Corps de l’article

Les récepteurs pour la partie constante (FcR) des immunoglobulines (Ig) assurent la connexion entre les versants humoraux et cellulaires du système immunitaire [1]. Les cinq isotypes des immunoglobulines (IgA, IgD, IgE, IgG et IgM), en activant leur récepteur respectif, déclenchent des réponses cellulaires nombreuses et variées telles que la phagocytose et l’endocytose de particules ou de substances étrangères, la cytotoxicité dépendante des anticorps vis-à-vis de cellules étrangères, la sécrétion de médiateurs de l’inflammation, etc.

Les IgE sont produites par les lymphocytes B, par exemple dans le cadre d’une réponse allergique ou anti-parasitaire [2]. L’IgE se lie aux FcεRI, abondamment exprimés à la surface des mastocytes et des polynucléaires basophiles. Les mastocytes sont ubiquitaires et particulièrement abondants dans la peau, les muqueuses, les voies aériennes, le tube digestif. Malgré une concentration sérique peu élevée (0,05 à 1 μg/ml contre 10 mg/ml pour les IgG), les IgE occupent en permanence une proportion appréciable de leurs récepteurs grâce à la haute affinité (KD = 10-9 à 10-10 M) de leur liaison [3]. L’activation cellulaire a lieu par agrégation des IgE provoquée par la fixation d’antigènes multivalents. Les cellules stimulées, mastocytes et basophiles, relarguent en quelques minutes une série de médiateurs inflammatoires (histamine, protéases, etc.) présents dans les nombreux granules cytoplasmiques qui caractérisent ces cellules : c’est la réaction d’hypersensibilité immédiate. Dans un second temps, des médiateurs néo-synthétisés tels que certains composés lipidiques (leucotriènes, prostaglandines) et des cytokines (IL-5, IL-6, TNF-α, etc.) sont libérés et entretiennent l’inflammation en attirant notamment des cellules de type inflammatoire [4]. Si le rôle physiologique de ce système effecteur dans la lutte contre les infections parasitaires, par exemple, est encore mal connu [5-7], en revanche, son rôle physiopathologique dans la réponse allergique a été abondamment étudié [3, 4]. Chez les sujets allergiques, des substances habituellement inoffensives (allergènes), pollens, protéines d’acariens ou encore protéines alimentaires, sont reconnues par le système immunitaire comme étrangères et stimulent la production d’IgE. Les allergènes sont captés par les IgE qui leur sont spécifiques, ce qui provoque l’agrégation des récepteurs. Il en résulte une activation cellulaire responsable des manifestations allergiques.

Figure 1

Représentation schématique du FcεRI et de ses unités modulaires.

Représentation schématique du FcεRI et de ses unités modulaires.

Le FcεRI est un tétramère composé d’une chaîne α, d’une chaîne β et d’un dimère de chaînes γ liées par un pont disulfure. La chaîne α contient, dans sa portion extracytoplasmique, deux domaines apparentés à la superfamille des immunoglobulines, D1 et D2, qui représentent le module de liaison pour le ligand IgE. Les chaînes β et γ constituent le module de signalisation et comportent dans leur partie cytoplasmique un motif de signalisation, ITAM. La chaîne β aurait un rôle amplificateur de l’expression et de la capacité de signalisation du FcεRI.

-> Voir la liste des figures

La connaissance de la structure et du fonctionnement du FcεRI a progressé rapidement après le clonage des sous-unités qui le composent [8]. Il a fallu néanmoins plus d’une décennie pour élucider la structure tridimensionnelle du complexe formé par l’IgE et le FcεRI [9]. Cette avancée majeure permet de comprendre l’interaction du ligand avec son récepteur et ouvre de nouvelles voies de recherche dans le traitement des manifestations allergiques.

