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Introduction

Depuis la fin des années quatre-vingt, la variable engagement est de plus en plus prise en compte dans les recherches qui visent à identifier les facteurs de réussite et d'échec à l'université, et plus largement, les facteurs et indicateurs d'une formation universitaire de qualité.

Il est ressorti que la qualité de l'insertion de l'étudiant dans les systèmes académiques et sociaux de l'université constitue un déterminant significatif de la qualité de la formation (Tinto, 1975). La réussite des études exige non seulement la capacité de répondre efficacement aux exigences universitaires, mais aussi de surmonter le déséquilibre provoqué par le passage d'un environnement connu (le milieu familial et l'enseignement secondaire) à un environnement de vie inconnu (le campus et les études universitaires) (Gossuin et Devoet, 1984). Cette expérience transitoire est conceptualisée par la notion de «rupture de contexte» (Wouters, 1991). La capacité d'autonomie, c'est-à-dire la capacité de s'autogérer, de prendre des décisions significatives et dassurer les conséquences (Bernier et Ouellet, 1984), mais aussi la définition d'un projet de formation précis qui motive le choix d'une filière d'études facilitent l'adaptation de l'étudiant à ce nouveau contexte (Demal, 1989; Gossuin et Devoet, 1984). La qualité de l'insertion universitaire dépend ainsi directement de la motivation de l'étudiant et de l'engagement dont il fait preuve dans le contexte universitaire.

Dans le cadre de cet article, nous nous centrons principalement sur la notion d'engagement aux études, c'est-à-dire en situation d'apprentissage.

L'origine et la définition de la variable engagement

C'est à la suite de résultats de recherches menées à l'Université catholique de Louvain (UCL) (De Ketele, Draime et Volgaire,1987; Parmentier, Gathy, Paquet, De Ketele et Denef, 1991) que nous nous sommes particulièrement intéressés à la variable engagement. Ces recherches démontrent l'importance de la gestion du temps pour la réussite universitaire, mais soulignent que c'est moins la quantité des activités d'étude que leur qualité qui est importante.

Les chercheurs ont ainsi été amenés à opérer la distinction entre deux indicateurs temporels: l'Academic Learning Time (ALT), le temps que l'étudiant consacre à l'étude, et l'Academic Engaged Time (AET), le temps durant lequel l'étudiant est effectivement engagé dans l'apprentissage. En 1988, Mortimore parvient à démontrer l'existence d'une relation nette entre l'AET et la performance académique. Ces recherches sur l'AET n'ont malheureusement pas été menées dans le cadre de l'enseignement universitaire, dont les exigences et le contexte sont très différents de ceux de l'enseignement fondamental et secondaire. Elles démontrent cependant l'importance des aspects qualitatifs de l'étude pour la performance académique et la qualité des apprentissages.

Des chercheurs américains avaient déjà abordé la variable engagement. Ainsi, Kiesler (1971) définit la notion de «commitment» comme le lien qui relie un individu aux actes qu'il réalise consciemment, librement et volontairement. Selon cet auteur, seuls les actes nous engagent. Ceci nous permet de distinguer la notion d'engagement de celle de motivation, qui sont très proches, mais pourtant bien distinctes. S'inspirant des travaux de chercheurs ralliées aux approches cognitive et sociocognitive (Ames et Ames, 1989; Dweck, 1989; Pintrich et De Groot, 1990; Weiner, 1992), Viau (1994) définit la motivation comme un état psychologique interne créé par un désir ou un besoin (Nuttin, Fraisse, Meili et Roubertoux, 1963; Nuttin, 1980) qui a ses origines dans les perceptions que le sujet a de lui-même et de son environnement et qui l'incite à choisir une activité, à s'y engager et à persévérer dans son accomplissement afin d'atteindre un but. La motivation, moteur de l'action, est donc une condition nécessaire mais non suffisante de l'engagement. Elle est dite intrinsèque quand la personne choisit l'activité pour le plaisir et parce qu'elle correspond à ses aspirations. Elle est dite extrinsèque quand le choix de la personne est uniquement motivé par des contingences qui lui sont externes (Deci, 1985 et 1991, cité par Viau, 1994).

Miller (1977) ainsi que Adams et Paquet (1991) ont les premiers appliqué la variable engagement en contexte universitaire et d'apprentissage en avançant le concept d'«implication». Un étudiant impliqué est un étudiant qui se plonge profondément et sérieusement dans un programme de cours. Ces chercheurs distinguent les dimensions affective (motivations, projets, volonté), comportementale (gestion du temps, comportements d'études, etc.) et sociorelationnelle de l'engagement.

En 1984, Astin adopte le concept de «student involvement» qu'il définit comme la quantité d'énergie psychologique investie par l'étudiant dans les apprentissages. Il enrichit ainsi cette variable par une dimension conative (du latin «conare»: tenter, essayer, faire des efforts) tout en confirmant ses aspects affectifs, comportementaux et sociorelationnels.

Quant à Borden (1988), il définit le «student engagement» comme l'attachement psychologique aux études. Il distingue la profondeur de l'engagement (le degré d'insertion de l'étudiant dans ses études et son institution de formation) de l'intensité de l'engagement (la quantité totale d'énergie associée à la relation étudiant-études). Il se réfère également aux théories de la «Student-College Correspondance» en soulignant l'importance pour l'insertion universitaire d'une bonne compatibilité entre les attentes et valeurs de l'étudiant et les attitudes et comportements préconisés par l'université. Enfin, il démontre que la qualité des projets à court et à moyen terme de l'étudiant influence positivement la qualité de l'engagement.

Nystrand et Gamoran (1991) envisagent le «Student Engagement» comme un phénomène cognitif. Ils le définissent comme le degré avec lequel l'étudiant s'implique mentalement dans la résolution des problèmes liés à l'étude. Ils opèrent une distinction fondamentale entre l'engagement procédural, l'adhésion de l'étudiant aux règles et procédures de régulation de la classe (ponctualité, remise des travaux demandés dans les temps, etc.) et l'engagement substantif, défini comme l'attention soutenue portée aux contenus et aux visées de l'apprentissage (réfléchir au sens de la matière, créer des liens entre les notions apprises, etc.). Cette distinction s'apparente à celle effectuée par Marton et Säljö (1984) entre les approches d'étude en surface et en profondeur. Nystrand et Gamoran ont démontré que c'est l'engagement substantif qui est le plus significativement associé à un niveau de performance académique élevé.

