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Tembec a été formée en 1973 grâce à la participation financière des travailleurs qui ont contribué à la réouverture de leur usine que l’ancien propriétaire avait fermée un an plus tôt. Se caractérisant dès le point de départ par une gestion participative, l’usine en conserve encore à ce jour les principaux traits : représentation des salariés au conseil d’administration, présence d’un grand nombre de comités paritaires, flexibilité organisationnelle et sécurité d’emploi. Toutefois, au fil des ans, le syndicat a connu une évolution singulière. Pourvu de ressources internes limitées, isolé du reste du mouvement syndical et de moins en moins présent dans l’usine, il est aux prises avec des tensions internes très vives, tandis que ses dirigeants s’éloignent de la base et se rapprochent de la direction. Ces conclusions s’appuient sur une enquête de terrain qui s’est déroulée entre 1993 et 2000[1].

La présentation et l’analyse des résultats se feront en quatre temps. Les conditions d’émergence du partenariat et les dispositifs participatifs, qu’il comportait alors, seront d’abord rappelés. Les positions, les ressources et la démocratie du syndicat local seront ensuite étudiées. En troisième lieu, le portrait de la participation et de la démocratie au travail, tel qu’il se présente au terme d’une évolution de vingt-cinq ans, sera brossé. Les tensions et les insatisfactions, que la participation suscite aujourd’hui, seront analysées en dernier lieu. Mais, avant tout, quelques précisions sur la problématique et la méthodologie s’imposent.

Participation syndicale à la gestion et démocratie au travail

Le pouvoir syndical et la démocratie au travail sont les dimensions oubliées dans les analyses dominantes des changements en milieu de travail. À titre d’exemple, lorsque la théorie du choix stratégique (Kochan, Katz et McKersie 1986 ; Kochan et Osterman 1994) prend en compte les stratégies syndicales, c’est sous l’angle de leur contribution à la réussite des changements organisationnels. L’opposition et l’abstention sont alors considérées comme très nuisibles, tandis que la participation y est grandement favorable. Elle confère davantage de légitimité aux innovations ; elle procure un ajustement continu des règles de travail et permet la négociation de contreparties, souvent bénéfiques pour les salariés et susceptibles de mieux leur faire accepter les concessions et les efforts requis (Appelbaum et Batt 1994 ; Kochan et Osterman 1994 ; Walton, Cutcher-Gershenfeld et McKersie 1994). Mais, qu’en est-il du pouvoir syndical et de la démocratie au travail ?

La thèse d’un affaiblissement inéluctable des syndicats dans le cadre de leur participation à la gestion (Wells 1993, 1996) a été nuancée par d’autres travaux, qui ont porté sur l’analyse des sources du pouvoir syndical et les conditions de son renforcement : un programme indépendant, des ressources externes d’expertise et de formation, des ressources internes en termes de capacité de mobilisation des membres et une démocratie interne bien vivante (Turner 1991 ; Heller et al. 1998 ; Lapointe et Bélanger 1996 ; Lévesque et Murray 1998 ; Lapointe 1998, 2001). En l’absence de ces conditions, la participation peut n’être qu’instrumentale, c’est-à-dire subordonnée à l’atteinte d’autres objectifs, comme la protection des emplois. De fait, c’est ainsi que la plupart des syndicats en Amérique du Nord ont été amenés à participer à la gestion. Mais la participation instrumentale est « pernicieuse », car elle peut conduire à un phénomène de cooptation, soit l’adoption par les représentants des salariés des perspectives de la direction et leur transformation en porte-parole de cette dernière (Witte 1980). La situation comporte dès lors des risques élevés d’affaiblissement du syndicat et de recul de la démocratie au travail.

Les recherches sur la démocratie industrielle ont permis de mieux comprendre le phénomène et ses multiples variantes. La participation ne devient démocratique que lorsqu’elle s’accompagne d’une redistribution des pouvoirs (Pateman 1970 ; Ramsay 1986). Dans certains travaux, les dispositifs participatifs ont été répartis sur un continuum, selon le degré de pouvoir qu’ils comportent pour les salariés et leur syndicat : être informé, donner son avis, prendre part aux décisions et décider seul (Bernstein 1982 ; Heller et al. 1998). Sur le plan organisationnel, la participation sans pouvoir peut n’être qu’un instrument de mobilisation des salariés (Martin 1994). D’ailleurs, à ce niveau, les études en entreprise ont contribué à distinguer plusieurs types de participation selon les pouvoirs et les responsabilités dévolus aux salariés (participation consultative ou substantive et divers modèles d’équipe de travail) (Levine et Tyson 1990 ; Procter et Mueller 2000). Au regard de la participation représentative[2], des auteurs ont élaboré une véritable grille d’évaluation, en conjuguant niveaux (organisationnel, tactique et stratégique), étapes (diagnostic, élaboration de scénarios, décisions finales et introduction) et degrés de participation à la prise de décisions (Heller et al. 1988 ; Lapointe 2001).

Dans la construction d’un modèle de partenariat, la théorie du choix stratégique a bien mis en évidence la nécessité d’un ensemble de pratiques cohérentes et complémentaires, de telle sorte que les innovations organisationnelles trouvent un renforcement du côté des pratiques de gestion des ressources humaines (formation, rémunération et sécurité d’emploi) et des relations du travail associées (paritaires et coopératives) (Macduffie 1995 ; Ichniowski et al. 1996). Mais, trop fonctionnaliste et normative de même que trop centrée sur la description des « best practices », elle néglige les tensions et les conflits au coeur des milieux de travail et qui en expliquent la dynamique d’évolution (Godard et Delaney 2000). Ces limites théoriques sont d’ailleurs illustrées par la récente évolution régressive des cas qui avaient servi de base empirique aux théoriciens du choix stratégique dans la construction de leurs idéaux types (Cappelli 1999 ; Osterman 1999).

L’introduction des innovations organisationnelles et la participation syndicale à la gestion entraînent des tensions à propos de l’intensification du travail, du favoritisme et de l’arbitraire qui surgissent à la suite de l’affaiblissement des règles de travail et de l’apparition de pressions multiples (par les pairs au sein des équipes ou engendrées par l’incertitude en regard de la sécurité d’emploi) (Shaiken, Lopez et Mankita 1997). Ces tensions interpellent la légitimité de la participation syndicale à la gestion et placent les syndicats devant un conflit de rôles. Comment alors participer à la gestion et coopérer plus étroitement avec la direction pour améliorer les performances économiques et sociales de l’entreprise, tout en conservant un rôle indépendant dans la défense et la promotion des intérêts des salariés qu’ils représentent et dans la prise en charge de leurs problèmes quotidiens (Lapointe 1998) ? L’analyse de ces tensions et conflits rend possible la reconstitution de la dynamique sociale et l’évaluation de l’impact des innovations dans une perspective longitudinale. Les conséquences de cette prise en compte sont majeures pour l’analyse. En effet, ce qui apparaît comme une amélioration, intégrée dans les nouveaux modèles, peut induire une dynamique d’évolution comportant des effets non anticipés et néfastes pour l’un ou l’autre des acteurs. Il en est ainsi de la participation syndicale à la gestion qui, dans certaines conditions, peut engendrer une dynamique d’affaiblissement du syndicalisme.

