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Le monde va finir, jetait Baudelaire dans ses Fusées. Le sulfureux décret pourrait figurer en épigraphe du dernier livre de Paul-Marie Lapointe. Quatre ans après le désarçonnant Sacre — mais on peut s’attendre à tout, venant de l’auteur d’Écritures —, le poète de Pour les âmes a rassemblé sous le titre sans équivoque d’Espèces fragiles[1] une cinquantaine de poèmes de forme et de ton divers, mais qui trouvent leur unité dans le thème de la précarité de la vie.

Cette fragilité apparaît comme fatale et intemporelle, elle n’est pas la marque exclusive du monde actuel. Même si quelques textes pointent du doigt les maux du temps présent, le triomphe de « l’utilitaire voracité » et de la « Western civilization » (p. 7) sur une planète fatiguée, Lapointe ne donne pas son poème comme d’autres, la lorgnette sur la conjoncture par le petit bout, poussent leur chanson très nette, pseudo-rime écolo en bandoulière, pour brailler que tout va mal et qu’il faut s’engager. À la lecture d’ Espèces fragiles, la méditation qui s’impose, poème après poème, concerne plutôt ce qui est en marche depuis l’obscure origine, depuis que le temps tombe : « l’éternelle destruction du monde » (p. 66). C’est ce qu’indique, sur un mode mineur et ludique, oulipien même, un poème abécédaire placé en liminaire du recueil, « Alpha/Oméga ». Manière de dire aussi, par cette pièce qui décline l’alphabet, que les questions de l’origine et de la mort sont au coeur de l’écriture, en particulier de l’avènement parfois mystérieux du poème. Ou de rappeler, manie de poète, que l’aventure de l’espèce humaine conduit à l’épopée du langage, et reste une affaire de signes.

Les « espèces fragiles », ce sont celles qu’on pense, bêtes, oiseaux, végétaux. À leur variété vient répondre la variété du recueil, qui contient toutes sortes de genres et de formats, mêlant vers libres et vers mesurés, tombeaux, sonnets, fables (ou fabliettes, aurait dit Guillevic), prose et trimètres, poèmes anagrammatiques, etc. Lapointe semble s’être découvert un goût pour le poème bref, qu’il pratique en tout cas avec un art consommé de l’évocation et de la suggestion :

NUAGE

cheveux blancs

un nuage là-haut

au-dessus de la terre à peine

une tête

se dissout dans le vent bleu

mille siècles passent tout à coup

un regard un moment

et la voilà perdue

à tout jamais perdue

p. 62

Les lecteurs de Paul-Marie Lapointe retrouveront le poète solide de Pour les âmes et du Choix de poèmes dans ces pièces qui laissent voir la richesse de sa palette. Dès l’ouverture (après l’épigraphe) on reconnaît une manière :

Une île sèche émerge de la mer en fusion

volcan muet qui occupe dans la lumière

un espace de pierre et de silence

miroitement de feu

métal solaire

le mirage en désert s’agite…

p. 11

La terre est une île (pile) sèche à l’origine, sa naissance ressemble presque à celle de Vénus. Le poème de Lapointe, souvent, fait entendre ce qu’il dit : le redoublement phonétique (mer) du premier vers, qui a lieu dans une belle alliance de sonores (liquides) et de sourdes, est repris, diffracté (m-ère, m-aire, m-ert), dans la suite. Ce poème met par ailleurs en place la polarité essentielle de l’eau et du feu, énonçant du même coup, dès le départ, le thème de l’extinction. Extinction des espèces, on l’a dit : parmi celles-ci, le poète, figure à laquelle est consacrée la suite « Stèles » qui renoue avec un genre ancien, le tombeau. Pas très gai, tout ça. Mais il y a chez Paul-Marie Lapointe un bonheur sensible du dire et du faire qui triomphe des perspectives les plus sombres.

