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Nous voulons, dès les premières pages, mettre en exergue ce qui nous est apparu la trame originale de cet ouvrage, soit l'entrelacement du politique et du didactique. Cet entrelacement ne repose pas sur un simple emprunt ou un apprêt de concepts issus des modèles des sciences sociales pour penser l'institution didactique. Il y a plus et mieux, surtout. Il y a un projet didactique fondé théoriquement qui vise à l'autonomie didactique de l'élève dans le cadre de la démocratie. Une réflexion épistémologique qui s'appuie sur les théorisations en didactique des mathématiques, en sociologie et en phénoménologie constitue le cadre conceptuel de l'ouvrage.

L'autonomie (cognitive) de l'élève est ici inextricablement liée à l'étude qui se fait dans et par l'institution didactique, laquelle est «une institution de l'être humain qui apprend». Ainsi, partant d'une définition de l'institution-classe fonctionnant comme un corps et comme un champ, au sens de Bourdieu, le chercheur (re)travaille des concepts de base de la didactique des mathématiques – contrat, temps et mémoire didactiques, milieu – en mettant en relief leur organisation et les pathologies qui peuvent y être associées. Ce travail permet de décrire la manière dont s'exerce le travail d'institution et de comprendre comment l'apprentissage est le fruit de ce travail en rendant intelligible la «nature profondément sociale du cognitif en apparence le plus “privé”» (p. 18). Dans ce cadre, l'intention de transformer les comportements dépendants de l'élève, typiques du contrat didactique usuel, en comportements «autonomes» correspond à l'intention de modifier l'institution-classe.

La recherche conduite sur deux ans, dans une même classe primaire, vise à modifier le contrat didactique classique en organisant des formes d'étude qui s'inscrivent dans la durée. Ce sont les dimensions temporelles (espace-temps de la classe) qui y sont donc travaillées. Le praticien-chercheur implante dans sa classe deux instruments autour du savoir-enjeu de la recherche, les fractions: la fabrique de problèmes de fractions et le journal des fractions. Le premier est une micro-institution de dévolution modifiant le partage usuel des tâches et le second, une micro-institution de la mémoire permettant un travail de reprise et d'anticipation des objets de savoir. L'analyse des conduites des élèves est éclairante sur le fonctionnement des instruments, sur la façon dont ils permettent aux élèves de participer à l'avancée du savoir dans la classe en étant appelés à adresser leur activité à la microsociété classe, à partager des significations à travers une pratique mathématique socialement fondée.

L'interprétation des observations révèle que la transformation des comportements ne peut s'obtenir que par un travail d'institution de longue durée. On ne peut alors que s'interroger sur les effets d'une telle ingénierie du contrat au sein d'une classe d'élèves faibles. Ce n'est qu'une des nombreuses voies auxquelles conduit cet ouvrage. Le lecteur, particulièrement au cours de la première partie du livre, peut être dérouté par les nombreuses références, citations et notes infrapaginales qui étaient la réflexion épistémologique. Mais la construction du livre permet différents accès aux objets traités. C'est bien à un travail de reprise et d'anticipation auquel le chercheur convie non seulement ses élèves mais également ses lecteurs.