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L’ouvrage Femmes et hommes dans le champ de la santé représente une contribution indiscutable à l’étude des rapports sociaux de sexe dans le domaine de la santé, notamment à titre de publication de langue française. Cet ouvrage a pour objet de favoriser la rencontre de travaux portant sur les rapports sociaux de sexe avec d’autres concernant la santé et la médecine, et, pour ce qui est de cet aspect, il s’agit d’une réussite. À l’origine de cette publication, se trouve un séminaire organisé par Erasme en 1996-1997, d’où sont issus certains des textes présentés dans l’ouvrage. D’autres écrits s’y sont ajoutés, ces derniers ayant été sollicités explicitement pour la publication.

Le livre s’articule autour de trois axes : la construction sociale des problèmes de santé, les professions de santé ainsi que les savoirs et les pratiques dans la sphère privée. L’histoire de sa préparation explique certaines faiblesses. En effet, le choix des textes et leur regroupement ayant été faits à partir de travaux disponibles que l’on voulait rassembler et non à partir d’un cadre construit au préalable, le résultat donne un peu l’impression d’un assemblage de textes portant sur certaines problématiques plutôt que d’un ensemble bien articulé. À cet égard, il est regrettable que l’équipe de rédaction n’ait pas choisi de rédiger une conclusion pour faciliter l’intégration des différents textes.

Les trois sections (axes du livre) ne présentent pas le même intérêt, surtout dans une perspective d’avancement des connaissances. La première, sur la construction sociale de la santé au féminin et au masculin, est celle qui apporte le plus sur le plan de la réflexion et de l’analyse. La seconde, consacrée aux professions de la santé, n’ajoute pas beaucoup de connaissances nouvelles à cette problématique par ailleurs assez documentée. Quant à la troisième, elle est plutôt inégale, mais elle comporte le mérite d’ouvrir la réflexion sur d’autres cultures.

Les textes reposent sur des recherches réalisées pour la plupart (et parfois il y a déjà un bon moment) par les auteures et auteurs mêmes. Il faut noter ici dans plusieurs cas l’absence, parfois totale, du souci de bien situer ces travaux de référence et de fournir au lectorat des éléments d’information lui permettant d’apprécier les recherches sur lesquelles reposent les analyses proposées. Ainsi, il arrive que l’on suggère des interprétations élaborées à partir d’enquêtes et d’entretiens sur lesquels on ne fournit que peu ou pas d’indications. C’est là un manque de rigueur qui entache la validité ou la crédibilité de certaines interprétations.

La construction sociale des problèmes de santé

Dans l’introduction, on relève que, au moment de choisir les textes à publier, la question s’est posée de savoir si la violence faite aux femmes était une question de santé et devait donc faire l’objet d’un chapitre. Fort heureusement, la réponse a été affirmative, car le texte de Patricia Romito sur les violences conjugales est l’un des plus intéressants et des plus complets de l’ouvrage. Ce chapitre répond avec éloquence à la question de savoir si la violence est une question de santé. En effet, comme Romito le fait bien ressortir, la violence conjugale demeure un mode de domination masculine fort répandu, même dans les sociétés où les femmes ont fait des gains substantiels en matière de droits (notamment en Europe et en Amérique du Nord). La violence exercée contre les femmes dans l’espace privé, au-delà de son impact sur la santé physique et mentale de celles qui la subissent, est une des raisons qui les amènent à consulter les services de santé ; à ce titre, elle s’inscrit d’emblée dans le champ de la santé.

Après avoir situé sa démarche sur le plan théorique, Romito présente la recherche à partir de laquelle elle traitera de la violence conjugale. Saluons ici la description méthodologique permettant d’apprécier le matériel sur lequel l’auteure s’appuie, informations qui font cruellement défaut dans d’autres chapitres. L’auteure complète l’information méthodologique par une réflexion épistémologique sur le traitement et l’analyse « empathiques » du matériel, reconnaissant que ceux-ci n’avaient pas revêtu le caractère prétendument objectif souvent assimilé à la démarche scientifique.

Romito s’attarde à décrire plusieurs études effectuées ailleurs sur la question de la violence. Si elle le fait notamment pour asseoir la validité des résultats qu’elle a obtenus, cela lui permet de proposer un tour d’horizon de la recherche sur la violence qui se révèle fort instructif à la fois sur le plan épistémologique et sur le plan de l’information. En inscrivant son travail à la suite d’autres menés ailleurs, sous différents angles d’approches et en utilisant différentes méthodologies, l’auteure fait connaître ce domaine de recherche et les difficultés liées au traitement de cette question tout en soulignant l’ampleur du phénomène lui-même.