Enfin, Willis (1993) distingue deux types d'engagement: l'engagement académique, lié aux apprentissages, et l'engagement institutionnel, lié à la vie universitaire et sociale. En définissant l'engagement académique de l'étudiant comme une prise de décision personnelle se traduisant, d'une part, par la volonté et, d'autre part, par la capacité de s'engager pleinement dans ses études, elle relie ainsi deux dimensions: l'intention de s'engager et la manière de procéder dans l'étude.

Sur la base des définitions de ces auteurs, nous définissons l'engagement académique comme la décision volontaire de s'engager activement et profondément, mais aussi comme la participation active dans les activités d'apprentissage. L'engagement académique est un processus multidimensionnel qui met en jeu quatre types de mobilisation:

  • une mobilisation affective, origine et moteur de l'action: le désir d'apprendre, les aspirations, les attitudes et les perceptions de soi et du contexte d'apprentissage (Boulet, 1993; Miller, 1977 et Adams, 1991; Willis, 1993);

  • une mobilisation conative: la quantité d'énergie physique et psychique investie par l'étudiant dans les activités d'apprentissage (Astin, 1984);

  • une mobilisation cognitive: le travail intellectuel mis en oeuvre par l'étudiant dans l'apprentissage (Boulet, 1993; Nystrand et Gamoran, 1991; Willis, 1993). Dans le cadre de ce travail, nous reprenons la distinction émise par Pask (1976) entre l'approche d'apprentissage sérialiste et l'approche d'apprentissage globaliste. La première est centrée sur la reproduction la plus fidèle des connaissances, généralement assimilées de manière linéaire et superficielle. La deuxième approche privilégie davantage la compréhension en profondeur des connaissances, jumelée à une vue d'ensemble de celles-ci et à la capacité d'établir des liens logiques entre les différents concepts;

  • enfin, une mobilisation métacognitive: les stratégies par lesquelles l'étudiant prend conscience de ses démarches d'apprentissage, analyse les résultats auxquels elles aboutissent, les évalue pour éventuellement les réguler (Boulet, 1993; Romainville, 1992; Viau, 1994). Nous envisageons deux «sortes» de métacognition: la métacognition quantitative, à savoir celle de l'étudiant qui réfléchit à la quantité de temps investi ou à investir pour l'apprentissage ou encore à la quantité de pages étudiées ou à étudier et la métacognition qualitative, à savoir celle de l'étudiant qui réfléchit à la pertinence et à l'efficacité de ses techniques de travail.

L'engagement comprend donc des aspects quantitatifs et qualitatifs. Il peut être en présentiel (investissement de l'étudiant dans les activités d'apprentissage organisées par le personnel d'enseignement) ou hors présentiel (investissement de l'étudiant en dehors des heures de cours, dans les activités d'apprentissage qu'il se programme à domicile) (Pirot, 1995). Nous reprenons également la distinction émise par Nystrand et Gamoran (1991) entre l'engagement procédural (EP) et l'engagement substantif (ES). Dans le cadre de cet article, nous ne communiquons que les résultats obtenus à propos de l'engagement académique substantif hors présentiel (EAS hp).

Les objectifs et hypothèses de la recherche

Notre recherche s'inscrit dans le courant des études qui tentent d'identifier les déterminants de la performance académique dans l'enseignement supérieur.

Les travaux antérieurs ont mis en évidence le caractère prédictif des aptitudes (Zuniga, 1989), des motivations (Biggs, 1984; Entwistle et Kozeki, 1985; Entwistle, 1986; Ramsden, 1979; Viau, 1994; Zuniga, 1989), du passé scolaire (Biggs, 1985; Bloom, 1976; Parmentier, 1994), de certains facteurs sociologiques (Dupont et Ossandon, 1994) et de la qualité de la gestion du temps (Adams et Paquet, 1991; Donnay, 1989; Hoff Macan, Shahani, Dipboye et Phillips, 1990; Parmentier, Gathy, Paquet, De Ketele et Denef, 1991) pour la performance académique universitaire. Plus récemment, des chercheurs se sont intéressés aux méthodes et techniques de travail, aspect qualitatif de l'engagement (De Ketele, Draime et Volgaire, 1987; Entwistle, 1978; Entwistle et Ramsden,1983; Entwistle et Waterson, 1988; Marton et Säljö, 1984; Pask, 1976; Romainville, Philippe et Willocq, 1997), et à la métacognition (Biggs, 1985; Flavell, 1976; Noël, 1991; Noël, Romainville et Wolfs, 1995; Romainville, 1992, 1993; Schunk, 1989; Thiran, 1994; Wolfs, 1992; Zimmerman, 1990). Boulet (1993) met en évidence que les étudiants à succès sont ceux qui adoptent des stratégies cognitives adéquates d'organisation de la matière à apprendre et qui disposent de stratégies émotionnelles de gestion du stress appropriées. Selon lui, c'est avant tout l'habileté à intégrer les stratégies d'apprentissage en un réseau efficace, en regard des exigences des professeurs, qui a son importance pour la réussite universitaire.

De nature exploratoire, la présente recherche empirique tente de vérifier le caractère prédictif pour la réussite académique des aspects quantitatifs et qualitatifs de l'engagement académique d'étudiants de première candidature inscrits dans deux facultés différentes de l'Université catholique de Louvain (UCL): la Faculté de psychologie (PSY) et l'École polytechnique (POL). Nous cherchons aussi à savoir si des différences d'engagement peuvent s'observer selon la filière d'étude choisie par l'étudiant, sa motivation pour les études, son capital socioculturel et son vécu subjectif.

En nous appuyant sur de nombreuses recherches en sciences de l'éducation, nous émettons les hypothèses suivantes.

Première hypothèse – Le niveau de performance académique en première année est davantage associé aux aspects qualitatifs de l'engagement académique (comportements et attitudes orientés vers l'accomplissement des tâches d'apprentissage) qu'à ses aspects quantitatifs (nombre d'heures de travail consacrées à ces activités) (Boulet,1993; De Ketele, Draime et Volgaire,1987; Romainville et Donnay, 1991; Parmentier, Gathy, Paquet, De Ketele et Denef, 1991; Romainville, Philippe et Willocq, 1997).

