Corps de l’article

1. Introduction

Les adolescents feraient un usage excessif de comme, le délaisseraient au profit de genre à la fin de l’adolescence, et l’usage se «normaliserait» à l’âge adulte, comme s’il s’agissait d’un tic qui disparaîtrait une fois rétabli «l’équilibre hormonal». On ne peut prédire s’il s’agit d’une vogue passagère ou si ce nouveau comportement caractérisera désormais le langage des adolescents, et si cela était, si certains emplois ne pénètreront pas bientôt l’usage adulte de sorte qu’ils s’intègreront pour de bon dans la langue. Le phénomène est trop récent[1] et nous ne disposons pas des données nécessaires pour en tracer l’évolution dans les habitudes langagières des jeunes. En attendant le verdict du temps, nous ferons une étude transversale afin d’évaluer l’état des lieux en comparant le fonctionnement de comme chez des adolescentes et adolescents acadiens du Sud-Est du Nouveau-Brunswick à celui d’adultes de la même région. Notre but est de déterminer dans quelle mesure la fréquence d’occurrence de comme subit une diminution de génération en génération et en quoi la nature des emplois s’altère.

2. Les paramètres de l’étude

Deux corpus ont été dépouillés au moyen du logiciel Le Sphinx Lexica pour les fins de l’étude : le corpus Anna-Malenfant (Chevalier et Gauvin 1994), recueilli sur une base volontaire auprès de 12 jeunes inscrits en 8e année dans une école de Dieppe (N.-B.), et le corpus Parkton, recueilli auprès de 19 résidants du quartier du même nom dans la ville de Moncton[2]. Les sujets sont regroupés en trois tranches d’âge : les 14 ans regroupent les 12 sujets adolescents, les 19-39 ans regroupent 9 sujets, soit une étudiante de premier cycle, un étudiant à la maîtrise, trois sujets dans la vingtaine avancée et quatre sujets dans la trentaine. Les sujets de 40 ans et plus sont au nombre de 10 : quatre quadragénaires, une quinquagénaire, trois sexagénaires, une septuagénaire et une nonagénaire.

Les emplois de comme seront comparés du point de vue de l’intensité d’utilisation du marqueur, de sa distribution dans la conversation, plus précisément de son cumul dans les tours de parole, des fonctions qu’il remplit dans les différentes constructions où il apparaît et, pour finir, de la position qu’il occupe dans l’énoncé.

2.1 Les corpus

Les adolescents et adolescentes du corpus Anna-Malenfant[3] sont issus de familles francophones de niveau socio-économique moyen. Le français est la langue de communication déclarée par tous, sauf un sujet qui se déclare «chiac». Les jeunes étaient invités à s’interviewer en dyades à partir de questions sur les activités à faire en ville, les loisirs, l’argent de poche, les relations avec les parents (liberté, éducation), le code vestimentaire de «gang» à l’école, des évènements marquants, les projets de vacances, la profession ou le métier envisagé, l’autonomie financière. Suivait une conversation à bâtons rompus jusqu’à ce que les vingt minutes d’enregistrement prévues se soient écoulées.

Le corpus Parkton a été recueilli à l’occasion d’une enquête sociologique[4] auprès de résidants du quartier du même nom. Les sujets ont été choisis au hasard à raison d’un habitant par rue du quartier. On a pris soin de diversifier les sujets selon l’âge et le sexe. La majorité des sujets sont de milieu socio-économique défavorisé. À quelques exceptions près, ils ont tous grandi dans des familles bilingues, et l’anglais reste la langue de communication au foyer. L’enquêteuse posait des questions sur la provenance des sujets, le lieu d’origine de leurs parents, le nombre d’enfants, l’importance de la religion pendant leur enfance, leur niveau de scolarisation, la situation linguistique dans la famille (langue parlée du conjoint, des enfants, école fréquentée), le partage des tâches entre les parents dans leur enfance, dans leur ménage actuel, la relation d’un évènement heureux ou malheureux, leur impression du quartier Parkton, s’ils étaient résidants de longue date, l’importance de la langue et, enfin, le déroulement d’une journée. Les adultes se sont révélés beaucoup plus loquaces que les adolescents.

Les principaux mérites de ces corpus sont d’une part leur disponibilité, d’autre part le fait qu’ils nous procurent des productions authentiques de locuteurs de la même communauté linguistique, d’âge différent, s’exprimant sur des sujets menant à des discours de types comparables[5]. Nous n’avons aucune prétention statistique, c’est pourquoi nous travaillons avec de simples pourcentages. Les résultats indiqueront tout au plus des pistes à suivre.

2.2 Quelques particularités du français acadien du Sud-Est du Nouveau-Brunswick

Les extraits du corpus utilisés sont empreints de phénomènes transcodiques (emprunt à l’anglais et transfert codique) dont Perrot 1994, 2000 a bien décrit le système. Les Acadiens du Sud-Est du Nouveau-Brunswick qui ont suivi le mouvement d’urbanisation au début du XXe siècle vivent une situation de bilinguisme diglossique qui a donné naissance à un français métissé couramment appelé «chiac»[6]. Le chiac est une langue dont la matrice est française et le lexique généreusement «enrichi» d’anglais. On emprunte le vocabulaire anglais, même si l’équivalent français existe et reste disponible grâce à l’instruction française. Le degré d’anglicisation de la langue varie considérablement entre les locuteurs selon leur condition socio-économique, leur scolarité et leur réseau de communication. La proportion du lexique anglais dans le corpus Anna-Malenfant ne dépasse pas 10 % en moyenne. À la simple lecture, tout porte à croire que la proportion est plus élevée dans le corpus Parkton, mais on est loin du «moitié français, moitié anglais» érigé en proverbe dans la communauté linguistique acadienne (Flikeid 1989). L’emprunt à l’anglais a des effets d’ordre structurel tels qu’il n’est pas exagéré de parler de métissage.