Présentation du cas, méthodologie et modèle d’analyse

Avec près de 7000 personnes à son emploi, Tembec exploite plus d’une vingtaine d’usines dans le secteur des produits de la forêt et génère des activités annuelles d’une valeur de 2 milliards de dollars canadiens[3]. À partir d’origines fort modestes, alors un producteur de pâtes au bisulfite dans « un vieux hangar démodé » (Laperrière 1979), cette entreprise n’a cessé de croître, en modernisant, intégrant et diversifiant ses activités. Elle se distingue en outre par un mode de gestion assez exceptionnel, qui se caractérise d’abord par la présence d’un actionnariat ouvrier. Très présent à l’origine, puisque les ouvriers, réunis en coopérative, possédaient plus du tiers du capital-actions, celui-ci a presque disparu aujourd’hui. En 1987, les travailleurs actionnaires ont vendu leurs parts au Fonds de solidarité de la FTQ, qui s’assura ainsi de la propriété de 14 % du capital-actions de la compagnie. Cette part diminua graduellement jusqu’à moins de 5 % en 1996 et le Fonds se retira de la propriété de l’entreprise l’année suivante[4]. Même si la direction offre aux employés un régime particulier d’achat d’actions, moins de 200 employés s’en sont prévalus au cours des dernières années[5].

Les travailleurs sont en outre représentés au conseil d’administration de Tembec. C’est ainsi que le président du syndicat local de l’usine de Témiscaming y a toujours été membre. Jusqu’en 1986, il était accompagné par le président du Syndicat canadien des travailleurs du papier (SCTP)[6]. Entre 1991 et 1994, le Fonds de solidarité a également occupé un fauteuil au conseil d’administration. Enfin, depuis 1997, un représentant de la coalition syndicale de Spruce Falls[7] siège au conseil.

Tembec suscite en outre l’intérêt par une politique de partage des profits, dont le calcul est basé sur les profits bruts, permettant ainsi aux salariés de recevoir une prime, même si la compagnie enregistre des pertes. Ce fut effectivement le cas au début des années quatre-vingt-dix.

La compagnie se distingue aussi très nettement des autres compagnies de pâtes et papiers sur deux autres plans. D’abord, elle ne paie pas de dividendes aux actionnaires et les bénéfices sont systématiquement réinvestis, tandis que les autres papetières ont versé à leurs actionnaires dans les années quatre-vingt des dividendes si élevés qu’il en est résulté un tarissement des investissements et un tel retard technologique dans leurs usines que plusieurs ont été contraintes à la fermeture ou à la réduction drastique de leurs effectifs (Lauzon 1995). En outre, Tembec accorde une très grande importance à la protection de l’emploi. En effet, même dans les années où elle a, à l’instar des autres producteurs, enregistré des pertes appréciables (12,3 % en 1991, 8,0 % en 1992 et 10,9 % en 1993), elle n’a jamais fait de mises à pied, contrairement aux autres producteurs, dont l’emploi a été réduit en moyenne de 25 % entre 1989 et 1993 (Lapointe et Caron 1994).

Enfin, le mode de gestion chez Tembec se caractérise par la présence de nombreux comités paritaires. Ainsi, à l’usine Témiscaming, depuis sa réouverture jusqu’à aujourd’hui, les représentants syndicaux et ceux de la direction se réunissent dans pas moins d’une dizaine de comités pour échanger des informations et assurer la gestion des ressources humaines.

L’enquête a porté exclusivement sur le principal site et le berceau de Tembec, soit le complexe industriel de Témiscaming, où se trouvent réunies plusieurs usines : la vieille usine de pâtes cellulosiques pour usages spéciaux, une usine de pâtes à haut rendement (PCTMB : pâte chimico-thermo-mécanique blanchie), une usine de carton et trois usines de produits chimiques (lignite, résine et alcool). En mai 1998, le complexe de Témiscaming employait près de 1000 personnes, dont 712 travailleurs syndiqués et affiliés au SCEP[8], section locale 233.

L’enquête, de nature longitudinale, s’est déroulée entre août 1993 et septembre 2000. Elle repose sur une triangulation des données. Des entrevues ont été réalisées avec huit représentants de la direction : le président de la compagnie, le directeur du personnel, un conseiller de la direction (président du syndicat entre 1973 et 1980), le surintendant des relations du travail (également président du syndicat entre 1984 et 1987), le surintendant de la maintenance, le directeur de l’usine de pâtes cellulosiques et le responsable du programme ISO. Le directeur du personnel a été interviewé à trois reprises, alors que le conseiller de la direction et ex-président du syndicat, ayant joué un rôle important dans la relance de l’usine, a été rencontré à deux reprises. Nous avons interviewé quatre représentants syndicaux (dont deux présidents en exercice à des moments différents) et, parmi ceux-ci, trois ont été rencontrés chacun à deux reprises. Les entrevues avec les représentants de la direction et du syndicat ont duré en moyenne une heure et demie. Enfin, des entrevues d’une durée moyenne de trente minutes ont été effectuées avec une douzaine de travailleurs, considérés comme des informateurs clés et choisis en accord avec la direction, à la suite de l’observation en usine. Les entrevues ont toutes été enregistrées et, à l’exception de quelques-unes, elles ont été retranscrites. L’observation a pris place au mois de mai 1998 et a duré 48 heures, concentrées en une semaine. Avec la permission de la direction, nous avions une grande liberté de déplacement dans tout le complexe et la possibilité de discuter librement avec les travailleurs et les cadres. Nous avons alors pu échanger plus ou moins longuement avec plus d’une cinquantaine de personnes. Enfin, nous avons eu accès à un grand nombre de documents (rapports annuels, conventions collectives, statistiques de main-d’oeuvre, organigrammes et autres).

Notre modèle d’analyse autorise la prise en compte de l’évolution et de la nature de la participation sur une longue période. Il fait alterner phases d’évolution et portraits de la participation, selon une dynamique particulière. Ainsi, chacun des portraits cristallise les principales dimensions de la phase d’évolution antérieure et ouvre, compte tenu des tensions qu’il comporte, sur une autre phase d’évolution. En conséquence, la présentation des résultats suivra les trois grandes phases d’évolution du cas, entrecoupées de deux portraits de la participation (figure 1). Dans la phase 1 seront présentées les conditions d’émergence (fermeture de l’usine, mobilisation des acteurs et réouverture). Dès la réouverture de l’usine se met en place un modèle de participation qui ouvre un espace de démocratisation du travail. Cela donnera lieu à un premier portrait de la participation. S’amorce alors, dans la phase 2, un lent processus d’affaiblissement du syndicat local, compte tenu de ses ressources et de ses structures. Au terme de cette évolution sera brossé un deuxième portrait de la participation, qui reflète l’affaiblissement du syndicat. Ce portrait débouche sur une nouvelle phase d’évolution (phase 3), se caractérisant par un grand nombre de tensions et d’insatisfactions parmi les membres. Celles-ci dévoilent la grande fragilité de la participation, alors susceptible d’évoluer vers un rejet ou un renforcement.