FcεRI, un récepteur modulaire

Chez les rongeurs, FcεRI est un complexe membranaire tétramérique αβγ2 composé d’une chaîne α d’une chaîne β et d’un dimère de chaînes γ (Figure 1) [8]. La chaîne α constitue le module de liaison du ligand IgE. C’est une protéine transmembranaire formée d’une partie extracellulaire (Eα) qui contient le site de liaison de l’IgE, d’un segment transmembranaire et d’un court segment cytoplasmique. Les chaînes β et γ représentent le module de signalisation. La chaîne β est une protéine très hydrophobe qui traverse quatre fois la membrane et dont les extrémités N- et C-terminales sont toutes les deux cytoplasmiques. Les chaînes γ sont des protéines transmembranaires dotées d’une très courte portion extracellulaire et d’une région cytoplasmique relativement longue. Les parties cytoplasmiques C-terminales de la chaîne β et des chaînes γ contiennent un motif ITAM (immunoreceptor tyrosine-based activation motif) nécessaire à l’activation cellulaire [1, 3]. En effet, l’agrégation du FcεRI provoque la phosphorylation des résidus tyrosines présents dans ces motifs, ce qui permet le recrutement d’autres effecteurs et la mise en place de multiples cascades de signalisation aboutissant à la libération des médiateurs de la réaction allergique.

Chez l’homme, le récepteur peut aussi exister sous la forme d’un trimère αγ2 en l’absence de la chaîne β [10]. Ces deux formes de FcεRI humain, αγ2 et αβγ2, ont des caractéristiques fonctionnelles différentes. Elles sont exprimées par des populations cellulaires distinctes, la forme tétramérique par les cellules effectrices de l’hypersensibilité immédiate (mastocytes et basophiles), et la forme trimérique par les cellules présentatrices d’antigène (monocytes/macrophages, cellules dendritiques) ainsi que par les éosinophiles et les plaquettes [3]. Le niveau d’expression du récepteur αγ2à la surface cellulaire est moins important que celui du tétramère, en raison d’un transport intracellulaire du récepteur - du réticulum endoplasmique à la surface de la cellule - moins efficace [11]. De plus, la capacité du trimère de transmettre le signal d’activation est moindre que celle du tétramère [10, 12]. Ces observations permettent d’attribuer à la chaîne β (absente du trimère αγ2) un rôle amplificateur de l’expression et de la capacité de signalisation du FcεRI.

Caractéristiques de l’interaction de l’IgE avec la chaîne α du FcεRI

L’IgE est composée de deux chaînes légères identiques, comportant un domaine constant et un domaine variable, et de deux chaînes lourdes identiques comportant 4 domaines constants de type Ce et un domaine variable (Figure 2). La partie N-terminale, variable, des chaînes légères et lourdes forme le site de liaison à l’antigène. Les parties C-terminales constantes des chaînes lourdes forment la région Fc et contiennent le site de liaison au FcεRI. Des études de mutagenèse ont montré qu’il se situe dans le domaine Cε3 et à la jonction Cε2-Cε3 [13-15].

Sur le récepteur FcεRI, le site de liaison de l’IgE a été trouvé dans la partie extracellulaire de la chaîne α, ECα [16, 17]. ECα est composée de deux domaines apparentés aux Ig comportant chacun un pont disulfure intra-chaîne. ECα est fortement glycosylée et les chaînes d’hydrates de carbone jouent un rôle lors de la maturation et du transport intracellulaire vers la surface de la chaîne α, mais n’affectent ni la stabilité de la molécule ni sa capacité de se lier à l’IgE [17, 18]. Avant que la structure tridimensionnelle d’ECα ne soit connue, des études de mutagenèse avaient permis d’identifier certains résidus impliqués dans la liaison à l’IgE [19]. Ces informations ont été confirmées et complétées par la résolution de la structure tridimensionnelle d’ECα d’abord seule [20], puis liée à l’IgE [9].

Figure 2

Représentation schématique des immunoglobulines E et G.

Représentation schématique des immunoglobulines E et G.