Le syntagme verbal du chiac est français à la source, il impose sa morphologie aux verbes empruntés (j’ai jamais watché ça). Par contre, il intègre les propriétés non indigènes de la structure lexicale des unités empruntées, soit les particules verbales (j’ai freaké out; du stuff qui va on dans la vie) ou les expressions idiomatiques entières (il a fallé in love; il a timbé off la cliff; tu peux pas driver up the wall).

Le syntagme nominal subit une restructuration importante. La matrice est française à la source. Le déterminant, toujours français, est le seul élément stable du syntagme nominal. Contrairement aux emprunts en français qui adoptent la morphologie française, le nom emprunté de l’anglais peut prendre en chiac la marque du pluriel anglais : on prononcera «des movies» avec ou sans [z] final[7]. La position de l’adjectif est fonction de la langue d’origine (des bonnes movies intelligentes, des awesome movies, mon own château à moi, de ma whole life).

Le chiac a intégré l’adverbe d’intensité right, abandonné en anglais moderne sauf devant un adverbe : right through, right there. Right cool est agrammatical en anglais, mais tout à fait correct en chiac[8]. L’emploi de cet intensificateur est très productif : c’est right la fun [sic!], j’ai right faim, j’étais right stressée, etc. Les marqueurs discursifs, pour leur part, ne posent pas de problème d’intégration, étant par nature extrasyntaxiques. On trouve profusion de well, but, so, whatever, anyway(s), cool, O.K., yeah, wow, who cares. Fait étonnant, dans l’acadien urbain de la région de Moncton, comme le constatait Perrot 1992, cette liste exclut like, la source présumée de la prolifération de comme en acadien. Nous faisons le même constat chez nos sujets, même ceux de Parkton, dont la langue est en général nettement plus métissée que celle des sujets du corpus Anna-Malenfant[9].

3. La caractérisation des fonctions de comme dans cette étude

Les ouvrages de référence sur la langue font l’énumération des constructions avec comme et du sens qui y correspond sans se prononcer sur l’importance des emplois les uns par rapport aux autres ou sans montrer la relation entre ces emplois. Nous en proposons une catégorisation fondée sur l’analyse structurale et fonctionnelle de comme.

Comme est un opérateur qui établit une relation de compréhension/inclusion entre deux variables. L’une d’elles désigne une classe d’entités (des objets, des propriétés, des évènements ou des états de choses), l’autre désigne des entités susceptibles d’être dans l’extension de cette classe. L’opérateur comme donne l’instruction d’évaluer l’adéquation entre les propriétés attendues des objets de la classe et celles des entités mises en regard de cette classe. Dans tous ses emplois, comme donne la même instruction que nous transposons en : «Je te signale que l’entité x possède suffisamment les propriétés attendues des membres de la classe X pour être considérée comme un élément de cette classe.»

Contrairement à un opérateur d’identité qui est classifiant, comme implique qu’il n’y a pas adéquation parfaite entre le faisceau de traits qui définit les entités et les classes d’objets auxquelles elles sont comparées. Prenons les phrases (1-3) ci-dessous. Dans l’exemple (1), est signale l’appartenance entière de «ce» à la classe des pères : «ce» est représenté comme ayant toutes les propriétés attendues, et seules ces propriétés sont prises en compte. Pour sa part, l’opérateur comme de (2-3) déclenche le processus de «comparaison» par lequel on circonscrit parmi les propriétés d’une entité celles qui répondent à la description de la classe par rapport à laquelle on la situe. En (2), comme donne l’instruction de considérer que l’individu «ce» a toutes les propriétés attendues d’un père sauf une, le lien biologique, fort probablement. En (3), comme est typifiant. Il signale qu’on doit extraire de l’ensemble des propriétés reconnues d’un individu celles qui le qualifient en tant que père, à l’exclusion des autres propriétés qui définiraient une autre identité non pertinente dans la situation actuelle.

En ayant recours à la comparaison, le locuteur ne classe pas l’entité comme telle, mais il se la représente de façon ad hoc par rapport à une classe d’objets. L’opération accomplie par comme est d’évaluer, qualitativement ou quantitativement, le degré de ressemblance de l’entité avec les objets de la classe de référence. L’entité en question est alors déclarée soit une instance typique de la classe, soit une instance non typique. Compte tenu de la structure de la phrase (4) ci-dessous, comme déclenche l’interprétation selon laquelle les entités «balle» et «kick-the-can» sont des instances typiques de la classe des jeux. Il y remplit la fonction d’exemplification. En (5), l’entité «père» est définie par rapport aux propriétés de la classe des pères et est jugée posséder les propriétés attendues de la classe à un degré suffisant. Dans ce contexte, comme remplit la fonction de comparaison. Finalement, en (6a-b) les entités «parler» et «signe» sont présentées comme non typiques. Elles possèdent certaines propriétés attendues de la classe, mais ne les possèdent pas toutes, ou encore elles possèdent les propriétés attendues, mais à un degré insuffisant. Comme remplit la fonction d’approximation.

