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Lost m’intimait de lui appartenir tout entière, depuis le bout des orteils jusqu’à la pointe extrême des cheveux, me bousculait de mots péremptoires, me pressait de porter, en signe de soumission, une chaînette à la cheville — comme si j’étais de celles qu’on peut traiter en esclave ! — me comblait de cette fabuleuse tyrannie mâle qui fait la gorge sèche et les genoux tremblants. [...] Je refusais. Faiblement. Écrivais : Je ne suis pas une femme soumise, je ne suis pas une femme fidèle... mais remuée par ses fougueuses exigences. Qu’une telle méprise de ma vie pût s’organiser avec mon consentement, me fallait-il passer par ce malentendu pour retrouver l’instance de l’amour ? Précieux malentendu, tout dépendait du bon usage de l’ignorance entre nous.

Suzanne Allen, 1971 : 65[1]

Introduction

Les curés, recevant les confessions, étaient autrefois parmi les rares dépositaires des secrets de lit. Aujourd’hui, à la télévision, dans les journaux, le duo infernal de l’expert et du témoin discute sans cesse des raisons du sexe, donnant le sentiment ambigu que la sexualité est anodine, omniprésente, mais constitue aussi un sujet des plus excitants, jamais épuisé. En deux cents ans, les autorisations dans le parlé du sexe ont évidemment augmenté. Reste à savoir si nos connaissances sur les réalités et les ambiguïtés de la sexualité se sont accrues, et si les ressorts se sont modifiés : les paroles et les actes ont toujours un sens, mais il peut varier.

Depuis deux décennies, avec pour alibi la santé publique et le sida, ou dans la foulée des études féministes puis des Gender Studies, la sexualité s’est fait une place au sein des sciences sociales. Sujet de recherche d’abord décrié, elle est devenue ces dernières années un des thèmes les plus courus en sociologie ou en ethnologie. Parallèlement, les nouvelles formes de judiciarisation de la sexualité — au travers du Pacte Civil de Solidarité[2] ou du mariage gai, de la parité, des discussions sur l’homoparentalité ou le transsexualisme, des crimes en pédophilie — occupent de plus en plus la sphère publique. C’est entre urgence et militance que s’est constitué le « champ » de la sexualité. L’ambivalence de ce contexte, la polémique, le pic actuel des publications questionnent le sociologue ou l’ethnologue sur le recueil des données et l’invitent à entamer une première ébauche d’épistémologie.

Pour ce faire, seront mises en regard traces écrites, bandes magnétiques et observations ethnographiques. Les lettres privées d’une prostituée à un ancien client et celles d’une jeune journaliste féministe à son amant serviront de trame narrative à l’article[3]. D’abord abordées pour leur contenu spécifique, elles permettront ensuite de présenter les apports de différentes méthodes et, bien que le projet soit moins ambitieux, de cartographier les manifestations variables du sexe et de ses discours. Car des bribes d’intimité exposées par deux correspondancières pourtant fort dissemblables, ressortent une même pluralité et une même dissymétrie du sujet « sexualité », avec en miroir le morcellement voire l’appauvrissement dont il fait l’objet dans les travaux les plus contemporains. À partir d’exemples plus performatifs que démonstratifs[4], il s’agit de questionner ce que font les sciences sociales à la sexualité et de la sexualité. À cet effet, mettre côte à côte une prostituée et une intellectuelle rodée à la « cause » des femmes, sans avoir prétention heuristique, a paru une approche paradoxale mais significative. En raison du grand écart entre les profils des correspondancières et entre les contenus de leurs missives, la variabilité constante chez chacune du donné-à-voir-intime n’en apparaît que mieux. Au delà du parcours singulier des principales protagonistes, les batailles et les désaccords féministes autour de la prostitution justifient le choix de telles illustrations[5].

Convaincre ou se confier

Vous savez, Monsieur Valjean, enfin Jean, je suis respectée, tout le monde connaît mon parcours de droiture, de fidélité, d’attente, d’aider, de bien me tenir au niveau mentalité. Donc ça aura quand même... Disons que ça me fait vraiment plaisir et ça me touche que vous et des gens comme cela ne me tournent pas le dos. [...] Vous savez, je suis fière d’avoir un ami comme vous aussi cultivé. [...] Voilà, Jean, autant en calcul je suis zéro, mais en orthographe, si tôt que je prends un stylo, la page ne reste pas vide 1 mn (lettre n° 1 de Fantine à Jean, Pâques 2005).