Les deux immunoglobulines sont des tétramères composés de deux chaînes lourdes (H) et de deux chaînes légères (L). Les parties Fab qui contiennent les domaines variables (notés V) des chaînes légères (VL) et lourdes (VH) sont impliquées dans la reconnaissance de l’antigène. Elles comportent également le domaine constant (noté C) de la chaîne légère (CL) et le premier domaine constant de la chaîne lourde (Cε1 ou Cγ1). La partie Fc, siège de la fonction effectrice de l’anticorps, est uniquement formée des domaines constants des chaînes lourdes. Les IgE contiennent un domaine constant (Cε2) de plus que les IgG. Les domaines Cε3-Cε4 sont les homologues des domaines Cγ2-Cγ3.

-> Voir la liste des figures

Des études de structure tridimensionnelle instructives

La détermination de la structure d’ECα lorsqu’elle n’est pas liée à son ligand a confirmé qu’elle est constituée essentiellement de deux domaines de type immunoglobuline, D1 et D2, présents dans de nombreuses autres protéines (Figure 3A). Les domaines D1 et D2 forment un angle aigu très prononcé, en V inversé, et la surface convexe en partie constituée de D2 pourrait représenter le site d’interaction avec l’IgE (Figure 3A). La conséquence de cet arrangement en V inversé est l’existence d’une large crevasse tournée vers la membrane plasmique. Les résidus qui en émergent ont la possibilité d’interagir avec d’autres résidus, exposés à la surface cellulaire et appartenant, par exemple, aux deux boucles extracellulaires de la chaîne β ou à d’autres molécules et pourraient potentiellement influencer les signaux membranaires.

L’évaluation de la structure du complexe FcεRI-IgE [9] a confirmé que l’IgE se lie bien sur la structure prédite mais que cette liaison implique deux sites distincts sur ECα (Figure 3B). Le premier site, situé dans D2, comporte, entre autres, un résidu tyrosine qui interagit avec une poche située dans l’un des deux domaines Cε3 et l’une des jonctions Cε2-Cε3 de l’IgE (Figure 3C). Le deuxième site chevauche en partie le premier et se trouve dans D2 et la jonction D1-D2. Il forme une poche pour un résidu proline situé dans l’autre domaine Cε3 de l’IgE. Ce résidu proline interagit en particulier avec deux résidus tryptophanes d’ECα (Figure 3C). Des études antérieures avaient montré que l’interaction IgE-ECα était monovalente en dépit du fait que l’IgE est un dimère et comporte potentiellement deux sites de liaison identiques pour ECα, un dans chaque chaîne lourde [21]. La structure du complexe entre le fragment Fc de l’IgE et d’ECα a maintenant fourni l’explication de cette monovalence. Elle est due au fait que les deux chaînes lourdes des IgE sont impliquées dans la liaison au FcεRI, chacune se liant sur un site distinct, ce qui rend impossible l’interaction avec une deuxième molécule FcεRI (Figures 3B, 3C).

D’autres caractéristiques de l’interaction IgE-FcεRI ont été également expliquées par l’étude structurale. (1) La forte affinité de la liaison IgE-FcεRI est due à la faible vitesse de dissociation, elle-même expliquée par la présence du double site de liaison. En effet, lorsque l’un des sites d’ECα se dissocie de l’IgE, statistiquement l’autre peut rester en place et permettre au premier de se réassocier, et la dissociation du complexe n’est observée que lorsque les deux sites se détachent simultanément, événement beaucoup moins probable. La présence de nombreux résidus hydrophobes, en particulier de quatre résidus tryptophanes dans les sites d’ECα, et la surface importante de ces sites pourraient aussi contribuer à la forte affinité de l’interaction [9]. (2) L’étude des cristaux du complexe ECα-IgE a montré que les nombreuses chaînes d’hydrates de carbone présentes dans ECα sont toutes situées à distance du site de liaison de l’IgE, ce qui explique pourquoi ces structures ne jouent aucun rôle dans l’interaction [9]. (3) Si les études cristallographiques ont confirmé l’absence de changement de conformation d’ECα lors de la liaison à l’IgE, elles ont démontré au contraire un important changement de configuration de l’IgE (Figure 4) [22, 23].

Figure 3

Caractéristiques de la structure tridimensionnelle du FcεRIα et du complexe Cε3-Cε4/FcεRIα.

Caractéristiques de la structure tridimensionnelle du FcεRIα et du complexe Cε3-Cε4/FcεRIα.