La comparaison et l’approximation établissent une relation de terme à terme entre l’entité et la classe de référence (x comme X). L’exemplification a une relation inverse, elle va de la classe à l’entité (X comme x) et elle établit une relation de un à plusieurs entre la classe et les entités qui sont dans son extension. Elle invite à une énumération, bien que très souvent le locuteur ne nomme qu’une instance.

La construction approximative a ceci de particulier par rapport à la comparative que la place de la variable (x) n’est jamais représentée linguistiquement. Les phrases (6a-b) frôlent l’agrammaticalité puisque comme ne s’insère pas normalement entre un verbe et son complément. L’effacement résoudrait l’agrammaticalité mais déformerait le sens. L’alternative est d’introduire un argument dans la position de x, comme dans (6¢a-b) ci-dessous, ce qui nous rapproche de la construction comparative[10], sauf que la position ne peut être occupée que par une expression indéfinie. Cette quasi-agrammaticalité rapproche l’approximation ainsi exprimée de la modalité expressive (Milner 1978).

Comme a une latitude d’emploi quasi illimitée[11]. Les exemples dans les paragraphes qui suivent montrent que l’opérateur combine des constituants de nature diverse : mots, syntagmes, propositions, énoncés; et de statut divers dans la hiérarchie du discours : actes assertifs, expressifs, expressions référentielles, discours rapporté et même inférences[12]. Ils illustrent par ailleurs les différentes modalités d’emplois de comme à l’intérieur des trois fonctions fondamentales, que nos données nous amènent à prendre en compte.

3.1 La comparaison

À l’intérieur de la comparaison se distinguent, d’une part, l’emploi proprement comparatif par lequel on met en parallèle les propriétés, comportements, manières d’être ou de faire d’une entité avec ceux de la classe de référence (7-9) et, d’autre part, l’emploi typifiant (10). Les constructions comparatives sont reconnues pour être elliptiques, les paraphrases des exemples ci-dessous montrent la symétrie de la construction de part et d’autre de comme après reconstitution :

3.2 L’approximation

À l’intérieur de l’approximation, on distingue les constructions selon que comme a une portée sur des entités concrètes ou abstraites (11), sur des contenus quantifiables (12), sur des évènements, des états de fait qui prennent la forme d’énoncés entiers (13) ou de paroles (14-17).

Souvent, il n’est pas clair si l’évaluation porte sur le contenu référentiel ou sur la manière de dire. En (11) par exemple, l’approximation tient-elle de ce que le locuteur considère que le revenu dont il disposait n’a pas tout à fait les propriétés typiques d’une allocation familiale (il provenait peut-être d’un autre service gouvernemental) ou tient-elle d’une insatisfaction quant au choix du terme (l’équivalent français n’était pas présent à son esprit, par exemple)[15]. Il se pourrait qu’au contraire, le locuteur assume son choix lexical et que le comme approximatif soit une demande à l’intervieweuse, professeure d’université, québécoise, «française», d’approuver son utilisation de l’anglais ou de confirmer sa connaissance du terme. On a la chance, cette fois-ci, de trouver dans le contexte en aval de l’énoncé initial l’énoncé (11¢) ci-dessous, qui fournit un indice en faveur de la première hypothèse.

L’utilisation de comme pour introduire le discours direct (14-17) est sans conteste un emploi épilinguistique. L’opérateur signale expressément qu’on rapporte les paroles de façon approximative, non littérale. Il sera utile de distinguer le rapport des paroles d’autrui (14) de ce que j’appellerai «l’autocitation» (15-17).

Souvent, les propos «rapportés» sont plutôt des paroles fictives, parfois une simple exclamation (wow!, ah!, O.K.!), une sorte de discours sur un état d’âme ressenti lors de l’évènement relaté, construit a posteriori pour le bénéfice de la conversation. L’exemple (16) est révélateur de ce point de vue : la citation commence par une exclamation : Well! Hello!, se poursuit par une explication en discours direct j’aime plus des gars que et se termine par du discours rapporté indirect avec un retour à la 3e personne que yelle, déjà initié par le commentaire parenthétique adressé spécifiquement à l’interlocutrice : especially S.[17].

Yaguello 1998 et Fleischman 1998 en attestent l’existence pour genre en français hexagonal. Maschler 2000 relève l’équivalent en hébreu pour le marqueur de forme ke+ilu. La construction prend la forme be+like en anglais (Blyth, Recktenwald et Wang 1990; Ferrara et Bell 1995; Romaine et Lange 1991; Underhill 1988), et Und ich so/ und er so en allemand (Golato 2000). On parle d’une «quotative function». Plusieurs y voient un universel du discours dans cette construction, Fleischman notamment.

3.3 L’exemplification

Les citations (18) et (19) sont des cas typiques d’exemplification. En (18), l’entité «Madame B.» est comprise dans l’extension de la classe des gens qui pâtissent. «Un tel a battu un tel» (19) est une instance (x) des choses comprises dans l’ensemble (X) des choses entendues.