Deuxième hypothèse – La filière d'étude exerce un effet sur l'engagement académique, donc, sur le niveau de réussite. Zuniga (1986, 1989) a en effet constaté des différences entre cinq facultés (droit, psychologie, sciences économiques, polytechniques et sciences) quant aux attitudes face aux études, aux méthodes de travail et aux approches d'apprentissage. Nous pouvons supposer que le degré d'engagement académique des étudiants de polytechnique est plus important que celui des étudiants de psychologie. Les études de polytechnique sont en effet considérées comme relativement difficiles; elles intègrent un examen d'entrée et exigent la maîtrise de préalables importants, ce qui n'est pas le cas pour les études de psychologie. De plus, ces deux filières d'études touchent des domaines de savoir bien spécifiques. Nous pensons observer des différences quant à la qualité de l'engagement académique (méthodes de travail et approche d'apprentissage).

Troisième hypothèse – Nous supposons que les indicateurs de la motivation pour les études sont corrélés positivement avec les indicateurs qualitatifs et quantitatifs d'engagement (Astin, 1964; Biggs, 1984; Boulet, 1993; Entwistle et Ramsden, 1983; Miller, 1977; Adams, 1991; Ramsden, 1979; Willis, 1993).

Quatrième hypothèse – En nous appuyant sur les travaux classiques des sociologues de l'éducation (par exemple, ceux de Duru-Bellat, 1989), nous prévoyons qu'une part de la variance de la performance et de l'engagement académiques de l'étudiant est expliquée par son capital socioculturel, ce concept comprenant des composantes telles que les antécédents scolaires de l'étudiant (degré de réussite dans l'enseignement secondaire), ses antécédents sociofamiliaux (scolarisation et profession des parents) et la tradition familiale (parents ayant fait les mêmes études).

Cinquième hypothèse – Enfin, comme composantes associées à la motivation, l'assurance académique, c'est-à-dire la perception que l'étudiant a de ses compétences et capacités, et le retentissement affectif, à savoir la manière dont l'étudiant vit l'expérience universitaire, seraient également étroitement corrélés à l'engagement académique et, par conséquent, indirectement au niveau de réussite de l'étudiant. Ces deux variables désignent le vécu subjectif de l'étudiant. Nous supposons en effet qu'un étudiant qui a confiance en ses compétences et en ses capacités et qui vit positivement l'expérience universitaire s'investit davantage et mieux dans ses études quétudiant qui a peu confiance en lui (Bandura, 1986, 1993; Marks, 1967; Viau, 1994; Williams, 1991) et qui ne se plaît pas à l'université.

Nous reprenons dans la figure ci-dessous les variables investiguées dans le cadre de cette recherche.

Figure 1

Variables prises en considération dans la recherche

Variables prises en considération dans la recherche

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Méthodologie

L'échantillonnage

Nous avons rencontré au cours du premier quadrimestre (fin octobre-début novembre 1994) quarante étudiants belges inscrits pour la première fois en première année à l'UCL. Finalement, notre échantillon est constitué de 38 étudiants de première génération en raison d'une mortalité expérimentale et d'une étudiante qui était inscrite pour la seconde fois à l'université.

Tableau 1

Répartition de l'échantillon en fonction de la filière d'études et du sexe

Répartition de l'échantillon en fonction de la filière d'études et du sexe

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Notre échantillon est stratifié dans la mesure où il comporte deux sous-groupes distincts déterminés par la filière d'études (19 étudiants de polytechnique et 19 étudiants de psychologie). Il est également occasionnel, c'est-à-dire dicté par le seul critère d'accessibilité des étudiants invités à participer librement à cette recherche. Enfin, nous avons veillé à ce qu'il soit globalement équilibré quant au sexe (19 filles et 19 garçons). Il faut cependant constater que l'échantillon POL comprend peu de filles (4 sur 19) et que celui de PSY comprend une majorité de filles (15 sur 19); ceci correspond aux proportions de la population globale dans ces deux facultés.

De manière générale, nous avons affaire à des étudiants motivés par leurs études. La motivation des étudiants POL peut s'expliquer par la préparation et la réussite de l'examen d'entrée. Pour ce qui est des étudiants PSY, de récents travaux de recherche démontrent que ceux-ci choisissent les études de psychologie avec très peu d'hésitation. Ils ont généralement une idée précise de ce qu'ils recherchent (un métier centré sur l'humain, sur les contacts sociaux et qui est source d'épanouissement personnel), ont choisi ce qu'ils aiment et aiment ce qu'ils ont choisi (Leyens, Yserbyt et Bellour, 1995; Bellour, 1996).

Le dispositif de recueil des données

Le dispositif de cette recherche comporte deux parties: une interview approfondie et un questionnaire écrit.

L'interview a été menée par une jeune étudiante chercheuse, de façon à mettre l'étudiant en confiance dès le départ. Il s'agissait d'un «entretien en entonnoir», partant de questions générales très ouvertes au départ pour se resserrer ensuite de telle façon que nous disposions des informations nécessaires pour chaque variable soumise à l'investigation (figure 1). Au départ, il était demandé à l'étudiant de décrire comment il vivait l'expérience universitaire, de relater une situation d'apprentissage positive, puis une négative, et d'en expliquer les raisons. L'intervieweuse lui demandait ensuite d'envisager les mêmes aspects, mais à propos des apprentissages réalisés à domicile. L'intervieweuse ne passait au questionnaire écrit que lorsqu'elle disposait de toutes les informations requises.

