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Introduction

L'insertion professionnelle est un phénomène qui, s'il a été et est souvent étudié, est encore loin de faire l'objet d'une théorisation cohérente largement acceptée. Les clivages disciplinaires et paradigmatiques font persister les oppositions, souvent fécondes par ailleurs, entre les analyses à tendance déterministe qui donnent la part du lion aux contraintes structurelles et systémiques sur le déroulement et l'issue du processus en cause et les analyses plus volontaristes qui, lorsqu'elles ne rejettent pas nettement l'idée de telles contraintes, les posent en simple toile de fond, données extériorisées d'un contexte agissant globalement sur l'individu. Entre ces deux pôles se trouve une pléiade de postures intermédiaires qui donnent un poids variable aux deux influences ou qui les mettent en interaction selon des modalités plus ou moins explicites (Bourdon, 1994). Mais que ce soit à titre de caractéristique individuelle pouvant influencer le choix volontaire de l'individu en matière d'insertion ou à titre de déterminant structurel, le genre[1] est un des facteurs les plus pris en compte et étudiés dans les recherches sur l'insertion professionnelle.

Si les recherches et, plus globalement, les conceptions volontaristes insistent sur le libre choix et conçoivent l'effet de genre comme un facteur influençant les intérêts, les préférences, les valeurs, les attitudes ou les aspirations individuelles, les conceptions déterministes mettent l'accent sur les contraintes qui entravent ou circonscrivent le libre arbitre, positionnant ainsi les questions d'inégalité et d'iniquité comme enjeux fondamentaux de l'effet de genre. Les femmes sont encore moins bien rémunérées et travaillent plus souvent à temps partiel que les hommes. Bien que leur situation en ce sens se soit améliorée, elles demeurent au moins en partie cantonnées dans certains secteurs d'activité qui sont généralement moins rémunérateurs. Bref, même si la présence des femmes sur le marché du travail n'est plus remise en question, comme c'était le cas il n'y a pas si longtemps, et que les gains réalisés sont considérables, des différences notables persistent toujours entre la situation des hommes et des femmes au travail.

L'objectif principal de ce texte est de montrer que l'influence du genre sur la primo-insertion des sortants du collégial technique agit par deux biais distincts, mais interreliés: l'attribut individuel et le stéréotype du diplôme. Après un rappel historique du contexte, des luttes et des enjeux sociaux qui ont concouru à la situation actuelle des femmes sur le marché du travail, nous voyons comment le concept d'effet de genre est traité dans la documentation scientifique relative aux iniquités dans le contexte de l'insertion professionnelle et nous proposons de distinguer deux types d'effet de genre: le sexe individuel et le stéréotype du diplôme. Par la suite, une analyse secondaire des données des Relances fera ressortir l'influence du genre, celle du stéréotype du diplôme et leur effet jumelé sur les caractéristiques de l'emploi des diplômées et diplômés du collégial technique de 1990 à 1996.

Problématique – Les femmes et le marché du travail

En Occident, l'arrivée massive des femmes sur le marché du travail est un phénomène intimement lié à la Seconde Guerre mondiale. Jusqu'alors uniquement tolérées à la marge, les femmes sont tout à coup invitées à venir en grand nombre combler la pénurie de main-d'oeuvre causée par le départ des hommes au front et l'augmentation des besoins de production industrielle et manufacturière, jouant encore une fois le rôle d'«armée de réserve industrielle» (Marx, 1956) qui leur était dévolu depuis la révolution industrielle. Une fois le conflit résolu, alors qu'elles auraient pu être refoulées dans la sphère domestique comme elles l'avaient toujours été, elles ont plutôt profité de la mise en oeuvre des politiques d'inspiration keynésiennes pour conserver leur place sur le marché du travail en investissant particulièrement les secteurs sociaux et éducatifs (De Sève, 1988).

De 1945 à 1975, le taux de femmes mariées sur le marché du travail passe de 10% à 60% (De Sève, 1988). Cette présence accrue et un contexte de prospérité économique favorable aux revendications des classes populaire et moyenne facilitent l'adoption des principes et la mise en place des institutions clés de la lutte contre la discrimination de genre et celle basée sur la race, la religion ou les handicaps.

Cette mouvance antiségrégationniste amorcée aux États-Unis et dans certains pays d'Europe n'a pris racine que tardivement au Québec et au Canada (Rochette, Desrochers et Lepage, 1993). À l'origine, elle s'attaque uniquement aux iniquités salariales. En 1953, l'Organisation internationale du travail (OIT) dépose et accepte dans la convention numéro 100 le principe d'«égalité de rémunération entre la main-d'oeuvre masculine et la main-d'oeuvre féminine pour un travail de valeur égale»[2] : au Canada, cette convention ne sera ratifiée qu'en 1972[3]. En 1957, lors de la création de la Communauté économique européenne (CEE), l'article 119 du Traité de Rome oblige les pays membres à respecter l'égalité salariale. Mais un décalage important subsiste entre l'adoption du principe et sa pleine mise en action et très tôt, la CEE, devant le constat d'un grave manque d'actions posées par les États membres, doit imposer «la mise en oeuvre des politiques d'égalité de traitement et des garanties juridiques aux femmes victimes de discrimination salariale» (Rochette et al., 1993).