La classe d’objets qui sert de point de référence pour l’exemplification n’est pas toujours aussi immédiatement accessible que dans les exemples précédents. En (20), plutôt que de désigner un objet dénoté par une expression référentielle, le constituant qui tient lieu d’exemple, «il y avait un grand champ...» est un des éléments constitutifs de l’évènement jouer à la balle, notamment l’espace du jeu. L’exemple a pour fonction d’expliquer l’évènement. Dans l’exemple suivant (21), l’entité x correspond au commentaire «je mind pas le monde qui s’habille»; il faut analyser la situation en détail pour définir la classe de référence X.

La locutrice émet une opinion concernant ses préférences sur le plan vestimentaire et fait un commentaire sur un certain type de blouses. Elle pressent que l’interlocutrice pourrait tirer la conclusion «tu n’aimes pas les gens qui portent les blouses à frisons», et écarte cette conclusion en donnant pour argument qu’elle n’a rien contre les gens qui soignent leur apparence. Le verbe dépend indique que la locutrice se livre à un débat intérieur et ouvre la voie à une pluralité de contre-arguments, d’où l’attribution de la fonction d’exemplification[18].

Dans ce genre d’emploi, le commentaire introduit par comme occupe la place de la variable x. La classe d’objets X est l’ensemble des conclusions que l’on peut inférer d’un acte d’assertion directeur. Si le fait inféré est jugé satisfaisant par la locutrice, comme introduira un exemple qui remplira la fonction d’illustration ou d’explication; si le fait est jugé erroné, comme introduira un exemple qui aura pour fonction la réfutation.

L’exemplification, l’explication, la réfutation ont en commun toutes les caractéristiques de l’archifonction d’exemplification : le commentaire décrit un référent, un état de choses, un évènement qui se trouve dans l’extension de X, la relation entre la classe inférée et l’instance x va dans le sens de l’exemplification [X comme x] et il s’établit une relation multiple entre les objets de la classe X et l’entité x. L’exemplification est la valeur généralisée, constante de comme dans cette construction. C’est du contenu des variables que se dégagent les modalités exemplative, explicative, argumentative, contre-argumentative, et non pas de la structure de la construction.

3.4 Le cas des expressions stéréotypées

Les expressions récurrentes comme ça, comme moi/toi/eux, comme on dit/comme t’as dit méritent une attention particulière pour des raisons qu’on comprendra au regard des résultats. On déterminera d’abord la fonction de comme d’après la structure canonique de la construction (X comme x/x comme X), puis on catégorisera l’emploi en fonction du rôle de l’expression dans l’articulation du discours.

3.4.1 Comme ça comparatif

La structure de l’expression comme ça correspond à celle de la comparaison. Deux rôles discursifs sont à distinguer selon que l’expression se trouve en fin d’énoncé ou à sa tête. Dans le premier cas, comme ça fonctionne de façon similaire aux exemples 7 à 9 ci-haut. Ainsi dans (22), rien occupe la place de la variable x et ça renvoie à la classe X, en l’occurrence la classe des actions associées au rituel religieux.

3.4.2 Comme ça résomptif

Quand l’expression est en tête d’énoncé, comme ça est appelé résomptif parce qu’il résume un bloc d’information développé dans le cotexte précédent. L’énoncé (23) se traduit de la même manière que le comme typifiant en emploi libre de l’exemple (10). Ça résume l’idée du manque de solidarité, de la rudesse, du laisser-aller chez les autres résidants....

3.4.3 Comme+SN+dire conjugué

Le comme apparaît souvent dans l’expression stéréotypée comme+SN+dire qu’Authier-Revuz 1995 qualifie de subordonnée comparative à modalisation autonymique. Le locuteur appuie son assertion sur celle d’un énonciateur tantôt anonyme, tantôt défini :

Syntaxiquement, cette assertion est l’expansion d’une principale non énoncée de type je dis X. Sémantiquement, c’est un «recours à “l’ailleurs” d’un autre dire comme comparant du dire en train de se faire». (p.183-4). Que le locuteur assume ou non le point de vue asserté, comme signale simplement que l’assertion x possède des propriétés semblables à celles d’une classe d’énoncés X assertés par un énonciateur en d’autres circonstances.

Les équivalents de (24) et (25) montrent la structure symétrique de la comparaison :

Le verbe dire prend la forme du présent gnomique ou d’un temps du passé garant de la validité de l’énoncé pour l’avenir. L’énonciateur est tantôt un énonciateur générique (on/ils), tantôt une personne dite du discours (je/tu), tantôt une 3e personne faisant référence à un individu particulier. L’expression utilisée avec une personne du discours (comme je dis, comme j’ai dit, comme je lui ai dit, comme t’as dit, comme tu dis) ancre l’énoncé dans la situation d’énonciation ou dans la progression textuelle.

L’expression utilisée à la troisième personne (comme ils disent (disont), comme lui dit, comme mon homme disait, comme on dit) situe l’assertion du locuteur par rapport à l’ensemble des choses dites. Cet appel au dire d’autres énonciateurs peut être un argument d’autorité ou, au contraire, une prise de distance par rapport à ce qu’on asserte. En (24), «comme on dirait» modulait l’assertion «les enfants ne sont pas élevés comme ils devraient l’être» dans deux sens possibles : ou bien le locuteur partage ce lieu commun et fait appel à l’opinion publique pour renforcer son opinion, ou il s’en remet à l’opinion publique sans s’engager personnellement.

