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Introduction

Que le transfert des apprentissages advienne lors du passage de l'école à la vie professionnelle ou au cours de la formation fondamentale, ce phénomène est dorénavant reconnu à la fois comme rare et d'un haut niveau de complexité pour celui qui l'opère (Bransford et Schwartz, 1999). Pourtant, de toute part, on reconnaît la nécessité de transférer. À quoi bon apprendre s'il est impossible d'utiliser par la suite, à bon escient, les connaissances construites ou les compétences développées? L'article présente les résultats d'une recherche qui analyse l'efficacité d'interventions sur le transfert des apprentissages en mathématiques. Après avoir brièvement fait état de la problématique du transfert dans ce domaine, nous exposons le cadre théorique de la recherche. Un aperçu de la méthodologie mise en place est ensuite fourni; il est suivi des résultats de la recherche et de leur interprétation.

La problématique du transfert des apprentissages en mathématiques

Pour certains dont le Conseil québécois de l'enseignement des mathématiques (1996) et l'Apame (1996), l'intérêt pour le transfert en mathématiques s'explique par l'importance accordée à ce champ disciplinaire à l'intérieur d'une formation fondamentale. Misko (1999) rejoint en partie cette position en faisant valoir qu'il est possible de réutiliser plusieurs notions mathématiques dans d'autres disciplines du curriculum scolaire des élèves. Pour Penn, Shelley et Zaininger (1998), ainsi que pour Kataoka et Patton (1996), l'intérêt d'étudier cette problématique s'explique davantage par l'utilité potentielle de maintes notions mathématiques dans la vie de tous les jours et par la difficulté actuelle que représente la réutilisation d'acquis mathématiques pour plusieurs élèves. Selon Courteau (1996), c'est surtout dans la mesure où l'apprentissage des mathématiques contribue au développement de la pensée, au sens qu'il permet de comprendre notre société scientifique et technologique en évolution, que le transfert revêt toute son importance. Toutefois, malgré l'abondance et la diversité des travaux qui se préoccupent de l'apprentissage et de l'enseignement de cette discipline, il est étonnant de constater que peu de recherches s'intéressent au transfert d'un point de vue pédagogique.

Brown (1989), Brown et Campione (1990), Prawat (1989) et Charlot (1996) dégagent de leurs nombreuses études réalisées sur le transfert en milieu scolaire que des limites d'ordre métacognitif expliqueraient en partie la rareté du transfert. Il semblerait aussi que l'influence de certaines pratiques pédagogiques nuirait au transfert, particulièrement celles qui tendent à séparer des contenus mathématiques l'apprentissage de stratégies (Boaler, 1993) ou celles qui misent sur le morcellement des apprentissages (Perrenoud, 1997). Parallèlement, d'autres ont fait ressortir le rôle déterminant de la dimension sociale dans l'apprentissage et le développement, entre autres, en établissant des relations étroites entre le développement d'une pensée métacognitive au moyen des interactions sociales, notamment entre deux sujets dont le niveau de compétence diffère (Palincsar et Brown, 1984; Bråten, 1991).

Selon Bracke (1998) et Tardif (1999), le transfert des apprentissages s'inscrit dans un contexte de résolution de problèmes. Tardif (1992) ainsi que Pressley et McCormick (1995) ont mis en relief l'apport de la résolution de problèmes dans l'apprentissage, mais préalablement ce sont Jonnaert (1994) et Schoenfeld (1992) qui avaient relevé ce phénomène pour le domaine des mathématiques. Par ailleurs, en référence à Anderson (1985), nous retenons que la résolution nécessite la mise en action d'une séquence d'opérations afin d'atteindre un but et, comme Meirieu (1987), nous estimons que la résolution d'un problème se trouve à la jonction du partiellement connu, soit le but recherché, et du partiellement inconnu puisque les moyens pour y arriver ne sont pas préétablis. Toutefois, la résolution se fonde nécessairement sur les acquis antérieurs. Le but poursuivi lors de la résolution de problème a une influence non seulement sur les connaissances isolées qui la sous-tendent, mais également sur les «grappes de connaissances»[2] qui sont réutilisées lors des transferts d'apprentissages dans de nouveaux contextes.

Des études sur le transfert des apprentissages, il ressort que ce concept est relativement nébuleux et que, pour plusieurs auteurs, dont Campione, Shapiro et Brown (1995) ainsi que Mendelsohn (1996), les distinctions entre transfert et apprentissage sont soit inexistantes, soit particulièrement difficiles à établir. Frenay[3] (à paraître) dresse un portrait des différents courants théoriques issus des traditions philosophiques qui véhiculent des conceptions de l'apprentissage et du transfert. En référence à la catégorisation qu'elle propose, notre conception se situe à la jonction des courants rationaliste et interactionniste. Une définition inspirée de celle de Tardif et Meirieu (1996) est formulée. Le transfert est le processus par lequel des connaissances construites dans un contexte particulier sont reprises dans un autre contexte, que ce soit pour construire de nouvelles connaissances, pour développer de nouvelles compétences ou pour accomplir de nouvelles tâches. Cette perspective s'éloigne d'une application directe de connaissances dans un nouveau contexte; elle se rapproche d'une perspective qui privilégie la réutilisation de connaissances et de compétences pour résoudre de nouveaux problèmes, mais estime que cette conception est incomplète. Elle nécessite que le transfert soit également conçu comme une préparation à l'apprentissage, ce que proposent Bransford et Schwartz (1999). Malgré la difficulté de distinguer avec précision les processus d'apprentissage et de transfert, dans la mesure où ces deux processus semblent interdépendants, cette distinction est toutefois nécessaire à l'étude fine des opérations cognitives sur lesquelles repose le transfert. L'influence du courant interactionniste se fait sentir dans la mesure où apprendre est considéré comme un «processus collectif de coconstruction du savoir» (Frenay, à paraître) qui insiste sur la participation des acteurs et sur leur influence réciproque. Nous retenons principalement de ce courant le rôle central de l'interaction dissymétrique (Vygotsky, 1978).

