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Après avoir fait ses premières armes littéraires comme poète, Noël Audet s’est consacré quasi exclusivement, à partir de 1980, à l’écriture romanesque, dans laquelle l’attirait surtout, selon ses propres dires, la possibilité d’intégrer à sa création les langages les plus divers. Aujourd’hui, cette écriture constitue une des oeuvres romanesques marquantes et remarquées de la littérature québécoise contemporaine. Or, si la critique journalistique québécoise en a abondamment parlé, notamment à l’occasion de la série télévisée tirée de son roman L’ombre de l’épervier. aucune étude critique d’ensemble ne lui a encore été consacrée. On pourrait même dire que, paradoxalement, c’est à l’étranger (Italie, Roumanie, France, Brésil) que l’art romanesque d’Audet a inspiré les études critiques les plus sérieuses. Ainsi, dans la mesure où ses sept romans — d’une grande richesse formelle, narrative, discursive et langagière — méritent d’évidence une attention particulière qui tiendrait compte de l’ensemble de l’esthétique audettienne, le présent dossier vise à combler, ne serait-ce que partiellement, cette immense et incompréhensible lacune critique.

Tout en sachant qu’un seul dossier ne peut guère prétendre à l’exhaustivité des points de vue et des angles d’analyse que sous-tend le parcours d’une oeuvre romanesque, je suis heureuse que cet hommage au romancier voie le jour dans Voix et Images. dont Noël Audet fut jadis, pendant les premières années de son professorat au Département d’études littéraires de l’Université du Québec à Montréal (1969-1997), un des fidèles supporters et collaborateurs, à titre de membre du comité de rédaction de la revue de 1976 à 1980. Ayant collaboré, par la suite, au cahier « Culture et Société » du journal Le Devoir (1980-1982) et participé aux émissions culturelles « Littérature au pluriel » et « La Ronde des livres » de Radio-Canada (1982-1985), il fut nommé directeur de la collection « Littérature d’Amérique » aux Éditions Québec Amérique (1992-1994). En plus de publier deux recueils de poésie, sept romans et un essai pamphlétaire intitulé Écrire la fiction au Québec (finaliste au Grand Prix de la ville de Montréal en 1990), Noël Audet a figuré, à deux reprises, en 1982 et 1989, parmi les finalistes du Prix du Gouverneur général du Canada (catégorie romans et nouvelles) pour Ah, l’amour l’amour et L’ombre de l’épervier. Il a reçu le Prix Arthur-Buies, en 1988, pour l’ensemble de son oeuvre, le Prix Mérite culturel gaspésien, en 1989, pour L’ombre de l’épervier. et, en 1998, le Prix du public au Salon du livre de la Côte-Nord. Enfin, le journal La Presse lui a décerné le titre de Personnalité de l’année dans le monde des lettres en 1990 et en 2000, et le magazine Lettres québécoises lui a consacré un dossiers.

On trouvera dans les pages qui suivent un entretien avec Noël Audet — entretien pour lequel nous tenons à le remercier tout particulièrement, tant son écoute attentive et sa participation passionnée ne se sont jamais démenties tout au long de sa réalisation —, suivi d’un extrait de sa pièce de théâtre inédite, La barbière.

Le dossier se poursuit par quatre études critiques, dont chacune porte sur un aspect de l’ensemble de l’oeuvre ou sur un des romans d’Audet. Signée par Jacques Allard, un des plus fidèles critiques du romancier, la première étude nous guide à travers l’ensemble de ses romans, en suivant l’évolution des discours amoureux, politique et esthétique, afin de dégager la structure socio-poétique de l’oeuvre.

L’étude que nous propose Mylène Nantel s’inscrit dans le cadre du travail effectué par le groupe de recherche « Le scénario au Québec : littérature et cinéma », dirigé par Michel Larouche du Département d’études cinématographiques de l’Université de Montréal. Elle y examine l’adaptation télévisuelle de L’ombre de l’épervier : l’écart entre roman et série, deux oeuvres vues tout à la fois comme distinctes et interdépendantes, est ici scruté à travers la démarche concrète des scénaristes (Robert Favreau et Guy Fournier), ce qui n’empêche pas la critique d’évoquer également les possibilités d’une perspective cinématographique sur ce roman.

Quant à moi, j’étudie Frontières ou Tableaux d’Amérique sous l’angle de la fonction du rêve de ses personnages et celle du jeu ironique orchestré par le narrateur grâce à ces passages (« promenades ») géographiques et imaginaires en terre américaine. Je vise ainsi à montrer comment la confrontation de ces deux fonctions débouche, grâce à ses différentes variations spatiales, sur une critique corrosive du « rêve américain ».

Finalement, Solange Arsenault inscrit la combinatoire thématique et formelle qui forge la magistrale structure du septième roman d’Audet, La terre promise, Remember !. dans la tradition du roman carnavalisé. La fabuleuse odyssée aérienne, dans l’Histoire et la culture québécoises, du couple grotesque que forment le narrateur et son cochon volant et parlant, baptisé Remember, est analysée ici à travers l’interaction de nombreux registres opposés (populaire/savant, profane/sacré, comique/sérieux, etc.) ainsi que d’un riche « kaléidoscope langagier » qui structure dialogiquement l’énonciation de ce roman d’Audet et lui confère son entrain festif.

Notre dossier se termine par une bibliographie détaillée, quoique non exhaustive, de l’oeuvre (fictionnelle comme critique) de Noël Audet, bibliographie constituée par Luc Labbé.

Par leur diversité comme par leur complémentarité, tous les textes critiques rassemblés ici visent à faire découvrir aux lecteurs et lectrices de Voix et Images des aspects nouveaux et uniques de cette oeuvre romanesque, à travers laquelle les « voix et images » du Québec (celles de ses inoubliables personnages comme de son histoire, réelle et mythique, voire de ses légendes) ne cessent de résonner de toute leur force — depuis la Gaspésie natale du romancier — dans l’ensemble du continent des trois Amériques. Car l’oeuvre romanesque de Noël Audet, irriguée dès le départ par un imaginaire marin et, partant, faite d’ouverture et de métamorphoses, se caractérise aussi par un constant renouvellement de la forme, notamment celle de l’espace québécois comme partie intégrante du continent américain. En passant d’un roman « traditionnel » à une forme de plus en plus éclatée, Audet réussit à ouvrir l’ espace « isolé » de la Gaspésie et du Québec — dans le sens tout à la fois géographique et imaginaire — à une véritable polyphonie spatiale continentale qui n’a d’égale que la polyphonie des voix qui en surgissent. Or, à travers ses multiples passages frontaliers (spatiaux, temporels, discursifs, langagiers, formels et identitaires), Audet est un des premiers romanciers québécois à proposer une nouvelle représentation de l’ américanité.