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Il y a tout lieu d’attirer l’attention sur cet ouvrage qui, s’il se veut sans prétention, est d’un apport particulier et d’une utilité certaine. Comme l’indiquait dans la préface John S. McKennirey, alors directeur exécutif du secrétariat de la Commission de coopération dans le domaine du travail, « [c]ette publication de la Commission de coopération dans le domaine du travail vise à expliquer d’une façon simple et claire, au public nord-américain et pas seulement aux spécialistes du droit du travail comparé, les divers régimes de lois du travail [des trois pays de l’ALÉNA] et la façon dont ils sont appliqués ».

Une connaissance essentielle des droits du travail du Mexique, des États-Unis et du Canada s’impose en effet à qui se soucie de la mise en oeuvre de l’Accord nord-américain de coopération dans le domaine du travail (ANACT), complément social de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA). En effet, selon cet instrument, les trois pays en cause se sont mutuellement engagés à appliquer efficacement leur propre droit du travail, de manière à notamment favoriser une saine concurrence dans leurs échanges commerciaux. Or, l’expérience des quelque six années d’application de l’Accord, notamment celle tirée du traitement des communications du public, laisse souvent voir une absence de familiarité avec le droit des autres pays de la part du public intéressé, d’où cette nécessité d’en arriver à dégager une présentation synoptique essentielle des trois systèmes de droit du travail, à mettre en relief leurs éléments significatifs et à en véhiculer le sens exact : triompher en définitive de l’inévitable technicité des innombrables dispositions qui les composent sans pour autant dénaturer la règle ou l’institution en cause !

En cela, l’ouvrage n’est que le premier d’une série à venir visant à correspondre au contenu des onze principes du travail énoncés dans l’ANACT. Il ne traite que des trois premiers de ces principes, soit la liberté d’association et la protection du droit d’organisation, le droit de négociation collective et le droit de grève.

L’ouvrage expose d’une façon préliminaire la portée des trois principes en cause pour ensuite présenter successivement leur visage canadien, mexicain et américain. Chaque exposé national est centré sur le droit applicable au secteur privé, à l’exclusion du secteur public, compte tenu du domaine de l’ALÉNA. Les trois exposés de ce guide comparatif obéissent à une structure identique composée de sept sections : « La première section fournit une introduction générale aux politiques de base du pays en matière de travail, aux fondements juridiques de ses lois du travail, au partage des compétences en matière de droit du travail, au contexte juridique des contrats d’emploi individuels et aux catégories de travailleurs qui ne sont pas visées par les lois du travail. Les sections 2 à 7 décrivent les lois et les pratiques correspondant aux obligations prévues dans les articles 2 à 7 de l’ANACT. Ainsi, la deuxième section décrit les droits fondamentaux et les protections assurés par les lois du travail du pays, la troisième les mesures que les gouvernements et la quatrième les mesures que les parties privées peuvent prendre pour faire appliquer ces lois, et la cinquième les garanties procédurales assurant l’application de ces lois. La sixième porte sur les pratiques relatives à la publication des lois, des procédures et des décisions administratives et la septième donne un bref aperçu de l’information publique disponible sur les lois du travail et leurs procédures d’application » (p. 20).

Le procédé facilite les rapprochements ; on ajoute même en caractère gras des comparaisons entre les trois droits sur des points importants dans chacun de ces exposés nationaux.

Rédigé par quatre hauts fonctionnaires de la Commission et des adjoints à la recherche, l’ouvrage s’inspire de documents eux-mêmes dus aux professeurs William Fredenberger, Jr., Brian Langille, Patrick Macklem, Gilles Trudeau et Guylaine Vallée.

L’exposé préliminaire des trois principes apporte une juste perception de leur importance (même si paradoxalement, soit dit en passant, il s’agit des principes les moins bien protégés par l’ANACT...). Le premier principe énonce, certes, une liberté d’association au sens général politique et constitutif, et non spécifiquement la liberté syndicale. L’adjonction des deux autres, le droit de négociation collective et le droit de grève, permet d’atteindre le contenu de cette dernière : « le droit de négociation collective inscrit “concrètement” dans la réalité économique et sociale le droit civil et politique « théorique » d’association et d’organisation » (p. 30).

Les trois exposés nationaux, qu’il serait vain de tenter de résumer ici, sont particulièrement bien réussis en ce qu’ils ne se limitent pas au contenu législatif, si important soit-il, des droits dont il s’agit. Dans chacun des cas, en effet, figure de façon succincte, l’arrière- plan juridique général (y compris, le bijuridisme canadien), avec une insistance particulière sur les aspects constitutionnels, ainsi que — mais, cette fois, dans le cas mexicain seulement — sur la place des conventions et traités internationaux ratifiés en droit interne (p. 115). Quant au domaine du droit du travail, comme on l’a vu, l’essentiel de la négociation juridique du rapport salarial complète le contenu du droit des rapports collectifs. Il y a également souci de replacer historiquement les grands moments de l’émergence du droit des rapports collectifs, particulièrement en ce qui a trait au droit de grève (Canada, p. 55, grève de Winnipeg, p. 73 ; Mexique, p. 109 ; États-Unis, p. 219). En revanche, l’arrière-plan social ou économique est absent, sauf quelques mentions particulières, comme dans le cas des maquiladoras (p. 111). Il en est de même de la présentation des institutions syndicales (sauf quelques lignes dans le cas du Mexique, p. 123). Ces deux derniers aspects, malgré leur utilité, auraient sans doute dépassé l’envergure souhaitée du texte.

