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En collaboration avec quatre autres auteurs, soit Richard Benoît, Denis Martel, Renaud Paquet et Carol Saucier, les quatre analystes principaux ont signé un ouvrage très important qui marquera le débat sur la question traitée. Ce livre s’avère très pertinent autant au niveau social et scientifique que pédagogique.

D’abord au niveau social, il apporte une substantielle contribution à la compréhension de la politique publique québécoise qui, au cours de la dernière décennie, a largement combattu le chômage par des mesures dites actives d’insertion à l’emploi. Aux mesures plutôt passives telles que les allocations de chômage, les services de recherche d’emploi et la formation professionnelle, le Québec a préféré, à l’instar de plusieurs États, une approche plus sociale et encore plus microsociale, concernée davantage par la mobilisation des ressources humaines sur des projets concrets, c’est-à-dire sur du travail réel dont l’utilité n’est pas toujours strictement économique. Le développement local et l’économie sociale furent à cet effet deux grands champs d’expérimentations qui ont entraîné une importante création d’institutions et d’organisations à la frontière même d’un secteur public essoufflé par la crise des finances publiques. Ceci représente, selon les auteurs, une nouvelle dimension dans le modèle québécois de développement désormais très largement reconnu pour sa spécificité. Leur analyse de cette dimension nouvelle situe clairement sa dynamique institutionnelle, fait le point sur la situation actuelle avec une foule de détails et soulève des questions fort pertinentes pour nos dirigeants et l’ensemble des acteurs sociaux. Selon les auteurs, il s’agit d’un véritable tournant au Québec.

Au niveau scientifique, la thèse défendue est rigoureusement démontrée. Traitée par deux auteurs en deux chapitres distincts mais complémentaires, la situation actuelle de la politique de l’emploi au Québec est exposée avec grand art, notamment la description et l’analyse de cette nouvelle dimension du modèle québécois. Le chapitre conclusif est aussi excellent, avec sa mise en perspective plus large. Le tout est très bien ficelé et convaincant. Le lecteur saisit fort bien le mouvement socio-institutionnel ainsi isolé et modélisé. On présente cet ensemble d’initiatives, d’organisations et d’institutions telles de véritables filières en voie de structuration.

Puisque le concept de filière est déjà bien connu en analyse industrielle et en analyse régionale, notamment dans le contexte québécois pour les secteurs et sous-secteurs industriels, nul doute que l’apport de l’ouvrage à l’analyse de l’économie sociale et du développement local soit des plus intéressants. Cette utilisation, certes proposée avec doigté s’avère néanmoins audacieuse. Elle ne sera sûrement pas adoptée, il nous semble, sans avoir à convaincre ses détracteurs, non seulement en économie sociale, où les organisations et les institutions sont communes à plusieurs filières de production, mais aussi et surtout dans le champ du développement local généralement abordé dans les écrits par une analyse territoriale plutôt que sectorielle. Puisque plusieurs points traités par les auteurs enrichissent non seulement le concept de filière mais aussi l’analyse territoriale du développement, nul doute que le débat scientifique suggéré implicitement dans cet ouvrage devienne stimulant.

Du côté pédagogique, l’apport de cet ouvrage est fort pertinent. D’une part, l’originalité et la qualité de l’approche offrent certes un complément des plus intéressants à l’analyse classique de la politique de l’emploi, notamment par la description en grand détail de l’appareil politico-administratif qui la supporte. Aussi, l’inventaire exhaustif des organisations de micro-finance est doublement pertinent puisque le traitement effectué s’avère de très grande qualité pédagogique. En outre, de nombreux cas d’entreprises d’insertion par le travail sont discutés pour illustrer les propos avancés. Nos étudiants apprécieront. Le lecteur pourra aussi bénéficier d’un excellent chapitre sur les quartiers en crise.

Nul doute que cet ouvrage arrive à point au Québec en provoquant la réflexion sur l’évolution récente d’une dimension offerte au modèle québécois de développement, modèle qui nécessite, certes, un renouvellement. On regrette à cet effet l’absence d’un chapitre empirique sur l’apport de la nouvelle économie sociale sous l’angle de l’emploi, en quantité et en qualité, mais aussi sous celui de la production réelle de services sous diverses formes. Cela viendra sûrement plus tard au fil de la recherche effectuée par cette équipe, et il sera probablement accompagné d’un autre chapitre sur les retombées du développement local, notamment sous l’angle des initiatives innovatrices. Car si le vaste champ en institutionnalisation de l’économie sociale et du développement local offre un intérêt politique et social évident, sa contribution effective comme nouvelle dimension du modèle québécois de développement devra être mesurée, puisque mesurable, avant de convaincre totalement de sa pertinence en matière de restructuration socioéconomique au Québec. Aussi puisque nous y sommes, une analyse systématique de la critique souvent même sévère de cette nouvelle tendance ou dimension au Québec serait souhaitable. Car plusieurs questions demeurent ouvertes et méritent d’être débattues. En réalité, l’ouvrage s’attaque sobrement à un gros chantier qui dépasse largement le produit actuel qui en représente néanmoins un jalon de base. À suivre.

Terminons en soulignant que si plusieurs auteurs en appellent à un renouvellement du modèle québécois, la plupart butent contre les faits. La société québécoise n’est peut-être pas refroidie comme certains le prédisaient jadis, mais elle semble se renouveler insuffisamment. Bref, il y a actuellement plus de voies dessinées que de voies empruntées. En regard de ces difficultés, les auteurs de ce livre ont réussi à proposer de nouvelles avenues et de nouvelles « filières » fort crédibles.