Le cadre théorique

Bien que le transfert des connaissances soit étudié depuis le début du XXe siècle (Tardif et Presseau, 1998), il reste un processus méconnu et souvent assimilé à d'autres processus cognitifs supérieurs (Tardif, 1999). Même si certains travaux ont contribué à identifier les opérations cognitives à la base du transfert, en 1994, Pressley et Yokoi soulevaient que ces opérations n'avaient toujours pas obtenu de consensus des chercheurs. L'état actuel de la question contraint à étudier d'abord les opérations cognitives qui sont à la base du transfert. Pour mieux cerner le rôle des interventions dans le transfert, il apparaît ensuite important de s'attarder au rôle des interactions sociales dissymétriques. Enfin, dans la mesure où il y a polémique quant au soutien pédagogique à offrir afin de promouvoir le transfert des apprentissages (Marini et Genereux, 1995), il semble crucial d'étudier les interventions à poser, en raison de leur adéquation aux opérations cognitives à la base du transfert, pour que ce processus soit mis en branle par les sujets ayant à résoudre des problèmes sollicitant des connaissances en mathématiques. Le choix de ces trois domaines de recherche situe la manière selon laquelle nous examinons le problème, soit un angle pédagogique plutôt que didactique[4].

Les opérations cognitives à la base du transfert des apprentissages

L'une des principales contributions des travaux reliés au courant cognitiviste, dont ceux de Butterfield et Nelson (1989), de Tardif (1992) et de Bastien (1997), concerne l'identification des opérations cognitives sous-jacentes au transfert. D'abord, lors de l'accomplissement d'une première tâche, dans ce contexte appelée tâche source, un encodage des informations en mémoire est essentiel, de manière à changer ces informations en connaissances (Astolfi, 1993). Ce processus permet notamment que soit donné du sens aux informations communiquées au sujet, qu'elles soient intériorisées. Par la suite, une fois encodées, les connaissances sont emmagasinées en mémoire. Le rapport du sujet aux connaissances devient alors soit procédural, soit déclaratif ou conditionnel. Dans ce dernier rapport, les connaissances ont une double fonction. Celle d'être «objet de transfert», comme le sont les connaissances avec lesquelles des rapports procédural et déclaratif sont construits, et celle d'être «moyen de transférer» puisque les connaissances dites conditionnelles sont responsables de déterminer quand et pourquoi il est pertinent de recourir à des connaissances qui sont objets de transfert. Le stockage des connaissances, s'il ne bénéficie pas aussi d'une forme d'organisation est, à peu de chose près, sans utilité. Les connaissances encodées, emmagasinées et organisées servent en quelque sorte de base au transfert puisque ce sont celles-ci qui, ultérieurement, seront rappelées et activées lors de l'accomplissement d'une nouvelle tâche, en l'occurrence la tâche cible, ou lors d'un nouvel apprentissage.

Face à la tâche cible, une opération d'encodage est aussi nécessaire. Cette appropriation minimale de la tâche est ensuite suivie de la compréhension au sens propre de la tâche à effectuer. C'est par l'opération de compréhension qu'est déclenchée l'opération de repêchage en mémoire des grappes de connaissances construites au moment de la réalisation de la tâche source, et ce, en fonction de la similarité perçue entre tâche source et tâche cible. Compte tenu que la tâche cible n'est pas identique à la tâche source, sans quoi il s'agirait d'une simple application (Bracke, 1998; Tardif, 1999), et qu'en ce sens, une adaptation est nécessaire, des opérations de généralisation et de discrimination se voient mises en branle. L'analyse de la similarité qui est perçue entre les deux tâches résulte en un équilibre qui, s'il est judicieux et fonctionnel, permet la réutilisation de grappes de connaissances, dans un nouveau contexte, auxquelles des ajustements mineurs sont apportés afin de les adapter au nouveau contexte de réutilisation.

Les interactions sociales dissymétriques

Plusieurs des recherches sur les interactions sociales insistent sur l'importance d'intervenir en prenant en considération la zone de développement proximal des sujets (Vygotsky, 1978). Pour l'essentiel, le respect de cette zone requiert que des tâches que les sujets ne peuvent résoudre seuls leur soient soumises, mais que ces tâches puissent néanmoins être réussies si un soutien approprié est dispensé, et ce, par une personne plus compétente. Les multiples études de Radziszewska et Rogoff (1988) ou citées par ces dernières corroborent l'hypothèse selon laquelle les interactions dissymétriques sont plus efficaces que les interactions symétriques. Certaines attitudes ou actions apparaissent cependant déterminantes pour que la dissymétrie entraîne des progrès cognitifs tangibles. Le recours à un protocole de pensée à haute voix par l'adulte, l'explicitation et la justification des sous-objectifs par l'adulte, ainsi que la relation ouverte et respectueuse entre l'adulte et l'enfant ressortent comme des éléments clés de l'appropriation, par l'enfant, des connaissances en jeu. Le rôle actif de l'enfant, comme observateur attentif, puis comme participant de plus en plus impliqué lors des prises de décisions parfois complexes, ressort aussi comme une condition qui contribue à la construction de connaissances réutilisables.

Des indices émergent également des travaux de Radziszewska et Rogoff (1988) au sujet des situations dyadiques ayant entraîné de piètres résultats. Dans ces cas, l'adulte dictait fréquemment à l'enfant quels gestes poser sans les lui expliquer, formulait peu de commentaires sur les stratégies utilisées par l'enfant ou ignorait les initiatives de ce dernier. Malgré le fait que ces études ciblent certaines conditions qui contribuent à la construction de connaissances, elles ne permettent pas de dégager les interventions qui contribuent directement au transfert. L'examen d'un troisième domaine de recherche permet d'apporter des précisions à cet égard.

Le soutien au transfert des apprentissages

Le troisième domaine de recherche exploré porte sur les interventions qui sont identifiées comme favorables au transfert. L'intervention pédagogique est, dans le cadre de cette étude et en référence à Tardif (1999, p. 180), «une traduction de principes en actions professionnelles». Les principes dont il est question sont ceux qui découlent des conceptions de l'apprentissage et du transfert exposées plus tôt. Afin de baliser les interventions, une heuristique retient l'attention.

Cette heuristique, de Tardif et Meirieu (1996), insiste sur l'importance de contextualiser, de décontextualiser et de recontextualiser l'apprentissage. La contextualisation[5] fait référence à l'idée d'une tâche d'apprentissage qui est authentique et complexe. Outre la complexité, Frenay (1998) met en exergue l'importance de la variété des tâches et du rôle de médiateur que doit assumer un tiers. La contextualisation des apprentissages contribue à augmenter les probabilités qu'elle soit également signifiante pour l'apprenant, notamment parce qu'elle vise l'atteinte d'un haut niveau d'authenticité.