Dès les années soixante, on observe que ces politiques semblent porter fruit et que le taux d'interruption de la période de travail des femmes diminue significativement. Leur maintien en emploi est une réalité qui encourage l'adoption, en Europe, de la convention numéro 111[4] de l'OIT qui déborde des questions strictement salariales pour traiter de discrimination dans tous les aspects de l'emploi et de manière plus précise que les conventions précédentes (David, 1986). Au Canada, cette convention n'est ratifiée qu'en 1964[5]. En 1963, les États-Unis adoptent la Loi sur l'équité salariale ( Equal Pay Act )[6] et, en 1964, la Loi sur les droits civils ( Civil Rights Act )[7]. Malgré leur caractère plutôt vague et timide, ces lois et conventions offrent désormais la légitimation légale nécessaire pour lutter contre les iniquités identifiées.

En 1971, le terme discrimination systémique voit le jour aux États-Unis grâce à l'affaire Grigg contre Duke Power Co. Au Canada, il sera utilisé pour la première fois en 1987, dans l'affaire Action travail des femmes contre la Compagnie de chemins de fer nationaux du Canada. Dans les deux cas, la Cour suprême se prononce sur les pratiques discriminatoires des systèmes d'évaluation et de sélection; dans un cas, pour cause de racisme et dans l'autre, de sexisme (Martin, 1995; Rochette et al., 1993).

Au Canada, c'est en 1982, avec l'adoption de la Charte des droits et libertés de la personne, que sont jetées les bases juridiques de toute lutte ultérieure contre la discrimination (Rochette et al., 1993). Malgré la faiblesse inhérente de l'article 19, qui affirme le principe d'un salaire égal pour un travail équivalent, il agit comme la pierre angulaire des gains légaux qui s'ensuivront. C'est sur ces lois et conventions que s'appuie le mouvement féministe pour gagner peu à peu du terrain dans sa lutte vers l'«égalité», terme qui sera d'ailleurs remplacé en 1983 par la Commission royale sur l'égalité en matière d'emploi (Commission Abella) par celui d'«équité» qui propose de «traiter les gens équitablement en reconnaissant leurs différences» (Abella, 1984 p. 3).

À partir de ce moment au Québec, les gains réalisés par les femmes sur le plan de la lutte à la ségrégation se lisent comme une suite de petites victoires : adoption du programme québécois d'allocation de maternité (1978), Loi sur les normes du travail et reconnaissance du caractère illégal du congédiement d'une travailleuse enceinte (1979), amélioration de la situation des femmes collaboratrices (1980), Loi sur la santé et la sécurité du travail (1981), établissement des programmes d'accès à l'égalité (PAE) (1982), adoption de la Loi sur l'équité en matière d'emploi (1986), PAE pour la fonction publique (1987), programmes d'obligation contractuelle (1989) (Conseil du statut de la femme, 1997).

Par la suite, la Loi sur les normes du travail instaure un congé parental de 34 semaines qui s'étend à 52 semaines en 1997. Finalement, on assiste, en novembre 1997, à la mise en oeuvre de la Loi sur l'équité salariale qui vise à contrer «l'inégalité de la rémunération entre des femmes et des hommes qui accomplissent un travail identique, substantiellement identique ou équivalent» (Rochette et al., 1993). Reprenant le principe d'équité énoncé par la Commission Abella, cette loi s'«appuie sur le principe du salaire égal pour un travail de valeur égale, qui doit être distingué de celui du salaire égal pour un travail égal; ce dernier principe étant en général respecté de nos jours» (Dufresne, 1998 p. 7).

Malgré ces gains notables, tant sur le plan de la régulation que sur celui de l'évolution des moeurs et des valeurs, de fortes différences persistent aujourd'hui entre la situation des femmes et celle des hommes, à l'école au travail.

Cadre théorique

La discrimination de genre

Parmi les travaux qui se concentrent plus particulièrement sur l'effet du genre en lien avec l'articulation école–travail, on en trouve qui sont centrés sur la sphère scolaire et d'autres sur le monde du travail.

Du côté scolaire, alors que la plupart des études tiennent compte d'un certain effet du genre, les recherches qui ont mis cet effet au centre de leurs préoccupations ont surtout porté sur la réussite scolaire et l'abandon, tant au Québec (Baudoux et Noircent, 1998; Bouchard et St-Amant, 1996; De Nicoli, 1996 a ; De Nicoli, 1996 b ; Toussaint et Fortin, 1995) qu'en France (Baudelot et Establet, 1992; Felouzis, 1993; Terrail, 1992). Très globalement, dans les pays industrialisés et à l'heure actuelle, les femmes sortent avantagées de la course académique et obtiennent les meilleures notes, décrochent des diplômes en plus grand nombre et dans des délais plus courts que les hommes.