La thèse présentée ici est que les services sociosanitaires participent à la construction sociale de la problématique de la violence conjugale, car les réponses que les femmes y reçoivent contribuent à taire l’existence de cette violence et, dans certains cas, vont même jusqu’à l’encourager indirectement. Ces réponses sont regroupées en trois catégories : négation, refus ou « psychologisation », chacune trouvant un ancrage institutionnel.

Ce chapitre constitue un excellent texte pour qui veut comprendre pourquoi la violence conjugale est une question centrale dans les études féministes et une question stratégique pour la compréhension des rapports sociaux de sexe et pour qui souhaite avoir un bon tour d’horizon des types de travaux menés jusqu’ici. Enfin, les résultats de la recherche empirique qui y sont présentés donnent accès à l’expérience de domination telle qu’elle est ressentie par des femmes violentées par leur conjoint tout en dénonçant l’absence de ressources pouvant leur donner un soutien essentiel pour remettre en cause l’inégalité dans les rapports de sexe.

Le chapitre qui suit, signé par Serge Clément et Monique Membrado, sur l’alcoolisme chez les femmes, a pour objet d’analyser le portrait spécifique de la femme alcoolique dans le discours médical mis en relation avec le discours sociologique sur les femmes. Le matériel utilisé pour cette analyse est constitué d’articles parus dans des revues spécialisées. Clément et Membrado démontrent bien, d’une part, comment la référence masculine est une référence « universelle » tant et aussi longtemps que l’on ne se pose pas la question sur de possibles différences entre les sexes. D’autre part, ils font ressortir les stéréotypes, dont le caractère naturel de l’essence féminine, devant servir de base à l’interprétation de l’alcoolisme au féminin, différent du masculin. Leur analyse rejoint celle de Daniel Delanoë qui signe le chapitre suivant sur la ménopause, à savoir que « le stéréotype de la « nature féminine » continue à contaminer les approches les plus « scientifiques » » (p. 71). L’affirmation selon laquelle il faut mettre à jour les combinaisons complexes entre éléments structurels et éléments plus personnels pour appréhender l’alcoolisme s’impose bien comme conclusion de leurs propos. Il est toutefois regrettable qu’aucune référence ne soit faite aux travaux féministes sur la question de l’alcoolisme chez les femmes. Ces derniers ont notamment permis de reconstituer des trajectoires de femmes et d’analyser celles-ci selon les rapports sociaux de sexe.

La ménopause, objet du troisième chapitre, est un thème qui soulève de plus en plus d’intérêt, compte tenu, d’une part, de l’amélioration de l’espérance de vie des femmes, donc du nombre croissant de femmes concernées et, d’autre part, de la multiplication des études sur la santé de la reproduction et les différentes expériences vécues par les femmes. La rédaction d’un chapitre sur ce moment de la vie des femmes dans le contexte de ce livre est donc tout à fait indiquée. L’auteur, Daniel Delanoë, psychiatre et anthropologue, choisit d’en traiter sous l’angle de la représentation encore dominante dans plusieurs milieux médicaux comme étant une source de problèmes de nature psychique. Son traitement permet de mettre à jour le sexisme ancré dans la lecture médicale traditionnelle de la condition des femmes, lecture qui donne lieu à une interprétation des manifestations de la spécificité féminine comme pathologiques.

L’auteur retrace dans le discours académique psychiatrique moderne l’ancrage de ce qu’il nomme une « croyance » sur la relation entre dépression et ménopause. Son exercice vient donc lui aussi appuyer les thèses selon lesquelles les croyances subsistent dans le domaine de la santé malgré les productions scientifiques qui les contredisent. Après avoir ainsi retracé dans le discours savant l’association entre problèmes psychiques et ménopause, il rapporte certains résultats d’une enquête (menée quand ?) auprès de femmes et auprès d’hommes. Ces résultats révèlent un écart important entre les représentations qu’ont les deux sexes, l’association avec la pathologie étant très présente chez les hommes et beaucoup moins chez les femmes. L’auteur propose des modèles explicatifs sur les plans biologique, psychologique ou social dont la mise en oeuvre tient de l’inégalité dans les rapports de sexe tout en notant que la domination « symbolique » masculine ne s’exerce pas ici de façon totalitaire. Son texte apporte donc une contribution originale à la critique des représentations dominantes au sujet de la ménopause par cette juxtaposition savant/profane et par la différence entre les représentations des hommes et celles des femmes.

