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Le développement des services de garde d'enfants au Canada est comme une histoire sans fin. Le feuilleton s'éternise, et les services de qualité persistent à manquer, bien que de nombreux acteurs des milieux gouvernementaux et de la société civile soulignent depuis des décennies la nécessité d'un système de garderies à caractère universel. La « nécessité », il est vrai, ne justifie pas à elle seule les décisions et les orientations des gouvernements. Pour comprendre les effets sexués des politiques, il est essentiel de mettre au jour les postulats relatifs aux rapports de genre — et aux rapports sociaux en général — qui sous-tendent les choix effectués par les acteurs, à l'intérieur et à l'extérieur des cadres de l'État. C'est ce que nous nous proposons de faire ici, en remontant aux toutes premières initiatives prises par le Canada dans le domaine des services de garde. Nous aurons l'occasion de constater que les « communautés d'idées politiques » — ou communautés de politiques publiques (policy communities) — qui ont joué un rôle dans cette histoire n'ont pas voulu d'un régime offert à toutes les familles, préférant des mesures sélectives destinées aux pauvres. Il s'agissait d'un choix délibéré, car il s'est trouvé à tout moment des voix pour réclamer un régime universel, mais elles ont été impuissantes à couvrir celle des bureaucrates « assistancialistes » qui tenaient les commandes et préconisaient des programmes ciblés sur les familles et les enfants démunis. Ainsi, dans un domaine depuis longtemps considéré par les féministes de nombreux pays comme névralgique pour le renforcement ou l'affaiblissement de l'égalité des sexes, les orientations imprimées aux politiques canadiennes ont nui à leur potentiel de réduction des inégalités de classe et de sexe.

Nous exposerons d'abord notre cadre théorique, en montrant qu'il importe d'examiner les problématiques qui s'opposent dans ce champ, ainsi que les lieux où se situent les acteurs qui luttent en faveur de certains choix politiques. Dans la deuxième partie de l'article, en retraçant les origines de la politique canadienne des années 1960 en matière de garde d'enfants, nous ferons ressortir que le dossier a été mené, non par les féministes, mais, avec l'appui du Bureau de la main-d'oeuvre féminine du ministère du Travail du Canada, par un réseau de travailleurs sociaux épousant une logique conforme à la mentalité libérale qui imprégnait le cadre dans lequel allaient s'insérer les mesures adoptées, en voie d'institutionnalisation au sein du Régime d'assistance publique du Canada (RAPC) [1]. La réponse féministe, exprimée en 1971 par la Commission royale d'enquête sur la situation de la femme au Canada (Commission Bird), est présentée dans la troisième partie. La suite de l'article apporte les éléments les plus nouveaux, puisqu'elle traite du rôle, peu étudié jusqu'ici, des « féministes d'État » [2] mandatées pour donner suite aux recommandations de la Commission Bird touchant les services de garde. Leur échec à obtenir l'adoption de la loi nationale jugée souhaitable par la majorité des commissaires traduit leur impuissance à contrer la mainmise exercée sur les programmes sociaux par une bureaucratie d'orientation libérale, favorable à un dispositif assistanciel.

Les politiques sur les services de garde : les féministes font l'histoire… tant bien que mal

Le taux d'activité des femmes varie selon les pays de l'OCDE, mais évolue dans le même sens depuis le début des années 1960. Dès cette époque, l'entrée définitive des femmes dans la main-d'oeuvre rémunérée ne permettait plus aux gouvernements de tenir pour acquis qu'elles auraient la possibilité ou l'intention d'assurer au sein de l'univers familial les mêmes soins et services gratuits que par le passé. Il fallait réviser les postulats relatifs à ces services.

Les enfants ont tenu beaucoup de place dans la réflexion qui s'est engagée, et un certain nombre d'acteurs se sont intéressés aux services de garde. Les spécialistes de la petite enfance, notamment, se sont livrés à de longues discussions sur les avantages des services professionnels pour les parents [3]. Les féministes étaient aussi de la partie : depuis les années 1960, le féminisme s'est en effet affirmé comme l'une des forces qui restructurent nos sociétés  [4]. Aux yeux de nombreuses féministes de la deuxième vague, l'égalité des sexes ne pouvait exister sans services de garde accessibles et de qualité. Qu'elles soient de tendance « sociale-libérale » [5] ou sociale-démocrate, ces services leur apparaissaient comme le fondement de l'autonomie économique des femmes, puisqu'ils leur facilitaient le travail à plein temps. Le combat pour les garderies est aussi devenu dans certains pays et pour certains mouvements féminins un moyen de renforcer la solidarité entre les classes et de nouer des alliances avec d'autres forces progressistes, en particulier les syndicats.

On ne saurait cependant présumer que toutes les féministes se sont rejointes sur la même définition des services de garde et ont adhéré à l'idée d'universalité. Il est certain que dans l'optique du féminisme « maternaliste » qui a si fortement prédominé durant les premières décennies du 20e siècle, des mesures permettant aux femmes de rester au foyer pour s'occuper elles-mêmes de leurs enfants pouvaient paraître souhaitables. D'un autre côté, les féministes libérales ont parfois évité le sujet des garderies, de crainte d'attirer l'attention sur des responsabilités par lesquelles les femmes se distinguaient des hommes.