En référence à Boaler (1993), les problèmes mathématiques posés aux élèves sont conçus de manière à permettre aux sujets de recourir à une façon originale de les résoudre en fonction de leur propre façon de faire, ce qui rejoint la perspective ethnomathématique d'Ambrasio. Pour Boaler, le contexte dans lequel les mathématiques prennent place influe sur la sélection des processus de résolution qui sont mobilisés par les sujets. Dans le présent cadre théorique, les problèmes tiennent lieu de contexte, même si, comme la théorie des situations didactiques le met en évidence, ce contexte est fort limité. Ce choix, qui peut être pris comme une limite de la recherche, est néanmoins justifié par la nécessité d'une étude fine du processus de transfert des apprentissages. Toujours dans le domaine de l'apprentissage et du transfert des mathématiques, Boaler (1993) insiste sur le fait que les orientations de l'intervention s'appuient sur la nécessité de permettre aux sujets le développement d'une signification mathématique, laquelle résulte des liens créés entre les connaissances antérieures et les nouvelles connaissances qui peuvent être utilisées dans des contextes inédits de résolution de problèmes. Pour ce faire, l'interaction, la négociation et le partage des significations ressortent comme déterminants. Les interactions sociales jouent ainsi un rôle important lors du premier moment, la contextualisation.

D'après les travaux de Lave (1988; 1997) qui s'inscrivent dans le paradigme de l'apprentissage et l'enseignement contextualisés, il semble que la rareté de plusieurs transferts soit attribuable à la difficulté qu'éprouve l'apprenant à se détacher du contexte dans lequel il a fait les apprentissages, ceux-ci étant fortement marqués par leur contexte d'acquisition. Un deuxième moment pédagogique, celui de la décontextualisation, paraît donc particulièrement pertinent. Celle-ci assure que les connaissances sont sorties de leur contexte d'acquisition. Ce moment ne prétend pas rendre les connaissances dénuées de tout contexte, mais plutôt faire voir leur mise à distance par rapport au contexte initial d'apprentissage ou à leurs divers contextes d'utilisation. La recontextualisation, finalement, constitue une occasion de réutiliser les connaissances construites dans d'autres contextes; c'est précisément sur ce plan que se produit un transfert des apprentissages.

D'autres études qui s'intéressent au soutien au transfert fournissent des pistes quant aux interventions à mener pour que ce processus soit mis en branle. Une organisation de ces travaux en cinq groupes présente sommairement (tableau 1) ces principales interventions. Le premier groupe renvoie au moment de contextualisation; le second mobilise des actions qui assurent le passage de la contextualisation à la décontextualisation; le troisième recourt à des interventions qui soutiennent directement la décontextualisation. Les interventions colligées dans le quatrième groupe permettent le passage de la décontextualisation à la recontextualisation, soit leur réutilisation effective dans l'action. Dans la recherche de Presseau (1998), ces groupes d'interventions ont été retenus à cause de leurs liens étroits avec les moments pédagogiques et avec les opérations cognitives préalablement identifiées comme étant à la base du transfert. Un cinquième groupe, qui consiste à analyser la résolution de problème en cours, à identifier l'erreur puis à la corriger a toutefois été ajouté en raison de la présence d'erreurs commises par les sujets lors de la résolution des problèmes sources. L'ajout de ce groupe d'interventions s'est imposé dans la mesure où il fallait analyser l'erreur. Malgré le fait que, à proprement parler, l'erreur n'ait pas été recensée comme particulièrement favorable au transfert des apprentissages dans la documentation scientifique consultée, elle revêt un intérêt particulier parce que pour éradiquer les erreurs «il faut les laisser apparaître – voire quelquefois les provoquer –» Astolfi (1997, p. 15) et parce qu'elles peuvent fournir des indices d'une sous-généralisation ou d'une surgénéralisation de règles. Comme il est estimé qu'un transfert n'est possible que dans la mesure où, lors de l'accomplissement d'une tâche source, a pu être mobilisée la coordination des connaissances en question, forcément, des actions qui cherchent à soutenir cette orientation devaient être posées.

Tableau 1

Catégorisation des actions à poser pour soutenir le transfert

Catégorisation des actions à poser pour soutenir le transfert

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L'exploration des domaines exposés dans le cadre théorique a permis de cibler l'objectif principal de la recherche: cerner l'effet des interventions d'un adulte sur les opérations cognitives à la base du transfert en contexte de résolution de problèmes mathématiques chez des sujets qui ont un niveau de compétence initial différent.

Méthodologie

Les informations liées à la méthodologie utilisée sont regroupées en quatre différents aspects: 1) le type de recherche et le contexte dans lequel cette recherche s'inscrit, 2) le déroulement de l'expérimentation, 3) les caractéristiques des problèmes mathématiques soumis aux sujets et 4) des précisions relatives aux sujets qui participent à la recherche.

Le type de recherche et son contexte

La recherche, qui est de type expérience formatrice[6] (Jacobs, 1992), est caractérisée par un intérêt pour l'influence de l'environnement personnel immédiat sur le développement des fonctions psychiques supérieures au moyen d'interactions face à face. Elle emprunte à certaines caractéristiques de l'étude de cas multiples. Huit sujets (quatre dyades) de première secondaire d'une même école des Cantons de l'Est ont participé à la recherche. Dans cette recherche exploratoire, l'accent mis sur les opérations cognitives explique que seuls les résultats de la dyade qui ont le mieux permis de rendre compte de l'efficacité des interventions ont été rapportés. L'étude se déroule sur une période de dix semaines et une séance de résolution par semaine a eu lieu. Les séances, d'une durée approximative d'une heure chacune, ont été réalisées dans un local de classe, pendant l'horaire scolaire, mais sans la présence des autres élèves.