Le chapitre qui suit est signé par Anne-Marie Devreux. Sa contribution à la réflexion théorique sur les rapports sociaux de sexe n’est plus à démontrer. Il s’agit là d’une auteure importante et dont les écrits sont largement utilisés. Le texte qu’elle présente est une excellente synthèse de l’évolution des travaux sur le concept des rapports sociaux de sexe. Il est fort bienvenu dans le contexte où le concept de genre est de plus en plus utilisé dans le domaine de la santé ; or, ce concept, comme le souligne Devreux, présente des avantages mais comporte aussi des limites, qui sont étayées dans la présentation qu’elle fait des caractéristiques essentielles des rapports de sexe. Toutefois, le titre du chapitre annonçait une réflexion sur les rapports sociaux de sexe comme cadre d’analyse pour des questions de santé et il nous laisse un peu sur notre appétit. En effet, Devreux s’en tient à quelques problématiques où l’analyse selon les rapports sociaux de sexe est révélatrice (contraception, imagerie médicale notamment). Dans ces exemples, elle démontre bien les rapports sociaux en jeu, mais on aurait souhaité qu’elle aille plus loin eu égard aux nouvelles questions qui se posent dans le domaine, notamment la transformation des services de santé.

Le dernier texte de cette section est signé par Pierre Aïach, spécialiste des inégalités de santé. Son chapitre est fort bien appuyé mais pas nécessairement de lecture facile. Il est manifeste que l’auteur possède une grande expertise. La question qu’il soulève en est une qui suscite, depuis plusieurs années maintenant, de nombreuses discussions (et publications), à savoir les écarts entre la mortalité des hommes et celle des femmes et les écarts entre leur morbidité respective, les deux n’allant pas dans le même sens.

La contribution de Pierre Aïach est l’une des plus originales du livre même si elle traite d’un thème que ressassent plusieurs auteures féministes depuis au moins vingt ans, parfois par l’entremise de l’analyse de la consultation médicale, parfois par celle des statistiques concernant la morbidité et la mortalité. L’originalité tient à son approche de la question, relevant les paradoxes et considérant plusieurs hypothèses, le tout en s’appuyant sur des statistiques produites lors de grandes enquêtes et sur ses propres travaux. Plusieurs passages soulèvent toutefois des questions et appellent à la discussion. Notons ici que ses propos sur la violence symbolique peuvent prêter à controverse (d’ailleurs Anne-Marie Devreux se montre critique à son égard dans le chapitre qu’elle signe). On peut aussi discuter de son évaluation de l’importance de la santé de la reproduction dans les écarts observés tant lorsque les femmes mouraient massivement en couches (comme elles le font d’ailleurs encore dans certaines sociétés) qu’aujourd’hui dans leur rapport à la médecine. Malgré cela, le texte est très enrichissant par les différentes avenues proposées pour l’intelligence des écarts observés dans les bilans de santé selon les sexes. Prenant ses distances avec l’interprétation selon laquelle les différences tiennent à une surconsommation des services de santé par les femmes, Pierre Aïach se situe plutôt du côté de l’expérience de ces dernières. Enfin, ce chapitre ouvre sur l’utilisation du concept de genre pour mettre en évidence les comportements délétères qui découlent de la masculinité. Il s’agit là d’une piste intéressante pour l’analyse des inégalités sociales dont les effets négatifs ne se situent pas que du côté des groupes dominés.

Les professions de santé

La deuxième section de l’ouvrage porte sur les professions de santé. Le premier chapitre, signé par Dominique Cèbe, fort bien structuré, appuyé et argumenté, rapporte les résultats d’une enquête menée auprès de pharmaciens et de pharmaciennes et exploite les différences entre les sexes dans les résultats traitant de l’orientation et de l’expérience professionnelles. Le tout n’est pas sans intérêt, mais les données présentées ne font que confirmer ce qui est maintenant connu dans la littérature portant sur l’inscription des femmes dans des professions traditionnellement masculines dans le domaine de la santé. Il peut cependant constituer un très bon texte pour qui s’initie à ce domaine. En effet, on y relève l’origine sociale des femmes, plus favorable que celle des hommes à l’entrée dans une telle profession, le statut différent et le rapport différent à certaines dimensions de la pratique (fonctions d’officine, de conseil, de contrôle, etc.). Déplorons cependant l’absence de références aux recherches menées ailleurs sur les pharmaciennes. En revanche, l’auteure compare avec une autre profession dite de prestige (commissaire-priseur) ; or ce choix aurait mérité d’être mieux explicité.