Figure 1

Phases d’évolution et portraits de la participation

Phases d’évolution et portraits de la participation

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Conditions d’émergence et nature du partenariat à l’origine

La fermeture de l’usine Kipawa à Témiscaming en mai 1972 entraîne la mise à pied de 500 travailleurs dans un petit village de 3000 habitants et porte un dur coup à toute l’industrie forestière de la région. N’ayant pas investi dans l’usine depuis dix ans, la CIP invoque sa non-rentabilité et la nécessité de restructurer ses opérations en se concentrant sur le développement de ses usines aux États-Unis (Laperrière 1979 ; Dottori 1996). La fermeture crée tout un émoi parmi la population locale, les ouvriers et les cadres. On assiste alors à une grande mobilisation qui incitera les gouvernements à intervenir et forcera la CIP à consentir à la vente de l’usine. En vue de son acquisition et de sa réouverture, une coalition d’actionnaires se forme avec la participation de Rexfor, de quatre hauts cadres de l’ancienne usine et d’une coopérative de travailleurs actionnaires formée par les ouvriers syndiqués.

Les travailleurs ont dû investir chacun 1000 $ dans l’aventure. Pour des ouvriers, en chômage depuis plus d’un an et dont le revenu qu’ils gagneront de retour au travail s’élèvera à environ 8000 $ par année, cela représentait un effort important. Par ailleurs, la réouverture s’est accompagnée d’une réduction des effectifs qui sont passés à 400 ouvriers. Ces derniers ont perdu leur ancienneté accumulée avant la fermeture et ont dû consentir à une réduction salariale de 10 %. Comparés aux autres travailleurs du papier, ils gagnent alors un salaire horaire inférieur de 20 %. Le coût de l’accord est certes énorme, mais c’est le prix à payer pour retrouver un emploi, qui n’a pas de prix.

Quand l’usine a réouvert au mois d’août 73, tout le monde était assez content d’avoir un emploi après que cela avait été fermé que tu n’entendais pas de chialage. Tout le monde quand ils sont rentrés ici, ils étaient assez contents que pour la première année ou deux, là, tout allait ben, ben calme, ben smooth, si on peut dire parce que les gens qui étaient ici venaient juste de voir qu’est-ce que c’était quand le moulin fermait, ce que c’était de ne pas avoir un emploi. Ils ont vu ce que ça veut dire d’être assis à la maison à ne rien faire, et puis, pas de sécurité.

Un président du syndicat

En échange de leurs concessions, les salariés et leur syndicat pourront en outre participer à la gestion de leur usine dans le cadre d’une participation au conseil d’administration et au sein de divers comités paritaires inscrits dans la première convention collective. On dénombre alors onze comités paritaires, dont certains se rencontrent également dans les autres conventions collectives dans le papier à l’époque (cinq comités reliés à la classification des tâches, un comité d’automatisation et un comité pour la révision des coûts[9]), alors que d’autres sont tout à fait originaux (embauche, sécurité[10], discipline et congés spéciaux). La convention collective innove également en précisant le fonctionnement des comités conjoints : composition paritaire, décision à la majorité et, en cas de mésentente, recours au gérant de l’usine et à un représentant du syndicat national. Deux autres innovations sont également consignées dans la première convention collective, soit la négociation continue et la flexibilité permettant aux ouvriers de production d’effectuer des travaux mineurs d’entretien.

Positions, ressources et démocratie syndicales

Dès le départ, la participation syndicale à la gestion est motivée par la réouverture de l’usine et la sauvegarde des emplois. Cette participation était dictée par les circonstances, comme le dira le président du syndicat d’alors : « [...] on était fermé. Les gars étaient sur le bien-être social. Qu’est-ce que t’aurais fait pour ton [syndicat] local. On a fait la job pour l’emploi ».

Par la suite, tant les interventions au conseil d’administration et dans les divers comités paritaires que les négociations collectives sont dominées par cet objectif. Nous avons rencontré en entrevue quatre des six personnes qui ont occupé le poste de président du syndicat local et qui ont, à ce titre, siégé au conseil d’administration. Ensemble, elles ont été en exercice pendant vingt ans au cours de la période 1973-1998. Leurs témoignages concordent à l’effet que la participation syndicale au conseil d’administration est d’abord conçue comme un moyen pour obtenir de l’information, qui est utilisée pour élaborer les stratégies de négociations et de protection de l’emploi. Elle est ensuite considérée comme un moyen pour exprimer ses craintes à l’égard de l’avenir de l’usine, tout en réclamant des investissements supplémentaires[11].

Au chapitre de l’emploi, tous les représentants syndicaux reconnaissent également le bilan assez impeccable de la direction. Grâce à ses stratégies de développement, l’emploi à l’usine s’est continuellement accru, au cours des vingt-cinq dernières années, passant de 400 à près de mille. Cette situation exerce un effet dissuasif sur le développement de positions syndicales plus revendicatives et offensives.

[...] c’est bon à faire comprendre au monde que l’on est chanceux. On a jamais vu ça. On peut se comparer à n’importe quelle usine, c’est seulement Tembec qui est comme ça. C’est pour leur faire comprendre aussi et c’est vraiment bon quand tu vois des problèmes de négociation, quand tu entres en négociation pour montrer qu’il n’y a pas de mises à pied.

Un président du syndicat

À l’égard des changements à l’organisation du travail, les dirigeants syndicaux font montre d’une position d’appui passif. Ils reconnaissent volontiers que c’est le droit de la direction d’introduire des changements et ils en reconnaissent les effets positifs. Quant à leur intervention, elle n’est justifiée que s’il y a des problèmes et elle consiste alors à assurer par exemple le respect de l’ancienneté. En outre, les dirigeants syndicaux ne sont pas vraiment informés des changements organisationnels et ne manifestent pas d’intérêt à ce propos.

En somme, le syndicat n’a pas de programme indépendant. Sa participation à la gestion est très nettement une participation instrumentale et tout est subordonnée à l’emploi. Dans la mesure où la direction est jugée compétente pour assurer l’atteinte de cet objectif, il n’y a pas nécessité d’avoir une position différente ou de revendiquer des pouvoirs supplémentaires. D’ailleurs, le syndicat le voudrait-il que les ressources lui manqueraient.

Au début de l’expérience, le syndicat local de Tembec faisait partie d’un syndicat international qui laissait peu d’autonomie à ses sections locales, de telle sorte que toutes les conventions collectives touchant les travailleurs d’une même compagnie, voire d’un même secteur industriel, devaient être exactement semblables. La convention devait être d’abord signée par le représentant du syndicat international, qui possédait ainsi un droit de veto. Les représentants syndicaux de Tembec ont dû convaincre ce dernier de la légitimité et de la pertinence de leur première convention collective, compte tenu des circonstances particulières entourant la réouverture de leur usine. Pour ce faire, ils ont même menacé de ne plus payer leurs cotisations au syndicat international. Après la formation du SCTP en 1974, les choses ont sensiblement changé, le caractère spécifique de Tembec fut reconnu dans les faits et le directeur québécois du syndicat canadien siégea même aux côtés du président du syndicat local au conseil d’administration. Néanmoins, bien loin de recevoir appui et ressources, le syndicat local a dû se battre pour que son expérience soit simplement tolérée et acceptée par les instances auxquelles il était affilié. Cette expérience de partenariat émergeait en outre à une époque de radicalisation du syndicalisme québécois, alors peu porté à une coopération avec le patronat. Dans ce contexte, le syndicat local n’a pas reçu tout l’appui et l’attention qu’il aurait mérités. L’expérience autogestionnaire de Tricofil, prenant place au même moment, était alors considérée comme la solution d’avant-garde (Boucher 1982), si bien que le partenariat chez Tembec était plutôt ignoré et déconsidéré.

