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La maladie coeliaque est caractérisée par une atrophie des villosités intestinales à l’origine d’un syndrome de malabsorption[*]. Elle est apparentée aux maladies auto-immunes, mais strictement dépendante d’une exposition aux prolamines du blé (gliadines/gluténines), de l’orge et du seigle, protéines caractérisées par leur richesse en glutamine (35 %) et en proline (20 %) ((→) m/s 2001, n° 11, p. 1129).

Les travaux des groupes de L. Sollid et de F. Koning attribuent le caractère toxique de ces protéines à leur capacité de déclencher une réponse immune intestinale chez les sujets prédisposés, une hypothèse très attractive puisqu’elle explique simultanément le rôle de l’antigène présent dans l’environnement, du principal facteur de prédisposition génétique (les haplotypes HLA-DQ2 et DQ8) et de la transglutaminase tissulaire, cible des auto-anticorps caractéristiques de la maladie. Ainsi, les lymphocytes T CD4+ du chorion intestinal des patients atteints de maladie coeliaque prolifèrent en réponse à certains peptides de la gliadine présentés par les molécules HLA-DQ2/8. Rappelons que pour stimuler une réponse antigénique T, les peptides doivent être captés par les cellules présentatrices d’antigènes au pôle basal de l’entérocyte, ce qui implique qu’ils traversent la cellule épithéliale (Figure 1). La transglutaminase tissulaire (TG2), une enzyme normalement impliquée dans le remodelage tissulaire, possède une affinité particulière pour les gliadines dont elle peut désamider certains résidus glutamine en acide glutamique. Elle introduit ainsi des charges négatives dans des sites qui favorisent l’ancrage des peptides dans la poche des molécules HLA-DQ2/8 et leur présentation aux lymphocytes T. La TG2, qui n’agit qu’à pH acide, pourrait intervenir au niveau de la bordure en brosse intestinale ou lors du processing des peptides par la cellule présentatrice d’antigènes [1].

Figure 1

Schéma hypothétique de l’intervention du peptide 33-mer dérivé de la gliadine dans la physiopathologie de la maladie coeliaque.

Schéma hypothétique de l’intervention du peptide 33-mer dérivé de la gliadine dans la physiopathologie de la maladie coeliaque.

Selon Shan et al. [1], un peptide de 33-mer dérivé de la gliadine résiste à l’hydrolyse par les enzymes digestives et celles de la bordure en brosse et stimule efficacement les lymphocytes T CD4+ intestinaux des patients atteints de maladie coeliaque après traitement par la transglutaminase tissulaire. Cependant, pour atteindre les cellules présentatrices d’antigènes susceptibles de le présenter aux lymphocytes T dans le chorion, ce peptide doit traverser la barrière épithéliale. Son passage paracellulaire (indiqué par la flèche verte en pointillé) est très peu probable compte tenu de sa taille, même à travers l’épithélium altéré des patients atteints de maladie coeliaque [5]. Sa dégradation au cours du transport intestinal, observée pour d’autres peptides de la gliadine riches en proline, ne peut donc être exclue actuellement, ce d’autant que les entérocytes synthétisent une prolyl-endopeptidase. Ce point mérite d’être vérifié avant d’envisager l’administration orale de prolyl-endopeptidase bactérienne (PEP) comme un traitement possible de la maladie coeliaque. Ly: lymphocyte.