Le déroulement de l'expérimentation

L'étude emprunte aux recherches de type expérimental un protocole en trois phases: un prétest, une expérimentation et un post-test. À chacune des phases au cours desquelles les sujets résolvaient les problèmes en dyade, on leur a demandé d'être d'accord sur la manière de résoudre les problèmes et sur les réponses obtenues. Lors de la première phase, l'objectif est de poser un diagnostic quant aux transferts effectués par les sujets lorsqu'ils sont placés en contexte individuel de résolution de problèmes d'abord (séance 1), puis lorsqu'ils résolvent en dyade des problèmes (séance 2), avant même que des interventions en faveur du transfert aient été posées par l'adulte. Au cours de la première séance, les sujets devaient rendre accessibles à l'expérimentatrice leurs processus en utilisant un mode de pensée à haute voix. La séance de résolution a été suivie d'un moment alloué à la rétroaction vidéo au cours duquel les sujets ont pu expliquer les processus qu'ils avaient parfois silencieusement engagés durant les résolutions. La deuxième phase (séances 3 à 8) constitue la phase au cours de laquelle des interventions en faveur du transfert sont posées par l'adulte et pendant laquelle les résolutions de problèmes se sont faites en dyade. Les interventions dont il est question sont organisées en cinq groupes et correspondent à celles dont les caractéristiques sont recensées dans le tableau 1. Le tableau 2 rend compte de la structure générale dans laquelle s'insèrent les diverses interventions de l'adulte lors de la résolution des problèmes.

La troisième phase permet d'évaluer si, à la suite des interventions de l'adulte et de la résolution des problèmes avec un pair pendant la phase d'intervention, des transferts sont effectués par les sujets sans les interventions de l'adulte, et ce, une fois en contexte de résolution dyadique (séance 9) et une fois lorsqu'ils sont de nouveau en contexte individuel de résolution (séance 10). Lors de cette phase, on a sollicité la rétroaction vidéo pour les mêmes motifs qu'à la première phase.

Les tâches

Les tâches réalisées dans cette recherche sont des problèmes mathématiques conçus par la chercheuse pour les fins de l'étude en raison de l'inexistence, à notre connaissance, d'une banque importante de problèmes déjà validés qui auraient été construits dans une visée de transfert d'apprentissages. Les tâches sources[7] et les tâches cibles ont été élaborées de manière à se situer dans la zone de développement proximal des sujets, donc d'un certain niveau de complexité, mais néanmoins solubles par les sujets. Un critère de base de la construction des problèmes consistait à ce que leur résolution nécessite obligatoirement le recours à des connaissances conditionnelles et procédurales.

Les problèmes portent sur diverses notions prévues au programme d'études de mathématiques des sujets et les notions traitées dans les problèmes ont préalablement fait l'objet d'un enseignement, dispensé par leur enseignant de mathématiques. La plupart des problèmes font appel à la combinaison d'opérations, et ce, généralement sur des nombres naturels, mais parfois aussi sur des nombres rationnels et sur des entiers relatifs. Les problèmes sont tous présentés aux sujets par un mode écrit et comportent généralement des données superflues, ce qui contraint les sujets à devoir choisir les données essentielles pour résoudre adéquatement les problèmes et les force à un engagement réfléchi. Exceptionnellement, des problèmes sans solution ont été posés; la plupart des tâches sont des problèmes qui débouchent sur une seule solution, mais les moyens pour y arriver sont multiples. Pour résoudre les problèmes, les sujets disposent des informations nécessaires en ce sens qu'ils n'ont pas à recueillir des informations supplémentaires en consultant des sources externes. Les problèmes ont été préparés en considérant le potentiel transférable des notions abordées dans la vie de tous les jours (Penn, Shelley et Zaininger, 1998). En référence aux catégories du ministère de l'Éducation (1988), la plupart des problèmes sont des problèmes réalistes. Certes, les sujets ne les vivent pas vraiment à ce moment, mais ils pourraient les vivre. Par exemple, ils reprennent des thèmes tels que l'organisation d'une activité parascolaire, la planification de budgets.

Tableau 2

Groupements d'interventions sollicitées aux diverses étapes des séances de résolution

Groupements d'interventions sollicitées aux diverses étapes des séances de résolution

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D'une séance de résolution de problèmes à une autre, certaines structures de problèmes sont récurrentes. Ainsi, la structure de certains problèmes est reprise de la première phase à la seconde, puis à la troisième, et ce, pour évaluer directement l'effet d'interventions sur le transfert. Dans le cadre de cette étude, des transferts judicieux peuvent être faits, mais des transferts qu'il n'est pas pertinent d'opérer peuvent aussi être réalisés compte tenu des caractéristiques de surface de certains problèmes. Ceux-ci peuvent traiter d'une même thématique, par exemple. Une évaluation plus indirecte de l'apport des interventions de l'adulte accompagne aussi le suivi des progrès cognitifs des sujets d'une séance à l'autre, sans que ces séances soient pour autant identifiées comme des séances d'évaluation des transferts. Au total, 142 possibilités de transferts étaient offertes aux sujets, et ce, incluant les transferts positifs et négatifs.

La sélection des sujets de la recherche

Les deux sujets sur lesquels porte l'analyse présentée dans cet article, Nicolas et Benoît, sont des jeunes qui ont été jumelés de manière à assurer une dissymétrie à l'intérieur de la dyade[8]. On a mesuré cette dissymétrie par deux moyens. L'un est une épreuve écrite de résolution de problèmes susceptibles de rendre compte de transferts et l'autre, une évaluation de leurs performances habituelles en mathématiques à partir des bulletins de l'année scolaire en cours[9]. L'épreuve écrite utilisée pour la recherche s'inspire de celle de Bastien (1987); elle permet de vérifier les capacités à transférer spontanément des sujets. Pour que les sujets soient retenus, les résultats scolaires devaient corroborer ceux de l'épreuve écrite. Les sujets devaient en outre, sur une base volontaire, travailler ensemble dans le cadre de l'expérimentation, et ce, afin de les placer dans un environnement stimulant pour eux (Forman et Cazden, 1989). Ils ignoraient cependant qu'on effectuerait un jumelage en fonction de leur dissymétrie. Nicolas est l'élève jugé le plus compétent en transfert en contexte de résolution de problèmes mathématiques, alors que Benoît est celui qui est considéré comme le moins compétent de la dyade. Les parents des sujets ont donné leur consentement écrit.

Analyse des données

Voici maintenant une présentation des résultats de la recherche. Celle-ci débute avec les résultats généraux relatifs aux transferts ayant ou non été opérés; seront subséquemment examinées les interventions de l'adulte en lien avec les opérations cognitives à la base du transfert des apprentissages lors de la résolution des tâches sources et des tâches cibles.