Au Québec, les femmes accèdent davantage que les hommes à l'enseignement collégial; l'écart ne cesse de croître. Cela se traduit, entre autres, par une fréquentation du collège par 49% des femmes de 17-18 ans contre 36% des hommes du même groupe d'âge en 1990 (Ministère de l'Enseignement supérieur et de la Science, 1993). La proportion de femmes étudiant au collégial technique a progressé de 53% à 57% de 1980 à 1991 (Desrochers, 1996). En moyenne, de 1990 à 1996, les femmes sont presque une fois et demie plus nombreuses que les hommes à obtenir un diplôme du collégial, tant au préuniversitaire, où le taux de féminité[8] des sortants est en moyenne de 57,9%, qu'au technique où il est en moyenne de 61,7% (tableau 1). Sur une période aussi courte, où les fluctuations démographiques globales liées à la fin du baby-boom jouent un rôle important, aucune tendance nette ne peut être confirmée quant à la modification de ces proportions, sinon que l'écart hommes–femmes au préuniversitaire aurait tendance à s'accroître et au technique à diminuer légèrement.

Tableau 1

Évolution du taux de féminité des sortants du collégial, secteurs préuniversitaire et technique, 1990-1996

Évolution du taux de féminité des sortants du collégial, secteurs préuniversitaire et technique, 1990-1996

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En lien avec l'emploi, l'étude de la discrimination est principalement associée au courant américain de la segmentation du marché du travail (Carnoy, 1981; Doeringer et Piore, 1971; Kerr, 1954; Reich, Gordon et Edwards, 1973; Rosenbaum, Kariya, Settersten et Maier, 1990) qui met l'accent sur la ségrégation en emploi. La théorie de la segmentation tente de prouver qu'il existe plusieurs types d'emploi, chacun ayant ses critères particuliers en matière de recrutement, d'avancement, de conditions de travail et d'échelle salariale. Cette théorie réfute les arguments des théories économiques néoclassiques, comme celle du capital humain (Becker, 1964), qui affirment que les bénéfices liés à l'emploi sont uniquement corrélés avec l'éducation et l'expérience, l'accroissement de la productivité individuelle se trouvant ainsi justement récompensée par le seul équilibre du marché.

Selon la théorie de la segmentation, le marché du travail comprend un certain nombre de sous-ensembles[9], ou segments, distincts et aux frontières relativement étanches. Selon la variante radicale de cette théorie (Reich et al., 1973), cette segmentation s'explique par le «contrôle social». Elle sert les intérêts de ceux qui se trouvent dans un segment supérieur en les protégeant de la venue d'individus appartenant aux segments inférieurs, assurant ainsi une certaine forme de contrôle social par une élite professionnelle en leur asservissant une masse de travailleurs socialement déqualifiés. Ainsi, la structure des salaires, des conditions de travail, de même que la disponibilité de l'emploi en période de disette, serait entièrement dominée par des facteurs–comme le sexisme, le racisme, les coutumes–exogènes à la productivité individuelle qui visent à contrôler les travailleurs et à maintenir une structure de classe.

Alors que certaines études ont traité le phénomène de la ségrégation en emploi des femmes dans sa globalité, aux États-Unis (Beller, 1985; Gross, 1968; Jacobs et Lim, 1992) et au Québec (De Sève, 1988; Kempeneers, 1992), la plupart des études à caractère économique ont analysé l'effet du genre sur le revenu, au Canada anglais (Fillmore, 1990; Nakamura, 1990; Ornstein et Stewart, 1996), au Québec (Chicha, 1997; Dufresne, 1998; Rochette et al., 1993), aux États-Unis (Cotter, DeFiore, Hermsen, Kowalewski et Vanneman, 1995; Jolly, Grimm et Wozniak, 1990) et en France(Silvera, 1996).

Plusieurs études ont aussi examiné l'effet de ségrégation par le genre en emploi lors de l'embauche et sur les promotions, au Canada (Martin, 1995; Muzzin, Brown et Hornosty, 1995}, aux États-Unis(Acker, 1987) ou plus largement, et principalement aux États-Unis, sur les cheminements de carrière (Davies, Mosher et O'Grady, 1996; Levine et Zimmerman, 1995; Rexroat, 1992; Rosenfeld et Spenner, 1992). Enfin, certains travaux ont mis l'accent sur l'étude de la ségrégation de genre dans le contexte précis de la transition école–travail (Davies, Mosher et O'Grady, 1994; Looker, 1993; Mandell et Crysdale, 1993; Thomas, 1993).

Globalement, si elles font toutes ressortir des iniquités significatives qui ont toujours largement cours aujourd'hui, les recherches sur la discrimination de genre considèrent celui-ci tantôt comme une catégorie individuelle plus ou moins liée à l'attribut «biologique»[10], tantôt du point de vue des stéréotypes qui abordent la question sous l'angle de la ségrégation professionnelle. Dans les deux cas, la ségrégation est habituellement [11] expliquée par l'effet de déterminants sociaux s'appliquant relativement uniformément aux individus d'une même catégorie. Mais peu de recherches s'interrogent sur ce qu'il advient des individus d'un genre donné qui traversent les barrières du stéréotype pour se retrouver, minoritaires, au sein d'un groupe typé du genre opposé. Celles qui l'ont fait ont porté sur la présence d'individus d'un genre ou l'autre dans un domaine d'études ou d'emploi non traditionnel et se sont principalement attardées à décrire les préjugés et les attentes, tant des employeurs que des employés (Williams, 1995) et des étudiants (Lazin Novak et Novak, 1996; Yoder et Schleicher, 1996) ou à analyser les pressions subies par les femmes dans un domaine professionnel masculin particulier (Adams, 1998; Muzzin et al., 1995; Tanner, Cockerill, Barnsley et Williams, 1998). À notre connaissance, aucune étude n'a encore tenté de distinguer, sur le plan quantitatif, l'effet du genre individuel et celui du stéréotype, tant du point de vue de la ségrégation professionnelle que du stéréotype du diplôme.