Ainsi, compte tenu de leur isolement et du caractère exceptionnel de leur expérience, les représentants syndicaux n’ont pas à l’origine reçu de formation ou de préparation spécifique pour participer à la gestion de leur usine, dans les divers comités paritaires et au conseil d’administration. Le président du syndicat local de l’époque raconte que, pour participer au conseil d’administration, il a reçu une formation des avocats de la compagnie. Il déplore vivement qu’aujourd’hui encore il n’y ait toujours pas de formation spécifique pour occuper cette importante fonction :

C’est ça qui manque aujourd’hui quand les usines, les nouvelles usines là, ils ne prennent pas le temps, personne n’a de formation, le gars est là aujourd’hui, président du syndicat, il y a une élection, il est là sur le conseil d’administration. Pauvre gars, il est perdu. On en a un nous autres ici : il est bien bon, il me téléphone souvent et il me pose beaucoup de questions. Mais ce que je dis c’est que le gars, quand il est élu et qu’il va être sur le conseil d’administration, il devrait avoir une formation.

En outre, les représentants syndicaux n’ont pas reçu de formation de leur centrale ou de leur syndicat national sur les questions relatives à l’organisation du travail. Ils n’ont pas non plus fait appel à ces instances pour obtenir des ressources pour intervenir sur ces questions. En fait, le seul recours qu’ils utilisent, c’est celui de leur syndicat national pour les appuyer dans le renouvellement de leur convention collective.

Par ailleurs, le syndicat local est également isolé dans la mesure où il n’y a pas de concertation avec les autres représentants syndicaux au conseil d’administration. En effet, malgré la présence d’un représentant du Fonds de solidarité pendant une courte période, il n’y a jamais eu de concertation avec celui-ci. Cette situation d’isolement s’est notamment manifestée par l’expérience vécue par le nouveau président du syndicat élu en 1994 qui, après avoir participé à une première séance du conseil d’administration en tant qu’observateur, n’était même pas au courant de la présence d’un représentant du Fonds. Il n’y a pas non plus de concertation avec le représentant des travailleurs de Kapuskasing, présent au conseil depuis 1997.

Au plan interne, le syndicat local dispose de ressources limitées. Depuis le début de l’expérience, seul le président est libéré à plein temps, pour représenter aujourd’hui plus de 700 membres. À titre de comparaison, prenons le cas de l’usine Belgo, où les travailleurs sont également affiliés au SCEP. Dans ce cas, il y a deux sections locales qui ensemble regroupent 540 membres. Les deux présidents de section locale sont libérés à plein temps. En outre, deux autres représentants syndicaux, à titre de « chef des griefs » pour chaque section locale, bénéficient d’une libération syndicale partielle, représentant en moyenne 32 heures par semaine[12].

Le syndicat local comporte par ailleurs une structure de délégués d’atelier, dont le nombre s’est accru avec le développement de l’emploi au complexe, si bien qu’aujourd’hui on compte environ une quarantaine de délégués. Ceux-ci sont, en général, élus par les membres du département qu’ils représentent. De façon exceptionnelle, ils sont nommés par le président du syndicat. Leur mandat est principalement d’accompagner les salariés dans les premières étapes de la procédure de griefs et de les représenter sur les divers comités paritaires « ad hoc », formés au besoin dans les départements. Enfin, le syndicat local ne possède pas de journal et ne dispense aucun cours de formation à ses membres.

Concernant la démocratie syndicale interne, certaines caractéristiques de son fonctionnement et de son évolution ont engendré des problèmes de représentation. L’exécutif syndical se compose de onze membres qui, jusqu’en 1994, étaient tous élus lors de la première assemblée générale régulière de l’année. Après cette date, où des changements furent apportés aux statuts du syndicat, les candidats aux quatre premiers postes seront désormais élus à l’occasion d’un scrutin secret, le mode d’élection des autres membres demeurant inchangé[13]. L’élection du président suscite une grande participation et, en moyenne, plus de 70 % des membres y participent. Par contre, celle des vice-présidents engendre moins d’intérêt, car seulement 15 % des membres en moyenne y exercent leur droit de vote. Il y a en outre très peu de rotation sur la plupart des postes, si bien qu’il n’y a pas vraiment de renouvellement des membres de l’exécutif. Par exemple, la même personne a occupé le poste de premier vice-président pendant vingt ans entre les années 1973 et 1998. Durant cette même période, quatre personnes se sont succédé au poste de secrétaire financier, deux personnes au poste de trésorier, cinq personnes sur les deux postes de garde et six personnes sur les trois postes de syndic.

L’élection des membres de l’exécutif ne se fait pas selon les principes de la représentation sectorielle. De fait, on observe une forte disparité dans la représentation des secteurs de l’usine. Bon an, mal an, la majorité des membres de l’exécutif provient du secteur de l’entretien, soit huit sur onze en 1993 et six sur onze en 2000. L’exécutif est ainsi largement dominé par les ouvriers de métiers. En effet, tous les présidents et vice-présidents, qui se sont succédé à la direction du syndicat, étaient ou sont des ouvriers de métiers, à l’exception du deuxième vice-président élu au cours de la dernière élection, qui provient de l’usine de carton. Le même déséquilibre est constaté dans la répartition des délégués d’atelier. En conséquence, il existe un écart important entre la composition des représentants syndicaux et celle des membres. Certains secteurs sont sur-représentés (entretien, produits chimiques, bureaux et usine de pâte cellulosique), alors que d’autres sont sous-représentés (carton, PCTMB et section 99[14]).

La faiblesse du syndicat et son absence d’indépendance à l’égard de la direction se traduisent par un phénomène particulier de cooptation. En effet, la plupart des dirigeants syndicaux ont été promus à un poste de direction du côté du management. C’est le cas de quatre des cinq personnes qui ont mis un terme à leur carrière à l’exécutif syndical, après y avoir occupé le poste de président. Deux de ceux-ci ont été nommés au poste de surintendant des relations du travail et l’un d’eux est même devenu le porte-parole de la direction à la table des négociations. Au total, au cours de la période 1973-1998, parmi les treize personnes ayant rempli les postes de président et de vice-président et ayant mis fin à leurs activités syndicales, neuf ont poursuivi leur carrière du côté de la direction. Le même phénomène sévit de manière endémique chez les délégués d’atelier.

En somme, au cours des vingt-cinq années, depuis la réouverture de l’usine jusqu’à aujourd’hui, s’est développée progressivement une dynamique d’affaiblissement du syndicat local. À l’origine, il était un partenaire de premier plan dans la réouverture de l’usine ; aujourd’hui, il est plutôt l’objet d’un contournement. Rappelons un événement lourd de signification qui permet de mesurer cette évolution. Lors de la mise en marche de l’usine de carton sur le site de Témiscaming au début des années quatre-vingt-dix, il y a eu une controverse concernant la syndicalisation des travailleurs de cette usine, dont l’embauche s’est faite sans passer par le comité prévu à la convention collective. La direction soutenait alors que c’était une nouvelle usine. En conséquence, les nouveaux travailleurs embauchés ne devaient pas être syndiqués et la direction n’était pas non plus tenue de respecter la convention collective en vigueur dans les autres usines du site. Quelques mois après l’ouverture de la nouvelle usine, une tentative de syndicalisation fut organisée par la CSN. Devant la menace de voir apparaître un syndicat affilié à une autre centrale, la direction cessa toute résistance à l’intégration des salariés de la nouvelle usine dans l’unité syndicale déjà existante sur le site. Sans cette menace externe, tout laisse croire que le contournement du syndicat local aurait perduré, en dépit du partenariat en vigueur dans les autres usines du site Témincaming.