Ce questionnaire portait sur les mêmes variables, mais de manière beaucoup plus systématique. Cette double procédure nous permettait d'obtenir des garanties de validité meilleures et nous facilitait la tâche de quantification des variables. Une des composantes importantes du questionnaire réside dans l'utilisation de la technique des portraits. Celle-ci consiste à présenter des portraits types d'étudiants, tous fictifs et parfois assez caricaturaux. Nous avons veillé à ce qu'ils exercent tous un pouvoir d'attraction semblable. L'étudiant était invité à préciser dans quelle mesure il pouvait s'y identifier. Ces portraits ont été construits sur la base de cinq dimensions: 1) le choix des études (choix réellement motivé par rapport à choix «forcé»), 2) la préparation aux études, 3) la vie sociale (étudiant intégré socialement par rapport à étudiant très peu intégré socialement), 4) les comportements face aux études (engagement académique important par rapport à désengagement académique) et 5) les sentiments face aux études (vécu subjectif) qui représentent l'assurance académique (étudiant confiant en ses chances de réussite par rapport à étudiant très peu sûr de lui) et le retentissement affectif (étudiant heureux dans la vie universitaire par rapport à étudiant malheureux). Pour chaque rubrique, l'étudiant lit les portraits proposés en soulignant en vert ce qui lui ressemble le plus et en rouge ce qui ne lui correspond pas du tout. Il est ensuite invité à choisir le portrait auquel il s'identifie le plus et à ajouter dans la marge des éléments supplémentaires pour le rendre encore plus conforme à sa personne.

Le reste du questionnaire consistait en six séries de questions plus précises portant sur le passé scolaire de l'étudiant, son capital socioculturel, la manière dont il gère ses études, s'investit au cours et travaille à domicile. La majorité de celles-ci se présentent sous forme d'affirmations auxquelles l'étudiant doit réagir en les complétant par «jamais», «rarement», «parfois», «souvent», «très souvent» et «toujours».

L'opérationnalisation des variables

Pour l'opérationnalisation des variables investiguées (figure 1) de notre cadre problématique, nous n'avons retenu que les indicateurs pour lesquels nous avons observé suffisamment de variance. Ces indicateurs sont issus de l'interview, des portraits et du questionnaire écrit. Chaque fois que cela était possible, nous avons tenté de valider nos informations par triangulation (Miles et Huberman, 1984; Van der Maren, 1996). Le tableau 2 présente les indicateurs retenus pour les variables investiguées: les caractéristiques motivationnelles de l'étudiant, son capital socioculturel et son vécu subjectif.

Le capital socioculturel est une macrovariable que nous avons estimée par le calcul d'un indice à partir des indicateurs retenus (tableau 2).

Cet indice s'obtient par la formule suivante:

Cette technique tient compte du fait que le nombre d'indicateurs présents dans les entretiens varie d'un étudiant à l'autre. Lorsque le sujet ne se positionne pas pour un des indicateurs, celui-ci est codé comme neutre. Nous n'en tenons donc pas compte dans le calcul de l'indice. La valeur de l'indice se situe entre -1 et 1. Au-dessus de la valeur 0, nous considérons que l'étudiant se situe positivement par rapport à la variable. Pour un indice inférieur à 0, nous estimons que l'étudiant se situe négativement par rapport à celle-ci.

Les indicateurs du vécu subjectif ont été encodés selon trois modalités (0: pas du tout; 1: moyennement; 2: beaucoup). Pour les différents groupes d'étudiants considérés, nous avons chaque fois calculé pour les deux variables un score moyen dont la valeur se situait donc entre 0 et 2.

Pour l'engagement académique substantif hors présentiel (EAS hp), dans ses dimensions quantitatives et qualitatives, nous avons retenu les indicateurs suivants:

La performance académique est opérationalisée par le pourcentage global obtenu par l'étudiant à la session d'examen du mois de janvier. Ceci nous a permis de distinguer, au sein de chaque faculté, trois groupes d'étudiants: ceux qui sont en échec (moins de 50%: G1), ceux qui ont réussi avec satisfaction (entre 50% et 70%: G2) et ceux qui ont réussi avec une mention (au-dessus de 70%: G3).

Tableau 2

Indicateurs retenus pour les variables investiguées

Indicateurs retenus pour les variables investiguées

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Analyse des résultats

Les commentaires préliminaires à l'analyse des résultats

Avant d'effectuer les analyses nécessaires pour vérifier nos hypothèses, nous avons effectué une analyse descriptive variable par variable. Celle-ci nous a permis de mettre en évidence de nombreux points communs entre les étudiants de notre échantillon. Tous déclarent avoir choisi librement et volontairement de s'inscrire à l'université; ils ont choisi leur faculté par intérêt pour les matières enseignées, ils se sentent responsables de leurs études et ont la volonté de les réussir. Ils recourent à des techniques de travail déjà utilisées au secondaire et sont très attentifs à leur gestion du temps. Nous constatons que ces caractéristiques limitent grandement la généralisabilité de notre échantillon, sans compter son caractère occasionnel et de sa petite taille. Cette absence de variance sur les caractéristiques motivationnelles nous empêche de vérifier notre troisième hypothèse.

Tableau 3

Indicateurs retenus pour l'engagement académique substantif hors présentiel

Indicateurs retenus pour l'engagement académique substantif hors présentiel

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Il n'en va pas de même pour les autres variables. En effet, nous avons constaté que l'indice du capital socioculturel des étudiants POL est plus élevé que celui des étudiants PSY dont les origines sociofamiliales sont plus diversifiées. Quant aux antécédents scolaires, aucun étudiant POL n'a éprouvé des difficultés pendant ses études secondaires, alors qu'en PSP, 6 étudiants sur les 19 (31%) ont redoublé au moins une année au secondaire. Pour ce qui est du vécu subjectif, les étudiants PSP sont plus nombreux que les étudiants POL à penser être bien orientés et posséder les compétences nécessaires pour réussir leurs études (assurance académique manifestée sur le plan du déclaré). Par ailleurs, la majorité des étudiants de notre échantillon (76%) semblent apprécier la vie universitaire et s'y sentir heureux (retentissement affectif).

Nous disposons donc d'une variance suffisante pour vérifier quatre de nos cinq hypothèses de recherche. Dans un premier temps, nous tentons de vérifier l'influence qu'exerce l'engagement académique substantif hors présentiel (EAS hp) dans ses aspects quantitatifs et qualitatifs sur la performance académique (hypothèse 1), en dégageant d'abord les points communs entre les deux facultés pour ensuite les aborder chacune dans leurs spécificités (hypothèse 2). À travers cette analyse, nous nous attachons également à souligner les effets intermédiaires du capital socioculturel (hypothèse 4) et du vécu subjectif (hypothèse 5) de l'étudiant.