A. Structure tridimensionnelle modélisée du FcεRIα montrant l’angle aigu en V inversé formé par les deux domaines apparentés à la superfamille des Ig (D1 et D2). Les résidus identifiés, par des études de mutagenèse, comme étant impliqués dans la liaison à l’IgE sont représentés en jaune et en bleu. Les sites d’attachement des hydrates de carbone apparaissent en gris. Ils se trouvent tous en dehors de la région formant le site de liaison potentiel. B. Structure tridimensionnelle du complexe montrant que le Cε3-Cε4 se lie sur deux sites distincts (site 1 et site 2) du FcεRIα. L’IgE est représentée en jaune et en rouge, le récepteur en bleu. C. Représentation de la surface des deux domaines Cε3 et du FcεRIα. Les résidus qui deviennent inaccessibles après formation du complexe sont représentés en jaune (site 1) ou en rouge (site 2) dans Cε3. Dans le FcεRIα, la tyrosine Y131 (site 1) et la poche pour la proline P426 (site 2) sont représentées en bleu. Les résidus d’hydrates de carbone sont en gris. (Reproduit de Nature [9], avec la permission de MacMillan Publishers Ltd et de Cell [20] avec la permission d’Elsevier Science).

-> Voir la liste des figures

Bases moléculaires de la spécificité : comparaison des récepteurs des IgE et des IgG

FcεRI (récepteur des IgE), comme les récepteurs des IgG, appartiennent à la famille des récepteurs de l’antigène. Ils arborent de nombreuses similitudes structurales et fonctionnelles. La constitution des récepteurs de faible affinité des IgG, FcγRII (libre) [24, 25] et FcγRIII (complexé à l’IgG), telle qu’elle a été définie après cristallographie [26, 27], permet la comparaison avec FcεRI. La structure globale des FcγR est semblable à celle de FcεRI. Les deux domaines de type immunoglobuline forment un V inversé. Néanmoins, l’angle entre D1 et D2 est moins aigu dans le cas des FcγR. Le site de liaison des FcγR avec les IgG a une topologie semblable impliquant également deux sites distincts. L’interaction se fait avec les domaines Cγ2 et Cγ3 homologues respectivement de Cε3 et de Cε4. Le premier site des FcγR dans le domaine D2 d’ECα ne comporte pas la tyrosine cruciale de FcεRI et interagit avec une région des IgG qui n’est pas conservée dans les IgE. Le deuxième site des FcγR dans D2 et la jonction D1-D2 est moins hydrophobe et contient de nombreuses modifications d’acides aminés. Les chaînes d’hydrates de carbone de FcγRIII sont impliquées dans l’interaction, alors qu’elles ne le sont pas dans le cas du FcεRI. Enfin, FcγRIII subit un réarrangement notable lors de sa liaison avec l’IgG, ce qui ne se produit pas pour FcεRI. Il existe aussi des différences dans la structure des ligands. Les domaines Cε3 et Cε4 de l’IgE forment un angle plus aigu que les domaines correspondants Cγ2 et Cγ3 des IgG [23]. De plus, la liaison au FcεRI entraîne un changement de conformation de l’IgE, ce qui n’est pas le cas des IgG liées à leurs récepteurs [23].

Ces différences suggèrent qu’il devrait être possible de concevoir des inhibiteurs spécifiques de l’interaction IgE-FcεRI n’interférant pas avec la liaison des IgG avec leurs récepteurs.