Outre les points de vue des spécialistes de la petite enfance et des féministes, les idées qui avaient cours dans la sphère des politiques sociales en général ont influencé le débat. Libéraux ou corporatistes, les régimes d'État providence peuvent, pour des raisons différentes, receler un biais contre l'universalité des services de garde. Dans les régimes corporatistes conservateurs, où l'on adhère au principe de subsidiarité et à une conception traditionnelle des rôles sexuels, on voit mal l'État assumer ou même soutenir un régime universel de garderies [6]. Dans les régimes libéraux, le rejet de l'intervention de l'État conduit souvent à des programmes sélectifs, axés sur les besoins des démunis (Mahon et Phillips, 2002).

Ces configurations ne sont cependant pas figées éternellement. S'il est vrai que les modèles institutionnalisés favorisent les évolutions lentes plutôt que les mutations soudaines, des changements importants peuvent se produire à certains moments. Comme le fait remarquer Jenson (1986), il existe des périodes d'effervescence généralisée où l'univers du discours politique s'ouvre à des conceptions neuves. Il s'ensuit une certaine disponibilité de tout le corps social pour des politiques novatrices, voire des changements de paradigmes [7]. Et même lorsque le climat est moins propice au changement, les modèles généraux peuvent souffrir des exceptions dans certains domaines particuliers. C'est pourquoi il importe d'analyser les « communautés d'idées politiques » [8] qui ont voix au chapitre dans une conjoncture donnée, et les arguments qu'elles mettent de l'avant. Certaines ont la possibilité d'imprimer leur marque sur les politiques gouvernementales, tandis que d'autres sont exclues ou renvoyées aux marges. Considérant les communautés d'idées qui se sont développées dans un régime d'État providence libéral comme le Canada, on peut se demander laquelle a parlé le plus fort et a imposé la définition opératoire eu égard à l'implantation des services de garde : les tenants de mesures intégrées à une politique plus globale destinée à combattre la pauvreté et à aider les familles « nécessiteuses », ou les féministes et leurs alliés, pour qui les services de garde étaient nécessaires à l'établissement de chances égales pour les hommes et pour les femmes.

Les mesures touchant la garde des enfants financées en vertu du RAPC ont été mises en place à une époque de relative ouverture dans l'univers du discours politique, mais avant la montée de la deuxième vague du féminisme. Elles correspondaient aux besoins exprimés alors et aux préoccupations d'un réseau de travailleurs sociaux dont les conceptions — sur la famille, les relations hommes-femmes et l'enfance — cadraient avec les postulats libéraux dominants : le rôle de l'État eu égard au filet de sécurité sociale demeurait limité et le caractère sacré du modèle familial à pourvoyeur masculin n'était pas entamé. Puis, lors des travaux de la Commission Bird, qui ont attiré les projecteurs sur le féminisme social-libéral de la deuxième vague, les féministes ont répandu des idées nouvelles, proclamant que l'implantation de services de garde universels et de qualité était nécessaire à l'égalité des chances entre hommes et femmes. Mais, comme nous le verrons, elles n'ont pas réussi à obtenir une loi sur les services de garde fondée sur le principe de l'universalité, ayant été incapables de modifier l'équilibre du pouvoir au sein de la communauté d'idées qui dominait le champ des politiques sociales. En particulier, elles ne sont pas parvenues à dégager un espace de manoeuvre suffisant pour l'appareil alors embryonnaire du « féminisme d'État ».

Premières politiques canadiennes sur les services de garde

Le gouvernement canadien n'a commencé à participer au financement des services de garde que durant la Deuxième Guerre mondiale. Encore ne l'a-t-il fait que de façon parcimonieuse, et parce qu'il lui apparaissait, en 1942, que le manque de services nuisait au recrutement de main-d'oeuvre féminine (Prentice, 1993). Par l'intermédiaire d'une entente fédérale-provinciale sur le partage des coûts, il offrit alors d'assumer la moitié des coûts des services de garde destinés aux femmes employées dans les industries jugées essentielles à l'effort de guerre [9]. Cette politique circonstancielle jetait les balises de la structure intergouvernementale complexe qui allait se développer plus tard.

L'interruption du programme, en 1946, ne souleva guère d'opposition. Quelques députés tentèrent bien de faire valoir que le gouvernement devait financer des services de garde dans le cadre d'une stratégie de promotion de l'égalité des sexes, mais il s'agissait de femmes logeant dans les marges politiques. Le Congrès du travail du Canada, qui en 1945 avait plaidé pour un soutien gouvernemental aux garderies, eut tôt fait de retraiter sur la question de l'égalité des sexes [10]. Aucune bataille pour la reconduction des mesures adoptées en temps de guerre ne fut menée non plus par les organisations féminines. Le Conseil national des femmes du Canada, proche du féminisme maternaliste, considérait la mère au foyer comme le « rempart d'une société libre ». On aurait pu attendre un engagement plus résolu de la part de la Fédération canadienne des clubs des femmes de carrières commerciales et professionnelles (FCCFCCP); mais l'adhésion implicite de cette association au point de vie féministe libéral selon lequel « un traitement différentiel des sexes dans les lois et au sein de la société nuisait à l'avancement de la cause des femmes pourrait expliquer sa réticence à soutenir une législation spécialement destinée aux mères » (Finkel, 1995 : 103).