Le deuxième chapitre, celui de Geneviève Paicheler, sur les femmes médecins, exploite aussi les résultats d’une recherche menée auprès de professionnels et de professionnelles et dont l’objet n’était pas de comparer les différences entre les sexes. Il s’agit d’une recherche d’envergure dont les résultats ont été par ailleurs largement diffusés. À l’instar du chapitre précédent, le contenu, tout en étant fort intéressant en soi, n’apporte pas beaucoup de nouveautés. On y observe les cheminements différents, notamment en ce qui concerne l’orientation et l’organisation de la pratique, liés à l’« identité de genre ». Certaines caractéristiques ressortent dans ce cas, comme elles le font des études menées ailleurs, à savoir que les femmes médecins sont plus ouvertes à l’égard des autres formes de « médecines » que ne le sont leurs collègues masculins.

Le troisième et dernier chapitre présente d’abord un exercice théorique fort instructif sur les fondements des différentes définitions du concept de genre, puis des perspectives théoriques sur la féminisation des professions de haut niveau. L’auteure, Nicky Le Feuvre, relève quatre perspectives : 1) la relation entre féminisation, dévalorisation des groupes professionnels et exclusion sociale des femmes ; 2) la diffusion des valeurs féminines dans les professions traditionnellement masculines ; 3) l’intégration des femmes dans une culture inchangée ; et 4) le processus de féminisation des professions d’élite comme une source potentielle de transformation sociale. Par la suite, elle propose l’analyse du contenu d’entretiens biographiques en ayant recours à l’approche de François Dubet, telle qu’elle est présentée dans son ouvrage Sociologie de l’expérience. Malheureusement, aucune information n’est donnée sur le corpus d’où sont tirés les entretiens biographiques dont on ne sait strictement rien (échantillon, dates, modes de collecte, etc.). Cette absence totale d’information sur un matériel dont on tire une interprétation enlève toute crédibilité à l’analyse proposée. Il est en effet impossible d’apprécier les fondements empiriques sur lesquels reposent les conclusions tirées par l’auteure de ce chapitre.

Les savoirs et pratiques dans la sphère privée

La troisième section de l’ouvrage, sur les savoirs et les pratiques dans la sphère privée, a tout à fait sa raison d’être. En effet, les travaux sur le savoir des femmes et les pratiques officieuses dans le domaine de la santé se multiplient, et pour cause. Il ne s’agit pas seulement de réhabiliter un savoir dit populaire ou traditionnel (bien qu’il y ait un peu de cela dans les efforts déployés depuis quelques années) mais aussi de faire ressortir le rôle essentiel à la fois du savoir et des pratiques profanes pour le maintien de la santé des populations. Notamment, dans le domaine de la santé publique, plusieurs auteurs et auteures considèrent le recours à ce savoir et à ces pratiques comme essentiel à l’efficacité des interventions (notamment les sociologues britanniques Popay et Williams). La section comporte quatre textes dont deux ouvrent sur les expériences vécues dans des sociétés autres que la société française.

Le premier texte, signé par Mara Viveros Vigoya, de Colombie, aborde un des thèmes classiques dans la littérature sur les rapports de sexe, soit celui de la contraception ; toutefois, l’auteure analyse la pratique masculine du recours à la stérilisation. Il s’agit donc d’un objet un peu différent de ceux qui intéressent habituellement, soit le rôle et les décisions du sujet masculin. Le corpus qualitatif qui sert de base à la démarche est limité puisqu’il s’agit de dix entretiens, mais il est bien exploité, notamment parce qu’on se situe du côté de l’exploration, réalité sur laquelle on sait si peu, donnant du coup une portée significative à ce qui est avancé. L’auteure, en proposant une analyse de cas de couples, permet de saisir à la fois la complexité, les enjeux et la diversité des expériences en matière de santé de la reproduction. S’il faut cependant bien se garder de généraliser les résultats présentés, les questions qu’ils soulèvent forcent le constat de la nécessité de poursuivre ce type de démarche.