Stratégies récentes de thérapie pour les maladies allergiques

Les maladies allergiques en général, et l’asthme en particulier, sont un enjeu majeur de santé publique car elles affectent jusqu’à 20 % de la population dans les pays industrialisés et leur fréquence s’accroît régulièrement [28]. Les approches thérapeutiques traditionnelles tentent de supprimer les symptômes (anti-histaminiques, bronchodilatateurs) ou bien affectent le système immunitaire de manière non spécifique (corticostéroïdes). Les avancées concernant la structure du FcεRI complexé à son ligand l’IgE permettent d’envisager le développement d’inhibiteurs spécifiques de cette liaison. Une approche de ce type a déjà montré son efficacité dans des études cliniques. Elle fait intervenir un anticorps, nommé rhuMab-E25 (recombinant human monoclonal antibody-E25) ou Omalizumab, dirigé contre l’IgE, anticorps qui empêche la liaison de l’IgE avec son récepteur. Ses caractéristiques sont les suivantes [29, 30] : (1) il se lie aux IgE spécifiquement avec une forte affinité ; (2) il reconnaît l’IgE libre et non la forme liée à FcεRI et ne peut donc pas activer les cellules dont les récepteurs FcεRI sont occupés ; (3) il inhibe la liaison de l’IgE au FcεRI ; (4) il forme avec les IgE circulantes des complexes immuns qui sont éliminés, diminuant ainsi la concentration sérique des IgE ; (5) enfin, rhuMab-E25 pourrait aussi directement intervenir dans la production d’IgE [29]. D’autres propriétés sont fondamentales pour une utilisation thérapeutique de cet anticorps : il s’agit d’un anticorps monoclonal de souris qui peut être produit abondamment in vitro ; il a été « humanisé », c’est-à-dire que la majorité des séquences murines a été remplacée par leur équivalent humain [14].

Figure 4

Comparaison des conformations du fragment Fc de l’IgE libre et lié au FcεRIα.

Comparaison des conformations du fragment Fc de l’IgE libre et lié au FcεRIα.

La conformation de l’IgE libre (dite fermée) diffère de celle de l’IgE liée à FcεRI (dite ouverte). (Reproduit d’Immunity [23] avec la permission d’Elsevier Science).

-> Voir la liste des figures

L’efficacité de cet anticorps a été testée au cours d’études cliniques chez des patients asthmatiques dont l’atteinte était modérée ou sévère, et chez des patients atteints de rhinite allergique. Chez les patients ayant un asthme modéré, le traitement a réduit certaines des réponses précoces et tardives observées lors d’un test de provocation par les allergènes [31, 32]. Chez des patients dont l’asthme modéré ou sévère nécessitait le recours à la corticothérapie, trois études chez des adultes [33-35] et une étude chez des enfants [34] ont été pratiquées. Le traitement améliorait les symptômes, entraînait une réduction de la fréquence des crises et permettait de diminuer les doses de corticoïdes, autorisant parfois l’arrêt complet de la corticothérapie. La réduction de la corticothérapie est un avantage majeur compte tenu des effets secondaires de l’emploi des stéroïdes au long cours, en particulier chez les enfants. En ce qui concerne les paramètres respiratoires, les résultats variaient d’une étude à l’autre, allant de l’absence d’amélioration des performances [33] à la récupération partielle de l’amplitude du souffle ou volume expiratoire forcé en 1 seconde [33-35].

Deux études ont été pratiquées chez des patients atteints de rhinite allergique. Dans l’une, le traitement n’a pas eu d’effet bénéfique, ce qui pourrait être dû à la persistance d’IgE dans le sérum [36]. Dans l’autre, au cours de laquelle une réduction de la concentration sérique d’IgE a été obtenue, une diminution significative des symptômes et de l’usage des antihistaminiques a été observée [37]. Un essai d’administration par aérosol s’est soldé par un échec caractérisé par une concentration sérique d’IgE inchangée [38]. Il convient de noter que la rhinite allergique, affection relativement bénigne, n’est probablement pas l’indication de choix pour ce traitement relativement coûteux.

