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Hans-Georg Gadamer nous a quittés, paisiblement, le 13 mars dernier, à l’âge de 102 ans. Arrivé au terme de son long chemin de pensée, il nous en a légué la trace, précieuse et patiemment définie. Le grand maître de l’herméneutique, c’est une chose entendue, restera l’une des très grandes figures de la philosophie du vingtième siècle, qui est encore à maints égards le nôtre, tellement la charge de ses questions et de ses inquiétudes continue d’accompagner le nouveau millénaire, en ses débuts encore incertains.

Gadamer a toujours soupçonné que la visée fondamentale de la philosophie la destinait à rejoindre une dimension de l’expérience antérieure aux objectivations des sciences positives (lesquelles, à strictement parler, ne sont pas censées nous concerner), c’est-à‑dire une expérience de vérité qui ne se découvre que dans la mobilité même de la vie, et qui de ce fait en recoupe l’essence questionnante. L’herméneutique n’est au fond rien d’autre que l’exploration de cette structure profonde de l’expérience humaine, de sa finitude temporelle, et par là, de son ouverture insigne, celle du dialogue. C’est un peu ce que la conférence « Métaphysique et finitude », prononcée en 1982 à l’Université Laval, voulait laisser entendre. Les auditeurs présents ce soir-là se rappelleront avec quelle force, mais aussi avec quelle simplicité, Gadamer avait su retracer son itinéraire personnel, à travers surtout les figures de Hegel et de Heidegger, si importantes pour lui. L’essentiel n’était pas là, mais en décrivant l’urgence ressentie, au début des années vingt, d’entrevoir de nouvelles voies pour la philosophie, c’est tout l’univers du savoir et de l’université allemande du début du siècle, de la crise néo-kantienne, que Hans-Georg Gadamer faisait soudainement revivre à son auditoire, comme par magie.

Cette conférence fut la seconde présentée par Gadamer à l’Université Laval, cinq ans après sa première visite en 1977. Dès le début des années quatre-vingt, l’herméneutique philosophique est devenue un thème régulier d’enseignement à la Faculté de philosophie, aux trois cycles d’études, en plus de trouver de féconds échos à la Faculté de théologie et de sciences religieuses. Le Laval théologique et philosophique a depuis lors accueilli en ses pages plusieurs articles, recensions et compte rendus sur l’oeuvre de ce penseur majeur, à laquelle la revue a par ailleurs consacré un numéro complet, en février 1997 (vol. 53, no 1). La voix de Gadamer nous était donc devenue familière, sans jamais cesser de nous étonner. Parions qu’elle se fera entendre longtemps encore, à travers les écrits, et qu’elle continuera d’éclairer les philosophes et les théologiens sur le sens de leur propre tâche.