Le retrait du programme reflétait donc les idées dominantes : les femmes mariées devaient réintégrer le foyer, et les hommes assumer le rôle de pourvoyeur qui leur revenait de droit. Pourtant, un peu partout au pays, la participation des femmes à la main-d'oeuvre, même après le mariage, était déjà en forte ascension. En 1941, seulement 13 pour cent des travailleuses étaient mariées; en 1951, la proportion atteignait 30 pour cent, et en 1958 les femmes mariées représentaient 40 pour cent des femmes occupant un emploi (Women's Bureau, 1958 : 10).

Néanmoins, dans la population et les médias, on continuait à préconiser le modèle du pourvoyeur masculin et à idéaliser les soins assurés par la mère au foyer. Durant les années 1950, la guerre froide conférait du reste une auréole à la famille nucléaire à chef masculin, dépeinte, on l'a vu, comme l'un des remparts du « monde libre » (Prentice, 1993). Même les défenseurs des femmes mariées présentes sur le marché du travail favorisaient des formules (travail à temps partiel et emplois temporaires) compatibles avec les responsabilités domestiques des femmes.

Mais le nombre de travailleuses ne cessait d'augmenter, à tel point que, dans les milieux de l'assistance sociale, même les esprits conservateurs en vinrent à sonner l'alarme : il fallait bien, reconnaissait Charlotte Whitton [11], que toutes ces femmes « mettent leur bébé quelque part pendant la journée » (cité dans Mahon, 2000 : 589). Au palier fédéral, l'unique bastion du « féminisme d'État » au sein du gouvernement, le Bureau de la main-d'oeuvre féminine du ministère du Travail, commença à s'intéresser de près à l'évolution du problème.

Beaucoup de femmes suivaient identiquement l'itinéraire classique : emploi jusqu'au mariage ou à la première grossesse, rôle de mère et de ménagère, reprise du travail rémunéré une fois les enfants devenus grands. Néanmoins, même à la fin des années 1950, 22 pour cent des femmes présentes sur le marché du travail avaient des enfants d'âge préscolaire (Women's Bureau, 1958 : 56). Or, en faisant ce constat, le Bureau de la main-d'oeuvre féminine découvrit un fait qui lui sembla renversant : la plupart de ces mères ne réclamaient pas de services de garde et se vantaient de bien s'organiser (Women's Bureau, 1958 : 59). Les unes avaient un horaire de travail qui leur permettait de partager la responsabilité du soin des enfants avec le père; d'autres s'entendaient avec des parents ou des voisins.

L'attitude paradoxale des mères intriguait Marion Royce, la directrice du Bureau (Mahon, 2000 : 591). Les services de garde n'étant pas directement de son ressort, elle demanda à la section responsable de la famille et de l'enfance au Conseil canadien du bien-être social d'utiliser ses réseaux pour sonder le terrain davantage, et le Conseil se retrouva bientôt en plein coeur d'un réseau de travailleurs sociaux préoccupés par le manque de services de garde. La section de la famille et de l'enfance apporta son appui à une série d'études de terrain permettant de connaître l'évolution des besoins.

Ce branle-bas, il est vrai, eut autant d'écho dans le débat politique national qu'un battement d'ailes de papillon. Aussi Royce reprit-elle l'initiative. En 1964, le Bureau de la main-d'oeuvre féminine publia un document, Day Care Services for Children of Working Mothers, qui faisait état de l'augmentation continue de la présence des mères sur le marché du travail et attirait de nouveau l'attention sur le curieux silence des femmes relativement au problème des services de garde (Women's Bureau, 1964 : 1). Ce « silence » était aussi un thème récurrent des enquêtes menées en divers milieux par les organisations locales d'assistance sociale. En marge d'une enquête auprès de 3500 personnes menée à l'Exposition nationale de Toronto, en 1965, l'Ontario Women's Bureau nota : « cette question du soutien de la collectivité à des services de garde d'enfants à coût modique a soulevé plus de discussions que d'autres sujets, mais les femmes ne savaient trop comment réagir. Leurs commentaires montrent qu'elles ne comprennent pas exactement ce que seraient les services de garde et qu'elles sont tiraillées à l'idée que les mères ont la responsabilité de s'occuper elles-mêmes de leurs enfants ». Un constat découlant d'une enquête locale à Ottawa allait dans le même sens : « rares sont les femmes prêtes à reconnaître que leurs enfants ne sont pas aussi bien traités qu'elles le souhaiteraient, et cette attitude défensive fait qu'il est difficile d'obtenir de meilleurs services collectifs ». L'enquête menée à Edmonton témoignait également de la réticence des mères occupant un emploi à réclamer des services de garde (cité dans Mahon, 2000 : 592).