Ces essais cliniques ont fourni des informations importantes sur la pathogénie des maladies allergiques et sur la régulation de l’expression de FcεRI. Chez les sujets allergiques, outre des IgE, des IgG spécifiques de l’allergène sont détectées à des concentrations beaucoup plus élevées que celle des IgE. Ces IgG sont capables, in vitro, d’activer les mastocytes par l’intermédiaire des FcγR. Cette observation avait conduit certains auteurs à contester le rôle prédominant des IgE dans les maladies allergiques [3]. Mais l’efficacité des essais thérapeutiques utilisant l’anticorps anti-IgE, rhuMab-E25, confirme la place des IgE dans les maladies allergiques, l’asthme en particulier. En ce qui concerne la régulation de l’expression du FcεRI, la capacité des IgE monomériques d’accroître l’expression de FcεRI à la surface cellulaire a été abondamment démontrée in vitro et dans des modèles animaux [3]. Cet effet est dû à la stabilisation du récepteur exprimé à la membrane [39]. Il a été démontré chez l’homme au cours de l’utilisation de rhuMab-E25. En effet, une injection unique de rhuMab-E25 induit une chute parallèle de la concentration d’IgE circulantes et du niveau d’expression du FcεRI sur les basophiles, suivie d’une remontée marquant la fin de l’effet de l’anti-IgE [40]. La réduction d’expression du FcεRI sur les basophiles des patients s’accompagne d’une diminution de la capacité des basophiles de sécréter de l’histamine après l’activation par un anti-IgE ou par l’allergène correspondant. Cette observation démontre l’existence de deux mécanismes d’action de rhuMab-E25. L’un, direct, est la diminution de la concentration des IgE circulantes et constitue la raison d’être du traitement. L’autre, indirect et qui n’avait peut-être pas été envisagé lors de la conception du médicament, est la diminution de l’expression cellulaire du FcεRI qui entraîne une réduction de l’inflammation.

Vers la conception rationnelle de médicaments anti-allergiques ?

L’efficacité d’au moins un inhibiteur de la fixation d’IgE étant démontrée, les laboratoires pharmaceutiques s’orientent actuellement vers la création d’inhibiteurs chimiques. L’inconvénient de l’utilisation de l’anticorps rhuMab-E25 tient au fait qu’il doit être administré par voie intraveineuse pour être actif. Des inhibiteurs chimiques qui pourraient être absorbés par voie orale seraient d’utilisation plus facile. Les caractéristiques de la liaison IgE-FcεRI étant connues, différents types d’inhibiteurs peuvent être envisagés (Figure 5). Un premier groupe comprendrait des inhibiteurs compétitifs des sites de liaison, dirigés contre le versant IgE et/ou contre le versant récepteur. La méthode utilisée pour obtenir la cristallisation du complexe IgE-FcεRI a fourni un prototype de tels inhibiteurs. En effet, le détergent CHAPS employé lors de la cristallisation se logeant dans un des sites (site 2) de liaison, la structure du CHAPS pourrait servir de base à la conception d’un inhibiteur de l’interaction [9]. L’utilisation conjointe de deux inhibiteurs, orientés chacun contre l’un des deux sites, pourrait inhiber fortement la liaison. Un deuxième groupe d’agents bloquants serait constitué d’inhibiteurs conformationnels ou allostériques de l’IgE, capables de maintenir celle-ci dans la configuration fermée caractéristique de sa forme libre, la rendant ainsi inapte à se lier au FcεRI [23].

Figure 5

Stratégies visant à prévenir la liaison de l’IgE à son récepteur.

Stratégies visant à prévenir la liaison de l’IgE à son récepteur.

Plusieurs approches sont envisageables. Les inhibiteurs de type compétitif bloqueraient de manière indépendante les deux sites d’interaction entre l’IgE et son récepteur FcεRI. Les inhibiteurs de type conformationnel et allostérique empêcheraient le changement de conformation de l’IgE, nécessaire à sa fixation à FcεRI. (Adapté d’Immunity [23] avec la permission d’Elsevier Science).

-> Voir la liste des figures

Conclusions

Les remèdes actuellement disponibles dans le domaine de l’allergie sont pour la plupart symptomatiques, ne couvrent pas tous les besoins thérapeutiques et demandent à être secondés par de nouvelles molécules plus ajustées. L’interaction IgE-FcεRI constitue une cible privilégiée. L’anticorps anti-IgE rhuMab-E25, récemment évalué sur le plan clinique, est un exemple de ces nouveaux outils thérapeutiques. Une deuxième génération d’agents résultera de l’éclairage récent porté sur la structure tridimensionnelle de l’IgE, de FcεRI et du complexe qu’ils constituent.