Le contexte d'élaboration d'une méthode d'analyse du processus de transfert

Malgré l'abondance des recherches qui portent sur le transfert des apprentissages, il n'en demeure pas moins que l'évaluation de ce processus pose encore de sérieux défis aux chercheurs (Marini et Genereux, 1995; Cox, 1997; Alexander et Murphy, 1999). Les méthodes utilisées traditionnellement, dont l'observation d'une réutilisation intégrale d'une stratégie de résolution dans une deuxième résolution, et ce, dans un laps de temps fort restreint, qui donnent essentiellement lieu à une analyse d'un «produit», laissent poindre plusieurs limites dans la compréhension d'un processus aussi complexe. D'ailleurs, Bransford et Schwartz (1999, p. 66) insistent sur la nécessité de reconsidérer ce qui constitue réellement une démonstration de transfert, en faisant valoir que l'évidence d'un transfert est souvent difficile à trouver. Ces chercheurs mettent également en exergue le besoin de développer de nouvelles théories et mesures du transfert. C'est donc en considérant les limites de l'état actuel de la connaissance dans l'étude du transfert des apprentissages qu'on a élaboré la méthode d'analyse utilisée dans cette recherche[10]. Cette dernière ne prétend aucunement apporter une réponse aux multiples difficultés rencontrées, mais plutôt une façon peut-être plus originale que d'autres d'étudier le transfert en dépassant le pur caractère explicite et achevé de ce dernier. Il nous importe en effet de contrer l'une des critiques les plus virulentes adressées à certaines recherches en nous attardant aux multiples indices qui illustrent que le processus de transfert est engagé sans pour autant être totalement actualisé.

Une analyse quasi qualitative des données emprunte à la recherche qualitative son caractère éminemment interprétatif et la recherche de sens à donner à un processus (Paillé, 1997). Par ailleurs, parce qu'elle s'intéresse à un processus mental et que certaines facettes de sa nature naturaliste ont été mises de côté, il ne s'agit pas de recherche qualitative proprement dite. Les étapes auxquelles elle recourt sont empruntées aux études qui portent sur la résolution de problèmes et sur le transfert des apprentissages. Les objets sur lesquels porte l'analyse sont la transcription de chacune des entrevues (séances de résolutions) qui fournissent des indices du processus de résolution de problème en cours et du processus de transfert lorsque celui-ci est mis en branle, la transcription des séances de rétroaction vidéo lors des première et troisième phases de l'expérimentation, les traces écrites laissées par les sujets lors des résolutions de problèmes, les interactions entre les sujets de la dyade et les interventions de l'adulte décrites au moment de la transcription.

La première étape de l'analyse des données a consisté à condenser les données et à faire une analyse préliminaire. À la suite de chacune des entrevues avec les sujets, les aspects principaux étaient colligés sur des fiches synthèse d'entretiens et de résumés. Cette forme d'analyse intermédiaire des données a notamment permis l'élaboration des problèmes subséquents. Une deuxième étape, également caractérisée par un condensé des données, a donné lieu à une analyse en profondeur. Une thématisation, qui «consiste […] à procéder systématiquement au repérage des thèmes abordés dans un corpus et, éventuellement, à leur analyse» (Paillé, 1996, p. 186), ainsi que l'identification d'indices de transfert ont été réalisées, pour ensuite laisser place à une analyse des situations potentielles de transfert en fonction de leur structure respective et de leurs traits de surface, lesquels peuvent soit contribuer à un transfert positif, soit nuire à ce type de transfert ou encore engendrer un transfert négatif. Les indices retenus concernent 1) le recours à des conditions, appropriées ou non, à la base du choix d'une procédure ou d'une séquence de procédures, 2) la référence explicite à un problème résolu antérieurement, 3) la discrimination par rapport à un problème résolu antérieurement, 4) l'extraction des données structurelles et superficielles des problèmes, 5) l'élaboration, partielle ou complète, d'un contexte fictif de réutilisation d'une séquence de procédures semblables. Enfin, on a établi en fonction de ces indices une catégorisation des situations de transferts rencontrées.

Des résultats généraux quant aux transferts

L'analyse en profondeur des données a permis de dégager cinq catégories de situations de transfert potentiel. Les règles de décisions sous-jacentes à l'édification de ces catégories sont exposées; le tableau 3 fournit un exemple pour chacune.

Tableau 3

Catégories de situations, règles de décisions et exemples

Catégories de situations, règles de décisions et exemples
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Une absence de transfert n'est pas l'absence de recours à des connaissances antérieures dont les sujets disposent, pour résoudre les problèmes, mais plus spécifiquement l'absence du recours à une même organisation de connaissances, à des «grappes de connaissances» qui avaient été coordonnés précédemment lors de la résolution de problèmes dans le cadre de l'expérimentation.

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Un portrait général de la dyade (tableau 4) met en évidence qu'un nombre très restreint de transferts verbalisés, explicites, ont eu lieu (catégorie 1), en mode de résolution dyadique ou individuel.

Tableau 4

Portrait général de la dyade en fonction des cinq catégories de situations

Portrait général de la dyade en fonction des cinq catégories de situations
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Les nombres inscrits dans cette rangée indiquent la catégorie de situations dont il s'agit. Il en est de même pour les tableaux 5 à 7.

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Des transferts non verbalisés (catégorie 2) ont été effectués dans une plus forte proportion. C'est notamment le cas quand les sujets reprennent sensiblement la même structure, élaborent un dessin semblable, par exemple, pour résoudre deux problèmes isomorphes sur le plan structurel ou sur le plan superficiel. Par ailleurs, à aucun moment, ils ne se réfèrent explicitement, verbalement, au problème résolu antérieurement et qui avait mobilisé la même séquence d'opérations. Les situations caractérisées par une absence de transfert (catégories 3, 4 et 5) ressortent comme les plus fréquentes, que ce soit lors des résolutions individuelles ou dyadiques. À une douzaine de reprises, une prise de conscience a posteriori de similarités entre des problèmes a été effectuée, à la suite des interventions de l'adulte ou des interactions entre sujets et une fois la résolution dyadique complétée (catégorie 4). Ce sont finalement les situations marquées par l'absence totale de prise de conscience de similarités entre les problèmes (catégorie 5) qui ont été les plus fréquentes. À cinq reprises seulement, quatre en dyade et une alors que Benoît résolvait seul les problèmes, une perception de similarités entre des problèmes a été verbalisée avant ou pendant la résolution, mais sans qu'il y aittransfert dans l'action (catégorie 3).