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Un article publié récemment dans Science par Shan et al. [2] suggère que le principal peptide du gluten responsable de l’activation anormale du système immunitaire dans la maladie coeliaque a été identifié, et proposent un traitement fondé sur l’administration d’une prolyl-endopeptidase bactérienne capable de digérer ce peptide résistant aux enzymes digestives. Ces travaux complètent le schéma physiopathogénique discuté ci-dessus en montrant la résistance des peptides immunostimulants de la gliadine aux enzymes de la bordure en brosse, une propriété susceptible de favoriser leur accès dans la muqueuse. Dans un premier article [3], ces auteurs avaient analysé, par une technique HPLC (high performance liquid chromatography) couplée à la spectroscopie de masse, l’hydrolyse de deux peptides immuno-dominants (12 et 14-mer) dérivés des gliadines α2 et α9, et incubés en présence d’extraits de bordure en brosse de rat. La résistance de ces peptides pendant plusieurs heures à l’hydrolyse par les extraits de bordure en brosse intestinale contrastait avec leur hydrolyse rapide lorsqu’une prolyl-endopeptidase bactérienne (PEP) était ajoutée aux extraits, permettant d’affirmer le rôle des résidus proline dans cette résistance à l’hydrolyse et l’absence, dans la bordure en brosse, d’enzymes adaptées à l’hydrolyse de ces peptides riches en proline. Dans le second article publié dans Science [2], les auteurs identifient un peptide de 33-mer particulièrement stable, libéré lors de la digestion in vitro de l’α2-gliadine recombinante, utilisée comme prototype des gliadines, par des enzymes gastriques et pancréatiques. Les auteurs suggèrent qu’il pourrait être le principal produit de digestion de la gliadine disponible in vivo dans la lumière intestinale. Ce peptide est particulièrement intéressant: il contient un groupe de trois épitopes dont on connaît la capacité de stimulation antigénique de lymphocytes T; c’est un excellent substrat pour la TG2 et il stimule de façon efficace les lignées lymphocytaires T polyclonales dérivées de l’intestin de 14/14 sujets atteints de maladie coeliaque en présence de TG2. En outre, dans une étude menée chez 4 sujets sains et un patient en rémission, ce peptide résiste plus longtemps (> 20 heures) à la digestion par les enzymes de la bordure en brosse que des peptides plus courts déjà étudiés (dont un 14-mer, inclus dans le peptide 33-mer). L’analyse de la digestion des peptides au cours de la perfusion d’une anse intestinale de rat, modèle plus proche des conditions in vivo, montre une hydrolyse complète du peptide court 14-mer en 20 minutes, mais, à l’inverse, la persistance d’un pic correspondant à celui de 33-mer. En revanche, l’hydrolyse complète et rapide du peptide 33-mer est obtenue en présence de PEP bactérienne ajoutée soit in vitro, soit co-administrée en perfusion chez le rat, et cette digestion s’accompagne de la perte des propriétés immunostimulantes du peptide. Finalement, l’étude par alignements de séquences révèle des peptides homologues au 33-mer dans les protéines dérivées de céréales toxiques alors qu’ils sont indétectables dans les céréales qui ne sont pas toxiques (avoine, riz et maïs). Compte tenu de l’abondance des motifs Pro-X-Pro clivés par la prolyl endopeptidase dans les peptides immunogènes, les auteurs soulignent en conclusion l’intérêt d’une administration de PEP aux patients, qui permettrait de détoxifier les prolamines (Figure 1).

Ces résultats très intéressants appellent plusieurs commentaires.

Les auteurs indiquent avoir identifié les bases structurales de l’intolérance au gluten. Si l’hypothèse d’un rôle clé des peptides immunostimulants est probable, leur effet toxique sur la muqueuse n’a pas encore été démontré et pourrait ne pas être le seul paramètre en cause. Ainsi, le peptide 31-49 commun à la région NT des gliadines est certes toxique, ce qui a été démontré in vitro et in vivo chez l’homme, mais il n’induit pas la prolifération des lymphocytes T [4].

La stratégie thérapeutique proposée par Shan et al. - l’administration orale de PEP bactérienne - repose avant tout sur l’analyse de l’hydrolyse des peptides de la gliadine par les enzymes présentes dans lumière intestinale et la bordure en brosse. Ces auteurs ne prennent pas en compte leur digestion possible par la cellule épithéliale [5]. Dans les expériences de perfusion chez le rat, il existe une hydrolyse partielle du peptide 33-mer dès 20 minutes, comme en témoigne la présence de deux pics additionnels, ce qui suggère l’intervention in vivo d’autres facteurs. Cette hypothèse est confortée par l’étude de la digestion de peptides de la gliadine par des fragments tissulaires obtenus lors de biopsies intestinales et montés en chambre de Ussing[**]. Ainsi, le peptide immunodominant de l’α2-gliadine (57-68), très peu hydrolysé par les enzymes de la bordure en brosse des malades atteints de maladie coeliaque, l’est à plus de 95 % pendant son transport transépithélial chez ces malades, peut-être sous l’action d’enzymes lysosomiales. Néanmoins, il faut souligner la synthèse par les entérocytes d’une PEP dont le rôle mérite d’être vérifié en dépit de sa localisation principalement cytosolique [6, 7]. L’intérêt de la thérapie orale par une PEP exogène ne prendra tout son sens qu’en l’absence de digestion du peptide 33-mer et d’autres peptides potentiellement toxiques (peptide 31-49) lors de leur passage transépithelial, et après avoir élucidé le rôle éventuel de la PEP entérocytaire chez les patients et les sujets normaux. Ces vérifications paraissent nécessaires pour affirmer l’importance des résultats de Shan et al. dans la physiopathogénie de la maladie coeliaque et envisager leur application thérapeutique.