Luc Lecompte, dans une langue à la fois précieuse et décantée, élève à l’amour un hymne assez original. Texte très construit que le sien, divisé en quatre ensembles égaux totalisant quatre-vingts poèmes. La singularité du Dernier doute des bêtes[2], sur le plan formel, est indiscutable, car on lit ce que j’appellerais des quatrains de prose. Chaque pièce se compose de quatre phrases relativement brèves (deux lignes tout au plus) séparées les unes des autres par un double interligne. Visuellement, c’est immédiatement circonscrivable, l’oeil trouvant à satisfaire son besoin de saisir spatialement son objet de lecture, comme par le génie des formes fixes. L’inégalité relative des énoncés permet de faire valoir, dans le rectangle de chaque poème, un lyrisme tantôt rentré, tantôt plus déployé :

Une lente obscurité mutile les pas

  perdus.

Entre nous le chemin s’est

  gaspillé.

Une carte feint encore de

  connaître le tracé et toute la

  noirceur.

De toi, j’apprends toute perte,

  comme le noir apprend tout

  silence des étoiles.

p. 55

Dans ce livre aussi, il est question de tout ce qui fragilise la vie et l’amour. D’où l’élection d’un lieu unique, la chambre, refuge des amants, de leurs « âmes [qui] se tiennent comme des bêtes devant Dieu » (p. 74). Le doute instaure un registre typique et donne lieu à un texte ponctué, mais avec mesure, de tours interrogatifs et d’apostrophes. On tient là un livre d’une belle unité de ton, un ton mélancolique, ombré, et d’une belle lisibilité, aussi, ce qui est décidément une marque des recueils publiés aux Éditions du Noroît.

Isabelle Miron dit que Toute petite est la terre[3]. Elle commence par un salut qui fut celui de Maldoror dans ses inimitables chants, mais le rapprochement s’arrête là, heureusement pour l’un et l’autre :

je te salue océan

de ce salut où se lient

proximité et distance à venir

je te salue avec les rêves

dans la gorge et les yeux

vers ce qui a été

que les mots recouvrent

p. 9

S’ensuit un travail de mémoire qui retrouve l’enfance, revoit les photos anciennes, renoue avec le premier amour et finit par rendre un bouquet de fleurs atemporelles, qui voudraient fondre ensemble « les strates du temps » (p. 67). Si la planète est petite, c’est qu’on la ramène à l’échelle de notre propre aventure, ou encore qu’on la regarde avec des yeux amusés, ceux d’une petite fille, par exemple, pour qui la terre est une balle qui roule. Les poèmes d’Isabelle Miron sont de petites bulles d’air, des ronds de buée sur la vitre du temps. La fragilité de ces bulles ne supporte pas toujours ce que la poète souhaiterait y faire tenir de grave et de profond, et il arrive que l’évocation des gestes, de la peau, du corps et du désir soit lourde de clichés. Mais nombre de poèmes ont l’heureuse apesanteur de la ténuité. Ils échappent à l’attraction des « mots usés » (p. 14).

Qu’est-ce au juste qu’une ménagerie ? me demandai-je au seuil du livre d’Élise Turcotte, Sombre ménagerie[4]. Il y a tant de mots dont on perd la clé, n’est-ce pas ? Un ami qui prise l’excentricité me disait l’autre jour (quand un ami vous dit quelque chose, c’est toujours l’autre jour) qu’il y aurait une poétique à inventer des impropriétés lexicales. Je ne vous dirai pas ce que, Dieu sait pourquoi, mon ignorance voyait derrière ce mot de ménagerie.