Pseudo-participation

En conséquence principalement de l’affaiblissement du syndicat local, la participation dans les divers dispositifs, institutionnels et organisationnels, se caractérise par l’absence de pouvoir. Au conseil d’administration, le président du syndicat local intervient certes au niveau stratégique, mais sa participation se limite à recevoir des informations et à exprimer les préoccupations des membres à l’égard de l’emploi. Il ne participe pas à l’élaboration des stratégies, ni à la prise de décisions sur les orientations importantes, qui se font en général dans divers comités spécialisés sur aucun desquels il ne siège. C’est d’ailleurs en ces termes que le directeur du personnel évalue cette participation :

C’est sûr que pour en avoir discuté avec une couple d’anciens présidents, ils ne sont pas confortables quand ils se trouvent au conseil d’administration parce qu’il y a quand même des gens qui sont de grands financiers pis des gens qui parlent de stratégies en des termes qui ne sont pas ceux de tous les jours. Donc, ils suivent ça un peu de loin là. On peut pas dire que les présidents du syndicat ont un rôle de leadership au sein du conseil d’administration puis un rôle déterminant. Mais, par contre, l’importance de la présence du président du syndicat au conseil, c’est plutôt pour assurer la transparence des décisions qui se prennent.

Un événement récent illustre bien cette mise à l’écart du représentant du syndicat local à l’égard des questions importantes. Il concerne l’acquisition d’une nouvelle usine menaçant l’avenir de la vieille usine de pâtes cellulosiques sur le site de Témiscaming, parce qu’elle est beaucoup plus efficiente dans la fabrication du même produit. En conséquence, les investissements majeurs requis pour moderniser la vieille usine sont remis à plus tard. Devant cette situation, le président du syndicat local craint que la production de la nouvelle usine ne remplace progressivement celle de la vieille usine qui serait ainsi vouée à une fermeture prochaine. Il n’a pas participé à la décision et ne comprend pas la stratégie de la compagnie. Il peut très certainement exprimer ses inquiétudes aux autres membres du conseil, mais son pouvoir s’arrête là.

La participation syndicale au conseil d’administration joue un rôle important en regard des négociations collectives. En général, les personnes interviewées insistent sur le fait qu’étant donné leur présence au conseil d’administration, la direction ne peut pas leur dissimuler l’état réel des profits et que cela permet donc d’aller chercher de meilleurs règlements pour les membres. Mais, il semble bien que cela ait également joué en sens inverse. La participation syndicale au conseil d’administration conditionne ainsi les négociateurs syndicaux, et par voie de conséquence les employés, à accepter les concessions exigées. Aux négociations pour le renouvellement de la convention collective en 1993, le syndicat local a accepté une clause de discrimination salariale sur la base de la date d’embauche, soit 5 % de moins que le salaire régulier pour les nouveaux travailleurs embauchés après la date de la signature[15]. Le président s’explique ainsi :

[...] le 5 % pour les nouveaux employés [...] je ne voulais rien savoir de ça. [...] J’en ai pris conscience [de sa nécessité], parce que j’étais sur le conseil d’administration. La compagnie était pour enlever 100 personnes, il y aurait eu des mises à pied si on n’avait pas accepté le 5 %. Dans ce temps-là, c’était la plus horrible situation dans l’histoire de Tembec.

En parlant de ces négociations, l’actuel surintendant des relations du travail et président du syndicat entre 1984 et 1987 confirme les faits :

[...] tu sais les dernières négociations qu’on a eues, [...] le président du syndicat, il a fallu qu’il dise : écoutez là, moi, je suis au conseil d’administration puis je vois qu’on ne peut pas aller en chercher plus.

La participation syndicale s’exerce également dans le cadre d’une dizaine de comités paritaires, ainsi qu’on l’a déjà vu plus haut. Hormis les comités que l’on retrouve dans toutes les usines de pâtes et papiers (santé et sécurité, automatisation, classification des emplois et relations du travail[16]), il existe quelques autres comités qui sont spécifiques à Tembec. Parmi ces derniers, le comité d’embauche et le comité de discipline sont considérés comme les plus importants par les divers intervenants du milieu. Le premier accorde un pouvoir très limité aux représentants syndicaux. En effet, les critères d’embauche sont définis par la seule direction et le syndicat voit son rôle limiter à des pressions pour l’embauche de candidats locaux à l’encontre de candidats en provenance de l’extérieur.

Quant au comité de discipline, son mandat consiste à faire enquête, à la demande de la direction, sur toute situation susceptible de conduire à l’émission d’une sanction pour un quelconque employé fautif. Seul le comité dispose du pouvoir d’émettre de telles sanctions. Tout cadre, estimant que l’un de ses employés pourrait être sanctionné, doit présenter sa demande au comité de discipline qui fait enquête. Les représentants syndicaux justifient leur participation à ce comité par un souci d’équité dans l’application de la discipline et par le fait que l’existence du comité permet de régler les problèmes à la base. Dans les faits, le travail de ce comité se substitue à la procédure de griefs, dont le nombre se trouve ainsi considérablement réduit. Comme le dit le président du syndicat : « Des comités comme ça, ça sauve bien des griefs ». En effet, il y a très peu de griefs, comme on pourra le constater plus bas.

Un autre dispositif du paritarisme dans l’usine prend la forme d’un comité conjoint qui se réunit à toutes les six semaines et qui est composé de tous les cadres supérieurs de l’usine et de tous les membres de l’exécutif. À l’occasion des réunions de ce comité, la direction fournit des informations sur les performances et les projets de développement de la compagnie et de l’usine. Pour les représentants syndicaux, c’est également l’occasion de poser les questions qui les préoccupent et d’éclaircir les rumeurs qui circulent dans l’usine.

Par ailleurs, le syndicat n’est pas impliqué dans la gestion à moyen terme[17] des usines. Même si celles-ci, sur le site Témiscaming, sont tenues depuis quelques années d’élaborer des plans stratégiques, il n’est pas invité à y participer. En dernier lieu, la direction a obtenu une certification qualité, ISO 9002, au début de 1994 et elle a, au cours des années récentes, introduit dans divers départements des groupes d’amélioration de la qualité. Le syndicat n’a pas été associé à l’introduction de ces programmes de qualité et il n’existe aucune structure de gestion paritaire de ces programmes.

En somme, la participation syndicale au conseil d’administration et dans les divers comités paritaires représente un moyen pour obtenir davantage d’informations :

[...] Ça donne plus d’informations. Ça donne une indication. Exemple quand on va négocier, on entend toujours les gens dire qu’il y a deux sets de livres. Quand c’est le temps là [de participer à toutes ces instances], il faut que tu y ailles et que tu prennes [les informations] pour les utiliser en ta faveur. Quand on va négocier, il n’y a pas de doute que ce qu’ils vont nous dire à la table de négociation, c’est vrai parce que le président du syndicat siège sur le CA. Si par hasard, ils disaient « non, on n’a pas fait d’argent », et le président du syndicat qui est assis, là, et il disait « oui, ils ont fait de l’argent », je pense qu’il faudrait qu’ils le disent là. Donc, sur ce bord-là, ça donne pas plus de pouvoir, mais plus d’informations.