La ségrégation professionnelle et le stéréotype du diplôme

Au moment même où les transformations rapides dans la composition de la main-d'oeuvre assurent une représentation quantitativement significative des femmes sur le marché du travail, la crise qui met fin aux «Trente glorieuses» (Fourastié, 1979) entraîne un bouleversement radical de la norme d'emploi. Dès la fin des années 1970, la stabilité et la sécurité sont irrévocablement remplacées par la flexibilité et la précarité pour tous alors que ces deux caractéristiques étaient auparavant typiques du travail féminin. Les femmes, qui cherchent justement à sortir de ces ghettos d'emplois précaires, sont celles qui écopent le plus, à court et à long terme, des conséquences néfastes de la crise (Dussault, 1986).

Au cours de la décennie quatre-vingt, avec l'arrivée massive des nouvelles technologies, de nouvelles exigences en matière de qualifications professionnelles s'enracinent (Bernier, 1990). Les femmes demeurent alors sous-représentées dans l'industrie manufacturière, tandis qu'elles sont surreprésentées dans les postes qui tiennent aux qualités du travail domestique exercé à la maison. La division sexuelle du travail dans la sphère reproductive continue de laisser sa marque dans le champ de la production économique (De Sève, 1988; Kempeneers, 1992). Dans le même esprit, la division des emplois entre les hommes et les femmes facilite l'attribution d'une moindre rémunération au travail féminin (Rochette et al., 1993). En France, la précarité en emploi est moins liée aux pratiques discriminatoires à l'embauche qu'à la féminisation accrue dans le tertiaire et à la précarisation des espaces professionnels typiquement féminins (Cacouault et Fournier, 1998).

Cette discrimination est celle de la ségrégation professionnelle qui renvoie à «une répartition inégale des femmes et des hommes entre les différents emplois» (Rochette et al., 1993, p. 6) qui résulte en une concentration de femmes dans un nombre limité d'emplois, une ghettoïsation féminine, marquée par un net rapport de subordination aux hommes, plus présents au sommet de la hiérarchie (Chicha, 1997; De Sève, 1988; Rochette et al., 1993).

Des études, provenant tant des États-Unis (Cotter et al., 1995) que du Québec (Chicha, 1997), estiment que si une proportion importante de l'écart salarial entre les hommes et les femmes peut être expliquée par le niveau de qualification et les préférences de chaque groupe pour un rythme de travail particulier, environ 15% de l'écart salarial est attribuable à la discrimination fondée sur le genre et que la cause première de ce genre de discrimination est la ségrégation professionnelle.

De la même manière que la notion d'espace professionnel (Bourdon, 1996 a ; Bourdon, 1996 b ) visait à modéliser l'application de la théorie de la segmentation des marchés du travail au cas précis de la transition professionnelle, la notion de stéréotype du diplôme vise à articuler la notion de ségrégation professionnelle au contexte du passage entre l'école et le marché du travail. Alors que cette dernière fait référence au confinement systémique des femmes dans des catégories d'emplois moins avantageux et, corollairement, à la prédominance des hommes dans les secteurs les plus avantageux, la notion de stéréotype du diplôme est basée sur la forte polarisation de la distribution, en termes de genre, des clientèles et, partant, des sortants, dans les programmes de formation.

L'utilisation de la notion de stéréotype du diplôme permettra de mieux cerner la source des discriminations de genre entre les sortants sur le marché du travail. Elle permet de distinguer, en partie, entre l'effet du genre individuel et l'effet de discrimination lié à la ségrégation professionnelle.

Méthodologie

Nos données sont issues de l'analyse secondaire des données de la Relance au collégial[12] publiées de 1990 à 1996[13]. La Relance est une enquête annuelle menée par le ministère de l'Éducation du Québec auprès des diplômées et diplômés, dix mois après leur sortie[14]. Pour la période étudiée, l'échantillon des diplômées et diplômés du collégial technique couvrait l'ensemble de la population scolaire qui, à chaque année, termine un programme d'études collégiales technique au Québec. L'enquête postale est complétée par une seconde phase où les personnes n'ayant pas répondu par la poste sont jointes et interviewées au téléphone, ce qui assure un taux de réponse global de l'ordre de 70%.

