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L’ouvrage de Martine Tremblay s’inscrit dans un programme de recherche sur les dynamiques culturelles. Historienne, l’auteure s’appuie en bonne partie sur les travaux de Gérard Bouchard et de son équipe, à laquelle elle était rattachée. Elle-même situe son étude au confluent de l’histoire (perspective chronologique), de la sociologie (concepts et méthodes d’enquête), de l’anthropologie et de l’ethnologie (type d’objet analysé).

Divisé en deux sections, ce livre compte neuf chapitres. La première partie est consacrée aux structures de l’enquête et aux concepts de rituels et de dynamiques culturelles. La chercheure emprunte « l’approche morphologique » (expression de Gérard Bouchard) qui renvoie à « l’observation de la configuration externe du rituel », p. 20, soit la description de l’environnement physique et humain dans lequel s’inscrivent les rituels. La Vallée du Haut-Richelieu, territoire retenu pour l’étude, offre un terrain qui permet de se pencher expressément sur la dynamique entre la ville et la campagne. Cette région se caractérise notamment par l’intégration rapide des milieux ruraux à l’espace urbain et par la mobilité et les origines diversifiées de sa population. Tout compte fait peu étudiée comparativement à d’autres comme la Beauce ou Charlevoix, cette région s’avère particulièrement intéressante par la diversité qu’elle propose. La deuxième section de l’ouvrage livre les résultats de l’enquête en six autres chapitres qui suivent les étapes du rite de passage qu’est le mariage, de la première rencontre du couple jusqu’au début de leur vie en ménage.

Dans cette étude, Martine Tremblay note l’importance des réseaux. De familiaux qu’ils étaient d’abord, ils deviennent amicaux, laissant néanmoins à la fratrie un rôle non négligeable. Si l’idée même de réseau n’est pas nouvelle, comme le montrent les travaux d’Anne Gilbert, par exemple, l’idée de l’élargissement du réseau, selon les époques et les milieux, est fort enrichissante, de même que celle de la transformation progressive du lien filial. Le glissement du privé vers le public s’observe aussi dans les lieux témoins des fréquentations qui se transforment, passant des espaces familiaux aux aires publiques. En lien avec cette observation, l’étude montre que l’intimité du couple, puis l’intimité conjugale grandit au détriment des rapports parentaux et sociaux. Le couple a gagné de plus en plus d’autonomie. La durée de la noce, particulièrement entre 1980 et 1995, ne représente plus que quelques heures, à la façon moderne, plutôt que quelques jours, à la manière traditionnelle.

Toutes les étapes du rite de passage sont étudiées, dans l’ordre, mettant en lumière les différences entre les groupes d’appartenance, comme c’est le cas pour les fiançailles, plus répandues chez les ouvriers que chez les commerçants ou les agriculteurs. Les préparatifs au mariage semblent plus marqués en ville, entre autres, parce que les jeunes bénéficient d’une plus grande autonomie et d’une certaine indépendance financière découlant de leur emploi à l’extérieur. L’organisation matérielle même se modifie. Par exemple, la notion de trousseau s’élargit, rassemblant plus d’articles qu’auparavant et d’une plus grande variété ; aux objets conventionnels s’ajoutent, entre autres, de petits appareils électroménagers. La pratique de plus en plus répandue de la cohabitation avant mariage change la donne et tend à se ritualiser. Il est étonnant que les cadeaux ne soient que très brièvement abordés dans l’étude. Ils sont pourtant l’une des pièces constantes du jeu, notamment pour marquer la contribution de la société, parents et amis, à l’installation du nouveau couple. Il aurait été intéressant d’analyser les changements découlant de la cohabitation avant mariage et de la nature même des cadeaux. L’insistance est mise un peu plus sur le soutien matériel, des parents à la campagne par exemple, sur le contrat notarié et la gestion du patrimoine, ce qui ne manque par ailleurs pas d’intérêt, mais laisse le lecteur sur son appétit.

La journée des noces proprement dite, le coeur du rite de passage, occupe le tiers du livre, soit trois chapitres. L’attitude de l’Église est rapportée sur un ton juste, sans exagérer son influence et en laissant la place qui est due aux aspects profanes de mieux en mieux acceptés par les curés modernes. La cérémonie à l’église revêt de l’importance certes, mais elle s’inscrit dans un ensemble festif, marqué par des usages et des coutumes d’une part, profondément ancrés, et, d’autre part, influencés par les nouveaux courants d’idées. La noce urbaine est plus courte et moins dense ; elle n’établit plus de réciprocité obligée, laquelle prenait forme dans le deuxième repas offert par l’autre famille en signe de partage ; l’importance de l’alliance entre les familles est ainsi atténuée.