L'ínfluence du degré et de la qualité de l'engagement académique substantif hors présentiel (EAS hp) sur la réussite académique

Dans les deux facultés, nous observons une association significative positive (rPSY = 0,49; rPOL = 0,42) entre le nombre d'heures de travail fournies par l'étudiant en semaine et son niveau de réussite (tableau 4, 4.1c). Par contre, travailler beaucoup en week-end ne semble pas être très associé à la réussite. En POL, nous observons d'ailleurs une relation négative non significative (r = -0,094) entre ces deux variables. Par ailleurs, dans les deux facultés, nous avons rencontré des étudiants qui consacrent relativement peu d'heures à travailler, mais qui réussissent très bien grâce à la mise en oeuvre de démarches de travail particulièrement efficaces. Ainsi, la quantité de travail est une condition nécessaire, mais non suffisante pour un bon niveau de réussite.

L'engagement académique substantif hors présentiel est une macrovariable que nous avons estimée, tout comme les antécédents sociofamiliaux, par le calcul de l'indice précité à partir des 11 indicateurs retenus (tableau 3). Tout comme nous l'avions postulé, nous observons en POL comme en PSY une relation positive entre l'indice d'EAS hp et le niveau de réussite (rPSY = 0,26 / rPOL = 0,29).

Pour compléter ce premier traitement, nous avons réalisé une analyse qualitative des données de l'interview au départ d'une grille qui reprend sept catégories de comportement d'EAS hp, à savoir les comportements a) de compréhension, b) d'étude globaliste, c) de mémorisation, d) de gestion du temps, e) de productions concrètes, f) de remise des notes au net et g) de lecture du syllabus. Nous avons décodé les réponses données par les étudiants aux questions suivantes: «Décris-moi la manière dont tu as procédé la dernière fois que tu as travaillé chez toi.»; «Relate-moi une situation d'apprentissage positive que tu as vécue en travaillant chez toi et donne-m'en les raisons». Nous avons ainsi calculé en pourcentage la fréquence de références aux comportements d'étude qui pouvaient rentrer dans les catégories et sous-catégories de notre grille d'analyse.

Cette analyse (tableau 4, 4.2) nous indique que les étudiants qui réussissent le mieux (G3), que ce soit en POL ou en PSY, sont ceux qui adoptent des comportements d'étude globalistes et qui consacrent moins de temps à la simple lecture du syllabus. Dans les deux facultés, ceux qui échouent (G1) semblent être plus sérialistes (volonté de comprendre tous les détails, lecture linéaire du support de cours); ils accordent plus d'importance à la mémorisation que ceux qui réussissent.

Enfin, une analyse en composantes principales nous a permis de dégager, pour l'ensemble des indicateurs se rapportant à l'EAS hp, trois facteurs significatifs par rapport auxquels nous avons situé les étudiants de notre échantillon. Ces facteurs expliquent 58% de la variance:

  • facteur 1: comportements d'étude globalistes (créer des liens), grande motivation, investissement intensif et planification du travail;

  • facteurs 2: comportements d'étude sérialistes (attention portée aux détails, compréhension approfondie sans création de liens) et grand investissement;

  • facteur 3: comportements sérialistes, investissement insuffisant et faible motivation.

Cette analyse conduit à constater que dans les deux facultés, les étudiants qui réussissent avec une mention sont ceux qui accordent de l'importance à la compréhension des détails de la matière (approche sérialiste) tout en ayant une vue d'ensemble de celle-ci (approche globaliste). Ils accordent aussi une certaine importance à la planification et à l'organisation de leur travail.

Les spécificités liées aux filières d'études

Concernant les aspects quantitatifs de l'engagement académique substantif hors présentiel (tableau 4, 4.1), les étudiants de polytechnique travaillent généralement plus que les étudiants de psychologie. Cependant, ceux qui réussissent le mieux (G3) sont ceux qui travaillent le plus en semaine (r = 0,42) et le plus régulièrement. Nous n'observons pourtant pas de différence significative entre les étudiants en échec (G1) et ceux qui réussissent (G2 et G3). Il semble donc qu'en POL, c'est plus la qualité que la quantité d'engagement académique hors présentiel qui a de l'importance pour la réussite. Il ressort aussi que les aptitudes intellectuelles et la maîtrise des préalables ont aussi toute leur importance. Ces études exigent en effet des connaissances mathématiques très solides.

Contrairement à ce que nous observons en POL, les étudiants de psychologie qui réussissent travaillent plus que ceux qui subissent un échec (G1). Le temps de travail suffisant et régulier semble donc distinguer les étudiants qui réussissent de ceux qui échouent (h/j: r = 0,497 / h/w: r = 0,27).

Relativement aux aspects qualitatifs (tableau 4, 4.2), les comportements d'étude globalistes des étudiants de polytechnique qui réussissent le mieux (G3) prédominent, de même qu'une compréhension en profondeur de la matière. Ces étudiants lisent les supports de cours, tentent de comprendre la matière, d'en dégager la structure et vérifient leur compréhension à travers des exercices d'application. Les étudiants qui échouent (G1) sont souvent faiblement motivés, travaillent trop peu, adoptent une approche trop sérialiste et semblent accorder le plus d'importance à la planification (être à jour, avoir rempli les objectifs de travail fixés, être attentif à la quantité de matière parcourue).

Globalement, les étudiants de psychologie attachent plus d'importance à la mémorisation et à la remise en ordre des notes de cours que les étudiants de polytechnique. Ceux qui réussissent le mieux en janvier (G3) sont très attentifs à la planification et privilégient des démarches d'étude globalistes. Ceux qui échouent (G1) passent beaucoup de temps à comprendre la matière et accordent de l'importance à la mémorisation. Ces étudiants sont aussi ceux qui travaillent insuffisamment et irrégulièrement.

Les effets du capital socioculturel sur l'engagement et la performance académiques

Pour l'échantillon pris dans sa globalité, nous constatons une relation positive entre le niveau de réussite atteint en janvier et le niveau de réussite atteint en fin de secondaire (r = 0,36) ainsi qu'avec l'habitude de travailler au secondaire (r = 0,25). En outre, ce sont les étudiants qui ont le mieux réussi en fin de secondaire qui travaillent le plus et qui manifestent davantage des approches d'étude globalistes (faire un résumé, un plan de la matière, relier les notions entre elles, etc.).