D’une très bonne facture, l’exposé est, dans chaque cas, judicieux et particulièrement informatif. D’une façon véritablement marginale, quelques précisions particulières sembleraient exceptionnellement indiquées dans les pages (relativement plus considérables, peut-on noter en passant) consacrées au Canada : le Code du travail du Québec n’exclut pas certaines catégories de salariés (travailleurs agricoles, membres de professions libérales), à la différence d’autres lois canadiennes (p. 45) ; le syndicat non constitué en personne morale au Québec jouit néanmoins du régime de l’association du Code civil (p. 49) ; la loi de la Saskatchewan impose maintenant elle-même l’arbitrage des griefs de convention collective (p. 64). La protection constitutionnelle de la liberté d’expression donne maintenant les coudées plus franches à l’employeur (p. 84) ; l’interdiction de fermer son établissement pour un motif anti-syndical n’est pas partout acquise, du moins une réserve québécoise, encore une fois, s’imposerait-elle (p. 88). Enfin, a-t-on vu, quel est l’effet en droit interne canadien de la convention ou du traité international ratifié ?

Le lecteur canadien désireux cette fois d’aborder les droits mexicain et américain trouvera une multitude de points d’intérêt. Ainsi, dans le premier cas, pour illustrer, saisira-t-il les fonctions de l’enregistrement des syndicats (p. 124), saura-t-il à quelle condition un jugement fait généralement autorité (p. 134), constatera-t-il l’importance d’un droit de grève, qui peut même comprendre la grève de solidarité (p. 148) et qui comporte l’interdiction du remplacement des grévistes. L’importance et la variété de la compétence de ces juridictions du travail que sont les conseils de conciliation et d’arbitrage (CCA) (p. 162 et suiv.) sont frappantes ; le rôle de l’amparo en tant que moyen de contrôle judiciaire de leur activité est également significatif (p. 170). Dans un autre domaine, la Loi fédérale du travail (LFT) comporte une liste limitative des motifs de licenciement (p. 156), etc.

Certains points particuliers gagneraient exceptionnellement à être clarifiés. Comment en arrive-t-on à établir qu’une clause d’exclusion contenue dans une convention collective « est entrée en jeu à cause de l’adhésion [du salarié] ou de son soutien à un syndicat qui est en voie d’être formé et enregistré », auquel cas son congédiement pourra excep-tionnellement conduire à réparation (p. 129) ? En quoi le fait que le Mexique ait ratifié la Convention (no 87) sur la liberté syndicale de l’OIT — convention qui ne traite que du comportement étatique — peut-il concerner relativement à l’intervention de l’employeur dans l’exercice par ses salariés de leur droit d’association (p. 158) ? L’employeur peut-il consulter le registre central des associations et prendre ainsi connaissance de l’adhésion syndicale de ses salariés (p. 174) ? Quelles sont les sources des garanties procédurales applicables au déroulement des instances devant les CCA (p. 165) ? Le droit à réintégration d’un salarié illégalement congédié est-il (théoriquement) (p. 119), généralement opposable à l’employeur (p. 117), ou ne l’est-il ultimement que s’il « s’est joint à un syndicat ou à une association ou parce qu’il a participé à une grève légale » (p. 172) ?

Plusieurs aspects du droit du travail américain exposés sont aussi particulièrement intéressants pour le lecteur canadien. Ainsi en est-il notamment des passages relatifs au contenu de l’obligation de négocier (p. 208), des catégories de sujets de négociation collective (p. 211), de la protection des activités concertées (p. 221) et des restrictions au boycott secondaire (p. 236). Les descriptions de l’engagement politique de grands syndicats (p. 194), de même que l’exposé des modes étagés de fonctionnement du National Labor Relations Board (p. 234 et suiv.) contribuent également à saisir un système relativement complexe. Exceptionnellement, ici également, quelques questions pourraient être explicitées (les situations de reconnaissance volontaire du syndicat par l’employeur (p. 201), voire abordées (l’effet des traités et des conventions ratifiées en droit interne).

À l’occasion, les auteurs signaleront des comportements, des modes de fonctionnement, que le seul texte de loi ne permet pas de découvrir, par exemple, au Mexique, l’acceptation courante de l’indemnisation relative à un renvoi illégal, au lieu de la réintégration (p. 119), ou encore, au États-Unis, la propension à régler les plaintes de pratiques de travail déloyales (p. 238). Il leur arrive aussi de faire état de controverses doctrinales, passées ou actuelles, comme, par exemple, au Mexique, la question de savoir si un membre d’une CCA qui est par ailleurs membre d’un organisme syndical engagé dans le dossier dont l’instance est saisie peut être récusé de ce fait (p. 168), ou encore, aux États-Unis, celle de savoir si l’on devrait amender la loi pour interdire le remplacement permanent des grévistes (p. 228). Il demeure toutefois clair que l’exposé dans son ensemble entend se limiter au contenu positif de chacun des droits nationaux et s’abstenir de tout jugement quant à leur conformité ou à leur suffisance par rapport au contenu des principes de fonctionnement des instances administratives et juridictionnelles énoncées dans l’ANACT.

L’ouvrage demeure donc fidèle à sa mission de guide comparatif des droits mexicains, américains et canadiens des relations collectives de travail. Il la réalise admirablement bien en ce qu’il réussit d’une façon innovatrice — il n’est que justice de le réitérer — à communiquer clairement le contenu et le sens de ces trois systèmes appelés à ce côtoyer.