Les indicateurs retenus pour décrire la situation sur le marché du travail sont: 1) l'emploi; 2) l'emploi à temps plein[15] ; 3) l'emploi à temps plein relié au domaine d'étude; 4) le temps de recherche d'un premier emploi; 5) le salaire brut des individus en emploi. Le choix d'utiliser cet ensemble d'indicateurs plutôt que de se limiter au salaire comme le font une large majorité d'études à caractère économique repose sur la notion de pouvoir du diplôme (Laflamme, à paraître; Quintal, Laflamme et Bourdon, 1997) qui est une évaluation plus globale de la valeur marchande d'un diplôme sur le marché du travail à un moment donné. Selon Laflamme (à paraître), l'utilisation de cette notion «permet de mettre l'accent sur la construction sociale du diplôme, c'est-à-dire sa genèse et les rapports socioéconomiques dans lesquels il s'inscrit». En tant que concrétisation de luttes de pouvoir entre divers acteurs sociaux (patronat, syndicats, état, associations et ordres professionnels, etc.), il est un reflet de la valeur que la société accorde à un espace professionnel donné (Bourdon, 1996 a ; Bourdon, 1996 b ). Comme valeur socialement négociée, il concrétise tant les contraintes systémiques que la somme des jugements et des comportements individuels porteurs de discrimination.

Dans notre analyse, et dans les limites imposées par les données disponibles, le pouvoir du diplôme sera reflété empiriquement par la capacité d'un diplôme à mener, en un minimum de temps, la plus grande proportion possible de ses détenteurs à un emploi à plein temps, lié à son domaine d'études et le plus rémunérateur possible. Nous estimons donc que la situation en emploi est d'autant plus favorable que les indicateurs 1, 2, 3 et 5 sont élevés et que l'indicateur 4 est faible.

Par ailleurs, compte tenu qu'un nombre important de programmes ne produisent qu'un nombre limité de diplômées ou diplômés et qu'une appréciation juste de leur stéréotype de genre et de leur performance doit reposer sur un nombre minimal d'observations, nous n'avons retenu que les programmes[16] qui ont eu une moyenne de 20 diplômés et plus par année pour la période d'observation. L'échantillon comprend donc 420 des 815 programmes-année figurant dans les relances pour la période, soit une représentation moyenne de 48,2% des programmes.

Toutefois, l'option de ne retenir que les programmes les plus fréquentés fait en sorte que l'échantillon regroupe la grande majorité des diplômées et diplômés du collégial technique pour la période étudiée, soit 91,6% (tableau 2). Les femmes sont légèrement surreprésentées dans l'échantillon, et ce, pour toute la période. Par ailleurs, la distribution de l'échantillon est relativement uniforme en fonction des années et du genre, sauf pour l'année 1996 où les programmes choisis représentent un nombre de diplômés masculins passablement inférieur à l'ensemble des autres années (72,9% contre 86,7%). Bien que cela ne laisse présager qu'une influence très minime sur les analyses d'années regroupées, ce déséquilibre nous fera traiter avec circonspection les analyses comparant cette cohorte avec les autres.

Tableau 2

Comparaison de l'échantillon et de la population totale, nombre de diplômées et diplômés, 1990-1996

Comparaison de l'échantillon et de la population totale, nombre de diplômées et diplômés, 1990-1996

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Le nombre de sortants variant tout de même beaucoup entre les programmes de l'échantillon, chaque indicateur annuel a reçu, aux fins des calculs globaux, une pondération égale au nombre de diplômés et diplômées qu'il représente.

Le stéréotype du diplôme a été opérationnalisé par un regroupement des programmes en fonction du taux de sortants femmes pour la période étudiée. Trois groupes ont été formés: les diplômes féminins (75 à 100% de femmes), mixtes (25 à 75% de femmes) et masculins (0 à 25% de femmes). Les diplômes féminins regroupent presque la moitié (46,8%) de notre échantillon, alors que les diplômes mixtes en regroupent 32,2% et les diplômes masculins 21%. Ce déséquilibre est causé par la forte proportion de femmes diplômées au secteur technique (59,9%) sur cette période. Cette définition opérationnelle a sans doute ses lacunes dans un contexte où certains mouvements peuvent opérer des transferts de genre entre les programmes, influençant ainsi une analyse à long terme des stéréotypes. Ces cycles, qui dépassent souvent la longévité même d'un programme académique, ne peuvent être pris en compte par ce type de méthodologie et doivent reposer sur des analyses beaucoup plus ergométriques des domaines d'activité.

Toutefois, ce regroupement reflète assez bien, mais pas parfaitement, certains aspects les plus évidents des stéréotypes de genre, comme le regroupement des diplômes féminins dans les fonctions de soins et d'aide et celui des diplômes masculins dans les domaines des techniques physiques.

Par ailleurs, un coup d'oeil rapide sur l'évolution de la moyenne et la variance du taux de féminité des programmes montrent une grande stabilité au cours de la période couverte (tableau 3), exception faite d'une variance moins élevée en 1996 liée à une irrégularité de l'échantillonnage mentionnée précédemment. Même si elle n'est observée que sur une courte période, cette stabilité indique un plateau dans l'évolution des stéréotype, ceux-ci ne devenant ni plus, ni moins polarisés.