Spécifiquement au regard des situations au cours desquelles un transfert a été fait, soit les catégories 1 et 2, il ressort que ces transferts peuvent être positifs ou négatifs et, en ce sens, leur mise en action ne signifie pas forcément qu'une opération positive sur le plan cognitif ait été engagée. En effet, des transferts négatifs, à savoir non appropriés, font aussi partie de cette catégorie de situations[11]. Dans ce même esprit, les catégories 3 et 5, qui paraissent négatives puisqu'elles rendent compte d'absence de transferts peuvent au contraire se révéler très positives si elles reflètent que des transferts qui auraient été non appropriés ont été évités. Voici un extrait qui rend compte d'un exemple de la troisième catégorie de situations, dans laquelle il était pertinent de ne pas accomplir un transfert puisque ce dernier aurait été négatif.

Le tableau 5 met en relief que rarissimes sont les situations au cours desquelles les sujets ont relaté les similarités perçues entre les problèmes tout en donnant lieu soit à un transfert lorsqu'il était pertinent de mettre en branle ce processus (catégorie 1), soit de ne pas opérer de transfert parce que les similarités relevaient de la surface plutôt que de la structure des problèmes (catégorie 3). Un fait important est à noter: le sujet qui a été préalablement identifié plus compétent, Nicolas, lorsqu'il a été placé en contexte de résolution de problèmes individuel (séance 10), s'est révélé légèrement moins habile que son partenaire Benoît à traiter différemment les traits de surface, qui pouvaient l'induire en erreur, des traits structuraux des problèmes.

Tableau 5

Situations de transfert positives sur le plan cognitif des catégories 1 et 3

Situations de transfert positives sur le plan cognitif des catégories 1 et 3

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Comparativement aux situations positives sur le plan cognitif qui sont accompagnées d'une verbalisation de similarités (tableau 5), les situations également positives sur le plan cognitif, mais qui n'ont pas engendré de verbalisation (tableau 6) sont beaucoup plus nombreuses. Celles de la deuxième catégorie sont des situations où les sujets ont réalisé un transfert alors qu'il était pertinent de le faire, tandis que les situations de la cinquième catégorie recensées dans ce tableau constituent des situations où il était judicieux de ne pas opérer de transfert, et ce, malgré des caractéristiques superficielles qui pouvaient nuire aux sujets. Benoît, l'élève présumé moins compétent, est celui qui a réalisé le plus grand nombre de transferts appropriés sans les avoir verbalisés (catégorie 2). Les «0» et «0%» qui sont présents à l'intérieur du tableau 6 rendent compte que le choix des tâches proposées aux sujets était tel qu'à aucun moment, Benoît et Nicolas, lorsqu'ils étaient placés en contexte de résolution individuelle, n'ont été soumis à des problèmes qui auraient pu donner lieu à des transferts négatifs de grappes de connaissances. En contexte de résolution dyadique, les deux sujets ont toutefois réussi cette discrimination à dix-sept situations, soit dans plus de la moitié des situations possibles.

Extrait 1

Extrait d'un entretien qui illustre un transfert verbalisé en mode de résolution dyadique

Extrait d'un entretien qui illustre un transfert verbalisé en mode de résolution dyadique
*

P3s8 signifie le troisième problème de la huitième séance de résolution. Cette abréviation est reprise par la suite des extraits intégraux de la thèse ou des verbatims utilisés dans la recherche.

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Extrait 2

Extrait d'un entretien qui illustre une absence de transfert négatif

Extrait d'un entretien qui illustre une absence de transfert négatif

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Tableau 6

Situations de transfert positives sur le plan cognitif dont les similarités entre les problèmes ne sont pas verbalisées

Situations de transfert positives sur le plan cognitif dont les similarités entre les problèmes ne sont pas verbalisées

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Tel qu'en rend compte le tableau 7, l'ensemble des situations positives sur le plan cognitif, toutes catégories confondues, permet de dégager qu'un peu moins de la moitié des situations offertes aux sujets de procéder à des transferts appropriés ou de s'abstenir lorsqu'il n'était pas pertinent de le faire ont été réussies. De ce nombre, une faible proportion se traduit par une explicitation des transferts par les sujets. Toutefois, l'absence de transfert de grappes de connaissances, lors de la présente expérimentation, ne signifie pas pour autant que les sujets, individuellement ou en dyade, aient échoué aux problèmes qui leur étaient soumis. En maintes situations, en dépit de l'absence de transfert de grappes, ils ont réussi en créant de nouvelles façons de résoudre des problèmes.

Tableau 7

Synthèse des situations positives sur le plan cognitif

Synthèse des situations positives sur le plan cognitif

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Interventions de l'adulte et apport sur les opérations cognitives à la base du transfert

Les interventions de l'adulte pouvaient être posées soit lors de la résolution de tâches sources, soit lors de la résolution de tâches cibles. Compte tenu que certains problèmes ont eu un statut de tâche source et de tâche cible à la fois[12], on ne peut conclure que ce sont davantage des interventions survenues lors d'une tâche source ou d'une tâche cible spécifiquement qui ont contribué ou non aux transferts des apprentissages des sujets.

Interventions lors de la résolution des tâches sources

Les interventions de l'adulte proposées lors de la résolution des tâches sources relèvent, dans presque tous les cas, des premier, troisième et quatrième groupes d'actions présentés dans le tableau 1. Pour l'essentiel, il s'agit d'actions qui se situent au niveau de la contextualisation au moyen de la direction de l'attention des sujets vers des données essentielles à la résolution. Concernant la décontextualisation (groupe 3), l'adulte soutient les sujets dans une réflexion métacognitive, axée sur la régulation de leur action une fois la résolution complétée et sur l'extraction de règles. Dans une perspective de recontextualisation potentielle des grappes de connaissances mobilisées dans le cadre de la résolution d'un problème (interventions appartenant au quatrième groupe), une sollicitation à anticiper des applications ultérieures des grappes de connaissances est proposée aux sujets, de même que l'élaboration de problèmes qui contraindraient à recourir à la même grappe de connaissances, donc qui partagent les mêmes conditions que le problème sur lequel a porté l'analyse accompagnée.

Il importe toutefois de relever que des transferts judicieux, verbalisés ou non, ou encore des absences appropriées de transfert sont produits sans l'influence des interventions de l'adulte. Les tâches sources soumises aux sujets l'avaient été lors de la première phase de l'expérimentation, soit lors de la phase diagnostique. Dans certains cas, donc, les interventions lors de la tâche source ne sont pas essentielles pour qu'un transfert soit opéré. Il est également arrivé qu'une même tâche source permette un transfert lors d'une première tâche isomorphe subséquente, non lors d'une deuxième tâche isomorphe, mais de nouveau en contexte de résolution d'un troisième problème structurellement semblable à celui de la tâche source. Dans ce cadre, l'effet des interventions semble dépendre d'autres variables que celles contrôlées au moment de l'expérimentation. Toutefois, on ne peut tirer aucune conclu- sion en fonction de la structure des problèmes qui ont davantage ou dans une moindre proportion engendré de transferts à la suite d'interventions lors des tâches sources.