Afin de mieux formaliser la relation entre le niveau de réussite atteint en janvier et ces deux indicateurs des antécédents scolaires, nous avons, malgré la petite taille de notre échantillon, calculé à titre exploratoire les droites de régression suivantes:

Le scatterogramme présenté en figure 2 situe les étudiants POL et PSY par rapport au niveau de réussite obtenu en janvier et les deux indicateurs des antécédents scolaires (le pourcentage obtenu en fin de secondaire et l'habitude de travailler au secondaire).

Pour la première équation (y = 12,11 + 0,64 x1) (figure 2), sur l'échantillon global, une très petite part de variance du niveau de réussite en janvier (13%) est expliquée par le niveau de réussite atteint en fin de secondaire, contrairement à ce qui avait été remarqué dans d'autres recherches. Nous pensons que ces résultats sont dus à la provenance hétérogène des étudiants de notre échantillon et aux différences interécoles quant à la mesure de la performance scolaire. Dans une école x, un très bon élève se verra attribuer un pourcentage supérieur à 80% alors que dans l'école y, ce même élève aurait un pourcentage plus faible pour des performances identiques. Notre mesure du niveau de réussite obtenu en fin de secondaire n'est donc pas aussi fiable que celle que nous aurions obtenue à partir d'une épreuve commune.

Pour la deuxième équation (y = 56,27 + 7,73 x2), nous ne constatons pas sur l'échantillon global un effet systématique de l'habitude de travailler au secondaire sur le niveau de réussite en janvier (6% de variance expliquée avec p = 0,187). La figure 2 montre aussi que les étudiants de polytechnique sont plus nombreux à avoir pris au secondaire des habitudes de travail régulier. Les étudiants de psychologie sont par contre moins nombreux, mais ceux qui ont pris l'habitude de travailler réussissent particulièrement bien à l'université. Il est donc intéressant de voir l'impact que l'habitude de travail a sur la performance universitaire, lorsque le pourcentage obtenu au secondaire est contrôlé.

Malgré la réserve faite sur cette dernière variable, nous avons calculé l'équation de régression multiple qui associe à la fois le pourcentage obtenu en fin de secondaire et l'habitude de travailler au secondaire. Pour cette troisième équation (y=14,54 + 0,58 x1 + 3,76 x2), un niveau élevé de réussite en fin de secondaire combiné à l'habitude de travailler régulièrement tend à distinguer, mais non de façon statistiquement significative, les étudiants qui réussissent bien à la session de janvier de ceux qui échouent (17% de variance expliquée avec p=0,09).

Un examen plus approfondi du scatterogramme (quadrant inférieur gauche) montre un fait intéressant. Les étudiants ayant obtenu en fin de secondaire un pourcentage inférieur à plus ou moins 70% et n'ayant pas pris des habitudes de travail sont peu nombreux à avoir réussi à l'épreuve du mois de janvier à l'université pour laquelle le seuil de réussite est fixé à 60%. Par contre, un pourcentage supérieur à 70% en fin de secondaire et/ou une habitude de travail ne sont pas une garantie de réussite ultérieure.

Figure 2

Scatterogramme réussite janvier – Antécédents scolaires

Scatterogramme réussite janvier – Antécédents scolaires

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En ne considérant que l'échantillon de polytechnique (figure 3), nous constatons que les étudiants dont le statut sociofamilial est favorisé (tradition familiale et niveau socioéconomique élevé) et le passé scolaire brillant ont généralement un taux de réussite significativement plus élevé que les autres (figure 3 et tableau 4, 4.3. a, b, c, d et e). C'est surtout le niveau de réussite atteint au secondaire qui joue. L'habitude de travailler au secondaire ne semble pas avoir d'impact. Nous observons d'ailleurs une association négative (r = -0,011) entre cette variable et la réussite en janvier. Les résultats de la régression vont aussi dans ce sens.

Figure 3

Effets intermédiaires du capital socioculturel sur l'engagement et la réussite académiques en polytechnique (POL)

Effets intermédiaires du capital socioculturel sur l'engagement et la réussite académiques en polytechnique (POL)

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Auprès des étudiants de psychologie (figure 4), la relation entre le capital socioculturel et la réussite semble s'inverser par rapport à ce que nous notons au secteur polytechnique. Les étudiants qui réussissent le mieux ne proviennent pas tous du milieu socioculturel le plus élevé (tableau 4, 4.3. e: antécédents sociofamiliaux).

Relativement aux antécédents scolaires (tableau 4, 4.3. a, b, c et d), ce sont les étudiants qui ont le mieux réussi en fin de secondaire qui réussissent le mieux en janvier (r = 0,49). Ce sont eux aussi qui avaient déjà pris l'habitude de travailler régulièrement au secondaire (r = 0,55). Contrairement aux résultats obtenus pour l'échantillon de polytechnique, la régression confirme l'impact de cette variable sur le niveau de réussite en janvier (R = 0,54, R2 = 0,30, F = 5,59, p=0,03 pour un intervalle de confiance de 95%: -19,25 - 18,58). Beaucoup d'étudiants parmi ceux qui avaient déjà l'habitude de travailler au secondaire ont atteint un très bon niveau de réussite en janvier (figure 5). Par contre, ce ne sont pas ces étudiants qui travaillent le plus, mais ce sont ceux qui sont les plus globalistes; les étudiants ayant un passé scolaire plus médiocres se consacrent davantage à la compréhension et à la mémorisation de la matière.

Figure 4

Effets intermédiaires du capital socioculturel sur l'engagement et la réussite académiques en psychologie (PSY)

Effets intermédiaires du capital socioculturel sur l'engagement et la réussite académiques en psychologie (PSY)

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Les effets liés au vécu subjectif

La majorité des étudiants de notre échantillon (76%) déclarent apprécier la vie universitaire et s'y sentir heureux (retentissement affectif).

En ce qui concerne l'assurance académique, les étudiants de psychologie sont plus nombreux que les étudiants de polytechnique à penser être bien orientés et à posséder les compétences nécessaires à leur réussite académique.

Figure 5

Scatterogramme PSY : Réussite janvier – Habitude de travailler au secondaire

Scatterogramme PSY : Réussite janvier – Habitude de travailler au secondaire

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Parmi les étudiants de polytechnique, ceux qui ont le mieux réussi ont l'assurance académique et le retentissement affectif les plus élevés (tableau 4, 4.3. f et g), sans doute en raison de leur passé scolaire brillant. Ce sont eux qui travaillent le plus: ils accordent beaucoup de temps à la compréhension des matières et à leur mémorisation tout en adoptant des comportements d'étude globalistes.