3.4.4 Le point de vue

Mentionnons pour finir les expressions figées comme moi/ comme toi/comme tes voisins, formées de comme et d’un pronom disjoint ou d’un syntagme nominal. Dans ce type de construction, comme l’illustre (26), la variable X est remplie par le contenu de l’acte directeur dans l’échange, les valeurs des parents et la variable x par le marqueur de point de vue «moi».

Comme met en avant-plan le point de vue (x) à l’exclusion d’autres, d’où la valeur exemplifiante que nous lui attribuons.

3.5 La grille de catégorisation des fonctions

La grille ci-dessous résume les catégories qui ont été retenues pour le classement des attestations de comme relevées dans les deux corpus utilisés.

Tableau 1

Grille de catégorisation

Grille de catégorisation

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La grille a été faite en fonction des emplois attestés dans nos données et des buts de l’étude. Nous croyons que dans l’ensemble, elle résisterait à une description complète du sens de l’opérateur si on avait à faire des distinctions plus fines, comme de distinguer l’explication de la reformulation à l’intérieur de la fonction exemplifiante, ou à ajouter des emplois non attestés tels l’usage causal et temporel de comme, qui n’ont pas cours en chiac d’après nos données.

4. La problématique

4.1 Les emplois adolescents

Afin de répondre à notre question initiale, à savoir si le profil de l’emploi de comme change d’une génération à l’autre du point de vue des fonctions, précisons nos attentes par rapport aux comportements langagiers sous examen. Chevalier et Cossette 2002 (à par.) ont décrit la grande diversité des emplois de comme attestés dans l’entrevue entre A03F14 et A04F14 du corpus Anna-Malenfant, des points de vue grammatical, sémantique et discursif. Le premier constat pertinent pour la présente recherche est la tendance des sujets à cumuler plusieurs occurrences du marqueur dans l’espace restreint d’un tour de parole (TdeP) comme l’illustrent les extraits suivants :

[A03F14] //well moi aussi je trouve qu’ i‑y‑a des gangs / qui commeA i s’habillent pas autant weird que ça là but (tousse) / commeB moi j’ai ma façon de m’habiller commeC ju (=je suis) juste simple commeD c’est souvent que je vas juste tout le temps porter une tee‑shirt avec des jeans ou commeE / je vas pas porter des grandes euh : des grandes blouses avec touT des frills touT sur les bras pis ça / pis : i‑y‑a dépend commeF je mind pas le monde qui s’habille parce que i n’a beaucoup de zeux commeG qu’a pluS d’argent que d’autres / pis ça s’habille vraiment prep pis ça pis c’est cool

Extrait no 15 (7 comme; 122 mots)

[A03F14] //well moi un évènement qui que j’ai vécu qui m’a été important well j’ai trouvé ça je prenais des cours de piano ça faisait trois quatre ans pis quand‑c’e j’avais été / à hum / j’avais été à un spectacle là que c’était commeA / well anyways c’était un concours là pis j’avais gagné première place sur une pièce / pis j’étais très contente pis on va un des voyages que j’ai plus aimé c’était un quatrième ou cinquième année je m’en rappelle pus trop de quoi commeB ioù‑c’e qu’on avait été but on avait été vraiment loin on avait été par euh : Ontario pis ça pis on avait / on avait été à Niagara Falls pis right à beaucoup de places on avait fait commeC cinq six stops commeD dans / on avait commeE été gone commeF deux semaines pis on restait commeG deux jours à chaque place c’était right cool

Extrait no 19 (7 comme; 162 mots)

Précisons que ces extraits faussent un peu la réalité, car 119 des 151 tours de parole qui constituent l’entrevue ne contiennent aucune occurrence de comme. Environ 90 % des 32 TdeP qui en contiennent ne dépassent pas le seuil de trois (voir le nombre de comme par tour de parole dans le tableau des données en annexe).

Si on fait abstraction des particularités lexicales du parler acadien, la majorité des emplois attestés, pris isolément, sont conformes aux constructions du français décrites dans le Nouveau Petit Robert. Nul doute toutefois que dans l’ensemble, il y a surutilisation de comme. On note d’ailleurs une certaine homogénéité dans les séquences où comme est utilisé à répétition, comme si la fonction de la première occurrence donnait le ton pour la suite. Dans l’extrait no 15, commea, b, c, d sont exemplifiants/explicatifs, c’est-à-dire qu’ils introduisent un énoncé, soit un constituant qui sert de preuve à l’appui d’une assertion, soit par le biais d’exemples ou en amenant une assertion d’extension plus restreinte que l’assertion directrice. Toutes ces occurrences de comme ne sont pas essentielles (commea et c s’effacent sans préjudice pour le sens) et d’autres marqueurs pourraient s’y substituer pour varier (par exemple à la place de commeB).

Dans l’extrait no 19, c’est l’approximation qui est marquée à répétition, faisant écho au commentaire introductif je me rappelle pus trop de quoi. L’effacement systématique de comme entraînerait toutefois une distorsion de la réalité représentée, sauf peut-être avec commeC, qui modalise un constituant déjà approximatif (comme cinq six stops). Ce passage est symptomatique de la réduction générale du répertoire des marqueurs d’approximation au seul comme. Environ, à peu près, disons, peut-être, une espèce de, une sorte de, un peu, un genre de se substitueraient avantageusement à comme en certains endroits. Pourtant, ils brillent par leur absence dans le corpus Anna-Malenfant.