Un président du syndicat

La nature de la participation syndicale à la gestion se répercute sur les formes d’organisation du travail. Cette dernière se caractérise certes par une grande flexibilité dans les métiers et entre ceux-ci et la production, mais il n’y a pas à proprement parler de formes de démocratie directe. La structure hiérarchique est plutôt lourde, comportant dans la plupart des départements cinq ou six niveaux. La division verticale et horizontale du travail correspond également à des formes d’organisation bien traditionnelles. Sur la machine à carton, par exemple, mise en marche il y a à peine dix ans, se retrouve la même vieille structure de postes qui existait dans les autres usines de pâtes et papiers avant l’introduction des innovations organisationnelles dans les années quatre-vingt-dix.

Il existe néanmoins dans d’autres départements certaines formes de travail collectives. Des équipes de travail sont ainsi présentes, bien qu’elles ne soient pas tellement nombreuses. Elles comportent peu de responsabilités supplémentaires pour les salariés et leur objectif fondamental est d’accroître la coopération et l’entraide, comme l’indique d’ailleurs cette citation affichée bien en vue dans la salle d’opération de l’usine de PCTMB :

Le travail d’équipe, c’est la capacité de travailler ensemble vers un but commun. C’est la capacité de diriger les réalisations individuelles vers l’atteinte des objectifs organisationnels. C’est l’énergie qui permet à des gens ordinaires de faire des choses extraordinaires.

Quant aux groupes d’amélioration de la qualité, ils sont plus nombreux et s’insèrent en général dans une approche centralisée. Ils sont le plus souvent composés majoritairement de cadres et les ingénieurs y exercent un rôle prépondérant. Les travailleurs présents dans ces groupes ont davantage pour rôle d’améliorer les projets conçus par les ingénieurs et les cadres. En outre, concernant la participation des travailleurs, l’accent est mis sur la sensibilisation à la qualité. En effet, pour une participation d’une semaine dans un groupe d’amélioration de la qualité, un travailleur doit consacrer deux semaines à la formation, pour se familiariser certes avec la démarche qualité, mais aussi pour se sensibiliser davantage aux impératifs de la qualité et de la productivité. En majorité, selon un sondage réalisé par la direction à l’usine de carton, les travailleurs ne croient pas que leurs points de vue soient réellement pris en compte dans cette démarche d’amélioration de la qualité.

Au total donc, la participation, qu’elle soit représentative ou directe, se caractérise par une absence de pouvoir pour le syndicat et les travailleurs. Elle ne s’accompagne pas d’une redistribution des pouvoirs en direction des travailleurs et de leur syndicat. Elle a plutôt pour objectif d’assurer une meilleure circulation des informations et un accroissement de la coopération. En conséquence, elle peut difficilement être utilisée comme un moyen, à la disposition du syndicat et des travailleurs, pour influencer les décisions de la direction, voire contribuer à les redéfinir, afin qu’elles prennent mieux en compte leurs intérêts. Bien au contraire, la participation contribue davantage à modifier les stratégies et les positions syndicales et à les aligner sur celles de la direction, entraînant ainsi un affaiblissement supplémentaire du syndicat local. Cette situation engendre nombre de tensions syndicales et d’insatisfactions parmi les travailleurs.

Tensions, insatisfactions et contrepoids

La participation à la gestion suscite au sein du syndicat des tensions entre des rôles et des objectifs contradictoires, tandis que des insatisfactions se développent parmi les salariés. Sur le plan des rôles, le syndicat doit concilier deux rôles opposés. D’une part, son rôle dans la gestion et son adhésion aux objectifs de production de la direction l’incitent à promouvoir une grande coopération et à partager la même perspective que la direction. D’autre part, son rôle de défense des salariés lésés par les décisions de la direction devrait l’amener à adopter une attitude d’opposition et de conflit. Dans les faits, cette contradiction est résolue en accordant la priorité à la coopération et au partage de la même perspective au détriment de la défense des salariés. En conséquence, pour nombre de salariés, la procédure de traitement équitable des différends et des plaintes est fortement entachée d’un soupçon de partialité, tandis que le rôle du syndicat est considéré comme un rôle d’appui à la direction. Le comité de discipline, censé assurer l’équité dans l’application des sanctions disciplinaires grâce à la participation des représentants syndicaux, fonctionne dès lors à l’avantage de la direction et les salariés n’ont pas l’impression d’être vraiment défendus par leurs représentants. Ainsi, « la compagnie a toujours le dernier mot » (un travailleur). Par ailleurs, pour favoriser la coopération, il y a très peu de griefs, même si les problèmes et les irritants sont nombreux. Les représentants syndicaux préfèrent les régler en dehors de la procédure établie pour préserver de bonnes relations avec la direction. Quant aux griefs qui sont soulevés, ils trouvent un règlement qui est le plus souvent à l’avantage de la direction. Dans les faits, lorsqu’un grief ne peut être réglé verbalement avec le contremaître impliqué, il est « écrit » et il est dès lors déposé au bureau du surintendant des relations du travail, dont la décision est en pratique considérée comme finale, puisqu’il est très rare qu’un grief ne se rende en arbitrage. Ainsi, entre les années 1984 à 1991, il y a eu, en moyenne chaque année, treize ou quatorze griefs. Au cours de cette période, la très grande majorité des décisions a été favorable à la direction, soit 68 %[18].

Sur le plan des objectifs, un dilemme se pose entre la promotion du bien-être de l’entreprise et la défense des intérêts des travailleurs. Dans le cadre du partenariat, ce dilemme devrait normalement trouver une solution mutuellement bénéfique aux deux parties qui devraient parvenir à concilier les exigences de rentabilité, les revendications salariales et l’emploi. En période de croissance, cela se produit plus facilement. Par contre, dans les situations économiques difficiles, ce dilemme se pose dans toute son acuité. L’une des originalités importantes du modèle Tembec réside dans l’utilisation de la flexibilité salariale pour maintenir l’entreprise à flot tout en préservant l’emploi lorsque la conjoncture s’effondre. Quand il s’agissait d’accepter des salaires inférieurs ou de reporter des augmentations salariales déjà négociées, cela s’appliquait à tous et ne suscitait pas vraiment d’insatisfaction parmi les salariés. Par contre, l’introduction d’une clause « orphelin » dans les années récentes a soulevé une grande insatisfaction, qui s’est amplifiée étant donné que les nouveaux, touchés par cette clause, représentent en 1998 près de 20 % de la main-d’oeuvre.

Par ailleurs, il se creuse un fossé grandissant entre la composition de l’exécutif et celle des salariés. L’exécutif est composé de vieux travailleurs, ayant connu le choc de la fermeture et plus enclins à consentir des sacrifices importants pour l’emploi. À titre d’illustration, mentionnons que cinq des onze membres, qui composaient l’exécutif en 1993, sont entrés à l’usine lors de sa réouverture, deux ont été embauchés l’année suivante et trois autres ont trouvé du travail à l’usine cinq ou six ans après sa remise en marche. En fait, un seul des membres de l’exécutif d’alors avait été embauché dans la deuxième moitié des années quatre-vingt[19]. Cette sur-représentation des plus vieux exerce un effet dissuasif sur le militantisme syndical ainsi que sur l’adoption de positions indépendantes et proactives, car les plus vieux valorisent davantage l’emploi, dont la protection et le développement leur semblent principalement assurés par la direction. Quant à la main-d’oeuvre, elle est composée majoritairement de salariés qui n’ont pas connu la fermeture et qui, en grand nombre, proviennent de l’extérieur de la région. En fait, 55 % des travailleurs ont été embauchés après 1987 et 20 % après 1992[20]. Ils sont, en général, beaucoup plus scolarisés. En effet, un nombre important détient un diplôme collégial en technique des pâtes et papiers ou dans un métier quelconque. Les plus jeunes voudraient un syndicat plus combatif et accordent peu de crédibilité au fonctionnement de la démocratie syndicale. Ils sont davantage préoccupés par les salaires et les conditions de travail. Ils remettent en question le compromis autour de l’emploi. D’ailleurs, ce sont eux qui ont assumé les frais de ce compromis, lors du renouvellement de la convention collective en 1993, avec la clause « orphelin ».