Tableau 3

Évolution de la ségrégation par le genre pour les diplômes de l'échantillon, 1990-1996

Évolution de la ségrégation par le genre pour les diplômes de l'échantillon, 1990-1996

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Analyse des résultats

La situation sur le marché du travail selon le genre

Les divers indicateurs de la performance sur le marché du travail montrent que, si les deux groupes ont en commun d'avoir vu leur situation globalement détériorée au cours de la période étudiée, certaines iniquités persistent, voire s'aggravent, entre les hommes et les femmes (tableau 4).

Tableau 4

Évolution des indicateurs du pouvoir du diplôme des sortants selon le genre, 1990-1996

Évolution des indicateurs du pouvoir du diplôme des sortants selon le genre, 1990-1996

(Échantillon)

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En moyenne, de 1990 à 1996, les femmes se retrouvent en emploi dans une proportion plus grande que les hommes, mais elles se retrouvent un peu moins qu'eux en emploi à temps plein et à peine moins en emploi à temps plein lié. L'avance de 6 points de pourcentage qu'elles avaient dans le domaine de l'emploi en 1990 est ramené à 5 points en 1996, mais il faut constater que les années 1992 et 1993, qui ont été difficiles pour les deux groupes, l'ont été passablement moins pour les femmes que pour les hommes. L'analyse de la fluctuation des salaires fournit toutefois une indication du compromis que les femmes ont réalisé pour maintenir un tel niveau d'emploi. En effet, en plus d'être constamment moins bien rémunérées que les hommes–l'écart salarial moyen est de 12,9%–, les femmes ont accusé un recul de salaire nominal de 3,6% alors que les hommes ont enregistré une augmentation de 2,6% durant la période étudiée. En salaire réel[17], cela se traduit par des diminutions de salaire de 9,6% pour les hommes et 15% pour les femmes entre 1990 et 1996. Finalement, le temps de recherche d'emploi est plus court d'une semaine en moyenne chez les femmes avec, comme seule exception, l'année 1996 où le temps moyen de recherche d'emploi des femmes est très légèrement supérieur à celui des hommes.

En résumé, du point de vue du genre, si les taux d'emploi à temps plein et d'emploi à temps plein lié montrent peu de différences, le taux d'emploi et le temps de recherche d'emploi montrent des différences appréciables, avantageant tous deux les femmes, et le salaire une différence marquée avantageant nettement les hommes.

La situation sur le marché du travail selon le stéréotype du diplôme

Lorsque les mêmes données sont analysées selon la variable indépendante stéréotype du diplôme, un portrait relativement différent peut être tracé (tableau 5). Alors que les diplômes féminins mènent à un emploi dans une proportion passablement plus élevée que les diplômes masculins et mixtes, les diplômes masculins débouchent plus souvent sur un emploi à temps plein et à temps plein lié au domaine d'études que les deux autres types. Ce constat est assez constant sur toute la période observée. Bien que tous les types de diplôme aient vu reculer ces indicateurs sur la période, ce sont les diplômes mixtes qui ont le moins perdu, rétrécissant ainsi l'écart qui les séparait des deux autres.

Du point de vue du temps de recherche d'emploi, les diplômes féminins donnent en moyenne un accès beaucoup plus rapide à l'emploi avec un temps moyen de recherche d'emploi de 7,8 semaines. Les diplômes masculins sont ceux qui prennent plus de temps à donner accès à un emploi et ils sont aussi ceux dont cette caractéristique fluctue le plus sur la période observée.

Au sujet du salaire, les diplômes masculins sont de loin les plus avantageux, devançant en moyenne les diplômes féminins de 15,2% et les diplômes mixtes de 25%. Il faut remarquer toutefois que, entre 1990 et 1996, les diplômes mixtes sont ceux qui ont le plus augmenté leur salaire nominal (8,1%) alors que les diplômes masculins ont augmenté de 2,1% et que les diplômes féminins ont perdu 8,4%. Cette situation indique que l'écart salarial entre les diplômes mixtes et les diplômes masculins s'est amenuisé, passant de 27,4% en 1990 à 20,3% en 1996, alors que celui entre les diplômes masculins et les diplômes féminins a pratiquement doublé, passant de 13,8% à 26,9% au cours de la même période. Peut-être ce constat correspond-il à une tendance similaire à celle documentée aux États-Unis où la déségrégation professionnelle, dans les domaines professionnels est plus forte dans les emplois les moins rémunérateurs que dans ceux plus rémunérateurs, toujours nettement dominés par les hommes (Jolly et al., 1990).

Tableau 5

Évolution des indicateurs du pouvoir du diplôme des sortants selon le stéréotype du diplôme, 1990-1996

Évolution des indicateurs du pouvoir du diplôme des sortants selon le stéréotype du diplôme, 1990-1996

(Échantillon)

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Somme toute, ce sont les diplômes mixtes qui sont les moins avantageux sur presque tous les plans, exception faite du temps de recherche d'emploi où ils arrivent second devant les diplômes masculins. Alors que les diplômes féminins sont ceux qui débouchent le plus rapidement et le plus fréquemment sur un emploi, les diplômes masculins sont les plus susceptibles de mener à des emplois à temps plein et des emplois à temps plein liés de même qu'ils procurent des salaires moyens nettement plus avantageux.