La réaction des mères doit être mise en rapport avec un discours politique qui entretenait le silence sur le travail des femmes ayant de jeunes enfants. Dans des médias dont le public provenait surtout des classes moyennes, il n'était pas exclu que la « liberté de choix » des femmes soit présentée sous un jour favorable, mais il ne pouvait s'agir de mères d'enfants d'âge préscolaire (Strong-Boag, 1994). Le tabou n'était guère brisé que par des femmes de la classe ouvrière et des immigrantes obligées de travailler hors du foyer, qui trouvaient peu d'appui dans la grande presse. Les travailleurs sociaux, armés des nouvelles théories sur la psychologie de la petite enfance, étaient à peu près les seuls à reconnaître leurs besoins (Varga, 1997 : 12).

C'est dans ce contexte idéologique que le Bureau de la main-d'oeuvre féminine et la section de la famille et de l'enfance entreprirent de mener la bataille des services de garde. En principe, le Bureau de la main-d'oeuvre féminine aurait pu souhaiter mettre l'accent sur le « droit » des travailleuses à un régime public, mais l'idée d'universalité ne ralliait guère les suffrages à cette époque. Il lui était plus facile d'arriver à ses fins en suivant l'avenue empruntée par le Conseil canadien du bien-être social. Celui-ci, armé d'un discours professionnel qui mettait en valeur le rôle des experts dans la sauvegarde de l'enfance défavorisée, fut donc à même d'orienter la problématique. Le diagnostic s'ensuivit : on avait besoin, non pas d'un régime universel de services de garde, mais d'une assistance publique dirigée vers les clientèles financièrement — et moralement — « nécessiteuses ». Ces arguments pouvaient être entendus et acceptés sans discussion dans l'univers du discours politique, car ils ne touchaient pas à la famille nucléaire : les garderies ne représentaient pas une menace pour la famille à pourvoyeur unique masculin, mais un moyen de sauvegarder ce modèle : au lieu de retirer les enfants des familles en difficulté, on pouvait les mettre en garderie.

Au sein des réseaux qu'avaient tissés Royce et le Conseil chacun de leur côté et qui en étaient venus à s'entrecroiser, il existait bien sûr des positions diverses. En 1965, au cours d'un séminaire organisé par le Bureau de la main-d'oeuvre féminine sur le thème du travail des femmes ayant des responsabilités familiales, certains participants proposèrent que la société verse aux mères des familles à faible revenu un salaire qui leur donnerait le choix de travailler ou non. D'autres trouvaient que le point de vue de la charité et des besoins économiques était trop étroit : à leur avis, les services de garde devaient être accessibles à tous les enfants, que leurs parents exercent ou non une activité rémunérée (Mahon, 200 : 593-594). Cependant, la position dominante coïncidait avec l'optique assistancielle : il fallait cibler les travailleurs à faible revenu et les assistés sociaux.

Cette préoccupation à l'égard des familles à faible revenu a présidé à la grande réforme sociale qui a mené, en 1966, à l'adoption du Régime d'assistance publique du Canada. À cette époque, les services de garde d'enfants, intégrés à un éventail de services sociaux couverts par des programmes à frais partagés, n'étaient pas spécifiquement destinés aux femmes. Si, aux États-Unis, leur inclusion dans la réforme de l'aide sociale avait procédé d'une volonté d'améliorer le sort des mères seules, en particulier des mères de race noire (Michel, 1999), au Canada, la personne qui occupait l'esprit des concepteurs de la loi était un homme. Au dire du sous-ministre responsable, le fait que les pères aient une famille trop nombreuse pour leur revenu était l'une des principales causes de la pauvreté (Mahon, 2000 : 596). Le RAPC mettait des fonds fédéraux à la disposition des provinces et des municipalités disposées à financer des garderies et d'autres services nécessaires pour aider les individus à atteindre ou à retrouver « toute l'autonomie dont ils étaient capables ».

C'est également la mentalité assistancielle qui inspira la principale étude produite par le Bureau de la main-d'oeuvre féminine, Working Mothers and their Child-Care Arrangements (1970). Sans tirer aucune conclusion susceptible de déborder sur le terrain politique, l'analyse mettait en évidence les besoins spécifiques des familles à faibles revenus. Les rapports rédigés par les conseils locaux du bien-être social formulaient également les problèmes dans ces termes et exprimaient des préoccupations à l'égard des enfants de familles « dysfonctionnelles », dont les difficultés étaient souvent associées à la pauvreté.

L'approche assistancielle triomphait donc dans le domaine des services de garde au moment de la mise en oeuvre du RAPC. Mais des changements étaient dans l'air. Lors d'un colloque tenu sous l'égide du Conseil canadien du bien-être social dans l'ouest du pays en 1971 et réunissant les fonctionnaires chargés des affaires sociales dans les régions, des critiques s'exprimèrent à l'égard de cette approche jugée trop limitée. Et au moment où le Conseil — transformé dans l'intervalle en « Conseil canadien de développement social » — produisit le rapport final de la rencontre, son opinion avait changé : il pensait désormais que les services de garde devaient être reconnus comme un service public offert à toutes les personnes qui en avaient besoin ou souhaitaient y recourir, quelle que soit leur situation (CCSD, 1972 : 12). Ce revirement transposait le problème dans un autre univers : le discours sur les services de garde avait changé, grâce aux travaux de la Commission royale d'enquête sur la situation de la femme au Canada.