Le deuxième texte, rédigé par Vincent Caradec, veut répondre à la question de savoir si les hommes et les femmes ont des réactions différentes devant la cessation d’activités professionnelles. Traitant de ces réactions sur le plan individuel et sur le plan des interactions au sein des couples, le texte présente plusieurs façons de vivre ce moment, les situant eu égard à ce que l’on sait par ailleurs sur le rôle du travail et de la vie conjugale sur la santé des femmes et des hommes. Les questions sur lesquelles ouvre la conclusion, soit le besoin d’améliorer les connaissances sur les conséquences de la vie conjugale et sur la capacité d’adaptation, sont effectivement des pistes de réflexion intéressantes, mais elles devraient être situées dans une perspective plus dynamique, soit celle de la transformation des rôles masculins et féminins et du marché du travail.

Le troisième texte, de Mohamed Mebtoul, porte sur le travail de santé des femmes en Algérie. Il aborde cette question sous plusieurs angles : celui des pratiques quotidiennes et traditionnelles, celui du rôle complémentaire (et de plus en plus de substitution) des soins donnés par les femmes par rapport à ceux des services de santé et celui des dynamiques sociales entre les sexes, entre les femmes et entre les générations. Il s’agit d’un texte riche, dont les arguments sont illustrés à l’aide de témoignages imagés. L’auteur fait bien la démonstration que la famille est une « institution productrice de différenciation et de hiérarchisation entre ses différents membres » et surtout de façon très éloquente que « la dynamique sanitaire profane est profondément intégrée aux autres activités quotidiennes des femmes » (p. 287). Soulignons l’intérêt des passages traitant des échanges entre les femmes. Enfin, le constat s’impose à la lecture de ce chapitre que, si la société algérienne se distingue de la société française, les tendances lourdes du transfert de responsabilités de l’institutionnel vers le privé dans la prise en charge sanitaire se rejoignent. L’auteur se sert de plusieurs travaux de recherche pour appuyer son analyse et ses propos. On peut, une fois de plus, regretter que l’utilisation de ce matériel ne soit pas présentée de façon plus détaillée et structurée.

Pour sa part, Geneviève Cresson s’intéresse à la contribution des femmes à la santé depuis déjà quelques années. Le texte qu’elle présente ici sur les soins profanes et la division du travail entre les hommes et les femmes revient sur des études qu’elle a menées et publiées ailleurs où elle a fait ressortir le rôle déterminant que jouent les femmes dans l’entretien de la santé. Dans la première partie, elle fait une synthèse sur ce que comporte ce travail des femmes et sur son articulation avec le travail dans les établissements de santé et celui des personnes qui y travaillent. Dans la seconde partie, elle met plutôt l’accent sur la division du travail entre hommes et femmes dans les soins profanes, toujours marquée au sceau de l’inégalité. Cette problématique est très actuelle et s’inscrit dans le contexte de changements démographiques et sociaux. L’auteure continue donc d’innover en quelque sorte dans le traitement qu’elle fait du « prendre soin ». Elle s’interroge, enfin, sur les raisons d’être de la division du travail, sur son évaluation et sur les conséquences pour celles qui assument les responsabilités, concluant à la persistance de l’inégalité dans les rapports sociaux de sexe qui imprègne les activités des femmes et des hommes, comme elle détermine la valeur qui leur est accordée.

Conclusion

La publication du livre Femmes et hommes dans le champ de la santé est donc la bienvenue. Celui-ci permet de se familiariser avec les approches sociologiques dans des problématiques mettant en cause les rapports sociaux de sexe dans le domaine de la santé. Cependant, comme c’est souvent le cas dans un ouvrage collectif, les textes retenus n’apportent pas tous une contribution au même titre. Il est surtout regrettable que les recherches à la base de la construction des connaissances n’aient pas toujours été bien décrites ni rapportées, laissant trop souvent la place à des élaborations théoriques sans précisions sur les connaissances empiriques qui leur servent de fondements. Malgré cette réserve, on peut souhaiter que ce livre circule, qu’il soulève des discussions et des débats. Il sera fort utile pour l’enseignement de la sociologie de la santé et de la sociologie des rapports sociaux de sexe. Espérons aussi que cette initiative sera reprise : plusieurs autres problématiques mériteraient d’être ainsi analysées et les débats sur les approches théoriques y gagneraient à se poursuivre.