Le voyage de noces est présenté comme une coupure dans le quotidien, une expression de la conjugalité à la défaveur des rites d’intégration à la sociabilité familiale. C’est en fait une parenthèse pendant laquelle la famille laisse tranquille le nouveau couple qu’il attend tout de même à son retour ; les rites d’intégration ne sont donc que repoussés et reprennent leur sens lors des repas dans la parenté et avec l’envoi de cartes de remerciement arborant la photographie des mariés le jour de la noce.

Tout au long de l’étude et grâce à la mise à jour bien réalisée et faisant état de la modernité, l’existence de survivances dans les croyances et les pratiques est clairement démontrée. Les différentes gestuelles liées aux présages et à l’annonce du futur époux, le secret bien gardé pour ne pas montrer la robe de mariée, la bénédiction paternelle avant le départ de la maison ou les prescriptions se rapportant au costume de la mariée sont autant d’exemples de la recherche d’une approbation familiale et sociale, de bons augures, voire du bonheur, préoccupation toujours présente peu importe les époques. Le costume rassemble à lui seul plusieurs signes et consignes comme l’avait déjà étudié Lorraine Bouchard. Certains visent à se prémunir du mauvais sort : par exemple, porter quelque chose de vieux, de bleu et d’emprunté le jour de ses noces. Cette pratique renvoie à une coutume anglo-saxonne rapportée notamment dans les archives de folklore et dans des ouvrages spécialisés auxquels ne réfère pas l’auteure.

Plusieurs photographies illustrent bien le texte. Si, dans l’ensemble, le risque d’erreur de datation est faible compte tenu des renseignements obtenus en enquête, il arrive qu’un doute surgisse. Ainsi, une photographie (p. 151) datée du milieu des années 1900 semble plutôt appartenir au siècle précédent ; cette confusion peut provenir de la manière de consigner l’information : milieu du XIXe siècle plutôt que milieu des années 1900.

Les conclusions tirées par madame Tremblay remettent en rapport la sensibilité des rituels du mariage au processus de différenciation sociale, particulièrement pour la période de 1920-1940.

Similitudes des coutumes rurales et urbaines à cette même période pour certains rites, comme c’est le cas pour les fréquentations, moins pour d’autres, lors de l’attente du mariage (à la ville, non à la campagne, p. 219), par exemple. Se crée davantage un fossé en ce qui touche la journée des noces comme telle. La modernité, qu’elle se manifeste à la ville ou à la campagne, inscrit l’événement du mariage dans son temps propre. Si des écarts se perçoivent d’une époque à l’autre entre différentes pratiques, il faut remarquer qu’ils se rétrécissent passablement pour la période 1980-1995.

Les annexes sont très éclairantes. La méthodologie de l’enquête y est bien expliquée quant au choix du terrain, à la sélection des informateurs, à la catégorisation socioprofessionnelle et à la réalisation des entrevues. Aux mises au point concernant la collecte des données s’ajoute la façon de traiter celles-ci et de les analyser.

En somme, cet ouvrage est intéressant sur plusieurs points : la démonstration du «déplacement de la densité des rites » et de l’influence de la culture médiatique, ainsi que la transformation du lien enfants – parents qui s’inscrit au coeur du rituel. Elle rappelle aussi la variabilité du rituel, fait ressortir des moments d’érosion et de codification de ces rituels et remet en lumière la complexité du processus rituel. Ainsi, cette étude sérieuse actualise la connaissance sur les pratiques liées au mariage, notamment en considérant que la cohabitation tend à se ritualiser, explorant la dynamique de la transmission et de la continuité, de même que des transitions entre la tradition et la modernité. Les rites apparaissent clairement en mouvement. L’étude fait ressortir que la ville et la campagne ne sont pas deux mondes complètement différents et qu’ils s’influencent réciproquement. Elle permet de percevoir également le non-dit.

Enfin, l’étude démontre que les contextes mouvants observés dans la région étudiée semblent favoriser la construction d’un rituel caractérisé par une grande variabilité de conduites et une faible ramification des pratiques ; l’hétérogénéité qui en résulte, l’urbanité de la ritualité qui teinte les pratiques et la perméabilité perçue aux nouveaux rites proposés indiquent que, malgré l’existence d’une mémoire collective et la convergence des modes, les choix individuels semblent prévaloir de plus en plus et les couples se plaisent à croire que l’expression de leurs désirs pour l’événement qu’est leur mariage est originale.

L’ouvrage de Martine Tremblay joint les autres études sur le sujet et vient les enrichir incontestablement.