La Commission Bird : montée d'une problématique féministe

La publication du Rapport de la Commission royale d'enquête sur la situation de la femme au Canada, en 1970, modifia le discours sur les services de garde, qui devinrent le point principal d'un ordre du jour ambitieux dont l'objectif était d'instaurer l'égalité entre les femmes et les hommes. Formée en 1967 pour enquêter sur la situation de la femme au Canada dans le but de donner aux femmes des chances égales à celles des hommes dans tous les secteurs de la vie sociale, la Commission fut l'occasion d'une grande mobilisation féministe. Elle tint des audiences dans tout le pays, en prenant soin de choisir des heures et des lieux qui convenaient aux femmes, dans une ambiance détendue et propice aux échanges (CRESFC, 1970 : ix). Des lignes ouvertes furent mises à la disposition des commissaires dans plusieurs villes afin de leur faciliter le contact avec les citoyens incapables de se présenter aux audiences. Grâce à cette accessibilité, qui donna une grande visibilité à la Commission, les approches de son rapport modifièrent l'univers du discours politique et y introduisirent de nouvelles représentations des intérêts des femmes.

Le rapport allait bien au-delà de la vision abstraite de l'égalité véhiculée par le féminisme libéral traditionnel, reconnaissant les obstacles auxquels toutes les femmes devaient faire face dans leurs efforts pour obtenir une véritable égalité des chances. La Commission décrivait les difficultés que leur réservait la société canadienne, les formes de discrimination qui les frappaient du seul fait de leur sexe; les femmes blanches de la classe moyenne avaient tout autant besoin de mesures de redressement de la part de l'État que leurs soeurs défavorisées.

Dans la section consacrée aux femmes et à la famille, le rapport affirmait qu'en vertu de la division sociale du travail la responsabilité principale de l'éducation des enfants revenait aux femmes et que ce partage inégal faisait obstacle à l'égalité des sexes sur le marché du travail (CRESFC, 1970 : 260). La Commission n'en était cependant pas venue à écarter le modèle de la mère au foyer et visait plutôt la conciliation du travail et de la maternité, soutenant que les femmes devaient avoir droit à des choix véritables, ce pour quoi un soutien actif de l'État s'imposait. À ses yeux, le rôle du gouvernement était de rendre les services de garde financièrement accessibles à toutes les personnes qui en avaient besoin ou souhaitaient y recourir.

Ce plaidoyer pour l'universalité procédait d'un état d'esprit qui disposait la Commission à prôner une intervention de l'État pour rétablir une égalité des chances compromise. Toutes les mères avaient besoin de l'appui d'un réseau de garderies financé par les deniers publics. Certes, il convenait de moduler les tarifs pour tenir compte des différences de revenus et de moyens, mais toutes les femmes devaient bénéficier de l'aide de l'État. L'adoption de cette recommandation aurait soustrait les services de garde à l'approche assistancielle du RAPC et les aurait rangés parmi les mesures universelles comme l'assurance-maladie, alors en voie d'adoption. Sans nier les difficultés liées au fait que les provinces avaient juridiction sur les services de garde en vertu de la Constitution canadienne, le rapport n'en réclamait pas moins une loi nationale en cette matière qui établirait un cadre institutionnel propice à une collaboration fructueuse entre les trois ordres de gouvernement.

Cette position, adoptée dans le rapport final au nom de l'égalité des chances, fut rejetée par deux des commissaires, John P. Humphrey et Jacques Henripin, dont les objections annonçaient les principaux obstacles que les féministes favorables à des services de garde universels allaient devoir affronter. L'une des stratégies des dissidents était d'opposer l'« étroitesse » de la revendication des féministes à des préoccupations sociales de plus grande « envergure », telle la pauvreté des individus et des régions. Humphrey reprochait à la Commission de défendre des intérêts particuliers au lieu de prendre en considération les besoins de l'ensemble (CRESFC, 1970 : 436). Les deux hommes réaffirmaient l'optique assistancielle, à l'encontre de la revendication féministe pour un programme universel. En second lieu, la Commission se voyait reprocher de recommander une intervention du gouvernement fédéral dans un champ de compétence provinciale. La logique de cette proposition, clamait Humphrey, était d'influencer les provinces et de leur forcer la main dans un domaine qui leur appartenait. À ses yeux, le danger était d'autant plus grand qu'il y avait dans certaines provinces des partis politiques qui menaçaient les fondements de la Confédération (CRESFC, 1970 : 436). Nous verrons que les aléas des relations fédérales-provinciales ont incontestablement joué un rôle dans l'évolution des luttes pour la mise en place d'une nouvelle politique sur les garderies.