Par ailleurs, on peut aussi remarquer que les écarts entre les types de diplômes apparaissent généralement plus marqués que les écarts entre les genres, ce qui laisse présager un effet plus fort du stéréotype du diplôme sur les conditions en emploi au cours de la primo-insertion.

L'effet de genre et le stéréotype du diplôme

Des analyses de variance (ANOVA) ont été effectuées pour déterminer les effets du genre et du stéréotype du diplôme selon chaque indicateur. La variation de tous les indicateurs semble expliquée de manière significative par l'effet principal qui additionne les effets du genre et le stéréotype du diplôme (tableau 6). Toutefois, la variation de l'emploi à temps plein, si elle est expliquée par l'effet principal, n'est pas significativement expliquée par l'effet du genre.

Tableau 6

Analyses ANOVA des indicateurs du pouvoir du diplôme des sortants par le genre et le stéréotype du diplôme

Analyses ANOVA des indicateurs du pouvoir du diplôme des sortants par le genre et le stéréotype du diplôme

(Échantillon aggloméré 1990-1996)

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Par ailleurs, la variation de tous les indicateurs, sauf celle de l'emploi à temps plein lié, peut être expliquée de façon significative par un effet d'interaction entre le genre et le stéréotype du diplôme. Ces quatre indicateurs seraient donc principalement dû à l'effet combiné de ces deux variables, un effet d'interaction significatif dominant les effets individuels. Pour ce qui est de l'emploi à temps plein lié, c'est le seul indicateur dont la variation peut être expliquée par l'action séparée du genre et du stéréotype, non par leur effet combiné.

Le tableau 7 montre un autre aspect de la combinaison des effets du genre et du stéréotype du diplôme sur les différents indicateurs. Au chapitre de l'emploi, ce sont les femmes détenant des diplômes féminins qui obtiennent les plus hauts taux de placement. Juste derrière, on retrouve, presque à égalité, les hommes et les femmes porteurs de diplômes non traditionnels et, beaucoup plus loin, les hommes porteurs de diplômes masculins. Les diplômes mixtes sont les moins performants, comme dans presque tous les autres cas étudiés. Parmi les porteurs de ces titres, les femmes sont légèrement plus avantagées que les hommes.

Tableau 7

Effet combiné du genre et du stéréotype du diplôme sur les indicateurs du pouvoir du diplôme des sortants

Effet combiné du genre et du stéréotype du diplôme sur les indicateurs du pouvoir du diplôme des sortants

(Échantillon aggloméré 1990-1996)

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Pour ce qui est de l'emploi à temps plein, on note des performances moyennes pratiquement semblables pour les femmes et les hommes détenteurs d'un type de diplôme donné. Rappelons que les analyses ANOVA (tableau 6) ont montré que le genre n'aurait pas d'influence significative sur la variation de cet indicateur. Les diplômes masculins sont ainsi ceux qui mènent, et de loin, la plus grande proportion de sortants à l'emploi à temps plein, quel que soit leur genre, alors que les diplômes féminins viennent au deuxième rang, juste devant les diplômes mixtes. Pour cette variable, si l'effet d'interaction demeure la principale source de variance, tel qu'il a été mentionné plus haut, le stéréotype du diplôme apparaît comme pesant très lourd sur la performance moyenne.

Dans le cas du taux d'emploi à temps plein lié au domaine d'études, les femmes porteuses d'un type de diplôme donné semblent s'en tirer en moyenne légèrement mieux que les hommes. La différence entre les types de diplômes ressort ici encore, les diplômes masculins étant les plus performants, suivis d'assez près par les diplômes féminins et de passablement plus loin par les diplômes mixtes. Cette variable est la seule dont la variance ne serait pas influencée significativement par l'interaction entre le genre et le stéréotype.

Du côté du temps de recherche d'emploi, on peut aussi observer une séparation des moyennes liée au stéréotype du diplôme, mais on note de moins grandes similarités entre les genres. Quel que soit leur genre, les porteurs de diplômes féminins mettent en moyenne moins de temps à décrocher un emploi que les porteurs de diplômes mixtes qui, pour leur part, sont plus rapides que les détenteurs de diplômes masculins. Chez les porteurs d'un type de diplôme donné, l'avantage ne va pas toujours au même genre; les hommes devancent nettement les femmes dans les domaines féminins et masculins, alors que les femmes les devancent légèrement dans les domaines mixtes.

Ce sont les hommes, détenteurs tant de diplômes masculins que féminins, qui gagnent en moyenne le plus, décrochant des salaires qui sont presque 35% supérieurs à ceux des femmes porteuses de diplômes mixtes. Les hommes détenteurs de diplômes mixtes, au pouvoir généralement très faible au plan salarial, obtiennent tout de même un salaire moyen plus élevé que les femmes porteuses de diplômes féminins. Alors que les femmes obtiennent toujours en moyenne un salaire inférieur à celui des hommes porteurs d'un même type de diplôme, la distribution des revenus moyens est moins alignée sur l'une ou l'autre des variables indépendantes que celles des trois indices précédents. Si les diplômes mixtes procurent les plus bas salaires moyens tant aux hommes qu'aux femmes, le pouvoir des diplômes masculins et féminins à cet égard apparaissent fortement influencés par le genre de leurs porteurs.