Fantine signe ses lettres de son prénom d’état civil plutôt que de son « nom de guerre », réservé aux clients des trottoirs, à certains travailleurs sociaux qui tournent la nuit sur les territoires de prostitution et, en général, à toute personne tenue à distance. Elle hésite par contre à appeler son interlocuteur par son nom de famille ou par son « petit nom »[6]. C’est pour les échos avec certaines lettres qui circulaient à l’état de brouillon, à l’automne 2002, lors de la grande peur des prostituées face à ce qui n’était encore que le « projet Sarko »[7], que cet extrait a été mis en exergue. À titre individuel, des « traditionnelles » s’adressaient à Jacques Chirac, président de la République[8], à tel ministre ou à tel député qu’elles espéraient sensible à leurs requêtes, ou à tel autre apparemment hostile mais qu’elles voulaient convaincre de leur bon droit. Comme Fantine, elles racontaient leur « parcours de droiture », souvent en écornant au passage la réputation d’autres collègues. Elles réclamaient en conséquence de bénéficier d’un régime d’exception par rapport à la loi en préparation ; en d’autres termes, de pouvoir continuer à racoler sans être ces délinquantes définies par le corps législatif. Mais à la différence de Fantine, pour qui l’honnêteté réfère à ses conduites familiales, conjugales ou amicales, elles se faisaient par les vertus de la prostitution les entrepreneurs d’un projet de société global, se considérant en l’occurrence comme les hérauts du maintien de la paix sociale. Leur « parcours de droiture » avait clairement à voir avec le respect de ce qu’elles estimaient être le travail bien fait, dans les règles d’un art ancestral, c’est-à-dire français[9] : discrétion, propreté, santé, mais surtout colmatage des manques conjugaux ou conjuration de la misère sexuelle, jugulation d’une agressivité masculine décrite pour l’occasion comme ontologique...

Le point commun entre ces lettres de prostituées et celles de Fantine tient à la nécessité de convaincre d’une irréprochabilité. Ce besoin de rassurance, réponse au stigmate, ne se place toutefois pas au même niveau dans les deux cas. Si, dans le cadre particulier d’une lutte politique, c’est sur le terrain même de la prostitution que les traditionnelles tendent à montrer leur utilité sociale, Fantine cherche pour sa part à protéger l’entourage immédiat : elle est respectable parce qu’en dépit d’une absence de réciprocité amoureuse, elle a subvenu aux besoins de son ancien époux lorsqu’il était en prison, elle lui a écrit sans cesse, elle a toujours été généreuse envers ses proches, sa fille toxicomane, son compagnon actuel, ses amis... En somme, dans le cas des lettres adressées aux élus, c’est la prostitution même qui est une vertu. Alors que pour Fantine, c’est l’argent qui lui permet de se sentir vertueuse à l’égard de son entourage personnel, c’est-à-dire essentiellement fidèle coûte que coûte, et généreuse.

Vous savez, c’est pas la joie, j’ai Édouard [son ancien mari] à la maison la journée. Il dort encore à la Santé [la prison] pendant une semaine. Mais je dois bien l’accueillir puisqu’il n’a nulle part la journée. Je peux pas le laisser dans le vide. Je le mets dans la chambre et j’ai le salon. Il faut toujours que j’aide. En plus, il me refait des crises avec mon argent (lettre n° 1 de Fantine à Jean).

Vous savez je suis pas veinarde, il y en un qui part et je me ramasse la môme [sa fille] avec moi, pour jouer le maître avec moi. [...] Ça fait 9 ans que ça dure, la drogue l’a rendue folle et elle a un rapport avec l’argent très malsain. J’ai jamais vue une égoïste pareille me dépouiller encore une fois. Je suis encore trop gentille, ça fait partie de mes gênes, je peux pas la laisser (lettre n° 2 de Fantine à Jean).

J’avais encore recueilli Édouard avec sa copine, et vous savez quoi ? Et bien figurez-vous Jean qu’après leur départ j’ai retrouvé mes poufs plein de quaqua (de la merde) excusez-moi l’expression, parce qu’il avait mis les poufs du canapé par terre pour dormir. Et faut encore que j’aide quand même. Vous avez raison monsieur Jean, je sais bien que vous vous êtes intelligent et généreux comme moi mais faut que j’arrête mais je suis comme ça, faut toujours que je vienne au secours. On peut pas me reprocher d’être pas là pour les autres. Et que je donne ci par là et tout ça et la Fantine elle est toujours là (lettre n° 3 de Fantine à Jean).

Les préoccupations de Fantine concernent sa vie privée plutôt que sa vie sur les trottoirs ou les bienfaits qu’elle apporte aux clients, lesquels sont absents de sa correspondance. Contrairement à ce que pourrait croire l’ethnologue fiché au terrain-trottoir, la prostitution, magnifiée ou à l’inverse décriée, n’est pas tout pour les prostituées. Pour la majorité cependant, la nécessité d’une réaffirmation personnelle face au mépris social est présente.