D’autres phénomènes qui ressortent de cette entrevue sont la rareté du comme de comparaison, l’utilisation de comme pour la réfutation (no 45, commeA et commeC), la haute fréquence du comme approximatif, notamment auprès d’adverbes de degré (no 48 commeA; no 64, commeA) et la construction (c’est) comme pour introduire le discours rapporté direct ou l’autocitation (no 64, commeB). L’utilisation de comme postposé (no 45, commeD) maintenant très répandue en français québécois (Dostie 1995), est rare dans cette entrevue.

[A03F14] (...) j’ai jamais bu pis j’ai jamais fumé pis ça commeA je dis pas que c’est wrong de le faire parce que je connais beaucoup de jeunes qui le font à leur âge but moi je <A04> commeB moi (rires) (rires) but moi je le ferais pas parce que je me sentirais pas correcte de faire ça je me <A04> mm sentirais pas bien dans moi‑même / but commeC j’aime quand même aller des parties but à des parties straight commeD

Extrait no 45

[A04F14] well moi <A03> (rires) ça arrive souvent que je vas à des parties pis i sont commeA pas touT là / commeB la semaine passée j’ai été à un party right / pis euh : i‑y‑avait moi / L. / mon boyfriend le boyfriend à L.

Extrait no 48

[A04F14] (...) /ça aurait pas été commeA/ trop nice de ma de ma part là d’arriver chez nous là toute commeB /quoi t’as fumé de la hasch aussi/

Extrait no 64

4.2 L’hypothèse de travail

Ces observations laissent prévoir, dans un usage «normalisé» de comme, une réduction draconienne du surmarquage par rapport au profil adolescent et, par conséquent, une réduction significative du cumul, un usage accru de la comparaison et peut-être la disparition de comme introducteur du discours direct. Rien ne nous autorise à ce point-ci à faire des prédictions sur l’importance de l’approximation par rapport à l’exemplification/explication ou la comparaison selon les générations.

On peut écarter dès maintenant l’hypothèse émise au début selon laquelle genre prendrait en charge une partie des emplois de comme vers la fin de l’adolescence. Il passe bien de la fréquence de 0 dans le corpus Anna-Malenfant à la fréquence de 21 dans le corpus Parkton. Douze attestations apparaissent dans la question Quel genre de travail faites-vous? Elles n’ont pas été comptées parce qu’elles sont imputables à l’intervieweuse et sont de toute façon de nature lexicale et non discursive. Des neuf attestations éligibles, seulement trois correspondent aux nouvelles tendances :

5. Présentation des données et discussion des résultats

5.1 Les données

Un tableau en annexe présente les résultats du dépouillement des corpus. La partie de droite donne les indications sur l’âge et le sexe des sujets dans les deux corpus (A = adolescents du corpus Anna-Malenfant; P = adultes du quartier Parkton). Dans la partie centrale, la colonne Corpus fournit les données sur le nombre de mots produits par le locuteur au cours de l’entrevue, la colonne Comme, le nombre d’occurrences de comme, TdeP, le nombre d’observations ou tours de parole comprenant au moins une occurrence de comme et, enfin, Intensité calcule le pourcentage d’utilisation de comme dans la production de chaque sujet ou corpus. Pour finir, le volet droit du tableau répertorie le nombre de tours de parole (TdeP) comprenant un nombre donné de comme. Ainsi, la locutrice A03F14 utilise une seule occurrence de comme dans six tours de parole, quatre TdeP contiennent deux comme, un TdeP en contient trois et ainsi de suite jusqu’au spectaculaire, mais exceptionnel dix-sept comme.

5.2 L’intensité de comme

Deux mesures permettent d’évaluer l’importance de comme dans l’usage : son rang dans le lexique et son intensité. En matière de fréquence, comme se trouve au 42e rang dans le lexique du Français Fondamental (FF) (Gougenheim, Michéa, Rivenc et Sauvageau 1964)[19], au 30e rang dans le corpus Parkton et au 10e dans le corpus Anna-Malenfant. L’intensité moyenne de comme est de 1,7 % chez les adolescents et de 0,8 % chez les adultes, plus précisément de 1,1 % dans le groupe de 19-39 ans et de 0,6 % dans le groupe des 40 ans et plus. Elle se situait à 0,5 % dans le FF. Les chiffres du tableau en annexe montrent que l’intensité de comme ne diminue pas de façon progressive avec l’âge, comme le voudrait l’hypothèse. En plus d’enregistrer une variation sensible entre les sujets d’une même tranche d’âge, l’écart entre les tranches est considérable. Ainsi, deux locuteurs dans la soixantaine (P181F60 et P081F60) ont une intensité plus forte que plusieurs locuteurs plus jeunes : un dans la vingtaine, deux dans la trentaine et deux dans la quarantaine ont une intensité d’utilisation de comme inférieure à 0,8 %.