Enfin, la participation syndicale à la gestion, censée accroître le pouvoir de négociation du syndicat, grâce à un accès élargi aux informations pertinentes, n’a pas vraiment porté fruit si l’on en juge par l’évolution des salaires au cours des dernières années. En effet, les travailleurs de Tembec reçoivent en moyenne un salaire inférieur de plus d’un dollar l’heure comparé à leurs confrères du même syndicat dans les usines de l’Est. La convention collective de Tembec est toujours signée après le règlement intervenu dans les usines de l’Est, en appliquant les termes de ce règlement aux augmentations salariales, tout en respectant un certain différentiel dans le salaire de base. En outre, en 1993, le syndicat local de Tembec a été le seul, dans le secteur des pâtes et papiers au Québec, à négocier une clause « orphelin ».

La participation syndicale à la gestion suscite parmi les salariés de nombreuses interrogations sur la légitimité du syndicat. Pour la plupart d’entre eux, ils considèrent que leur syndicat est « dominé par le management ». Une expression qui revient souvent dans les propos des travailleurs.

[...] à la tête du syndicat, ils ont peur. Ils voient à leur futur. Ils ne veulent pas trop brasser. Ils veulent bien paraître par rapport au management. Quant tu regardes ça, la plupart des présidents, après leur terme, ils vont tout le temps sur le management. S’ils cochonnent le management, ils savent que le management ne va pas leur donner une job après.

Un travailleur

La remise en cause de la légitimité des représentants syndicaux s’appuie également sur le fait que le syndicat est contrôlé par la même « vieille gang », composée principalement des travailleurs de l’entretien. Cela dissuade la participation des autres travailleurs aux assemblées syndicales :

J’aime bien ça assister aux assemblées syndicales. J’y vais de temps en temps. Mais c’est toujours la shop [l’entretien] qui gagne et on se décourage. Les travailleurs sont sur les shifts. Quand ça arrive aux votes, on perd. Il vient un temps où les gars se découragent et ils n’y vont plus.

Un travailleur

Toutes ces tensions indiquent la grande fragilité de la situation, qui persiste néanmoins compte tenu de la présence d’une série d’éléments qui agissent à la manière de contrepoids. Le syndrome de la fermeture conserve encore une certaine efficacité, particulièrement pour les plus vieux et ceux qui sont natifs de la région. La croissance de l’emploi et l’absence de mises à pied, même pendant les périodes économiques difficiles et au moment où tous les concurrents y recouraient massivement, sont appréciées par tous les travailleurs. Cela traduit bien l’un des fondements du modèle Tembec, soit une adaptation à la récession économique par une flexibilisation des salaires (report d’augmentations, salaires inférieurs aux concurrents et clause « orphelin ») plutôt que par des mises à pied. En outre, l’existence de pratiques de gestion des ressources humaines axées sur la promotion fait en sorte que les problèmes quotidiens et les tensions sont considérés comme un phénomène passager dans la trajectoire individuelle des salariés. La grande majorité des salariés rencontrés aspire à une promotion quelconque, soit dans le cadre des échelles de progression, présentes dans tous les départements, soit du côté de la gérance, dont les passerelles sont nombreuses. Cette situation exerce un effet dissuasif sur l’implication dans le syndicat pour changer le cours de choses. Pour nombre de jeunes travailleurs, en provenance des autres régions, leur séjour à Tembec est en outre considéré comme passager, le temps d’acquérir de l’expérience facilitant leur accès à d’autres emplois dans les grands centres. En effet, le taux de roulement des jeunes en provenance des autres régions est très élevé. Le rattrapage salarial qui s’est opéré au cours des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix est un autre facteur d’importance pour atténuer les critiques. Rappelons qu’à l’origine le différentiel de salaire avec les autres usines du secteur était de 20 % ; il est aujourd’hui d’environ 5 %. Le dynamisme de la direction et ses stratégies de croissance de même que la présence d’un leader charismatique, en la présence du président et cadre fondateur de la compagnie, jouent un rôle de premier plan dans le maintien d’une certaine stabilité dans les relations sociales. Les travailleurs accordent une grande confiance au président de la compagnie :

[...] avec Frank [Dottori] l’expérience a été bonne. Lui, je crois qu’il avait l’usine à coeur. Puis, dès le départ, il a mis tout son meilleur, puis je crois qu’il met encore son meilleur aujourd’hui à faire que ça fonctionne. Et moi j’y crois beaucoup à Frank. J’ai bien confiance en lui.

[...] le fait que des gars comme Frank [...] reste en ville, ça montre en un sens qu’il est vraiment intéressé à nous autres.

Un vice-président du syndicat

À quelques reprises au cours de l’année, le président de la compagnie rencontre en outre les travailleurs rassemblés pour l’occasion à la salle du syndicat. Les travailleurs y participent en grand nombre et apprécient les propos du président.

Étant donné son origine et la participation des travailleurs à sa propriété, Tembec engendre de plus un fort sentiment d’appartenance chez nombre de travailleurs. Certaines pratiques concourent à la reproduction de ce mythe fondateur :

Le fait de participer financièrement aux profits de l’usine, c’est un incitatif qui nous laisse croire que ça nous appartient un peu. Alors moi, en tant qu’individu et simple travailleur, je vais essayer d’être économique dans mes gestes et dans mes heures. Le matériel sera bien utilisé et il n’y aura pas de gaspillage. Parce je sens un petit peu que c’est à moi. C’est un peu comme dans mon garage ou dans ma maison, je ne jette rien. C’est un peu l’attitude de tout le monde ici. Ce que je ne voyais pas ailleurs. Ailleurs, on jetait du bois, du fer [...] on « dumpait » des choses qui étaient utiles. À GM, sur la construction ou à la Baie-James, il y avait plus de gaspillage. On n’avait pas l’impression que c’était à nous. GM, ça n’appartient pas aux employés. Tandis que Tembec, oui.

Un travailleur

Enfin, les relations de parenté entre les travailleurs eux-mêmes et avec le personnel cadre renforcent l’appartenance et brouillent les distinctions d’intérêts. L’usine représente le seul employeur d’importance dans le village et d’autres membres de la famille y travaillent ou y ont travaillé. Citons, parmi d’autres, le cas d’un travailleur dont une quinzaine de membres de la famille élargie sont à l’emploi de l’usine : ses deux frères et sa conjointe ainsi que ses oncles et ses beaux-frères. Son père a travaillé à l’usine jusqu’en 1984, alors que sa conjointe est la secrétaire, non syndiquée, d’un cadre supérieur.