C’est un livre très prenant que celui-là, le plus beau des livres de poèmes d’Élise Turcotte, et l’un des plus forts de ceux qu’on a pu lire dans la dernière année. La sombre ménagerie, c’est celle des démons, fantômes et autres bêtes dont les figures spectrales, oniriques, symboliques, traversent le réel halluciné d’une héroïne anonyme. C’est la vie elle-même, dévorante, tentaculaire, qui, non contente de détruire les amants dans un sombre ménage, fait jouer en tous lieux, impitoyable, son théâtre de cruauté. « J’arrache un poème/sur le dos/de l’inhumanité », dit Élise Turcotte. Sa langue, décharnée comme sous l’action de couteaux bien aiguisés, est des plus efficaces. Ce n’est plus celle des Navires de guerre[5] qu’elle lança il y a vingt ans. C’est une langue qui pourrait faire penser à celle du Tombeau des rois d’Anne Hébert. J’ai même songé, en lisant la deuxième partie de ce triptyque, à la merveilleuse héroïne des Fous de Bassan, Olivia de la Haute mer. Comme elle, la narratrice de Sombre ménagerie parle d’outre-tombe, recomposant au-delà de la mort, « dans une nuit/remplie d’eau » (p. 56), atemporelle, un récit dont nous recevons les bribes. Morceaux d’un drame étrange, fantastique, lovecraftien. Celui d’une Ophélie moderne, noyée dans un décor surréel de roman noir. Poésie de la mort et des abysses nocturnes de la psyché, Sombre ménagerie est d’un registre rare dans la poésie québécoise d’aujourd’hui, et ce n’est là que le moindre de ses nombreux mérites.

Aux Forges de Trois-Rivières, maison à l’activité presque industrieuse, on imprime à loisir, généreusement, régulièrement — et bien d’autres ment. Dans cette production diversement appréciable, les ouvrages d’apprentis, comme chacun s’en doute, sont plus nombreux que les oeuvres de maîtres de forges. Qu’à cela ne tienne, c’est en écrivant, lançait naguère Zéro Legel, qu’on devient… écrevisse.

Avec Nos vies infranchissables[6], Michel Létourneau, qui n’est plus un apprenti — c’est son quatrième livre —, mise sur quelques composantes cardinales, pourrions-nous dire, de l’expression poétique : lyrisme du moi et du lien amoureux, pouvoir de l’image, enrichissement du sens par la sensation, émission et usage répété de motifs fonciers comme l’âme, le corps (en particulier les mains), le regard, le coeur, la lumière, la nuit, etc. L’emploi fréquent de l’imparfait institue une poésie du regret et de la perte, thèmes eux-mêmes tenus, à tort ou à raison, pour des suscitateurs universels de l’émotion poétique :

Nous ne savions pas aimer

sur nos terres de labour

nous dormions enserrés dans le

  voyage de l’eau.

p. 22

Ce beau troisième vers (tout repose sur la tension entre le participe « enserrés » et l’idée d’écoulement) me paraît résumer sinon le livre entier, à tout le moins la première de ses deux parties. Le poète y déplore une inaptitude à vivre, thème que la littérature québécoise, surtout la poésie des années cinquante et soixante, a fouillé comme un sol fertile. Un certain nombre d’énoncés explicites et la récurrence d’un « nous » marquant la prise en compte du collectif interdisent de douter de la teneur « engagée » de l’entreprise : « étions-nous perdus/implorant dans la lande […] les jalons les jougs alanguis[7] » (p. 18) ; « Nous avons tout soumis » (p. 28) ; « nous défendions notre carré de rêve/les yeux ensablés » (p. 29) ; etc. Beaucoup de vers de cette trempe-là, qui voudraient exprimer « les meurtrissures [et] la désolation » (p. 53), ne franchissent pas le seuil de la redite. Les lisant, on se dit que « la décantation de l’histoire » (p. 53) aurait dû commencer par la décantation de cette rhétorique encombrante. Encombrante pour le reste, c’est-à-dire pour la meilleure part du recueil. Cette belle part, elle tient à certaines séquences moins controuvées, parfois franchement séduisantes parce que plus maigres, débarrassées de la gangue verbeuse qui enveloppe l’ensemble :

L’avenir brillait de toutes ses

  lames

léchant le sel des images

c’était à celui qui devait revenir

intact dans la blancheur.

p. 10

Cette belle part, elle tient surtout au travail réalisé à partir de l’image du titre, cette idée de vie à franchir. La division du livre en deux parties suggère justement ce passage : d’une vie captive à une autre meilleure, du passé fixe au présent à construire, du corps empêché au corps habitable, comme disait Jean Royer. D’un point à l’autre de cette structure en diptyque, l’espace natal immense, emblématique (« dans les plaines » [p. 16], « sur les banquises » [p. 17], « sur le littoral » [p. 23]), se resserre (sur l’intime, le couple amoureux) en même temps qu’il s’ouvre, se fissure, car le passé continue d’opérer des brèches dans la vie présente, d’où le titre de la seconde partie, « L’endurance parmi les ruines », qui peut faire penser à Nelligan autant qu’à Roland Giguère. Les poèmes de Nos vies infranchissables nous rappellent qu’aujourd’hui est à la frange d’hier, et l’épopée intime à la frange solidaire de l’aventure collective. Ils le rappellent, mais ne l’expriment pas toujours.