Les suites de la Commission

Le rapport de la Commission Bird a été publié à une époque d'effervescence politique généralisée et d'ouverture relative à des revendications nouvelles. Le plaidoyer du gouvernement libéral minoritaire du Premier ministre Trudeau pour une « société juste » faisait écho aux revendications d'égalité et de participation véhiculées par les syndicats et les nouveaux mouvements sociaux. Le renouveau du nationalisme ouvrait lui aussi la porte aux interventions de l'État. Les valeurs nationalistes qui s'étaient épanouies au Québec durant la Révolution tranquille et la gamme de politiques novatrices qui en avait résulté faisaient entrer des idées neuves dans l'arène des négociations fédérales-provinciales. Parallèlement, la conception du Canada mise de l'avant par le gouvernement Trudeau reposait sur des valeurs égalitaires. Selon Jenson et Phillips (1996 : 20), « le parachèvement de l'État providence canadien apparaissait à la fois comme une réaction aux initiatives du Québec et comme le signe du renforcement d'un discours sur la justice sociale où se glissaient des objectifs d'identité nationale ». Le gouvernement fédéral y allait également de certaines réformes politiques, restructurant des agences centrales comme le Bureau du Conseil privé, et les habilitant à procéder à des réformes « radicales » et non pas simplement progressives (Haddow, 1993 : 87).

Les recommandations de la Commission survenaient donc dans une conjoncture qui semblait propice à des grands changements de politiques. Vus sous cet angle, les résultats des efforts déployés pour les mettre en oeuvre sont décevants (Findlay, 1987 : 33). Pourtant, les progrès réalisés dans le domaine des services de garde sont plus considérables qu'on n'a bien voulu le reconnaître.

Le mandat d'évaluer les 167 recommandations de la Commission Bird fut confié à un comité interministériel de la situation de la femme présidé par la coordonnatrice de la Condition féminine, Freda Paltiel, hébergée dans les locaux du « nouveau » Bureau du Conseil privé. L'un des groupes de travail du Comité interministériel (le « Working Party Four »), responsable du dossier de la famille et des services communautaires, s'appuyait sur un sous-comité spécialement chargé de la question des services de garde. Pour le groupe de travail et pour le sous-comité, il était important de décider si la conception féministe des services de garde devait remplacer la philosophie plus ancienne consistant à « soutenir les familles ». De ce choix en dépendait un autre, entre une loi nationale sur les services de garde qui mettrait ces derniers au nombre des programmes à frais partagés et les rendrait universels, et le cadre assistanciel offert par le RAPC. À la tête du groupe et du sous-comité, on avait une nette préférence pour la seconde solution.

Cette question était simultanément débattue dans le cadre d'un processus plus large de révision des programmes sociaux fédéraux en cours au sein du ministère de la Santé nationale et du Bien-être social. Les avenues explorées n'allaient pas déboucher sur un programme universel, mais les changements proposés impliquaient une participation plus active du gouvernement fédéral à l'organisation des services de garde.

Le Ministère prenait ses distances par rapport à toute forme d'engagement en faveur de l'universalité. Cette réorientation apparut clairement dans le livre blanc de 1970 sur la sécurité du revenu des Canadiens, où il proposait de remplacer le programme universel d'allocations familiales par des prestations sous conditions de ressources. Les querelles entre Québec et Ottawa sur le terrain des programmes sociaux, attisées par leur différend relatif à la réforme constitutionnelle de 1971, eurent raison du projet de loi, que le gouvernement laissa mourir au feuilleton en juillet 1972 (Haddow, 1993 : 92-96).

Pendant ce temps, le Ministère allait de l'avant avec sa stratégie assistancielle de lutte contre la pauvreté. Il produisit à cette époque un important document où on pouvait lire que certaines familles ou certains individus, étant donné leur pauvreté, n'étaient pas à même de s'acquitter des rôles ou des fonctions que l'on attribuait à la famille « dans nos cultures » ou que l'on attendait « en temps normal » de l'individu. Par le passé, soulignait-il, les organisations bénévoles et charitables s'étaient occupées de ces personnes, sans recevoir beaucoup d'aide des municipalités et des provinces. Il était temps que le gouvernement fédéral assume une plus grande part de cette responsabilité, car les Canadiens de toutes les parties du pays avaient droit à un niveau égal de services (pour un examen plus poussé de ce document, voir Mahon, 2000 : 605). Le RAPC allait déjà dans cette direction : il convenait de le réformer afin d'inciter plus fermement les provinces à s'attaquer au problème.

Dans cet ordre d'idées, les réformateurs du Ministère demandèrent au gouvernement fédéral d'assumer plus de la moitié des coûts de services hautement prioritaires comme les garderies. Ils envisageaient également la création d'un « bureau du bien-être de l'enfance » qui centraliserait toute l'information et prodiguerait des conseils aux provinces. Ce qu'il faut remarquer ici, c'est que, tout en souscrivant à l'« idéal » de l'accessibilité universelle, le Ministère jetait les balises d'une approche sélective. Ainsi recommandait-il, entre autres choses, que le lourd processus d'évaluation des besoins prévu au départ dans le cadre du RAPC soit remplacé par un processus plus simple et moins encombrant de vérification des revenus : mais il s'agissait toujours d'une condition de ressources. Cette optique fut celle qui orienta finalement la réforme de la politique fédérale sur les services de garde annoncée en 1972.