Entre les écrits de Fantine et ceux de ses consoeurs, une autre similitude apparaît, qui figure une distinction forte entre le monde de la prostitution (prostituées et proches compris) et la « société civile ». Ni Jean ni les députés ou autres ministres n’appartiennent à l’entre-soi de la prostitution. Les lettres que leur adressent des prostituées ont en commun d’alterner entre une révérence à la fois excessive et maladroite (commune sans doute à toutes les personnes qui écrivent peu) et une familiarité ou une volonté de proximité. Ce paradoxe, qui d’aucune manière n’applique les conventions épistolaires, témoigne d’une distance à double facette. Dans la première, un respect serait dû à l’homme de pouvoir, à l’homme de culture ou, plus généralement, à « l’honnête homme », qu’on ne peut suspecter de s’adonner à de quelconques activités interlopes : elle et lui ne sont pas du même monde, c’est un honneur d’être autorisé à lui écrire, la révérence est un argument en soi, qu’elles croient dû à celui qui ne connaît pas leurs codes, à celui qu’elles veulent maintenir dans l’innocence. Dans la seconde, les prostituées jouent de la connivence qu’elles pensent pouvoir établir avec tous les hommes, y compris les puissants de ce monde, au motif général que, connaissant les clients, elles saisiraient tout de la gent masculine, et au motif particulier que les hommes célèbres qui les paient parfois partageraient avec elles un peu de leur notabilité. Elles seraient alors des femmes d’exception, les seules femmes qui comprennent les hommes, et les seules qu’ils identifieraient comme leurs égales. Une des rares fois où Fantine évoque la prostitution dans ses lettres, elle considère Jean particulièrement apte à imaginer son talent :

Quand j’aurais récupéré ma camionnette, il faudrait que je retourne là-bas [à Vincennes, un des deux bois qui jouxtent Paris] mais je connais plus personne là-bas, je n’ai plus aucun contact et vous savez bien vous qu’avec mon physique et mon savoir faire je vais faire des jalouses et ça va encore être les bagarres, j’y peux rien, je suis comme ça, vous savez que je les rends jalouses, parce que j’attire bien les hommes et je sais y faire, je les connais bien (lettre n° 2 de Fantine à Jean).

Les prostituées tentent d’entraîner les hommes dans leurs filets, en même temps qu’elles espèrent souvent à tort bénéficier de leur protection. Parmi les lettres que j’ai vu circuler sur les trottoirs à l’automne 2002, aucune n’avait pour destinataires des élues, comme si ces dernières, de par leur sexe, étaient forcément hermétiques aux raisons du trottoir et, à l’instar de toutes les femmes, fondamentalement rivales. Certaines se sont pourtant exprimées sur le sujet, en premier lieu Anne Hidalgo, première adjointe au maire de Paris. Elle a essentiellement décrit la prostitution comme une violence. Mais une opposition déclarée à la prostitution ne les empêche pas de vouloir convaincre des interlocuteurs hommes (et supposés hétérosexuels — de fait, elles ne se sont pas adressées à Bertrand Delanoë, maire homosexuel de la capitale). En outre, parmi les intellectuels qui se sont prononcés contre la loi pour la sécurité intérieure, on trouve un certain nombre de femmes : Catherine Millet, Marcela Iacub, Virginie Despentes, Catherine Breillat... Toutefois, les prostituées rencontrées ne semblent pas les avoir vues comme des alliées pertinentes.

Cloisonner ou partager

Comparées aux lettres de ses collègues lors des mobilisations, celles de Fantine mettent en lumière tout un pan de la vie d’une prostituée, inconnu des chercheurs qui travaillent sur le sujet : un quotidien où les hommes cités sont perçus comme des proches avant d’être perçus comme des proxénètes. L’évitement du sujet de la prostitution par Fantine informe aussi l’enquêteur de sa volonté affirmée de bien distinguer sa vie sur les trottoirs de sa vie privée. Comme en témoignent pourtant le besoin de démontrer une certaine « droiture » et l’appel à la connivence masculine, des manières d’être dans le monde de la prostitution, incorporées au fil du temps, créent des zones de perméabilité. Ses litanies de comptes à n’en plus finir sont révélatrices d’un rapport à l’argent singulier dans la prostitution : un argent liquide souvent, que les lois sur le proxénétisme tendent à symboliser comme « sale », mais aussi des « billets fétiches » qui évitent les contentions bancaires, qui rentrent et sortent sans régularité, qui coulent et s’écoulent comme les humeurs corporelles, parfois par delà leur utilité économique[10].