Dans De terre et de feu[8], Jean-Noël Pontbriand ne trouve guère les mots que requerrait l’intensité de l’expérience à traduire, celle de la mort, forcément personnelle, subjective d’un individu à l’autre. Ou plutôt, ces mots sont trouvés, car la mort en impose à tout poète un long cortège, mais leur alliance reste trop souvent en deçà, ici, du degré d’inventivité qu’il faudrait. Les métaphores construites avec le complément du nom égrènent leur neuvaine au fil des ces quatre-vingt-dix pages. Pour certaines qui paraissent inédites (on est loin d’avoir épuisé la réserve de ces tropes), que de pactes exténués tels que le « piège de l’existence » (p. 19), « le poids du ciel » (p. 26), « le fond d’une détresse » (p. 27), les « émois de ta chair » (p. 28), « la poussière du néant » (p. 51). À la limite, on pourrait les recevoir comme des locutions figées que tout texte réactive tôt ou tard, mais leur abondance et la place qu’elles prennent dans les poèmes empêchent ici qu’on les goûte comme telles. C’est d’autant dommage que ce recueil est rythmiquement intéressant, se déploie en un long récitatif où culminations et chutes sont habilement marquées.

Yves Boisvert est depuis longtemps le plus baveux de nos poètes. Il conserve son titre avec ce Bang ![9] qui fut rédigé, nous prévient-il, en 72 heures. On le croit. Je ne le dis pas pour ironiser mais parce qu’on a affaire, visiblement, à un auteur trop pressé de tout faire péter pour se soucier du fignolage stylistique, à un texte lâché, comme on lâche un chien enragé. Même s’il arrive qu’ils tirent à blanc en s’abandonnant à la facilité, les mots de Boisvert, qu’on reconnaît à leurs cibles autant qu’à leur tireur, sont ceux d’un artificier authentique du verbe. Un artificier polisson, hardi, extravagant, mais néanmoins modeste, croit-on deviner, quant à son propre usage du poème.

Yves Boisvert écrit pour mordre, sous la dictée de la colère, comme, toutes proportions gardées, certains surréalistes écrivirent sous la dictée de l’automatisme. Mordre qui, mordre quoi ? L’oncle Sam, les États-Unis d’Amérique d’avant et d’après le onze septembre, l’hypocrisie galopante des serre-la-piasse et des encenseurs de drapeaux, ceux qui s’occupent « d’avionnerie et de justice élémentaire » (p. 64), bref, pas mal de gens qui ne s’en porteront pas plus mal parce qu’ils ne reçoivent pas les pétards des poètes. Mais le lecteur qui consentirait à mettre de côté, s’il en a, ses préjugés sur la poésie de contestation (un registre qui fait souvent dans la niaiserie du genre tout le monde y sont méchants, sans aller plus loin) trouverait à se réjouir de la colère souvent inspirée et toujours aspirante, assez jubilatoire, en somme, de Boisvert. « Le monde est ainsi fait qu’il faut le défaire pour qu’il tienne debout », lit-on entre autres exergues à cette volée de bois vert. Exergue qui n’est pas d’un poète mais du Gros Brodeur, car Boisvert est, comme il se doit pour un chiâleux de son acabit, du côté des parleux qui ne font pas le Salon du Livre. Ses poèmes sont justement, dans une veine qui pourrait rappeler ceux d’un Alphonse Piché, davantage parlés qu’écrits. De la parole ils ont gardé l’emportement, l’injure hyperbolique, l’appel à l’interlocuteur, le rythme impatient. Seuls les intitulés sont économes, de l’onomatopée explosive du titre (c’est le Bang ! inaugural qui produit ce discours en flammèches autant que la déflagration de fin du monde) aux vocables comiques qui coiffent les diverses parties : Prologue, Démagogue, Bogue, Épilogue. Bang ! ou quand la colère du juste a du punch.