Pour avoir une idée globale des comportements, nous avons examiné la distribution des sujets sur l’axe de l’intensité (de 0,1 % à 4,2 %), de façon à ce qu’ils soient répartis en trois groupes égaux (2 groupes de 10 et un troisième groupe de 9 sujets). C’est ainsi qu’ont été établis les trois degrés d’intensité, forte, moyenne et faible (tableau 2).

Tableau 2

Intensité par âge

Intensité par âge

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Ces résultats appuient l’hypothèse d’un effet de génération sur l’usage de comme : 66 % des locuteurs adolescents font une forte utilisation de comme, la proportion tombe à 22 % des sujets chez les 19-39 et devient nulle dans le troisième groupe d’âge. De ce groupe, 60 % des sujets ont une intensité d’usage de comme dans la zone faible.

5.3 Le cumul de comme

Deux aspects sont à prendre en considération pour comparer le profil des adolescents à celui des adultes sur le plan du cumul de comme, soient le nombre maximum d’occurrences qu’on peut cumuler dans un même tour de parole, et son rapport avec la longueur des tours de parole. Près de 90 % des TdeP produits par les adolescents et au delà de 96 % de ceux des adultes ne dépassent pas le seuil de trois occurrences (la somme des trois premières colonnes du tableau 3).

Tableau 3

Proportion des tours de parole comprenant n comme par groupe d’âge

Proportion des tours de parole comprenant n comme par groupe d’âge

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L’emploi des adolescents se démarque toutefois de celui des adultes quant à la longueur minimale requise pour que trois occurrences soient possibles. Le premier énoncé à se qualifier dans le corpus Anna-Malenfant est d’une longueur de 60 mots, comparativement au seuil de 85 mots dans le corpus des adultes. D’ailleurs, les adolescents ont de la peine à se passer de comme dans les tours de parole le moindrement élaborés, alors que les adultes s’en passent facilement, même si leurs interventions atteignent souvent les 350 ou 400 mots. Du point de vue des sujets, une proportion égale d’adultes et d’adolescents plafonne au même niveau. Trois des dix adultes de plus de 40 ans (30 %) plafonnent à 4 ou 5 comme, comparativement à quatre des douze adolescents (33 %) :

Tableau 4

Les sujets selon le maximum de comme dans leur tour de parole

Les sujets selon le maximum de comme dans leur tour de parole

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Il n’en demeure pas moins que seulement 33 % des jeunes ne dépassent pas le seuil de trois occurrences par TdeP, contre 67 % des 19-39 et 70 % des 40 ans et plus :

Tableau 5

Calcul cumulatif du pourcentage (%) de locuteurs selon le seuil de plafonnement

Calcul cumulatif du pourcentage (%) de locuteurs selon le seuil de plafonnement

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Les données quantitatives donnent raison à la perception répandue dans la communauté[20] selon laquelle les adolescents font un usage «excessif» de comme, en prenant pour norme, faute de mieux, l’intensité enregistrée dans le Français Fondamental, qui se situait à 0,5 %, et la moyenne adulte dans nos données (0,8 %). Reste que certains adultes, jusque dans la quarantaine, conservent un profil d’emploi pas tout à fait «normalisé» : P061F19, P171F20, P091F30 et P141F40 se maintiennent au-dessus d’une intensité de 1 %.

5.4 Les fonctions de comme

Sur le plan des fonctions, le classement des 1246 occurrences de comme donne une prépondérance marquée de la fonction d’approximation pour les adolescents (51,1 %), suivie de loin par l’exemplification (37,5 %), laissant la comparaison loin derrière (11,4 %). L’approximation passe au troisième rang chez les adultes, l’exemplification restant en avance sur la comparaison :

Tableau 6

Fonctions de comme selon les groupes d’âge

Fonctions de comme selon les groupes d’âge

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Le groupe des 19-39 est celui où l’écart entre le maximum et le minimum est le plus faible, soit 12,8 %. L’écart de 23,2 % chez les 40 ans et plus est attribuable en partie au net recul de l’approximation (14,2 %). Les résultats les plus contrastés restent ceux des 14 ans. Enfin, l’exemplification demeure stable d’un groupe d’âge à l’autre.

Des différences intéressantes apparaissent si on tient compte des constructions à l’intérieur des trois catégories fonctionnelles :

Tableau 7

Catégorisation des fonctions

Catégorisation des fonctions

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Un décompte séparé des emplois libres et des expressions figées réduit l’écart intergroupe pour l’usage de la comparaison et rapproche davantage la fonction d’exemplification/explication. La faible utilisation des expressions figées par les adolescents devient alors manifeste. Comme ça a une très faible fréquence. En effet, tous les adultes (sauf deux) l’utilisent au moins une ou deux fois au cours de l’entrevue, contre quatre adolescents sur douze. Les autres expressions figées sont littéralement absentes du corpus Anna-Malenfant. Le protocole d’une entrevue interactive était propice à l’emploi de comme ça résomptif, fréquent chez l’intervieweuse du corpus Parkton pour clore les échanges et embrayer sur un nouveau thème. Les jeunes préfèrent clore au moyen des interjections cool!, ah well!, j’sais, O.K., quand ils ne passent pas sans transition à la question suivante. Enfin, on ne relève qu’une seule occurrence de comme+dire dans le corpus d’adolescents (comme t’as dit (L04F14)), aucune de la catégorie «point de vue».