De son côté, le Working Party Four penchait pour une approche familiale « large », centrée sur la notion de services communautaires, par opposition aux préoccupations féministes « étroites » du rapport Bird. Il rejetait la recommandation de la Commission ayant trait à l'adoption d'une loi sur les services de garde, au motif qu'elle entraînerait la création d'un nouveau programme autonome dans un domaine déjà complexe à l'excès. Faisant valoir que toute cette question soulevait dans un certain nombre de domaines, de la fiscalité à la répartition constitutionnelle des compétences, des problèmes politiques fondamentaux auxquels il ne pouvait adéquatement chercher de solution dans le cadre de son mandat et le respect de ses échéances, il réclamait la formation d'un comité « ad hoc » chargé d'étudier tout le champ des services de soutien à la famille (Mahon, 2000 : 606).

La coordonnatrice de la Condition féminine usa cependant de l'influence que lui conférait son poste pour persuader le Comité interministériel de donner suite à la plupart des recommandations de la Commission Bird. Celui-ci n'était pas favorable à une loi sur les services de garde, mais préconisa la création d'un fonds spécialement destiné au financement de ces services et devant servir à verser des subventions annuelles aux provinces, à condition qu'elles établissent et gèrent des programmes de garderies conformes à certaines normes minimales. Il proposa en second lieu que le gouvernement fédéral convoque une conférence fédérale-provinciale sur les services de garde. Enfin, il recommanda que le gouvernement fédéral, étant lui-même l'employeur de main-d'oeuvre féminine le plus important au pays, veille à fournir des services de garde à ses employées.

La coordonnatrice tenta ensuite de se faire donner le mandat de mener à bien la mise en oeuvre des deuxième et troisième recommandations, au nom du Comité interministériel. Elle se heurta à l'opposition de Richard Splane, directeur de l'assistance sociale et des services au ministère de la Santé nationale et du Bien-être social, qui réitéra qu'aux yeux du Ministère, la situation des femmes n'était qu'un aspect du dossier des garderies : ces services, soulignait-il, ont aussi un rôle à jouer pour le développement des enfants, l'aide aux familles et la prévention de leurs problèmes (Mahon, 2000 : 607). À l'instar des deux membres dissidents de la Commission Bird, Splane qualifiait d'« étroit » le point de vue de l'égalité des sexes eu égard aux revendications en faveur « des plus démunis ».

À l'automne 1971, le comité « ad hoc » sur les services de garde réclamé par la coordonnatrice de la Condition féminine fut formé, mais placé sous la gouverne d'un fonctionnaire du Ministère. L'équilibre des tendances au sein de ce comité aurait dû le rendre plus sensible aux arguments universalistes que les groupes qui l'avaient précédé dans le dossier, mais la balance pencha finalement en faveur du cadre existant et de ses orientations assistancielles libérales.

Le rapport du comité laissait s'exprimer les points de vue divergents de ses membres quant aux objectifs des services de garde. Au moins deux objectifs débouchaient sur l'universalité : celui de faire progresser l'égalité des sexes et celui de favoriser le développement social et intellectuel des enfants. Pour ce qui était de briser le cercle vicieux de la pauvreté, on pouvait y arriver par une approche plus sélective. Le comité reconnaissait également que les services de garde pouvaient aider les femmes à jouir de chances égales au plan économique en leur permettant d'occuper des emplois à plein temps plus rémunérateurs. Mais, tout en étant disposé à reconnaître que des services de garde financés par l'État pourraient en fin de compte faire l'objet d'un programme universel, il recommandait qu'en attendant, l'argent dépensé à ce titre par le gouvernement fédéral soit consacré aux groupes les plus démunis, et considérait le RAPC comme un cadre approprié pour gérer le partage des dépenses.

La décision de demander que le RAPC soit modifié au lieu d'emprunter une avenue plus longue et plus incertaine comme la création d'un fonds ou l'élaboration d'une nouvelle loi n'était pas étrangère aux résultats de la première conférence nationale sur les services de garde organisée par le Conseil canadien de développement social (CCDS). Cet événement avait réuni à Ottawa plus de 350 personnes de partout au pays : fonctionnaires des services sociaux des trois niveaux de gouvernement, représentants d'agences de bénévolat, parents et militants divers. La plupart des participants se situaient dans la mouvance assistancielle qui avait dominé le discours durant les années 1960, mais les féministes se trouvaient là. En outre, le discours qu'elles avaient répandu à l'occasion des travaux de la Commission Bird avait influencé la communauté assistancielle.