Effectivement, mon téléphone a été coupé. J’ai un nouveau numéro, j’ai acheté une recharge, c’est le [...]. Édouard, là, il est calmé mais je rame pour récupérer mes sous. Il travaille beaucoup, mais 10 000 euros quand même c’est beaucoup à rembourser. Par contre, comme c’est un monstre, il veut me reprendre la chambre à coucher alors qu’il m’en avait fait cadeau, ainsi que la banquette d’angle. Si il avait eu la correction de me mettre en garde que ça allait pas avec sa copine et qu’il récupérait le reste de ses meubles, j’aurais prévu déjà et je lui aurais pas donné les 5000 euros de l’héritage de mes parents. [...] Au lieu de m’aider à récupérer mes meubles dans le garde meuble que j’ai payé pendant sept ans et qui a changé d’adresse et de numéro, il a préféré donner 7000 euros à Sophie [leur fille] pour s’acheter un scooter et je ne sais pas quoi. [...] Quand j’ai touché le liquide de l’héritage de mes parents, j’aurais dû tout garder pour moi, les 10 000 euros en tout, et aussi ça aurait aidé pour les dents de Denis [actuel partenaire de Fantine]. Et j’attends que Sophie me rende mes 3000 [monnaie non précisée] et aussi tout ce que j’ai payé pour les cadeaux des fêtes de l’année dernière. Ça fait rien, c’est fait, mais je vous jure, Monsieur Valjean, à partir de maintenant, je ne partage plus. [...] Je vous envoie la photocopie de la lettre que j’ai reçu ce matin de la sécurité sociale pour Sophie parce que pour les remboursements, elle a inventé qu’elle était dépressive pour toucher la cotorep [aide sociale française pour les malades chroniques]... (lettre n° 1 de Fantine à Jean).

Vous savez, Jean, j’en ai marre de ses conneries aussi, à 33 ans [Sophie, fille de Fantine], il y a les huissiers qui sont venus deux fois parce que mademoiselle ne paie pas les transports en commun. 408 euros quand même, et les 5000 euros de PV qu’elle m’a collé avec ma voiture. Vous croyez que j’ai besoin de tout cela ? Aussi, à son âge, elle va se débrouiller à force. J’aurais eu mes sous, j’aurais pu payer mon EDF [électricité], m’acheter ma veste etc... Et les remboursements de Édouard changent tout le temps, ce mois-ci, je croyais toucher 2500 euros et je vais toucher 500. [...] Et Sophie qui me fait la morale ! Mais ils sont où ses sous à elle ? Parce qu’elle a eu 50 000 francs quand même. Qu’elle prenne son appartement et elle va voir un peu les responsabilités de loyer, d’EDF. Et quand même, elle touche 650 euros entre le RMI [le Revenu minimum d’insertion est accordé en France aux adultes de plus de 25 ans sans revenus déclarés] et l’APL [Aide pour le logement versée selon des critères de ressources]. Elle peut partager le loyer avec moi quand même ? Et je pourrais m’en sortir si elle partageait (lettre n° 2 de Fantine à Jean).

Sophie, ça s’est bien passé Pâques, elle était avec moi. Et ce matin, j’en revenais pas, elle est allée au droit social du 12e et ils payent 240 euros [sur la note d’électricité]. J’ai juste à rajouter la différence. Là elle est repartie pour ramener mes papiers pour que j’ai le RMI, quittance de loyer et tout ça et pour qu’ils envoient les 240 euros avant qu’on soit coupés. Donc voilà, Jean, je vous renvoie votre chèque avec encore mes remerciements pour ce geste. Ma Pâques, vous me l’avez déjà donné 1000 fois, c’est votre générosité et votre gentillesse. [...] Donc avec 950 euros par mois, je peux vivre quand même. Ce sont les cigarettes qui coûtent cher mais arrêter de fumer je l’envisage même pas, il me reste que cela comme plaisir. [...] Vous me dites que j’ai fait une connerie pour ma veste [Fantine semble s’être acheté une veste à grand frais entre les deux lettres et on suppose une conversation téléphonique], mais c’est que je croyais qu’Édouard allait me rendre 2500 euros mais il l’a pas fait. Je sais que ça vous a mis en colère (lettre n° 3 de Fantine à Jean).

À la lumière de ces parties où Fantine évoque dettes, transferts et remboursements (bien plus longues que n’en témoignent les extraits cités), ni elle ni ses proches que la loi française qualifierait de proxénètes[11] ne semblent rouler sur l’or. Son obsession comptable fait écho au sens particulier qu’a l’argent liquide pour les prostituées observées dans le cadre de leur activité. À cette différence, de taille, que les énumérations de Fantine rappellent Les misérables, lorsque ses consoeurs, observées et écoutées sur le bitume, invoquent la pénétration des billets de la main des clients à la leur comme un des rares moments de plaisir dans la prostitution. Précisément, les deux types de personnages offrent des images en miroir, mais enroulées autour de préoccupations communes : Fantine semble vouloir oublier sa pratique du trottoir dans ses lettres, alors que ses collègues rencontrées in situ sont attentives à ne presque rien laisser filtrer de leur vie hors activité. En témoignent de nombreux gestes, comme le changement des tenues vestimentaires entre le trottoir et l’appartement personnel, le port fréquent de perruques, le changement de prénom, etc. Dans les deux cas, la volonté de séparation est manifeste. Le privé et les services sexuels font chambre à part, en dépit de débordements involontaires, notamment lorsqu’une longue habitude de la rue fait oublier les attentes habituelles de la « société civile ».

