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La Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) est comme la fille ou la mutante de la Société générale des industries culturelles (SDIC). La SODEC consacre la plus grande part de ses énergies et de ses ressources aux industries culturelles. Pour bien comprendre de quoi il s’agit, cette expression ne désigne ici que des activités économiques s’occupant d’oeuvres reproductibles, à caractère culturel. Parmi ces industries, l’édition du livre est la plus importante pour ce qui est de la variété des contenus diffusés. C’est aussi une des plus considérables. Au Québec, si elle est, probablement comme partout ailleurs, parmi les plus anciennes industries culturelles, elle est aussi, cela de façon paradoxale, une des plus récentes, au sens moderne de l’organisation et du mode de fonctionnement. En conséquence, la radio, la télévision, les journaux, la cinématographie, par exemple, sont mieux dotés en statistiques économiques que l’ensemble de la chaîne du livre (de l’auteur au lecteur).

Le livre de Marc Ménard, économiste et chercheur à la SODEC, est une tentative extrêmement rigoureuse de pallier cette déficience. À un ensemble de statistiques économiques disparates sur la chaîne du livre, auxquelles il essaie de donner une certaine cohérence, il ajoute des données et des estimations inédites, qui comblent les lacunes observées dans l’assemblage de ces données, toujours dans la perspective « de l’auteur au lecteur ». Ces données et ces estimations proviennent en bonne partie d’études effectuées par monsieur Ménard lui-même et son équipe pour le compte du Comité sur les pratiques commerciales dans le domaine du livre (Comité Larose).

Ainsi, pour la première fois au Québec, nous avons un portrait économique global de la chaîne du livre, de l’éditeur au commerce de détail. Outre les auteurs de livres (qui vivent le plus souvent chichement de leurs oeuvres), cette industrie fait vivre illustrateurs, traducteurs, éditeurs, imprimeurs, diffuseurs, distributeurs, libraires et commerçants de toutes sortes, ainsi qu’une multitude de journalistes, d’employés, de pigistes et de contractuels. C’est une des industries culturelles les plus actives actuellement au Québec. Il était donc important d’avoir ce portrait économique pour en connaître la dimension et les contours. Ce portrait permet aussi de poser un diagnostic sur sa viabilité économique, sur ses forces et ses faiblesses. Il dégonfle également plus d’un mythe, plus d’une affirmation sur l’état de crise de cette industrie ; à tout le moins, il leur apporte des nuances d’envergure. Ce portrait aide aussi à voir et à comprendre le caractère spécifique de cette industrie, en regard tant des autres industries culturelles que des entreprises industrielles en général.

Ce livre ne se contente pas d’une description et d’une analyse de type économique classique. Il mentionne les législations qui ont pu affecter la chaîne du livre au Québec, en particulier celles relatives aux éditeurs agréés et aux librairies agréées. Il en signale les raisons d’être et les effets, pour ce qui est de la dimension économique. Il s’attarde aussi quelque peu aux nouvelles technologies qui affecteront le commerce du livre (la librairie virtuelle), son édition et son impression, ainsi que l’arrivée, actuelle ou à venir, de nouvelles formes électroniques de livres, comme le CD-ROM ou le e Book, ou livre électronique et, bien sûr, d’Internet.

On peut dire que l’ouvrage de monsieur Ménard vient combler un vide majeur dans le monde des industries culturelles au Québec. Cet ouvrage, cependant, a été conçu d’abord pour les professionnels de la chaîne du livre et pour tous ceux qui ont un mot à y dire : gouvernements, organismes comme la SODEC, institutions financières, etc. Malgré un effort évident de vulgarisation, on voit que celui-ci a été pensé d’abord en fonction des professionnels de la chaîne marchande du livre. Non pas que cela soit un défaut, mais cela apporte une restriction à la diffusion de résultats et d’analyses de haute qualité. Nous voulons pour preuve de cette qualité son estimation du commerce de détail du livre pour l’an 2000, qui se situait à environ 600 millions de dollars. L’Observatoire de la culture et des communications, dans sa nouvelle enquête sur les ventes finales de livres neufs au Québec, constatait que la valeur de ces ventes en 2001 s’élevait à plus de 616 millions de dollars. Or, le commerce de détail du livre neuf au Québec a déjà fait l’objet des estimations les plus fantaisistes. Celle de Ménard s’est approchée le plus près de la réalité. Avec Les chiffres des mots et l’enquête susmentionnée, la dimension économique de la politique du livre et de la lecture du ministère de la Culture et des Communications du Québec a une bonne assise qui lui permettra, au besoin, de s’ajuster ou de se réorienter.