L'analyse des interventions de l'adulte concernant les résolutions qui ont échoué était accompagnée d'interventions du cinquième groupe. Toutes proportions gardées, ces résolutions ont, par la suite, engendré plus de transferts que celles réussies du premier coup. Le processus de résolution n'étant pas linéaire, les sujets ont, dans ces situations, révisé leur position à la suite des questions posées et ils ont rajusté la résolution en fonction de la nouvelle représentation qu'ils se sont faite du problème à résoudre. L'adulte a alors mis à contribution des interventions en rapport avec l'encodage du problème source et avec la compréhension de ce dernier. L'extrait 3 illustre cette dynamique, en mettant en évidence le rôle des interventions qui se répercutent lors de la résolution de la tâche cible.

Extrait 3

Exemple d'interventions posées lors de la résolution d'une tâche source qui ont eu une incidence positive lors d'une résolution subséquente

Exemple d'interventions posées lors de la résolution d'une tâche source qui ont eu une incidence positive lors d'une résolution subséquente

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Interventions lors de la résolution des tâches cibles

Des interventions qui appartiennent aux trois premiers groupes sont posées lors de la résolution des tâches cibles. Pour le premier groupe, il s'agit de la direction de l'attention sur les données structurelles du problème, de l'incitation au repêchage de grappes de connaissances et de l'incitation au rappel de problèmes déjà rencontrés lors de l'expérimentation et qui partagent une même structure. Les interventions du deuxième groupe utilisées lors de la tâche cible sont l'analyse explicite de la tâche et l'identification des conditions qui autorisent à réutiliser la même séquence d'opérations que lors de la résolution antérieure d'un problème. Quant aux interventions du troisième groupe, elles correspondent à un retour sur la résolution et l'orientation de la réflexion pour permettre a posteriori ou de dégager des similitudes entre des problèmes ou d'établir une discrimination entre les tâches.

Que ce soit au moment de la résolution des tâches sources ou des tâches cibles, il ressort que certaines opérations cognitives à la base du transfert relèvent peu des interventions de l'adulte. Tel est le cas, notamment, du stockage et de l'organisation des grappes de connaissances en mémoire. La figure 1, qui illustre la dynamique des interventions avant, pendant et après la résolution sur les opérations cognitives, et ce, en mettant en relation trois contextes de résolution qui partagent des similarités structurelles, met aussi en relief l'absence d'interventions sur certaines opérations cognitives.

Figure 1

Chaîne de relations de la troisième catégorie de situations lors de résolutions dyadiques

Chaîne de relations de la troisième catégorie de situations lors de résolutions dyadiques

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Dans la moitié des situations où des transferts non verbalisés sont opérés lors de la résolution des tâches cibles, l'adulte n'est pas intervenu, selon ce qui était prévu, puisque ces résolutions ont eu lieu durant la première ou la troisième phase de l'expérimentation. En général, l'apport des interventions au moment du transfert paraît mitigé, et ce, même si les situations de transferts étaient rapprochées dans le temps, par exemple, entre deux problèmes d'une même séance de résolution. Il semble que ce soit davantage les interventions posées lors de la résolution des tâches sources qui aient été réinvesties, lesquelles se retrouvent aux différentes phases de l'expérimentation, que celles posées au moment de la résolution des tâches cibles. L'analyse des interventions de l'adulte rend compte que ces dernières ont agi sur l'encodage des informations lors de la résolution de la tâche source en fonction des données structurelles. Les interventions ont également contribué à une organisation des connaissances en mémoire, de façon à hausser le nombre de voies d'accès en fonction des données structurelles. Rétroactivement surtout, les interventions de l'adulte ont contribué à l'encodage de la tâche cible et, grâce à la sollicitation, elles ont favorisé le repêchage en mémoire de la tâche source. Les interventions de l'adulte ont aussi soutenu la généralisation et la discrimination en fonction des données structurelles des problèmes, ainsi que l'anticipation de tâches de recontextualisation en fonction de ces mêmes données structurelles.

Interprétation des résultats

L'étude fait ressortir l'apport mitigé des interventions de l'adulte. Plusieurs hypothèses peuvent servir à expliquer ce phénomène. Le peu d'efficacité des interventions peut être attribuable au fait que, au moment de l'expérimentation, l'adulte n'avait pas un statut de partenaire de travail comme c'était le cas entre les sujets. En fait, son rôle était à la fois celui d'évaluateur (lors des phases I et III) et celui d'intervenant, essentiellement par l'intermédiaire des questions posées pour soutenir le transfert. Or, l'ensemble des études qui soulèvent la contribution importante de l'adulte sur la cognition (Rogoff, 1991) reconnaissent que ce dernier agissait essentiellement en tant que collaborateur plus expérimenté. De même, d'autres chercheurs (Tardif, 1992; Pressley et McCormick, 1995) ont souligné l'apport du modèle explicite. En aucune occasion, l'adulte n'a assumé ce rôle auprès des sujets. Ses interventions se voulaient plus discrètes afin qu'il puisse accéder le plus possible aux initiatives des sujets. Même si on a régulièrement procédé avec les sujets à une analyse explicite des tâches, elle s'est faite principalement de façon rétroactive et non avant ou pendant la résolution. Si cette forme d'analyse n'est pas sans résultat, il reste qu'elle aurait été probablement plus bénéfique si elle avait eu lieu aussi avant et pendant la résolution des tâches susceptibles de provoquer le transfert.

On peut attribuer l'efficacité restreinte des interventions à leur durée limitée pendant la mise en place des actions visant à favoriser le transfert. Seulement six séances de résolution d'une heure chacune sont caractérisées par des interventions pour favoriser le transfert. En plus, ces séances ne se produisaient qu'une fois par semaine. Il s'agit de l'une des limites de cette recherche. Pour obtenir un effet significatif, il semble qu'une intervention de plus longue haleine et sur une base continue soit nécessaire.