À l’inverse, Jeanne, journaliste spécialisée d’une trentaine d’années, suggère clairement et consciemment dans sa correspondance avec son amant Jacques, universitaire quinquagénaire et célibataire endurci, toutes les dimensions de sa vie sociale, amicale, professionnelle, politique, intime...

Je ne regrette pas de t’avoir préféré à une réunion politique à Amnistie. En plus, là bas, je ne suis qu’un élément parmi d’autres. Alors que toi, sans moi, ça change tout. J’ai donc fait avec le plus grand plaisir de l’assistance à personne seule plutôt que de l’assistance à populations nombreuses. Dit comme ça, c’est tout de suite plus valorisant (lettre de Jeanne à Jacques, juin 2004).

Nous allons devoir renoncer à notre petit tête à queue de fin de semaine : je viens d’accepter d’intervenir au pied levé dans un congrès à Genève. Plus exactement, j’avais oublié avoir donné mon accord et les organisateurs viennent de me le rappeler. Et puis, il devrait y avoir quelques-uns des rares collègues que j’apprécie. Sois pas jaloux mon ange. Bien que j’adore que tu fasses semblant. Tu me manques déjà (octobre 2004).

Hier, débat féministe stérile sur la loi sur le voile. De la caricature de part et d’autre, et des cris, des cris. Je me sentais si loin de tout ça. C’est ta faute un peu. À force de tout renvoyer dos à dos pour me faire croire que je suis unique et que tu es unique. À force que tu t’échines à m’isoler, je m’ennuie là où avant j’aurais pris parti, en toute mauvaise foi, en toute bonne conscience ou aveuglée par la culpabilité (février 2005).

Avec Jeanne, nous quittons la distinction chère à Fantine pour la porosité ou, plutôt, la superposition : car pour être également présentes dans ses lettres, les différentes dimensions apparaissent souvent en tension les unes par rapport aux autres, entre les choses théorisées, inculquées ou vécues. Jeanne n’a pas appris à devoir se protéger. Elle semble prendre de plein fouet les contradictions de sa vie ; sa passion lui révèle les ambiguïtés, les faux-semblants, et la laisse parfois démunie.

La pluralité des expositions de l’intime

Mais ne nous y trompons pas. Fantine et Jeanne sont deux correspondancières au parcours contrasté. Un même souci du destinataire ne les rapproche pas moins, qu’il soit leur correspondant du moment, une chercheuse, un sondeur ou un quidam. Selon les attentes, ce n’est jamais tout à fait le même discours qu’elles donnent en pâture aux uns ou à l’une. Ainsi n’est-il pas impossible que Fantine veuille montrer à Jean sa débrouillardise et l’attention qu’elle porte aux siens tout autant qu’elle souhaite le préserver dans son rôle de bienfaiteur potentiel : la troisième et dernière lettre nous apprend que Fantine renvoie à Jean un chèque qu’il lui avait fait pour régler sa facture d’électricité ; l’opération est blanche, mais laisse un doute sur l’ambiguïté du statut qu’elle accorde à son correspondant. De même, à jouer la transparence dans ses longues missives, Jeanne espère peut-être se voir payer en retour d’une égale sollicitude. Y aurait-il alors similitude entre la prostituée et la journaliste dans le calcul imaginaire de la dette et dans l’usage de pressions ou de culpabilisations plus ou moins volontaires ?

Force est de constater, dans cet article, le silence de ceux qui pourraient confirmer l’union des deux femmes, Jean et Jacques. Jeanne affirme que les lettres de son amant, presque aussi nombreuses que les siennes, ont toujours été sibyllines, fondées sur des critiques ou strictement informatives, et sans épanchements amoureux. Après en avoir survolé plusieurs en ma présence, elle m’en a refusé la lecture[12], les trouvant toutes apparemment plus parlantes que ses propres lettres ou, revers d’une même médaille, n’y voyant pas trace assez tangible du souvenir qu’elle garde de leurs sentiments. Je n’ai pas non plus eu accès à la correspondance de Jean à Fantine. Il m’a déclaré que, « folie exceptée », ses « lettres étaient du même acabit que les siennes, avec les petites misères du quotidien et peut-être deux ou trois leçons de morale en prime... Mais sans répétitions ». En dépit des tentations, ce point aveugle constitué par l’absence masculine interdit de tirer des conclusions hâtives en termes de genre, tout en laissant pressentir des asymétries, avec et indépendamment du genre.