En résumé, les nombreuses tensions et insatisfactions suscitées par la participation syndicale à la gestion sont contrebalancées par l’existence de contrepoids. Cela a pour effet d’assurer une certaine stabilité. Néanmoins, celle-ci est fragile et la participation syndicale à la gestion, dans sa forme actuelle, n’est pas nécessairement assurée à long terme. Son rejet est cependant peu probable. Sera-t-elle par contre redéfinie pour mieux prendre en compte les préoccupations des salariés et se démarquer davantage de la direction ? Cela reste à voir et c’est à suivre.

Conclusion

L’étude de Tembec permet de jeter un autre regard sur le partenariat et la dynamique de la participation syndicale à la gestion. À bien des égards, cette expérience, vieille de vingt-cinq ans, représente une réussite remarquable et originale : expansion considérable de la production, basée sur une intégration et une diversification des activités ; croissance de l’emploi, sans aucune mise à pied tout au long de la période ; absence de conflits de travail ; organisation flexible et relations du travail coopératives. Au nombre des facteurs responsables de ces résultats, il y a très certainement une direction innovatrice, dynamique et soucieuse des intérêts d’une main-d’oeuvre compétente et engagée, mais la participation syndicale à la gestion ainsi que le compromis sur l’emploi ont également joué un rôle fondamental.

L’emploi est au coeur de cette expérience. Il explique la réouverture de l’usine et le compromis fondamental qui en a assuré la survie et l’expansion. En échange d’un emploi et de l’assurance que la direction fera tout en son pouvoir pour le protéger, les salariés acceptent certaines concessions, tandis que le syndicat s’implique dans la gestion et s’engage dans la coopération. Dans les périodes de ralentissement économique, la protection de l’emploi est assurée grâce à la flexibilité salariale, soit la modération salariale, le report d’augmentations salariales et l’introduction d’une clause « orphelin ». La participation syndicale à la gestion est elle-même subordonnée à la protection de l’emploi. En ce sens, elle est instrumentale : son objectif est de protéger et de promouvoir l’emploi. Pour atteindre cet objectif, dans le contexte particulier de Tembec, les représentants syndicaux seront amenés à prendre un certain nombre d’actions apparaissant comme essentielles à cet égard : appuyer les orientations d’une direction à laquelle ils font confiance, inciter les membres à accepter les changements et les concessions exigés et maintenir la paix industrielle, en évitant que les différends ne dégénèrent en conflits. En outre, pour faire accepter les concessions et atténuer le militantisme syndical, la direction utilise les pressions sur l’emploi, auxquelles la plupart des salariés sont très sensibles, étant donné leur expérience vécue, et la conjoncture économique difficile, à laquelle les représentants syndicaux sont très sensibles, du fait de leur présence au conseil d’administration. Engagé dans cette dynamique, le syndicat connaît un processus d’affaiblissement, dans la mesure où il est isolé du reste du mouvement syndical, sans ressources, sans cohésion interne et avec une démocratie déficiente. Toutes ces conditions sont réunies à Tembec et elles se renforcent dans le cadre de la participation syndicale à la gestion.

Celle-ci ne s’accompagne pas d’une redistribution des pouvoirs en direction des travailleurs et de leur syndicat. Elle a plutôt pour objectif d’assurer une meilleure circulation des informations et un accroissement de la coopération. Elle contribue ainsi davantage à modifier les stratégies et les positions syndicales et à les aligner sur celles de la direction, entraînant ainsi un affaiblissement supplémentaire du syndicat local. Cette situation engendre nombre de tensions syndicales et d’insatisfactions parmi les travailleurs. D’une part, la légitimité de la participation syndicale à la gestion, l’indépendance des représentants syndicaux à l’égard de la direction et leur capacité à bien défendre les salariés sont fortement remises en cause. D’autre part, la situation entraîne certaines insatisfactions grandissantes chez les travailleurs : favoritisme, intensification du travail et clause « orphelin », notamment. Les salariés considèrent de moins en moins ces irritants comme le prix à payer pour la protection de l’emploi.

Mais, compte tenu de la nature du syndicat local à Tembec, ces tensions et ces insatisfactions n’induisent que difficilement et lentement une dynamique de démocratisation du syndicat et de la participation. En conséquence, celle-ci peut difficilement être utilisée comme un moyen, à la disposition du syndicat et des travailleurs, pour influencer les décisions de la direction, voire contribuer à les redéfinir, afin qu’elles prennent mieux en compte leurs intérêts. La transition d’une participation instrumentale, porteuse d’une dynamique d’affaiblissement du syndicat, à une participation démocratique est d’une certaine manière bloquée. Pour qu’un déblocage soit possible, un certain nombre de conditions seraient à réunir : un programme syndical, autonome, différent de celui de la direction et porteur des revendications des salariés ; des ressources externes, d’information et d’expertise, pour participer efficacement ; des ressources internes, en termes de militants libérés et compétents pour pouvoir redéfinir les propositions de la direction selon les intérêts des membres et une démocratie syndicale forte permettant la prise en compte des divers points de vue et la mobilisation des membres.

Tembec représente certes une grande réussite, mais, comme le démontre notre étude, cette réussite a été acquise au détriment de certaines conditions de travail et de certains groupes de travailleurs. Le partenariat s’est construit sur la perte d’indépendance du syndicat local qui, dépourvu de ressources et inséré dans un phénomène de cooptation, s’est progressivement affaibli. Il s’est en outre accompagné d’une organisation du travail plutôt hiérarchique et caractérisée par une participation sans pouvoir. Dans cette expérience, le côté sombre réside moins dans la fragilisation de l’emploi et la détérioration des salaires et des conditions de travail, il loge plutôt du côté de l’absence de démocratie, remettant ainsi en question la légitimité du syndicat local et celle des divers dispositifs participatifs mis en place.

Au terme de cette étude de cas, les principales limites de la théorie du choix stratégique apparaissent mieux. Les divers dispositifs participatifs, la flexibilité organisationnelle, l’importance accordée à la protection de l’emploi ainsi que le niveau élevé de confiance et de coopération entre les parties représentent autant de caractéristiques qui, selon cette théorie, font de Tembec un modèle exemplaire de partenariat à promouvoir (Legendre 1991, 1994 ; Morin 1995). Par contre, une étude plus approfondie, prenant en compte les tensions et l’évolution du pouvoir syndical, révèle un processus d’affaiblissement du syndicat. Il devient dès lors difficile de soutenir que le partenariat puisse entraîner des bénéfices mutuels et reposer sur un « jeu à somme positive ». En effet, en s’affaiblissant, le syndicat local réduit sa capacité à bien représenter et défendre les intérêts de ses membres, qui deviennent ainsi plus perméables à une détérioration de leurs conditions de travail et d’emploi.

Les résultats de cette étude démontrent enfin que le partenariat peut très bien s’accommoder d’une participation sans démocratie, d’un affaiblissement du syndicalisme et du maintien d’une organisation hiérarchique du travail. Ils démontrent également que la coopération et la confiance, deux dimensions associées au partenariat et considérées par certains comme les plus importantes, ne sont pas d’elles-mêmes porteuses de la démocratie au travail. Elles peuvent très bien s’accommoder d’un paternalisme bienveillant, conjugué à un syndicalisme plus ou moins dominé.

En somme, dans le cadre du partenariat, l’évolution du pouvoir du syndicat local revêt une importance cruciale, dans la mesure où elle est fortement reliée à l’évolution de la démocratie. Selon que le syndicat s’affaiblit ou qu’il se renforce, ainsi va la démocratie au travail.