Le nombre limité de situations positives sur le plan cognitif qui a été atteint, qu'il s'agisse de transferts positifs effectués ou de transferts négatifs évités, et ce, explicitement par les sujets, rejoint les conclusions de Bransford et Schwartz (1999) dont plusieurs recherches mettent en évidence la rareté des transferts explicités. Ce résultat peut s'expliquer en partie par le fait que, dans notre étude, on n'a mis aucun accent sur la contextualisation initiale des apprentissages. En effet, les sujets ont été soumis à des tâches de résolution de problèmes pour lesquelles un enseignement avait déjà été dispensé dans le cadre normal de la classe par l'enseignant de mathématiques; ceux-ci devaient plutôt recontextualiser leurs acquis d'abord lors de la résolution d'une tâche source, puis au moment de la résolution de tâches cibles. Or, en référence à la triade de Meirieu (1992) et à celle de Tardif et Meirieu (1996), la contextualisation est cruciale en tant que premier moment pédagogique pour favoriser le transfert. Dans le même ordre d'idée, malgré le fait que le type d'enseignement que privilégiait l'enseignant de mathématiques des sujets comportait des problèmes, leur niveau de complexité était moindre que ceux utilisés dans le cadre de la recherche, en ce sens qu'ils nécessitaient une séquence de procédures moins élaborée, qu'ils se référaient à un nombre plus restreint d'opérations, qu'ils portaient sur un moins grand nombre de notions à la fois et qu'en général, ils comportaient peu de données superflues. Le fait que les sujets aient été peu entraînés à résoudre des problèmes de ce niveau de complexité hors du contexte expérimental peut donc expliquer leur difficulté à transférer. On peut d'ailleurs se demander si les sujets étaient en situation d'apprentissage ou de transfert de grappes de connaissances. S'ils étaient en situation d'apprentissage, le caractère encore superficiel de cet apprentissage peut expliquer les limites de leur transfert.

Une autre explication du nombre plutôt faible de transferts positifs opérés par les sujets relève de l'insuffisance des liens établis entre les connaissances conditionnelles et les connaissances procédurales. Il est arrivé, par exemple, que les sujets puissent verbaliser les similarités structurelles entre des problèmes et expliquer que la procédure à effectuer dans les deux cas était la même, mais sans être capables de repêcher ni de mettre en oeuvre la procédure en question. L'une des difficultés rencontrées se situerait donc au niveau de la coordination des connaissances des différents types. Ce qui impliquerait éventuellement de mieux planifier des interventions directement axées sur cet aspect.

On peut également expliquer le peu d'apport des interventions susceptibles de provoquer le transfert en prenant appui sur les propos de Richard (1990) qui estime que la réflexion a posteriori tend à cristalliser les processus les moins pertinents plutôt que de mettre l'accent sur les moyens qui permettraient d'améliorer la résolution. Puisque dans cette étude on a privilégié une réflexion a posteriori sur les processus engagés à plusieurs moments, il n'est pas surprenant de constater que les effets escomptés se sont finalement avérés décevants.

Conclusion

L'étude du rôle des interventions en faveur du transfert des apprentissages a permis de dégager des retombées scientifiques d'ordre conceptuel, méthodologique et empirique. Sur le plan scolaire, cette recherche fournit des indices qui laissent poindre des orientations à privilégier.

D'un point de vue conceptuel, cette étude aboutit à une meilleure compréhension du processus de transfert. Elle en illustre aussi la grande complexité, tant au regard du processus lui-même qu'en ce qui a trait à la «scénarisation» des actions à mettre en place pour sa réalisation, à l'intérieur d'une triade contextualisation, décontextualisation et recontextualisation. Les opérations cognitives à sa base ont été ciblées ainsi que la dynamique qu'elles entretiennent les unes par rapport aux autres. L'étude raffine également la compréhension des interventions à poser en fonction des opérations cognitives que le transfert sollicite. Bien que plusieurs actions pour soutenir le transfert soient connues, leur relation avec des opérations cognitives qui lui servent de fondement sont encore méconnues. À cet effet, la notion de subjectivité quant à la perception des similarités entre diverses tâches ressort comme déterminante et pose un défi de taille comme variable sur laquelle l'intervention doit miser en priorité.

Sur le plan méthodologique, la recherche, même si elle était exploratoire, a permis de recourir à une modalité novatrice de collecte des données et de leur analyse, de manière à accéder davantage au processus de transfert qui, même inachevé, a été pris en compte, comme le suggèrent Bransford et Schwartz (1999). Par ailleurs, il faut encore mener de nombreuses études sur l'analyse de l'efficacité des interventions sur le transfert. Des recherches plus écologiques et entretenant un plus haut degré de congruence entre l'apprentissage et l'enseignement contextualisés et le protocole expérimental utilisé méritent d'être réalisées pour que leur portée se manifeste jusque dans le milieu scolaire.

Sur le plan empirique, dans la mesure où cette recherche a été réalisée auprès d'élèves provenant du secteur régulier et sans difficultés d'apprentissage, et qu'un nombre restreint de transferts a été effectué malgré un soutien accru, elle ouvre sur l'importance d'étudier quelles sont les interventions à promouvoir auprès des élèves en difficulté. L'une des voies d'exploration possibles résiderait dans l'approfondissement des liens entre la métacognition et le transfert chez cette catégorie d'élèves (Doly, 1997). Il paraît dorénavant essentiel de mener des recherches qui engagent plus directement l'adulte expert auprès des élèves pour les soutenir lors de situations de transfert potentiel.

Sur le plan scolaire, les résultats laissent entendre qu'il serait important de dispenser un enseignement dans une visée de transfert plutôt que de concevoir l'apprentissage et le transfert comme deux entités totalement distinctes et peu liées, où le transfert est forcément subordonné à l'apprentissage. La contextualisation des apprentissages, dans ce cadre, reste une avenue prometteuse pour l'enseignement axé sur le transfert, même si elle ne le garantit pas. Les occasions multiples de recontextualisation ressortent aussi comme étant cruciales pour créer maintes voies d'accès aux grappes de connaissances emmagasinées en mémoire. L'enseignant doit à la fois offrir aux élèves de fréquentes occasions de développer des actions métacognitives et il doit jouer un rôle majeur en tant que modèle explicite; dans la même veine, il est un provocateur d'explications afin que les élèves deviennent habilités à rendre accessibles à leurs pairs leurs démarches de résolution et de transfert. Enfin, les résultats de l'étude conduisent à miser sur des interventions qui visent une autonomisation graduelle de la part des élèves, mais qui nécessite à la base un soutien accru.