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Les ouvrages en français sur l'utilisation des technologies de l'information et de la communication en éducation qui se donnent la peine de promouvoir une vision pédagogique plutôt qu'uniquement technicienne ne sont pas légion. C'est pourquoi celui de Marcel Lebrun mérite qu'on s'y arrête. La préface rédigée par Jean-Marie De Ketele en fait une excellente recension. L'auteur, lui-même, dans son habile introduction, en brosse une présentation telle que le lecteur prend rapidement connaissance de la structure du livre et est vite situé sur la vision qu'il défend. Il s'agit d'une vision résolument constructiviste de l'apprentissage mais modérée dans ses applications, de sorte qu'elle rejoint un public assez large, de l'enseignant plus traditionnel à celui qui pratique déjà des méthodes actives. La thèse développée est celle de la participation la plus active possible des élèves à la construction de leurs apprentissages et du changement de rôle de l'enseignant qui devient de moins en moins le pourvoyeur de connaissances.

Dans ses deux premières parties, les mieux construites à notre avis, l'ouvrage se présente comme une entreprise déductive s'appuyant sur des exemples (première partie) en didactique des sciences assortis de considérations historiques et de recherche. Bien que l'auteur soit physicien et didacticien des sciences, ses exemples, la plupart de son cru, permettent de rejoindre les enseignants et les didacticiens d'autres disciplines. À partir de ceux-ci, il entraîne le lecteur dans une réflexion pédagogique (deuxième partie) au centre de laquelle se trouvent les pôles du triangle enseignant – apprenant – savoir, les médias étant un «facteur de dialogue» entre ceux-ci. Cette deuxième partie est nettement la plus intéressante. Elle propose une vision de la technologie dite éducative qui pose la question des causes et du pourquoi de celle-ci en éducation, la situant comme «une manifestation de la complexité de notre société» plutôt que comme une solution à l'américaine aux nombreux problèmes en éducation. Pour désigner cette technologie, nous préférons l'adjectif «éducationnel» car, si elle était «éducative», la technologie aurait pour but de former ou d'éduquer, ce qui n'est pas le cas; l'adjectif «éducationnel» se contente de contextualiser le lieu d'application de la technologie. Puis, Lebrun examine les concepts d'interactivité et d'interaction qu'il présente dans un schéma éclairant, et qu'il illustre de plusieurs exemples d'application en sciences. Ce schéma est au coeur de l'approche pédagogique de Lebrun et de sa vision du rôle des médias en éducation. Il y fait une distinction fort éclairante entre l'interactivité fonctionnelle et l'interactivité relationnelle qu'il croise avec trois grands niveaux d'interaction. Le chapitre suivant de cette deuxième partie met en place une typologie assez originale des supports technologiques en fonction de trois dispositifs pédagogiques fondés sur quatre modes d'interaction: le mode réactif, le mode proactif, le mode mutuel et le mode interpersonnel, avec exemples à l'appui. Le dernier chapitre de cette partie propose de réfléchir sur ce qu'est apprendre et sur ce que peuvent apporter les technologies dans cette activité. Il suggère un modèle d'apprentissage à cinq composantes: motiver, informer, analyser, interagir et produire, qu'il situe tout autour du triangle savoir, enseignant, apprenant, et qu'il articule avec les rôles possibles des technologies.

La troisième partie du livre, beaucoup moins importante que les deux autres, porte sur le multimédia et les réseaux. Elle s'embarrasse de considérations techniques qui détonnent par rapport au caractère pédagogique de l'ensemble de l'ouvrage. On dirait plutôt un appendice qui a perdu son nom pour mieux tenir compte de deux grands courants à la mode que l'auteur aurait pu avantageusement intégrer au reste.

Saluons en terminant la qualité de la structure et de la mise en pages de cet ouvrage. En tête de chacun des chapitres, une table des matières et, en fin de chapitre, quelques idées clés sous trame grise, des titres et sous-titres en gros caractères, un choix de fontes très lisibles et sobres, des trames de gris pour souligner certains passages, plusieurs schémas et tableaux, des clichés de logiciels en action fort bien présentés viennent ponctuer les grandes idées et les concepts développés et faciliter d'autant la lecture. Tout enseignant, tout conseiller pédagogique, tout responsable de formation, tout didacticien devrait avoir lu cet ouvrage, surtout pour la vision pédagogique de l'intégration des technologies en éducation qu'il propose.