Dans la catégorie approximation, prédominante chez nos adolescents, les catégories d’approximation qualitative, d’approximation quantitative et d’autocitation subissent une baisse importante chez les adultes. L’assertion et le discours direct se maintiennent à peu près au même niveau chez les 19-39. L’autocitation reste un usage assez particulier, même chez les jeunes, puisque seulement cinq des douze sujets adolescents l’utilisent, et ce, de deux à quatre fois chacun. Trois des neuf sujets adultes en font également usage (P171F20 : f.1; P211M20 : f.3 et P91F30 : f.1). Les 40 ans et plus n’en font pas usage, pas plus que pour le discours rapporté direct[21]. Enfin, la fréquence de l’approximation dans la catégorie assertion se maintient d’une génération à l’autre. C’est d’ailleurs cette catégorie qui est responsable de la plupart des comme postposés.

5.5 La position

La postposition occupe une faible place dans nos corpus : 93 des 1246 occurrences, soit 7,5 % de l’emploi total (cf. tableau 8)[22]. Il peut sembler surprenant que les 40 ans et plus l’utilisent dans les mêmes proportions que les 14 ans, vu la nouveauté de cet emploi.

Tableau 8

Position de comme

Position de comme

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La proportion des sujets qui en font usage a aussi l’heur de surprendre : 10 sujets adolescents (83,3 %), 6 sujets du groupe des 19-39 (66,7 %) et 4 sujets de 40 ans et plus (40 %)[23]. On le retrouve à 80 % là où il a une portée sur un énoncé complet (assertion, exemple ou explication). Quand il porte sur un constituant, il est catégorisé approximation qualitative ou quantitative, selon la nature du constituant.

6. Interprétation et conclusion

Faut-il rappeler que cette étude est essentiellement exploratoire? Les observations que nous avons faites ne valent que pour les sujets enregistrés, et nous travaillons sur un faible nombre d’occurrences. Tel que mentionné précédemment, les corpus utilisés ont été choisis parce qu’ils mettent à notre disposition des échantillons de productions de locuteurs appartenant à la même communauté linguistique. Les conditions de collecte des deux corpus ont pu avoir une influence sur l’utilisation de comme, tel que l’illustrait l’effet du rôle de l’intervieweur pour l’emploi du comme résomptif. On ne peut garantir que la prédominance de l’approximation chez les adolescents et la faible utilisation de formes figées ne soient pas imputables à quelque facteur situationnel, ni qu’elles aient pu encourager l’usage de comme introducteur de discours direct, par exemple. Rien ne nous interdit quand même d’émettre des hypothèses sur les faits observés.

Diachroniquement, on peut expliquer comment il se fait que comme soit devenu un marqueur d’approximation (Dostie 1995, Perrot 1992), mais on ne peut expliquer la récente prédilection pour ce marqueur en français canadien, de préférence à genre, privilégié en français hexagonal, ou à like, source présumée de sa vogue dans la communauté acadienne de Moncton. Son usage pour marquer le caractère approximatif du discours direct (autocitation ou discours rapporté) reste également justifiable à l’intérieur du système, mais peut-on prévoir qu’il se perpétuera? Nos treize occurrences dans le groupe des 19-39 ans sont-elles un signe avant-coureur de la permanence de cette structure ? Le cas de l’octogénaire rapporté à la note 21 laisse présager une pénétration de l’usage adolescent dans les générations des parents et des grands-parents.

Sur le plan développemental, on pourrait être tenté de lier la diminution des usages approximatifs à des facteurs de maturation, tels l’accroissement de la force d’assertion chez l’adulte ou une meilleure maîtrise du lexique. Pour appuyer cette hypothèse, il faudrait d’abord vérifier si la diminution de l’approximation dans le discours adulte ne serait pas attribuable à une diversification des marqueurs d’approximation. Disons, environ, à peu près, peut-être, un genre de apparaissent dans le corpus adulte. D’autre part, les expressions figées comme on dit ou quelque chose comme ça font basculer des emplois approximatifs dans la comparaison.

Toujours sur le plan développemental, on pourrait lier la faible utilisation des formes figées (dire et point de vue) à une tendance observée chez les apprentis scripteurs à omettre l’ancrage contextuel dans leur production écrite (Schneuwly 1988), ce qui était interprété précisément comme un indice d’oralité. Les locuteurs adultes prennent la peine, même à l’oral, de donner des repères qui permettent à l’interlocuteur d’évaluer la portée de leurs assertions. On spécifie le point de vue par rapport auquel on se situe (comme moi/ comme eux), on appuie ses assertions sur une sagesse populaire (comme on dit) ou sur la sagesse d’autrui (comme ils disent, comme mon homme dit, comme qu’alle dit), ou on se situe dans la progression des évènements ou du texte (comme je lui ai dit/ comme je t’ai dit/ comme je te disais). Si les jeunes ne posent pas de repères énonciatifs au moyen de ces expressions figées, le font-ils par d’autres moyens, ou les observations de Schneuwly ont-elles une portée plus large que prévu?

Malgré les réserves d’ordre méthodologique exprimées, la différence quantitative importante dans l’usage de comme dans la fonction approximative et l’usage des expressions figées nous portent à croire que le changement qui s’opère d’une génération à l’autre va au delà d’une réduction de fréquence de comme, qu’il touche le profil général du système. À notre avis, la piste des facteurs maturationnels est à suivre.