Le clivage entre la jeune génération féministe et les autres participants se fit cependant sentir. Malgré de nombreuses prises de position en faveur de l'universalité, la majorité se prononça finalement pour la révision du RAPC, solution jugée plus certaine, estimant que les limites du régime pourraient finalement être repoussées de manière à ce que tous les enfants ayant besoin de services de garde y aient accès (CCSD, 1972 : 47). Les représentants du Toronto Women's Liberation Group, appuyés par l'Italian Community Development Council, soumirent un rapport minoritaire qui, non seulement reprenait les revendications de la Commission Bird en faveur d'une loi nationale sur les services de garde, mais poussait l'audace jusqu'à proposer la mise en place de services universels gratuits financés par une augmentation du fardeau fiscal des entreprises. Les pragmatiques l'emportèrent néanmoins, et c'est leur avis qui fut retenu au sein de l'appareil gouvernemental.

Cet aboutissement provoqua beaucoup de déception. Si le gouvernement fédéral était disposé à utiliser son pouvoir de dépenser pour donner des chances plus égales « à tous les Canadiens », où qu'ils vivent, il refusait de le faire au nom de l'égalité des chances pour les femmes. En 1972, dans une note au Cabinet résumant les tentatives féministes pour réformer la politique canadienne sur les services de garde, l'idée d'un fonds national était écartée, de même que celle d'une loi nationale, parce que l'un et l'autre auraient empiété sans raison sur les compétences provinciales. La note montrait clairement que le choix du RAPC entraînait le rejet de l'universalité : « Ce sont surtout des clientèles de revenu moyen ou supérieur qui réclament actuellement des services de garde, parce que les mères travaillent ou que les parents trouvent que les garderies favorisent le développement des enfants. Il serait sans doute souhaitable d'offrir des services universels, mais le soutien apporté par le gouvernement fédéral dans le cadre du RAPC devrait viser la prévention et la suppression des causes de la pauvreté et de la dépendance » (cité par Mahon, 2000 : 610). On ne faisait plus allusion aux « groupes prioritaires », catégorie qui, dans le rapport du groupe de travail, comprenait les enfants des femmes qui occupaient un emploi, suivaient une formation ou faisaient des études post-secondaires. On recommandait plutôt l'application d'un critère de revenus.

Les efforts des féministes d'État pour changer le visage des politiques canadiennes sur les services de garde produisirent donc certains résultats, mais les changements au RAPC annoncés en 1972 n'étaient qu'un pâle reflet du régime envisagé par la Commission Bird. Les améliorations apportées à la politique originale étaient modestes. Le critère du revenu était sans nul doute préférable à celui des besoins. Les organismes populaires, souvent animés par un mélange de valeurs de gauche et d'idées féministes, avaient le champ libre pour mettre sur pied des garderies coopératives ou communautaires. Un service d'information, doté d'une conseillère en services de garde, fut établi pour conseiller et informer les provinces, les municipalités et les groupes désireux de fonder des garderies. La coordonnatrice de la Condition féminine fit cependant remarquer que la présence de ce service dans les bureaux administratifs du RAPC risquait de rebuter les personnes qui tenaient à dissocier les services de garde du concept d(Mahon, 2000 : 611).

La conception féministe avait donc été sacrifiée au cours de cette odyssée. Au lieu de justifier les changements de politique par la nécessité d'implanter des services de garde universels pour permettre aux femmes d'accéder à l'égalité, on avait opté pour le principe de l'assistance aux familles à faibles revenus ou défavorisées.

Les limites de cette position apparurent en pleine lumière à l'occasion des nouveaux amendements apportés aux programmes à frais partagés en 1974, en vue notamment de freiner les tendances à l'universalité qui se manifestaient dans certaines provinces. La Colombie-Britannique et le Manitoba, dirigés à l'époque par des gouvernements de gauche, avaient commencé à utiliser le RAPC pour subventionner des familles de classe moyenne. La famille type visée par le RAPC devint donc la famille formée de deux parents et de deux enfants ayant un revenu inférieur au revenu moyen des familles similaires de sa province : toute famille ayant un revenu plus élevé était inadmissible aux subventions versées en vertu du RAPC.

Une histoire inachevée

Les modestes changements apportés au RAPC en 1972 et en 1974 n'ont pas signifié la fin du combat pour un programme pancanadien de services de garde universels. Les luttes se sont poursuivies durant les années 1980 et 1990. Le besoin est toujours là, car la mère au travail est devenue la norme et, hors du Québec, les services de garde de qualité demeurent inaccessibles à beaucoup de gens : souvent, seuls les riches et les ménages qui reçoivent des subventions en bénéficient. Partout, l'offre est inférieure à la demande.

Les efforts déployés pour mettre en oeuvre les conceptions prônées par la Commission royale d'enquête sur la situation de la femme au Canada ont mené à la création, au sein de l'État, d'institutions comme Condition féminine Canada. Dans la société civile, on a vu naître des organisations comme le Comité canadien d'action sur le statut de la femme, qui a repris le flambeau. Pourtant, les personnes qui militent pour les garderies ont continué de se heurter sans recours à la bureaucratie fédérale et aux obstacles engendrés par les relations fédérales-provinciales. Mais il s'agit d'un autre épisode…