Auprès des étudiants de psychologie, contrairement à ce que nous constatons auprès des étudiants de polytechnique, il existe une association négative entre l'assurance académique et le niveau de réussite (r = -0,103). Ceux qui réussissent moyennement sont le plus sûrs d'eux. Ceux qui réussissent sont par contre moins confiants. Ils travaillent relativement beaucoup, planifient énormément leur travail et se centrent sur la compréhension. Pour ce qui est du retentissement affectif, les étudiants qui échouent en janvier présentent les indices les plus élevés (tableau 4, 4.3. g). Ce sont aussi ceux qui travaillent le moins et qui ont tendance à reporter le travail pour la fin du quadrimestre.

Discussion et conclusion

Par cette recherche de nature exploratoire, nous avons voulu vérifier l'impact de certains aspects quantitatifs et qualitatifs de l'engagement académique hors présentiel sur le niveau de réussite à la session de janvier d'étudiants de première candidature inscrits en École polytechnique (POL) et en Faculté de psychologie (PSY). Les résultats de cette recherche sont à prendre avec précaution. Notre échantillon est assez petit et les mesures de certaines variables sont à améliorer. C'est en effet le cas pour le niveau de réussite atteint en fin de secondaire, qui aurait pu être mesuré à travers un test standardisé en raison de la grande hétérogénéité interécole en Belgique. C'est aussi le cas pour l'habitude de travailler au secondaire, variable pour laquelle nous avons eu un taux de non-réponse important (23%) et qui gagnerait à être mesurée plus finement.

Malgré ces limites, l'ensemble des résultats semblent former un tout cohérent porteur de sens. Ces résultats vont dans le sens des hypothèses émises à la suite de notre revue critique de la documentation scientifique.

Conformément à ce que nous attendions et aux recherches antérieures analysées (Boulet, 1993; De Ketele, Draime et Volgaire, 1987; Romainville et Donnay, 1991; Parmentier, Gathy, Paquet, De Ketele et Denef, 1991; Romainville, Philippe et Willocq, 1997), c'est surtout l'engagement dans ses aspects qualitatifs qui se révèle associé à la performance académique (hypothèse 1). L'engagement dans ses aspects quantitatifs serait une condition nécessaire, mais non suffisante. Ainsi, à niveau quantitatif d'engagement suffisant, c'est la qualité de l'engagement qui ferait la différence. Cette interprétation est corroborée par le fait que, si les étudiants POL travaillent proportionnellement beaucoup plus que les étudiants PSY et si le nombre d'heures de travail ne différencie pas les trois groupes de réussite en POL, il est nécessaire en PSY de consacrer un nombre d'heures plus important pour pouvoir se situer dans le groupe des étudiants qui réussissent très bien.

La filière d'étude choisie et, donc, le contexte qui lui est lié semblent rendre compte d'une part plus importante de l'engagement académique et par voie de conséquence de la performance académique (hypothèse 2). Ceci se traduit par des différences notables de comportements. Nous remarquons en effet que les comportements associés à la réussite ou à l'échec varient d'une filière à l'autre.

En cohérence avec les résultats obtenus par Zuniga (1986, 1989), nous constatons que les comportements des étudiants POL les plus souvent associés à la réussite sont les suivants: avoir fait de bonnes études secondaires, être soutenu(e) par un milieu familial ouvert à ce genre d'études, avoir une assurance académique élevée, travailler suffisamment, régulièrement et de façon organisée (gérer efficacement son temps) et enfin, adopter une approche d'apprentissage mixte, aussi appelée stratégique qui fait appel à des comportements à la fois sérialistes et globalistes (Marton et Säljö, 1984; Entwistle et Hounsell, 1979; Biggs, 1985).

Les caractéristiques et les comportements des étudiants POL les plus associés à l'échec sont les suivants: manquer d'assurance académique, ne pas avoir pris l'habitude de travailler régulièrement, manquer de préalables et d'aptitudes mathématiques (avoir des difficultés de compréhension), adopter trop de comportements sérialistes (se perdre dans les détails) et enfin, accorder trop d'importance à la mémorisation.

Tableau 4

Principaux résultats : comparaisons entre les étudiants POL et PSY

Principaux résultats : comparaisons entre les étudiants POL et PSY

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En PSY, les caractéristiques et les comportements les plus associés à la réussite sont les suivants: avoir fait de bonnes études secondaires, avoir pris l'habitude de travailler régulièrement, ne pas avoir une assurance académique illusoirement trop forte (rester conscient de la nécessité de travailler régulièrement et d'évaluer sa manière de travailler), travailler suffisamment et planifier son temps efficacement, adopter un approche d'étude mixte qui assure une compréhension approfondie de la matière et l'appréhension de sa structure.

Les caractéristiques et comportements les plus associés à l'échec en PSY sont: ne pas travailler suffisamment, ne pas gérer efficacement son temps, adopter une approche d'étude trop superficielle (approche en surface), accorder trop de temps à la mémorisation, ne pas remettre suffisamment en question les démarches de travail inappropriées, et ne pas les modifier.

Dans notre échantillon, ayant affaire à des étudiants volontaires, motivés et ne disposant pas de mesure suffisamment discriminative, nous n'avons pas été en mesure de vérifier notre hypothèse 3 relative à l'impact de la motivation sur l'engagement et sur le niveau de performance académique. L'analyse qualitative semble cependant indiquer que des indicateurs de motivation sont plus fortement associés aux étudiants PSY qui réussissent très bien.

Maintes fois vérifiées dans les recherches antérieures, l'hypothèse de l'impact du capital socioculturel se trouve globalement confirmée dans notre recherche, mais des nuances non négligeables doivent être apportées compte tenu des caractéristiques de notre échantillon. En effet, s'il existe des corrélations positives entre la performance académique d'une part et les antécédents scolaires (respectivement r = 0,36 et 0,49 selon les filières d'études) et si l'habitude de travail semble avoir un impact plus fort lorsque le niveau d'aptitude est neutralisé (voir la régression), il semble que la filière d'études joue un rôle médiateur important. Les portraits des étudiants qui réussissent ou échouent selon la filière d'appartenance semblent le suggérer (voir supra ). Les corrélations différentes selon la filière d'études entre l'habitude de travail et la performance académique (r = -0,011 pour POL et r = 0,55 pour PSY) semblent aller également dans ce sens.