Au delà de cette lacune, chez une même personne, la variabilité de l’exposition selon le retour escompté rend caduque toute entreprise de compréhension de l’intimité fondée sur une source unique. Non que la source elle-même soit invalide : c’est son unicité qui pose problème. La correspondance de Jeanne avec Jacques montre à cet égard bien plus de paradoxes que les positions qu’elle peut tenir en public, notamment dans les associations féministes où elle intervient parfois, ou lorsqu’elle répond aux questions du sociologue, auquel elle tend à proposer un schéma de fonctionnement cohérent. Ainsi, ces échanges épistolaires qui, mis bout à bout, attestent de constants mouvements de balancier :

C’est pour la mort, d’ailleurs, que le copain de mon amie Dora veut l’épouser demain : pour croire ne plus être tenté, pour s’arrêter ; il le dit lui-même entre les lignes [...]. J’ai peur que les instants de grâce n’aiment pas les contrats qui fixent. Et puis, je suppose que j’ai peur d’être possédée, je veux dire corps et âme. Je ne sais pas, en fait. Je veux et j’ai peur. Je veux posséder aussi, par amour ou par égoïsme, et pour avoir à disposition, pour me rassurer, pour partir sereine le matin, travailler l’esprit tranquille, et revenir le soir avec des certitudes. Tout ça est bien confus (lettre de Jeanne à Jacques, septembre 2004).

Ainsi donc, il faudrait que les femmes crient quand elles jouissent. Pour compenser l’absence d’éjaculation ? Je veux dire : devraient-elles remplacer l’image par le son ? C’est bien ça le doute des hommes, qu’ils ne sachent pas si oui ou non (autre lettre, septembre 2004).

Et puis, oui, je sors ce soir, oui tu m’as proposé de dîner chez toi mais je vais voir mon amie. Il y a une chose que je tiens de mes parents, voire de ma mère toute seule, c’est que pour survivre dans ce monde de brutes, il est nécessaire d’assurer son autonomie. Ça veut certes dire gagner de quoi avoir les moyens de sa pseudo-liberté (même chichement), mais aussi ne jamais totalement s’isoler, en gros ne jamais mettre toutes les billes dans le même panier. Alors quand bien même je voudrais passer toutes mes nuits chez toi, prendre tous les repas possibles avec toi, je ne cesserai pas de voir mes amis. C’est de l’ordre de ma survie (autre lettre, octobre 2004).

Du vagin denté, édenté (c’est vrai quoi, si le vagin est denté, il doit être vieux à la naissance tellement sa dentition est mollassonne), mais rentré, donc protégé, viennent les électricités. C’est humide, ça fait court circuit. La pénétration mon bon monsieur, y a bien que ça ! Avec des doigts, un gode ou une queue, ça dit à qui on appartient. Et ne faut-il pas croire appartenir pour baiser ? Je vous le demande ! À moins qu’il faille vouloir posséder, ou les deux. Quoiqu’il en soit, que l’on entre ou que l’on sente entrer, ne jamais se suffire de la surface : le clito est un imposteur ; il n’est bon qu’à la masturbation. Mais que n’ai-je à faire de m’appartenir ? Ce serait presque joué d’avance (autre lettre, octobre 2004).

C’est un truc bizarre le sexe. Jamais gagné d’avance, surtout quand les sentiments s’en mêlent. Mon désir à l’air de se nourrir de tout ce que je rejette en théorie. Ça m’emmerde, mais je constate et ne suis pas prête à renoncer à ta violence (novembre 2004).

En somme, la femme qui t’aime n’est pas la même en dehors de ta présence, elle gagne en pouvoir, force, intelligence... Ta place se réduit parfois à portion congrue ; tu cesses d’être le centre de mon monde. Le couple comme dernier bastion de la caricature, alors ? [...] Le problème n’est pas que les femmes aiment la soumission en amour (la passivité est parfois un plaisir), c’est davantage que les hommes aient peu les moyens d’en goûter la saveur, qu’ils doivent tenir l’autre rôle, lequel est en principe refusé aux femmes. [...] Cela dit, lorsqu’on est dans la position du soumis, on a le confort de pouvoir croire ne pas faire mal. Je sais bien que c’est une forme de lâcheté, mais j’aime ne pas être responsable parfois, que tu décides tout et que ça me surprenne (janvier 2005).