Bref, l'emploi total, le temps de recherche d'emploi et le salaire moyen seraient déterminés par un effet d'interaction du genre et du stéréotype du diplôme alors que les moyennes d'emploi à temps plein et d'emploi à temps plein lié sont toutes deux presque identiques pour les femmes et les hommes porteurs d'un même type de diplôme bien qu'elles varient passablement entre chaque type de diplôme.

Conclusion

Les résultats doivent être considérés à la lumière des limites inhérentes à l'utilisation de données à très court terme, soit moins d'un an après l'obtention du diplôme. Ils permettent tout de même d'affirmer que, lorsque la primo-insertion est envisagée sous l'angle des indicateurs du pouvoir du diplôme, des sortants du collégial technique, elle apparaît déterminée par deux dimensions distinctes, mais interdépendantes de l'effet de genre: l'attribut individuel et le stéréotype du diplôme.

Du point de vue de l'attribut individuel, le taux d'emploi et le temps de recherche d'emploi montrent des différences appréciables, avantageant tous deux les femmes, et le salaire une différence marquée avantageant nettement les hommes.

Du point de vue du stéréotype du diplôme, les diplômes mixtes sont les moins avantageux sur pratiquement tous les plans. Par ailleurs, les diplômes féminins sont ceux qui débouchent le plus rapidement et le plus fréquemment sur un emploi, alors que les diplômes masculins mènent plus souvent à un emploi à temps plein ou à un emploi à temps plein lié au domaine d'étude. Ces derniers procurent aussi les salaires moyens les plus avantageux.

Pris séparément, les écarts observés apparaissent généralement plus marqués entre les types de diplômes qu'entre les genres, ce qui viendrait corroborer la thèse de la «ségrégation professionnelle» décrite précédemment. Si on s'arrête à ce point, on peut croire que la principale source de discrimination dans le cas étudié est intimement liée au choix de domaine d'étude ou, plus globalement, de carrière des jeunes. Sur le plan pratique, les interventions visant, par exemple, à influencer les choix de carrière des filles pour les encourager à se diriger vers des domaines non traditionnels seraient, selon ce diagnostic, à privilégier[18]. Ainsi, la prise en compte du pouvoir du diplôme lors de la primo-insertion vient atténuer les indicateurs de réussite scolaire qui favorisent de plus en plus les filles et montrer que l'effort en matière d'égalité a avantage à se poursuivre au-delà de lès au diplôme et jusque sur le marché du travail.

Mais il ne faut pas oublier que, du point de vue du pouvoir du diplôme, la discrimination de genre ne joue pas systématiquement à l'encontre des femmes, le taux d'emploi et le temps de recherche d'emploi étant tous deux à leur avantage. Il semble qu'on retrouve ici l'indice de ce qu'on pourrait qualifier de «compromis féminin» qui ferait en sorte que les femmes auraient plus tendance à accepter un salaire moins élevé en contrepartie d'un accès plus rapide et fréquent à l'emploi. Des recherches plus approfondies concernant ce «compromis» pourraient éclairer les pratiques et les politiques en matière d'équité.

Par ailleurs, les analyses ANOVA révèlent que la variation de tous les indicateurs, sauf celle de l'emploi à temps plein lié, serait principalement due à un effet d'interaction entre le genre et le stéréotype du diplôme. Ce qui rappelle que l'effet de ségrégation professionnelle n'est pas seul en cause, mais que le genre individuel vient interagir avec lui et en moduler la portée.

Ainsi, les résultats de cette étude, et la démarche méthodologique qui les appuie, permettent de poser un regard neuf et original sur la discrimination de genre en contribuant à mieux articuler empiriquement les tentatives visant à résoudre la confusion entre le genre «biologique» et le stéréotype déjà évoquée.

Ces résultats indiquent que la recherche sur la discrimination de genre aurait avantage à prendre en considération à la fois l'effet du genre individuel et celui du stéréotype du diplôme pour comprendre avec plus de précision les déterminismes qui entrent en jeu, au moins dans les phases initiales de l'insertion professionnelle des jeunes diplômées et diplômés. De plus, ils font ressortir que la prise en compte de plusieurs aspects du pouvoir du diplôme, et non pas du seul revenu comme le font majoritairement les économistes, permet une appréciation plus nuancée de l'effet du genre sur la primo-insertion.

Ces distinctions importantes sur le plan théorique ouvrent sur une identification plus précise des facteurs à la source des iniquités qui pourrait, d'un point de vue pratique, permettre d'une part au mouvement des femmes de mieux articuler ses revendications et, d'autre part, au législateur d'ajuster plus efficacement sa réglementation pour contrer la discrimination. Elles interpellent enfin les intervenants en milieu scolaire, les conseillers et conseillères d'orientation par exemple, mais aussi, dans le cadre de l'avènement de l'«école orientante», l'ensemble de l'équipe école. Pour ces professionnels en contact direct avec les élèves, les distinctions proposées offrent une base de réflexion plus réaliste à l'appui d'interventions éducatives qui peuvent avoir une influence importante sur des choix professionnels afin de prolonger le rattrapage effectué par les filles à l'école jusque sur le marché du travail.