Il fut un temps où François Charron avait lui aussi du goût pour l’escrime. C’était le temps des 18 assauts et d’Au « sujet » de la poésie. C’était en 1972. L’écriture de Charron a par la suite constamment réévalué ses visées, esthétiques mais aussi politiques et théoriques. Recevoir un nouveau Charron, c’est recevoir une poésie dont on sait qu’elle est plus qu’une autre susceptible de s’être resituée. Dans Obéissance par le chaos[10], l’intervention virulente le cède à la quête de sens, à l’inquiétude, à la compassion, à la contrition même. Ce livre, c’est un peu la nuit spirituelle (titre du poème de la page 44) de Charron, qui énonce en quatrième de couverture que la vie est un miracle et qu’il ne croit pas aux miracles[11]. Et pourtant, que de référents religieux dans ce recueil : cloches qui sonnent, pain rompu, encens, vendredi sombre, agenouillement, stigmates… La figure du Christ et celles de divers pénitents traversent les poèmes. La division du livre en sept parties (de dix poèmes chacune) est elle aussi éloquente, le chiffre sept symbolisant dans la Bible la perfection. Pour un peu, on croirait Charron revenu de quelque jour de Noël à la Claudel.

Les apparences sont trompeuses, davantage peut-être avec les poètes. On imagine mal François Charron en délégué de l’instance divine. Il fait plutôt figure, dans ce trente-quatrième titre, de recenseur mi-ébloui mi-sceptique (ou agnostique) des états du chaos. États du cosmos, du réel dans tout ce qu’il charrie : sa banalité, son   mystère[12]. Il y a aussi que notre poète est passé par la lecture approfondie, puisqu’elle a donné lieu à un essai substantiel, de l’oeuvre de Saint-Denys Garneau, lecture peut-être déterminante dans la composition de ce dernier livre, dont on perçoit en tout cas, ici et là, des échos. Par exemple dans les premiers vers : « L’âme est cette enfant qui va dansant/d’un pied sur l’autre tant bien que mal » (p. 13), qui reprennent des thèmes chers à Garneau (l’âme, l’enfant, la danse) et ne sont pas sans rappeler l’ouverture de Regards et Jeux dans l’espace, « C’est là sans appui ».

Et la réalisation du poème, dans tout ça, sa facture ? Il s’organise en accumulations d’énoncés les plus divers, comme s’il s’agissait de redonner à lire, sans les hiérarchiser, les signes de l’univers. Le poème obéit au désordre qui est la loi du monde, il veut être en intelligence avec elle :

Deux voix qui résonnent dans un

  bâtiment désaffecté.

L’ombre fuyante d’un avion qui

  s’enfonce

aujourd’hui et à jamais au creux

  de l’Histoire.

Une pénitente fixe avec ardeur le

  crucifix de plâtre.

La sagesse éclate en sanglots sur

  la prairie.

Aujourd’hui et à jamais les

  amoureux dorment dévêtus

au centre du paysage.

p. 88

Dans cette première partie du poème « Aujourd’hui et à jamais » (p. 88) comme dans beaucoup d’autres pièces, ponctualité et éternité, immobilisme et mouvement sont emmêlés. Le présent de l’indicatif, constant dans le recueil, exerce une action stabilisatrice sur l’inventaire de la variété universelle. C’est sans doute à ce prix que le poème existe : il ne peut se permettre d’embrasser seulement le « chaos virginal » (p. 94), il faut encore qu’il y mette un peu du sien, qu’il gère minimalement le tohu-bohu. C’est peut-être par là que la poésie de François Charron, comme toute poésie véritable, demeure formaliste, peu importe les nouveaux habits dont elle se revêt. Rompre totalement avec le formalisme, ce serait renoncer non seulement à toute fonction gestionnaire du langage, mais à toute gestion du réel par le poème. Obéissance par la voie du chaos, mais obéissance quand même.