Jeanne se débat dans ses lettres. Entre un ancrage féministe qui selon les jours s’éclipse ou refait surface, une passion où, entre peur, plaisir et jeu, soumission et possession s’invitent de plus en plus. Malmenant le slogan féministe de 1968[13], la vie privée de Jeanne ne se calque pas exactement sur ses engagements politiques. Ses lettres sont moins assurées que les propos qu’elle peut tenir face aux spécialistes du sexe. Ses écrits ne cachent pas les éventuels télescopages ; dans une certaine mesure, les tensions de sa relation permettent même de les conscientiser[14]. Non, alors, qu’il faille invalider la méthode des entretiens. Ils permettent de mesurer le poids des carcans idéologiques : selon les jours, on obtient une dénonciation de la domination masculine ou, à l’opposé, une glorification de la libération sexuelle ; la prostitution elle-même est interprétée comme la quintessence de cette domination ou comme la manifestation de la libération des femmes. Ces deux modèles faussement opposés d’appréhension de la sexualité, où le genre est au coeur, voire le seul étalon d’analyse, sont devenus particulièrement prégnants. Comprendre l’intérêt qu’ont certains groupes à médiatiser telle parole, face à des interlocuteurs donnés, est indispensable pour saisir la tension de leurs gestes. Dans un contexte où les sciences sociales sont devenues pourvoyeuses des principales théories sur la sexualité, peut-être qu’une amplitude de plus en plus grande existe entre la réalité, rarement accessible, voire rarement recherchée, et les propos recueillis, devenus sermons ou incantations plutôt que simple manifestation des représentations.

Traces écrites et dires volatils : de la preuve au puzzle

Je me suis emmerdée [aujourd’hui] avec des phrases formelles, efficaces, quelques petits mots de remerciement. Moralité, j’ai très envie de me défouler en t’écrivant du grand n’importe quoi, sans contrôle, du moins sans trop de contrôle ; je ne suis pas assez naïve pour croire que l’autocensure ne nous rattrape pas toujours au tournant, là où on ne la voit même pas, là où on peut se gausser d’être au-dessus de cette chère mise en boîte. [...] Tu vas vite te lasser de mes enfantillages épistolaires. Il n’y a aucun contenu dedans, aucune ébauche de réflexion, aucune grande théorie reproductible dans des livres, aucune prétention culturelle. En plus, une fois que je quitte les gentilles petites lettres, tu as pu constater combien je pouvais être silencieuse, combien je n’aimais pas tant que ça raconter les jours et les années passées, décrire les émotions (lettre de Jeanne à Jacques, au premier mois de leur rencontre, mai 2004).

Deux mondes apparaissent et cohabitent dans cet extrait de lettre, celui du contexte professionnel où Jeanne joue les civilités d’usage et s’en plaint, et celui de sa relation naissante avec Jacques, qu’elle évoque comme un espace de moindre discipline. Mais deux temporalités ressortent aussi dans cette seule relation d’elle à lui : l’échange épistolaire, des pages où se couchent des mots qui ne se diraient peut-être pas sous les yeux de l’amant ; la rencontre de visu, apparemment moins bavarde. Comme s’il fallait choisir entre le texte, écrit ou lu dans la solitude, sans vis-à-vis, et les regards, partagés à deux au moins, mais susceptibles de couper la chique[15]. Nous le savions déjà, ni l’amour ni la sexualité ne sont les seuls produits des phéromones, d’un rapport nostalgique au sauvage ou d’une croyance quasi prométhéenne dans la possibilité d’une absence d’(auto)censure. Y compris au sein du duo conjugal, vérités ou réalités varient au gré de contraintes sociales qui se resserrent ou se relâchent. Dès lors, prétendre assembler l’ensemble des pièces du puzzle sexuel peut paraître entreprise délicate voire, pour certains, atteinte séditieuse au nécessaire mystère du désir[16].

À défaut d’identifier la gamme complète des registres d’expression de la sexualité, en articuler le plus possible reste pourtant l’unique façon d’accroître nos connaissances en la matière. Or justement, la lettre de Jeanne fait écho aux méthodes utilisées par les sciences sociales, en particulier l’ethnologie, lorsqu’elles s’attaquent au « morceau » sexualité. Cette lettre est le miroir de leurs lacunes et du poids persistant des vieilles traditions disciplinaires. D’une part, Jeanne écrit mais ne voit pas ; d’autre part, elle regarde et cesse d’être prolixe. D’un côté, l’ethnologie des débuts s’intéressait à de petites ethnies lointaines sans histoire écrite : la nécessité d’une observation avant tout visuelle pouvait sembler répondre à l’absence de sources textuelles ; de l’autre, depuis qu’elle s’intéresse à des groupes précis d’Europe ou d’Amérique du Nord qui produisent des traces écrites, l’ethnologie continue souvent à privilégier cette même méthode d’observation des gestes et des dires volatils, en oubliant de collecter les mots indélébiles. Par cet oubli, les notes prises dans le cahier ethnographique ou la retranscription des entretiens peuvent paraître les uniques traces écrites, produites et contrôlées par le chercheur. Lire ou regarder, il faudrait donc toujours choisir[17].