Les résultats obtenus sur nos indicateurs d'assurance académique et de retentissement affectif vont également dans le sens de notre hypotèse 4 et dans le sens des résultats obtenus par les recherches de Bandura (1986, 1993), Marks (1967), Viau (1994), Williams (1991). Ici encore, la filière d'études semble jouer un rôle médiateur.

Les résultats relatifs aux indicateurs d'engagement cognitif nous ont aussi permis de confirmer les résultats de recherches récentes menées dans le cadre des facteurs de réussite et d'échec à l'université. Il a été en effet démontré que les approches d'apprentissage mixtes sont source de réussite (Boulet, 1993; De Ketele et al., 1987; Parmentier, 1994; Zuniga, 1986, 1989). Tout comme Romainville et Donnay (1991), nous avons constaté que la lecture du support de cours et la synthèse sont des démarches de travail corrélées positivement à la réussite, si elles sont accompagnées d'un souci de compréhension de type globaliste. Tout apprentissage implique en effet des opérations de décodage, de compréhension (approche sérialiste), mais aussi l'identification des relations que les différentes composantes de l'objet à apprendre entretiennent entre elles (approche globaliste). L'apprenant parvient ainsi à appréhender un «tout significatif» (compréhension) qu'il peut ensuite facilement assimiler et intégrer (mémorisation, restructuration cognitive). Ainsi, une approche sérialiste n'est positive que si elle devient moyen de «globalisation», de structuration. Ce va-et-vient entre les détails et le «tout», véritable combinaison subtile d'une approche sérialiste et globaliste, conduit généralement à des apprentissages significatifs (De Ketele et al., 1987, p. 9).

Tout comme Boulet (1993), nous avons constaté, aussi bien en POL qu'en PSY, que la qualité de la gestion du temps et les stratégies d'organisation de la matière à apprendre distinguent les étudiants qui réussissent de ceux qui échouent.

Nous pouvons également soutenir la relation établie par Willis (1993) entre la nature de l'implication et l'approche d'études. Les étudiants qui ont une approche «en surface» décrivent en effet leur engagement plutôt par des indicateurs quantitatifs, tandis que ceux qui ont une approche «en profondeur» les décrivent par des indicateurs principalement qualitatifs. Nos résultats confirment également le modèle de l'apprentissage et de la motivation préconisé par Viau (1994) pour qui la «perception de la compétence» et la «perception de la contrôlabilité», correspondant en grande partie à ce que nous appelons l'assurance académique, sont tout à fait fondamentales pour la motivation et la qualité des apprentissages. Ces perceptions sont bien entendu déterminées par les réussites antérieures (antécédents scolaires) de l'étudiant et certains facteurs de contexte (antécédents socioculturels).

Notre recherche présente toutefois certaines limites. De nature exploratoire, elle n'a porté que sur un échantillon très restreint (38 étudiants), ceci portant atteinte à la généralisabilité de nos résultats, mais permettant l'apport d'informations très riches. Nous avons voulu aborder énormément de variables à la fois. Notre questionnaire pourrait être facilement scindé afin d'étudier certaines variables plus finement. Les effets de la variable «sexe» n'ont pas pu être démontrés, celle-ci se confondant trop avec la variable «filière d'études». Cette variable peut cependant avoir causé certains biais, surtout dans le cadre d'une recherche sur l'engagement académique. Certaines études ont en effet démontré que la motivation aux études, et donc l'engagement académique, des filles et des garçons est différente. Mener une étude empirique au sein d'une même faculté pourrait mettre plus en évidence l'influence de la variable «sexe» sur l'engagement académique.

De plus, il y a de fortes chances que les comportements d'engagement relatés par les étudiants correspondent dans leur majorité à des techniques d'étude déjà mises au point et utilisées au secondaire. Rencontrer les étudiants au cours du deuxième quadrimestre permettrait d'identifier des démarches spécifiques au contexte universitaire et d'éventuelles autorégulations mises en oeuvre à la suite du feed-back que la session d'examen de janvier représente.

Au-delà de l'intérêt qu'il y aurait à poursuivre cette recherche sur des échantillons plus grands et en se centrant sur les indicateurs les plus significatifs dégagés par notre étude, il nous paraît important et prometteur de dégager le rôle médiateur joué par le contexte spécifique des filières d'études. Nos résultats montrent que nos variables explicatives ont des impacts différents selon l'appartenance à une orientation d'études. Les études ultérieures devraient prendre en considération des filières suffisamment contrastées – c'est effectivement le cas de POL et PSY – et les caractériser très finement afin de vérifier l'effet médiateur et la force de cette variable. Le modèle mis au point par Baron et Kenny (1986) devrait pouvoir être vérifié.

Enfin, les résultats de notre recherche semblent confirmer l'utilité de certains dispositifs pédagogiques mis en oeuvre à l'université visant à soutenir les étudiants dans leur insertion universitaire. Les cours d'été, par exemple, tentent de prévenir l'échec en première candidature en fournissant à l'étudiant des outils utiles à sa réussite (prise de notes, esprit de synthèse, visite des bibliothèques, etc.) et à l'élaboration d'un projet de formation. En polytechnique, tout comme en psychologie, il est utile d'informer les étudiants des principaux déterminants de réussite, par exemple, en insistant sur la nécessité de bien gérer son temps et son autonomie, d'évaluer sa manière de travailler, etc. Arnaud, Barlet, Dufounet, Genivet, Le Goaller, Mey, Montagne et Plouin (1993), De Ketele et al. (1987) et Romainville (1992) insistent sur l'utilité de mettre sur pied des ateliers méthodologiques afin d'améliorer les méthodes de travail des étudiants inscrits en première candidature et de faciliter ainsi leur adaptation au contexte universitaire. Cependant, former les étudiants pour les aider à réussir nécessite de mettre à la disposition des enseignants, qui sont prêts à encadrer les étudiants, des outils méthodologiques qui leur permettent de mener des activités pédagogiques réellement structurantes et efficaces.