiellement les conséquences de l’élargissement de l’otan pour la sécurité européenne au xxie siècle. Il aborde en même temps les diverses causes ayant motivé ce changement, les avantages qu’il devrait apporter ainsi que l’attitude russe vis-à-vis de cette évolution.

Le quatrième volet de ces actes est constitué d’études de cas. Yves Jeanclos consacre son étude de la pesc à démontrer les valeurs sur lesquelles celle-ci se fonde avant d’analyser les lacunes qui expliquent ses faibles résultats, notamment au Kosovo. On y apprend ensuite comment et avec quels objectifs généraux l’Union européenne ambitionne d’être davantage présente dans le monde en matière de sécurité et d’économie internationales. Le comportement des États-Unis à l’égard de la réforme du Conseil de sécurité de l’onu entre 1990 et 1998 est étudié par Martin Roy et Charles-Philippe David. L’analyse des deux politologues illustre très bien les sources de l’évolution de la politique d’une Maison-Blanche au départ favorable aux réformes, avant que la débâcle somalienne et l’accession d’une majorité républicaine au Congrès à l’automne 1994 marquent des ruptures significatives ainsi que le retour d’une défense plus pro-active des intérêts et objectifs proprement américains. De leur côté, Bernard Labatut et Djamila Chikhi se penchent sur la mondialisation de la politique extérieure de l’Espagne. Au terme d’un bref survol de sa politique étrangère entre 1945 et 1980, l’enquête est axée sur sa quête de puissance, sur celle d’un sens pour sa diplomatie de même que sur sa préoccupation à l’égard de son rang depuis le milieu des années 1980. Les deux auteurs avancent la thèse voulant que l’Espagne doit utiliser le Conseil de sécurité « pour faire valoir son rang sur la scène internationale » (pp. 219-220). Finalement, l’attitude de la France envers la réforme du Conseil de sécurité durant les années 1990 est scrutée par la contribution d’Alex MacLeod et d’Hélène Viau. Essentiellement, il faut en comprendre que la France misait sur l’onu pour conserver son rang hérité de la guerre ainsi que pour freiner les tendances unilatéralistes des États-Unis. Concrètement, la position française favorisait donc une réforme de l’onu qui conserverait le statu quo au Conseil de sécurité.

Dans l’ensemble, cet ouvrage contribue à la réflexion rendue urgente par la gravité et le caractère récurrent des crises internationales depuis la fin de la guerre froide. À cet égard, la plupart des contributions du livre se révèlent intéressantes et utiles. L’on peut toutefois formuler quelques critiques. Par exemple, l’article de David G. Haglund, intitulé « Une otan élargie, une onu affaiblie ? », laisse quelque peu le lecteur sur sa faim, l’essentiel du texte reprenant un développement portant sur « Les conséquences de l’élargissement de l’otan sur la sécurité européenne », ce qui ne laisse que l’introduction et la conclusion pour traiter des effets de cet élargissement pour l’onu. Pour sa part, l’article de Stanislav J. Kirschbaum portant sur la « paix démocratique » ne convainc pas totalement de l’influence que l’onu pourrait exercer sur la démocratisation de la planète. Il aurait aussi fallu éviter l’emploi du terme « régimes féodaux » (p. 18) pour décrire les monarchies d’Europe centrale qui ont existé jusqu’en 1918, la féodalité ayant disparue d’Europe avec l’abolition du servage russe dans les années 1860. Avec le recul, il est aussi frappant de voir à quel point l’absence d’une discussion plus approfondie du problème de la légitimité des interventions pour des fins dites humanitaires par rapport au droit à la souveraineté étatique nous semble une lacune. Il est vrai toutefois que c’est un sujet qui n’a pris son importance qu’à la toute veille de l’intervention au Kosovo, c’est-à-dire trop tard pour être intégré dans ce collectif.