Cette anthropologie contemporaine s’est en outre départie d’une des vocations premières de la discipline : si ce n’est énoncer des invariants ou des universaux (l’empirie peut obliger sans cesse à ouvrager les modèles passés), du moins faire émerger des logiques partagées, qui dépassent et englobent les catégories visibles d’appartenance à un moment et en un lieu donné. Elle se défend alors de l’histoire en refusant l’apport de l’écrit, mais elle se fond à la sociologie en s’inquiétant non plus du « fait social total » cher à Marcel Mauss, mais des minorités. Ainsi s’intéresse-t-elle, pour celles et ceux qui retiennent notre attention[18], aux homosexuel-les, aux transgenres, aux prostitué-es[19]... Non que ces minorités ne puissent en retour dénoncer les normes, les outer pour utiliser une terminologie issue en droite ligne des travaux actuels. Mais, à rebours des professions de foi des chercheurs qui questionnent ces sujets — l’essentialisme est en général l’ennemi à abattre —, l’attention exclusive aux minorités contribue à donner l’illusion d’une frontière peu poreuse entre la norme et ses marges. Cette focalisation rejette dans l’inconnu la possibilité de logiques transverses[20], sorties des paradigmes contextuels, des processus de spectacularisation et de sidération propres à une époque. D’où la tentative, partielle et avant tout performative, d’articuler les correspondances de deux femmes que les travaux empiriques distinguent[21].

Il reste pourtant difficile, à partir des seules lettres de Jeanne et de Fantine, de déceler des fils qui débordent des catégories de la sexualité utilisées aujourd’hui, tout en les contenant : sans évoquer les difficultés évidentes à recueillir des documents personnels, le corpus est trop réduit. Ces lettres sont toutefois l’occasion d’un dernier clin d’oeil à l’anthropologie. Car en oubliant de collecter les archives rédigées par les minorités des pays occidentaux, on peut donner l’impression que ces minorités sont des enclaves de « sociétés froides » en pleines « sociétés chaudes »[22]. Certes, les minorités, en ce qu’elles sont discriminées, ont moins intérêt à laisser traîner des traces entre des mains étrangères : la clandestinité est contrainte à une plus grande opacité[23]. Ce n’est toutefois pas la forcer qu’être aussi sensible aux petits mots écrits, ceux-là mêmes qui nous semblent parfois tellement anodins qu’on résiste à s’en saisir. Lors de mon ethnographie de la prostitution de rue en Île-de-France, constatant que la plupart des personnes prostituées rencontrées n’avaient pas d’agenda, je ne voyais pas (ou trop tard) que leurs téléphones portables non seulement en tenaient lieu, mais aussi contenaient moult messages écrits qu’elles gardaient, de même qu’elles en écrivaient en nombre. Peut-être vouées aux écrites courtes, les prostituées, au même titre que Jeanne et les dominants de ce monde, n’en écrivent pas moins.

Conclusion

Les questionnements sur les femmes et sur les minorités se sont multipliés à la fin des années 1960 pour mettre à mal un prétendu universalisme qui, de fait, ne parlait que des hommes et, plus généralement, des groupes détenant le plus de pouvoir et présentant la plus grande conformité sociale. Ils visaient à rétablir un universalisme plein et entier, où les unes et les autres ne seraient pas laissés au bord du chemin de la connaissance et des droits. Or cette demande d’attention, inclusive au départ, est devenue au fil des années 1980 et 1990 une attention quasi exclusive, concernant la sexualité, pour les populations sujettes à une discrimination. Qu’il soit affaire de vengeance face à la longue histoire du stigmate peut politiquement se comprendre ; l’égalité est d’ailleurs loin d’être établie. Mais à une volonté initiale de restituer du sens à l’universalisme s’est substitué un nouveau morcellement. On atteint alors l’acmé d’un paradoxe. Non qu’observer ce qui caractérise socialement ou culturellement les minorités sexuelles soit hors de propos en sciences sociales. Pourtant, ne s’intéresser qu’à leurs spécificités peut produire des leurres et, plus grave, avoir pour effet pervers de sembler ré-essentialiser ce corps qu’on souhaitait sortir de son état de nature. Cette démarche confirme par ailleurs « l’hypothèse répressive » chère à Michel Foucault, d’autant plus quand le choix des méthodes témoigne du maintien implicite de représentations distinctives.

Gestes ordinaires, Dits et écrits, il n’y a pas à hiérarchiser mais à cumuler. Les ethnologues et les sociologues ont peut-être à cet égard une responsabilité particulière, temporelle, de constitution de la mémoire des petits riens, de saisie des données. Travaillant le présent, ils ont accès à des traces que le passage des années peut égarer, obligeant sans cesse les historiens à s’interroger sur la nature des sources qui demeurent. Il n’est pas honteux d’être archiviste au même titre que chercheur. Et peut-être n’avons-nous pas à nous inquiéter que nos propres textes perdent dans un siècle leur statut d’écrits scientifiques pour devenir simples sources, voire objets de risées, comme le sont aujourd’hui les écrits des médecins du xixe siècle sur le genre, la sexualité et la prostitution. Anne Cauquelin l’exprime fort justement dans L’invention du paysage (2000 : 40) : « La narration est première et sa localisation un effet de lecture. »